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C.'TADELIE
Vue prise sur .
A
iV.iC
DESCRIPTION DE L'AFRIQUE DU NORD
ENTREPRISE PAR ORDRE DE
M. LE MINISTRE DE L*INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES BEAUX-ARfS.
L'AFRIQUE BYZANTINE
ïlISXOIFtE:
DE LA
DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
( 533-709 )
Par décision du 31 octobre 1895, M. le Ministre de l'Instruction pu-
blique et des Beaux-Arts a ordonné la publication de V Afrique byzantine :
Histoire de la domination byzantine en Afrique, par M. Cii. E^iehl, pro-
fesseur d^histoire à TUnivcrsité de Nancy.
M. de la Blanchère et M. Gagnât, membres du Comité des Travaux
Historiques, ont été chargés de suivre cette publication en qualité de
Commissaires responsables.
ANOBKS, IMPRIIIBBIB UB A. BUKDIN, BOB GARNIBR, 4.
. . /
L'AFRIQUE BYZANTINE
HISTOIRE
DB LA
DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
(533-709)
CHARLES DIEHL
ÂDden membre des Écoles françaises de Rome et d'Athènes,
Professear d'histoire à l'Unirersité de Nancy.
OUVRAGE COUROiNNÉ PAR L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES
PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, 28
1896
''Jj»iAZ ljbrartI
680755
PRÉFACE
1
■ -c^ovc-o- -
L'Académie des inscriptions et belles-lettres avait
mis au concours pour 1894 le sujet suivant: « Étudier,
d'après les textes historiques, les inscriptions et les mo-
numents, l'histoire de la domination byzantine en Afri-
que. » Le présent livre reproduit, à peu de chose près, le
mémoire couronné par l'Institut. Toutefois, si Ton a con-
servé les lignes maîtresses du plan et l'ordonnance gé-
nérale de l'ouvrage, on n'a point cru devoir s'interdire
de remanier, parfois profondément, le détail de tel ou
tel chapitre et de procéder à une attentive et minutieuse
révision de l'ensemble. On tenait d'une part à mettre à
t '^- profit les conseils que le savant rapporteur du concours,
M. G. Schlumberger, a bien voulu donner à l'auteur de
de ce travail ; et d'autre part, dans l'Afrique du Nord,
les découvertes vont si vite que, depuis l'achèvement
même du mémoire original, plus d'un fait a été acquis,
qui méritait d'être mis en valeur. Tel qu'il est, ce livre
offre donc, je n'ose dire l'histoire définitive de l'Afrique
v:
II mSTOJKE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
byzauUue, du moins cette histoire, aussi exacte, aussi
complète qu'il est à cette heure possible de l'écrire.
Au vrai, l'histoire de la domination byzantine en Afri-
que est assez malaisée à raconter. A côté de périodes
largeraeût éclairéns, on y rencontre de grands espaces
sombres, où le chercheur risque fort de perdre pied. On
sait admirablement, par exemple, grâce aux renseigne-
ments amplement fournis par Procope et par Corippus,
grâce aux inscriptions nombreuses, grâce aux monuments
qui aujourd'hui encore couvrent la terre africaine, quel-
les furent rorganisation et les destinées de ce pays durant
le lorjg règne de J ustinien. Les informations ne sont guère
moins nombreuses sur les derniers jours de la domina-
tion grecque, encore qu'il faille ici se défier des fantai-
sies des écrivains arabes et que la critique ait parfois
quelque peine à démêler, parmi les exagérations des
chroniqueurs, les faits authentiques et sûrement établis.
Mais entre ces deux périodes lumineuses, quelle vaste
zone intermiHliaîre rempUe d'obscurité ! Sans doute la
correspondance do Grégoire le Grand éclaire d'un jour
inattendu Tétat politique et religieux de l'Afrique vers
la fin du Yi' siècle : mais entre la mort de Justinien et
l'avènement de l'empereur Maurice, surtout entre l'a-
vènement et la mort d'Héraclius, que de difficultés, que
d'incertitudes, que de lacunes ! C'est à grand'peine, en
recueillant les rai'es témoignages épai's dans l'aridité
des chroniques, en rassemblant les lambeaux des textes
législatifs^ en interprétant les débris d'inscriptions et
■**
* • "l • *j.i.'
» m * É m * m *■ *
PREFACE ne
les fragments de mouuments, qu'on arrive à reconstruire
l'histoire de ces obscures et difficiles époques : encore
faut-il se résigner le plus souvent à n'entrevoir que les
lignes générales des choses, sans prétendre reconstituer
dans le détail ce que fut, sous l'autorité de Byzance, la
vie africaine.
De cet état des sources historiques, il résulte forcé-
ment quelque disproportion dans la composition de ce
livre. Juslinien et son règne y tiennent une très grande
place : et au vrai, si l'on songe que l'œuvre conçue
par le grand empereur a longuement influé sur les
destinées ultérieures de l'Afrique et y a laissé jusqu'à
nos jours des traces indestructibles, peut-être cette
place, si considérable soit-elle, ne semblera point im-
méritée. Par ailleurs, il a fallu, au contraire, se con-
tenter de renseignements très rapides et très sobres.
Malgré cet inévitable défaut, ce livre, je l'espère, ne
sera point inutile ni à l'histoire générale de Byzance,
ni à l'histoire particulière de l'Afrique du Nord. On y
verra quelle activité prodigieuse les empereurs d'Orient
déployèrent pour conserver à la monarchie, pendant
près de deux siècles, cette province de l'Occident loin-
tain, quel soin ils prirent d'y organiser une sérieuse dé-
fense militaire, quelle sollicitude ils apportèrent pour en
assurer la prospérité. On y saisira sur le vif un nouvel
et instructif épisode, assez semblable à celui que jadis
j ai étudié en Italie, de cette lente transformation qui,
entre l'époque de Justinien et le vnf siècle, modifia si pro-
IV HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
fondement Vemjiire grec. Surtout, on y verra comment,
en Afrique comme partout, les Byzantins surent se mon-
trer les dignes héritiers de Home, avec quelle ténacité
merveilleuse ils surent reprendre les traditions et conti-
nuer Tœuvre militaire des empereurs du if et du m® siècle,
et comment enfin, par leur énergie et leur souple habi-
lité, ces basileis^ grands constructeurs de forteresses et
grands diplomates, ont bien mérité en somme Thom-
mage qu'aujourd'hui encore leur rend involontaire-
ment rimagination des indigènes d'Afrique, lorsque, à
l'exemple des Arabes do moyen âge, elle confond sous
le nom commun de Roiim et identifie en quelque sorte les
Byzantius du vi"" et du vu" siècles et les Romains, leurs
grands devanciers.
Il me reste, en terminant ce livre, à remplir un agréa-
ble devoir : celui de remercier tous ceux qui m'ont
aidé de leurs bons offices ou de leurs conseils. Je dois
en particulier exprimer ma reconnaissance à M. G.
Schlumberger, membre de l'Institut, qui a été le rappor-
teur du concours où ce travail a été couronné; à
M, Xavier Charmes, directeur du Secrétariat au Minis-
tère de rinstruction publique, àMM. Perrot, président,
et Gagnât, secrétaire de la Commission de l'Afrique du
Nord, qui se sont obligeamment employés pour hâter
la publication de cette étude ; à M. Gsell, professeur
à rÉcûle des lettres d'Alger, <{ui m'a communiqué avec
PRÉFACE V
une bonne grâce inestimable les documents, plans et
dessins relatifs à plusieurs monuments que je n'avais
pas eu Toccasion d'étudier directement; à M. P. Gau-
ckler, directeur des Antiquités à Tunis, qui a libéralement
mis à ma disposition quelques-uns des renseignements
archéologiques recueillis par le service dont il a la charge.
Mais il y a un nom surtout que je tiens à rappeler ici :
c'est celui de mon ami René de La Blanchère. Chargé
comme commissaire responsable de suivre cette publi-
cation, il a apporté dans cette tâche délicate autant de
bonne volonté que de délicate courtoisie, jusqu'au jour
où une mort prématurée et singulièrement regrettable
est venue subitement priver les études africaines d'un
de leurs plus intelligents, de leurs plus actifs initiateurs.
Je dois remercier aussi M. A. Ballu, architecte en
chef des monuments historiques de l'Algérie, qui m'a
obligeamment fourni de précieuses informations sur
Tébessa et Timgad; M. Saladin, architecte, qui m'a
autorisé à puiser sans compter dans la riche collection
de dessins et de plans exécutés par lui en Tunisie;
M. Salomon Reinach, qui a gracieusement mis à mon
service la carte dressée par lui pour V Afrique romaine
de Tissot; MM. Hachette et C*^qui se sont empressés,
ave^ une libéralité peu commune, à me prêter plusieurs
clichés qui me faisaient besoin ; enfin et surtout M. Ernest
Leroux, mon éditeur, qui a très aimablement fait accueil
à toutes les demandes que j*ai eu à lui adresser, et m'a
donné sans jamais hésiter les planches, les cartes, les
n Hli5TmRK DELA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
fifi;iires que j'ai jngées nécessaires. Pour finir, je tiens
encore a romt^rcior M. Port, étudiant d'histoire à la
Faculté des lettres de Nancy, qui a accepté avec beau-
coup de bonne grâce et rempli avec infiniment de soin
l'ingrate et utile tâche de rédiger Tindex alphabétique
des noms propres qui termine ce volume.
Liste par ordre alphabétique des principaux
documents cités dans ce livre.
Agathias. Historia, éd. de la Byzantine de Bonn.
Anonyme. Traité de la Tactique (éd. K5chly et Rûstow, Griechisclie
Kriegsschrifstellery t. H, 2 Abt. Leipzig, 1855).
Anonyme. Ilspl -coÇefaç (éd. KOchly et Rûstow^ /. c).
Beladori (El-), publié dans le Journal asiatique, 1844.
Gaesarii patricii epistolae [Mon. Germ. hist., Epistolae, t. III).
Cassiodorus. Variarum libriXlJlUîgne, Patrologie latinCyi. LXIX).
Cassiodorus. De institutione divinarum litterarum (Migne, Patrolo-
gie latine, t.LXX).
Chronicon Paschale^ éd. de la Byzantine de Bonn.
Codex JustinianuSy éd. KrOger.
GoRippus. Johannis et In laudem Justini^ éd. Partsch {Mon, Germ.
hist,, Auct. antiq.y III, 2).
Corpus inscriptionum latinarum^ t. VIII et Supplément au t. VIII.
Ati47Y;jtç <];u;((i)feX'^ç(GoMBEFis, Bibl, graecpatinim auctarium novis-
simum, t. I, p. 324).
£l-Bekri, trad. de Slane {Journal asiatique, 1858-1859).
Epistola clericorum italoinim {Mon, Germ. hist., Epist., t. III).
Epistolae Merowingici et Karolini aevi {Epistolae aevi Merowingici^
éd. Gundlach. Epistolae Wisigoticae, éd. Gundiach (Mon. Germ.
hist., Epist., t. ni).
EvAGRius. historia ecclesiastica (Migne, Patrologie grecque,
t. LXXXVI).
Facundus Hermianensis. Defensio, Adversus Mocinnum, etc. (Migne,
Patrologie latine^ t. LXVII).
Ym ÎUSTftmE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Ferhanïius CARtriAGiNiENSis. ScTipta (Migne, Patrologie latine,
U LXVIÏ).
/"otoh ifrîkîa, trad. Clierbonneau [Revue africaine, 1869).
Fredegarius. Ckronicon (Historiens de France, t. IIj.
FcLGENTii Vita (Migne, Patrologie latine, t. LXV).
Georgu GvpnTi De.^crîptio orbis romani, éd. Gelzer.
Gregobii Agrigentini Vita (Migne, Patrologie grecque, t. XGVIII).
Gregoru MKGHipapaeepistolae.éd. Ewald et Hartmann (Mon, Germ.
hisL.^ Epist.^ t. J el II, et Migne, Patrologie latine, t. LXXVII).
HiÉnocLES, Sfjnfcdf^mos, éd. Burckhardt.
HiLDËFONSUS. De vtrh illustribus (Migne, Patrologie latine,i. XCVI).
HoNOR[ï papaïf Epistolae (Migne, Patrologie latine, t. LXXX).
Ibn Ard-el HAKEttf, trad. de Slane {Journal asiatique, 1844, et Hist,
des iierbèrps^ l- J, Appendice).
Ibn Abzari. Batan (extraits dans Fournel, Les Berbers).
Ibn Haukm., frad. de Slane (Journal asiatique, 1842).
Ibn Kiuldoum. }Jin, des Berbères, trad. de Siane.
Ibn Koteiha (dans Gavangos, History of the Mohammedian dynas-
lii^fi fti Spahi^ Londres, 1840, t. I, Appendice E).
IsïDORUs HisPALENSfs. Chronicon; De regibus G othorum,kài, Momm-
sen [Mon, Germ. hist.. Script, antiquiss., XI, 2); De vins illus-
tnbm (Mî^ne, Patrologie latine, t. LXXXIII).
IsiDonus Pacensis. Chronicon (Migne, Patrologie latine, t. XGVI).
// in n rar in m An ton in i .
Johann ES Anteochenus (Mûller, Fragm. hist, graec, t. IV).
JoHANNES B[GLARENSis, éd. Mommsen (Mon. Germ, hist,. Script.
anllq,, XI, 1).
JoiiANMEs Ephesius, éd. Schônfelder.
JoHANNES EpiPiUNUE (Mùller^ /. c, t. IV).
JonANNËs Malalas, éd. delà Byzantine de Bonn.
Jean de NiKiOU, éd. Zotenberg (Notices et extraits des mss.,
t. XXIV, 1).
JoRDANES. Bomana, éd. Mommsen (^on. Germ. hist,. Script, antiq,^
Ju^ihw^.DepartihuBdivinaelegis(}A\gne,Patrologielatine,l.LXVlïT},
JusTiANiANi yovcllae^ éd. Zachariae de Lingenthal.
JusTiNiANi iVoyt'///2e, éd. Schoell.
KUab-d'Aghani (Journal asiatique, 1844).
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Leontius Neapolitanus, Vita S, Johannis Elemosynarii, éd. Gelzer,
Fribourg, 1893.
Liber pontificalis Ecclesiae romanae, éd. Duchesne.
LiBERATUS, Breviarium (Migne, Patrologie latine, t. LXVIII).
Lydus, De magistratibus, éd. de la Byzantine de Bonn.
Marcellinusgomes, éd. Mommsen {Mon. Germ. hist.y Script, antiq.y
XI, 1).
Marius AvENTiCENSiSy éd. Mommsen (3/on. Germ. hist.^Script. antiq.,
XI, 1).
Martini papae commemoratio {Mïgne.Patrologie latine, t. LXXXVII) .
Martini papae epitotae {ibid.).
Maximi Vita ac certamen (Migne, Patrologie grecque, t. XC).
Maximi Disputatio cum Pyrrko; Epistolae (Migne, Patrologie
grecque, 1. XC, XCI).
Menanuer, éd. de la Byzantine de Bonn.
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NiCEPHORUS PATRIARCHA, éd. de BoOF.
Notitia dignitatum, éd. Seeck.
Notxtia provinciarum et civitatum Africae, éd. Halm [Mon. Germ.
hist.. Script, aniiq., III, 1).
Notitia episcoporum, éd. Geizer [Byznntinische Zeitschrift, t. II).
NovEiRi (En-), trad. de Slane [Jouirai asiatique, 1841, et Hist. des
Berbères, t. I, Appendice).
Pelagii I papae epistolae [Mon. Germ. hist., Epist., t. III).
Primasius Hadrumetinus. Scripta (Migne, Patrologie latine,
t. LXVIII).
Procopius, De Bello Vandalico, éd. de la Byzantine de Bonn.
— De Bello Gothico [ibid ).
— De Bello Persico [ibid.).
— De Aedificils [ibid.).
— fiistoria arcana [ibid.).
Ravennatis anonymi Cosmographia, éd. Pinder et Parthey.
Sebeos. Histoire d'Héraclius [Journal asiatique, 1866).
Strategika (attribué à l'empereur Maurice), éd. Scheffer, Upsal,
1664, à la suite des Tactica d'Arrien.
Tabari, éd. NOldeke.
Table de Peutinger, éd. Miller.
X HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Théophane, éd. de Boor.
ThiÇophylâcte Simocâtta, éd. de Boor.
Thomas presbïter, éd. Land [Anecdola Syriacaj 1. 1).
Vërecundds Iuncensis. 5crip<a(Migne, Patrologie /a/me, t. LXIX).
Victor Tonnennensis, éd. Mommsen (Mon, Germ. hist,. Script, an-
tiq., XI, 1).
Victor ViTENSis, éd. Halm(;l/on, Germ, hist. y Script, antig., III, 1).
ViGiLii papae t^pistolae (Migne, Patrologie latine, t. LXIX) .
Vitae pat}*um Emeritensium (Migne, Patrologie latine, t. LXXX).
Zachahiae von Lingenthal. Jus graeco^romanum (t. III, Novellae
consiïtuliones),
ZoNARAs, éd. Dindorf.
Liste par ordre alphabétique des principaux
ouvrages ou articles cités dans ce volume.
Amari. Storia dei musulmani di Sicilia. 3 vol., Florence, 1856-
1858.
Archives des Missions littéraires et scientifiques .
Bâronius. Annales ecclesiastici. 12 vol. Anvers, 1658.
Benjamin. De Jmtiniani aetate quaestiones militares. Berlin^ 1892.
BETHMANN-HoLLvirEG. Dcr Civilproccss des gemeinen Rechts. 3 vol.
Bonn, 1866.
La Blanchërb. Voyage d^études dans la Maurétanie Césarienne
{Arch. des Missions, 3* série, t. K).
La Blanchère. Musée d'Oran. Paris, 1892.
La Blanchère, ^aménagement de Veau et l'installation rurale dans
t Afrique ancienne [Nouv, Arch, des Miss., t. VII).
De Boor. Zur Chronographie des Theophanes [Hermès, 1890).
Bourde. Rapport sur les cultures fruitières dans le centre de la Tu-
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Bulletin des Antiquités africaines.
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Gagnât. Explorations épigraphiques et\ archéologiques en Tunisie
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tn m STOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
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Pentapolis eria.^senen Formae {Monatsber. der k. Akademie der
Wissensch. zu lier lin, 1879).
Liste des principales abréviations
employées dans les notes du volume.
Pour ne point répéter à rinfini les titres complets de certains ou-
vrages constamment cités dans les notes, nous les avons remplacés
par un certain nombre d'abréviations, dont voici la liste :
Aed. = Procopius, ih Aedificiis.
Anom. =. Anonyme, Traité de la Tactique.
Bell, Vand. :=z Procopius, De Bello Vandalico.
Bell. Gotk. = — De Bello Gothico.
Bell, Pers. z=. — De Bello Persico.
BulL Ant, afr. zz Bulletin des Antiquités africaines.
Bull. Com. = Bulletin du Comité des travaux historiques.
Bull. Corr. afr. =: Bulletin de Correspondance africaine.
C. I. L. ■=. Corpus inscriptionum latinarum.
Cad, Just. HT Codex Justinianus.
Georg. Cypr. =:: Georgii Cyprii Descriptio orbis romani.
Greg. Epist. ou Greg. ^3 Gregoru Magni papae tpistolae,
Uist.arc.=L Procopius, Historia arcana.
Joh. rz CoRiPPUS, Johannis.
Marcell. com. = Mârcellinus comes.
Ladbb == Labbe, Sacrosancta Concilia.
M. G. H. ou Mon. Germ. hist. zr Morumenta Germaniae histofica.
P. L. ou Patr. lat. = Migne, Patrologie latine.
P. G. = Migne, Patrologie grecque
Rec. de Const. = Recueil de la Société archéologique de Constantine.
Saladin, I m Saladin, Rapport sur une mission en Tunisie, 1887.
Saladin, II zz Saladin , Deuxième rapport sur une mission en
Tunisie, 1893.
Strateg. zz Strategika.
VicT. ToN.=: Victor Tonnennensis.
LIVRE PREMIER
U REPRISE DE L'AFRIQUE PAR L'EMPIRE BYZANTIN
(533-639)
HISTOIRE
OB LA
DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
(533-709)
LIVRE PREMIER
LA REPRISE DE I/AFRIQUE PAR L'EMPIRE BYZANTIN
(533-530)
CHAPITRE PREMIER
LA CHUTE DU ROYAUME VANDALE (533-534)
I
Depuis le jour où l'imprudence du comte Booiface avait
livré TAfrique romaine aux Vandales de Genséric, jamais les
empereurs n'avaient abandonné l'espoir de reprendre posses-
sion de la province perdue. Plusieurs fois au cours du
v« siècle, Rome et Constantinople avaient préparé des expé-
ditions puissantes contre le redoutable royaume barbare, dont
les flottes désolaient sans merci toutes les côtes méditerra-
néennes : tour à tour Majorien, un des derniers princes éner-
giques qui se soient assis sur le trône d'Occident, et quelques
années plus tard l'empereur d'Orient Léon I" avaient tenté
de renverser l'établissement de Genséric. Sans doute le succès
n'avait point répondu à leurs efforts. En 460 les armements
-rassemblés dans les ports d'Espagne n'avaient pas même pu
4 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
prendre la mer * : la grande expédition de 468, commencée
sous d*heureux auspices^ s'était achevée dans les eaux de
Carthage par un désastre mémorable, qui ruina pour de
longues années la flotte et les finances de l'empire d'Orient*
et sous le coup de ces insuccès, Zenon, successeur de LéonP%
avait dû, vers 476, au moment même où Tempire d'Occident
s'écroulait sous les coups d'Odoacre, signer avec Genséric
une paix perpétuelle ^ Mais malgré le traité conclu, et qui fut
respeclé pendant près de soixante ans^ malgré les relations
courtoises qu'entretinrent avec les souverains de Constanli-
nople plusieurs des successeurs de Genséric^, la patiente
politique byzantine n'avait abdiqué aucune de ses prétentions,
elle n'attendait, pour les faire valoir, qu'une occasion favo-
rable. Déjà sous le règne du pacifique Hildéric, son influence
s'insinuait lentement en Afrique : le roi vandale, en vrai bar-
bare ébloui par l'éclat du nom impérial, s'honorait d'être
l'ami personnel dubasileus Justinien; il se plaisait à échanger
avec lui les cadeaux et les. ambassades, il faisait sur ses mon-
naies remplacer sa propre image par celle du souverain
byzantin : insensiblement il devenait le vassal de Tempire*.
Mais cette dépendance, d'ailleurs assez incertaine, ne pou-
vait suffire aux vastes ambitions du nouveau prince qui régnait
à Gonstautinople. Justinien rêvait à l'empire universel. Ce
monde romain disparu, dont les débris avaient formé les
royaumes germaniques, il s'en proclamait l'héritier légitime
et songeait à le reconstituer dans son intégrité; ces droits
impériaux, que tous ses prédécesseurs avaient soigneusement
réservés, il aspirait à les relever dans leur pleine étendue".
1. Procope, BcW. Kand., p. 340-342 (éd. de Bonn), où l'on trouve d'assez cu-
rieuses légendes sur Tentreprise de Majorien. Cf. Bury, History of the iater
Roman empire^ I, 240.
2. Procope, BelL Vand., p. 335-340; Bury,/. c, I, p. 244-246.
3. Bell. Vand,, p. 343-344.
4. /rf., p. 346, 350.
5. Id.f p. 350-351; Dahn, Lne Kônige der Germanen, I, p. 166.
6. Cod, Ju8t.^ I, 27, 2, praef, : Imperii jura suscepimos. Cf. Procope, BelU
Vand,, p. 387.
LA CHUTE DU ROYAUME VANDALE 5
Emperenr romain, il voulait faire rentrer au sein de Tunité
romaine ces provinces depuis tant d'années captives des bar-
bares; prince catholique, il souffrait impatiemment de voiries
chrétiens orthodoxes soumis aux héréliques ariens, « persécu-
teurs des corps et des âmes »^ et de même qu'au dedans il
revendiquait pour la couronne tout lepouvoitqnela lex Regia
avait conféré jadis aux anciens empereurs', ainsi il prétendait
au dehors dominer, comme autrefois le peuple romain, sur
toutes les nations humaines*. Confiant au reste dans la pro-
tection divine, se considérant tout ensemble comme le restau-
rateur des droits de l'empire et le champion de Dieu^, il
n'attendait qu^un prétexte pour traduire en acte ses rêves
ambitieux : et parmi tant de nations barbares dont il préparait
la perte, ses regards se tournaient naturellement vers l'Afri-
que, où à tant d'autres torts les Vandales ajoutaient cette
injure, insupportable pour Torgueil de Justinien, de conserver
comme un trophée, au trésor de Carlhage, les ornements
impériaux, symbole de l'autorité suprême, jadis ramassés
dans le pillage de Rome par la main de Genséric^
Pour tenter de reconquérir l'Afrique, il ne manquait donc
que l'occasion : l'usurpation de Gélimer se chargea de la four-
nir. On sait comment les maladresses d'Hildéric provoquèrent
dans le royaume vandale une révolution intérieure (531 ) ; lassés
de la faiblesse d'un roi ennemi des batailles, et dont les trou-
pes venaient d'être honteusement défaites par les indigènes de
la Byzacène, mécontents de la tolérance libéralement accordée
aux Africains catholiques, inquiets surtout de la politique d'un
prince qui, rompant brusquement l'alliance ostrogothique, se
jetait aveuglément aux bras de l'empereur; travaillés d'ailleurs
par les instigations perfides d'un rival ambitieux, les guerriers
vandales renversèrent le souverain légitime et proclamèrent à
1. Cod,Ju.H., I, 27, 1, i.
2. De concept. Digestorum, 7.
3. De Cod. JusL confirmandoj 1 .
4. De concept. Dige3torum,\,2.
5. Cod. Just.y 1,21, 1,7.
6 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
sa place un autre descendant de Genséric, Gélimer*. Tout
aussitôt, la diplomatie byzantine entra en campagne, récla-
mant d*abord le rétablissement, puis tont au moins la mise en
liberté du roi déchu ; et en véritable suzerain intervenant pour
trancher les débats de ses vassaux, Justinien exigea qu'on
remit entre ses mains Hildéric et ses fidèles": c 'était Thabi-
tuelle politique des empereurs d'Orient d'accueillir à Constan-
tinople tous les prétendants aux royautés barbares, afin de se
ménager, en soutenant leurs querelles, un perpétuel prétexte
d'intrigues et de revendications.
Aussi bien de l'Afrique tout entière, on regardait vers By-
zance : les partisans du roi vaincu intriguaient à Constanti-
nople, sollicitant l'empereur de prendre en mains la cause du
vassal dévoué qui comptait sur son amitié' ; la colonie des
marchands orientaux, fort nombreuse à Carthage, suppliait
Justinien d'intervenir par les armes* ; l'aristocratie catholique
et romaine, que la faveur du roi déchu compromettait auprès
du nouveau prince ^ souhaitait ardemment les secours de Tem'
pire; et peut-être Hildéric lui-même et les parents qui parta-
gaient son sort songeaient-ils à chercher un refuge à Byzance",
tant le nom de l'empire romain avait gardé de gloire et de
prestige parmi les barbares mêmes qui avaient consommé sa
ruine. Gélimer ne s'y trompa point; il comprit que les conces-
sions ne feraient que retarder de quelques mois le conflit iné-
vitable : et refusant toute satisfaction, il répondit aux deman-
des de l'empereur par des confiscations, des exécutions, et
un redoublement de rigueurs contre ses adversaires vaincus'.
La lutte était ouverte : Justinien se décida à porter la guerre
en Afrique.
1. Procope, Bell. Vand., p. 350-351.
2. Id,, p. 351-352.
3. Id,, p. 431, 352.
4. Id,, p. 392.
5. !d,, p. 3S3; Victor Tonnennenflis, auQ.531 (éd. MommseD, p. 198).
6. BeU. Vand., p. 351-332.
1. Id., p. 351-352; Vict. Todd., anu. 333 (p. 198).
i
LA CHUTE DU ROYAUME VANDALE 1
Il faut voir dans Procope Témoi, on pourrait dire la cons-
lernation, que cette résolution jeta dans le conseil impériaP.
Le souvenir d u grand désastre de 468 était encore présent à tou-
tes les mémoires; et songeant à ce qu'avait coûté en argent et
en hommes cette malheureuse expédition, les ministres des
finances impériales supputaient avec inquiétude les dépenses
qu'exigerait la campagne nouvelle. Les généraux s'eiïrayaient
de celte guerre qu'il faudrait, par delà les mers, loin de toute
base sérieuse d'opérations, conduire contre un ennemi jugé
singulièrement redoutable ; et, résumant les anxiétés de tous,
le préfet du prétoire Jean de Gappadoce énumérait, grossis-
sait à plaisir' tous les dangers de cette expédition lointaine :
la victoire incertaine, la défaite sûrement désastreuse, le pro-
fit nul en cas de succès, puisque l'Afrique conquise serait im-
possible à conserver, les périls formidables en cas de revers,
puisque la rupture avec les Vandales attirerait sur l'empire les
ravages tant redoutés des corsaires africains. Ajoutez que la
guerre avec les Perses, terminée depuis quelques mois à
peine, avait presque épuisé le trésor impérial, que les soldats,
à peine revenus d'une pénible campagne, semblaient mal dis-
posés à aller, sans un moment de répit, combattre à l'autre
bout du monde^ inquiets surtout à la pensée des batailles na-
vales qu'il faudrait livrer sans doute avant de débarquer^. Et
devant tant d'oppositions conjurées, Justinien lui-même se
prenait à douter du succès de l'entreprise. Pourtant les motifs
religieux finirent par triompher des raisons politiques. II y
avait à ce moment à Constantinople un grand nombre de pros-
crits africains victimes des persécutions vandales, une multi-
tude d'évêques martyrisés pour leur foi, qui tous réclamaient
vengeance^ : autour d'eux, toute la chrétienté orthodoxe sup-
1. Bell. Vand., p. 353-356.
2. Ainsi Torateur affirmait qu'il faudrait une année pour recevoir à Cons-
tantinople des nouvelles d'Afrïque (Bell, Vand., p. 355).
3. Bell. Vand,, p. 354.
4. /d., p. 345; Cod, Juêt., 1, 27, 1, 4, où l'on observe un accord remarquable
avec les récits de Procope; Vict. Tonn., ann. 534 (p. i98).
8 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
pliait Tempereur de faire expier aux ariens les supplices des
serviteurs du Christ*. Ces fougueuses instances, les mystiques
promesses de victoire apportées au nom de Dieu même, les
miracles dont la personne des martyrs semblait être Tobjet*,
étaient bien faits pour émouvoir un souverain byzantin, tou-
jours prêt à croire que la protection divine suffit à sauver les
causes les plus désespérées. Sansdoute^ les informations pré-
cises que les évèques d'Afrique fournirent sur les dispositions
des populations africaines, les espérances que donnèrent les
fugitifs échappés du royaume, et surtout Tardent désir que Jus-
tinien avait formé d'intervenir ne furent pas étrangers non
plus à la décision suprême : mais, à coup sûr, lorsque l'empe-
reur se résolut à ordonner les préparatifs, on peut assurer que
le prince avait pleinement raison contre ses conseillers.
II
Les circonstances en effet étaient singulièrement favorables.
Le royaume vandale était bien déchu depuis les temps glo-
rieux de Genséric. A aucun moment, la population germanique
cantonnée dans l'Afrique du Nord ne paraît avoir été fort con-
sidérable ; mais au commencement du vi^' siècle, le nombre
des conquérants semble avoir encore diminué. Sans discuter
ici les chiffres donnés par Procope et dont quelques-uns sont^
visiblement empreints d'exagération*, on admettra aisément,
à voir l'importance qu'attache Gélimer à un contingent de
5,000 hommes, et l'impossibilité où il se trouve de réprimer à
la fois le soulèvement de la Sardaigne et celui de la Tripoli-
i. Bell. Vand., p. 356.
2. W., p. 345. Cf. Cod, Just,, I, 27, 1, 4, où les mâmes miracles sont rap-
portés.
3. Procope, BelL Vand,, p. 334, dit 80,000; à la p. 418, 150,000; dans VEis-
toire secrète (éd. Bonn, t. 111, p. 106) 80,000 tués. Cf. Texceilente discussion de
PDuffk-Harltung, Belisar's Vandalenkrieg (UisL ZeiUchrift, t. LXl (1889),
p. 10-72.
LA CHUTE DU ROYAUME VANDALE 9
taîne, que Farmée vandale ne devait pas être fort nombreuse,
et on ne se trompera guère en l*estimant à 30 ou 40,000 guer-
riers, ce qui représente une population totale de 200,000 per-
sonnes à peine *. Pourtant c'eût été là une force redoutable
encore, si ces barbares avaient conservé intacles les qualités
natives qu'ils apportaient au moment de Tinvasion; mais sur
ces Germains sauvages le climat débilitant de TAfrique, la
richesse du pays conquis, les jouissances trop avidement goû-
tées d'une civilisation infiniment raffinée avaient exercé bien
vite une influence désastreuse. « De toutes les nations que je
connais, dit Procope, celle des Vandales est la plus efféminée:
du jour où ils ont occupé l'Afrique, ils ont pris l'habitude des
bains journaliers et ont fourni leur table de tout ce que la
terre et la mer offrent de plus délicat. Ils se sont couverts de
bijoux d'or et de vêtements de soie; ils ont fait leurs délices
du théâtre, de Thippodrome, des autres plaisirs de même sorte,
et surtout de la chasse ; ils se sont complus aux danseurs et
aux mimes, à la musique et aux spectacles, à tout ce qui peut
charmer les yeux et les oreilles. Ils habitaient pour la plupart
dans de magnifiques villas, toutes environnées d'arbres et
d'eaux courantes; ils passaient le temps en grands festins et
se passionnaient pour les plaisirs de l'amour V » A ce régime,
les guerriers vandales avaient perdu bien vite leur vigueur et
leur courage d'autrefois : on le verra bien dans la lutte su-
prême qu'ils soutiendront contre l'armée byzantine. Enfin, par
surcroit de malheur^ dans ce peuple déjà diminué et affaibli,
la révolution récente avait semé des divisions profondes.
Parmi les Vandales mêmes, Hildéric gardait ses fidèles, et
plusieurs d'entre eux aimèrent mieux passer au parti de l'em-
pereur que servir un prince qu'ils tenaient pour usurpateur et
tyran'.
Une autre cause de faiblesse de la domination vandale se
i. Pflugk-Harttung, /. c, p. 72.
2. Procope, Bell. Vand., p. 434^435. Cf. Anthologie, Ep. Vï, 59; UI, 33-
37. Luxorias, AntiioL, p. 591, 588.
3. BeU. Vand.y p. 357.
!0 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
trouvait dans les sentiments qu'elle inspirait à ses sujets afri-
cains. Depuis la conquête, la population catholique avait cruel-
lement souffert dans ses intérêts et dans sa foi, et la répulsion
naturelle que lui inspirait le vainqueur arien s'était accrue de
toute la rigueur des spoliations et des persécutions'. Le règne
de Hunéric (477-484) avait été particulièrement cruel pour
rÉglise*, et Tenipereur Justinien énumère avec une secrète
complaisance les vexations et les supplices de toute sorte, les
évêques martyrisés, les églises souillées, les orthodoxes mal-
traités, torturés ou proscrits*, toutes les misères qui justi-
fiaient rintervention byzantine et d'avance lui assuraient l'ap-
pui des populations. Sans doute ravènément d'Hildéric avait
rendu aux catholiques quelque tranquillité ^ mais sa chute
les livrait de nouveau à la discrétion des ariens, et les rigueurs
qui, dès le début du règne de Gélimer, avaient frappé les chefs
de la noblesse africaine étaient bien faites pour inquiéter les
hautes classes de la société catholique ^ Si Ton songe en ou-
tre que la tolérance du dernier règne avait permis aux évê-
ques de reconstituer en quelque manière les cadres de TÉglise
catholique*, on jugera que leur appui assuré à Byzance n'était
point une quantité négligeable, et que, sous leur influence, les
populations prirent à Tégard des soldats de Bélisaire une atti-
tude tout autre qu'indifférente \ Dès la nouvelle de l'expédition
projetée par Justinien, la Tripolitaine se souleva à la voix
d'un des chefs de l'aristocratie locale, et se donna à l'empe-
reur, sans que Gélimer pût rien tenter pour réprimer la ré-
volte •. Dans le reste du pays une sourde agitation régnait : on
1. Sur l'ardeur du catholicisme des popalations aAricaines, cf. un texte
curieux de la Vita Fulgeniii, c. 56 et 57 (Migne. Pair. laL, LXV, p. 145-146).
2. Bell, Vand., p. 344-346. Cf. Victor Vitensis, passim; Dahn, l, c, 250-259.
3. Cod. JusL, I, 27, 1, 2-5. Cf. Bail, Kanrf.,p. 347-348.
4. Vict. ToDD., auD. 523 (p. 197).
5 Vict. Tonn., ann. 531, 533 (p. 198).
6. Cf. les Actes du concile de 525(Labbe» Saa-osancta Concilia, éd. de Paris,
1671, t. IV).
* 7. Pflugk-Harttung, p. 73-74.
8. Bell. Vand., p. 357,361.
LA CHUTE DU ROYAUME VANDALE 11
se contait, sous le manteau, des prophéties et des visions mys-
térieuses, annonçant que les temps étaient proches oti les
grands saints de TÉglise africaine viendraient eux-mêmes punir
les insultes faites à leurs sanctuaires; et tous^ dit Procope,
attendaient impatiemment Taccomplissemenl de la vengeance
promise*.
A côté des provinciaux, nettement ou sourdement hostiles,
l'atlitude des tribus berbères n^était pas moins inquiétante
pour la domination vandale. Tenues d*abord en respect par la
forte main de Genséric, et associées par lui à ses expéditions
militaires*, elles n'avaient pas tardé à s'affranchir de Tau tori té
de ses successeurs. Dès le règne de Hunéric, les montagnards
de TAurès se proclamaient indépendants, sans que les Van-
dales pussent réussir à les faire rentrer dans le devoir' ; peu
après les indigènes du Hodna et des Ziban, les grands chefs
des Maurélanies suivaient cet exemple, rattachés tout au plus
au royaume vandale par un lien de vassalité*. Bientôt, enhar-
dis par rimpunité de leur révolte, on vit les tribus maures
descendre dans la plaine, et franchissant la ligne abandonnée
des forteresses romaines^ jadis chargées de les contenir, ra-
vager cruellement les hauts plateaux de la Numidie, sans
que Hunéric put rien faire pour empêcher leurs désastreuses
razzias^. Sous le règne de Transamond (496-522), les tribus
de la Tripolitaine', sous le règne de Hildéric, celles de la
Byzacène^, révoltées à leur tour, mirent deux fois en pleine
déroute les troupes royales qui leur furent opposées. Contre
l'invasion byzantine, Gélimer ne pouvait donc guère compter
sur leur concours; dans une neutralité peu sûre, les Maures
1. Bell. Vand., p. 397-398.
2. Id., p. 334, 344.
3 Id,, p. 345.
4. W., p. 451. Cf. C. /. /.., VIIÏ, 9286, où il est question, à la date de 495, d'un
bellum Maurorum dans la Maurétanie Césarienne.
5. BelL Vand.y p. 466, 344; Corippus, Johannide (éd. Partsch), III, 184-
197, 267-276.
6. Id., p. 345-346.
7. !d., p. 349.
12 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
surveilleraient les événements, prêts à se ranger sans scrupule
du côté du vainqueur.
Cependant, et malgré les défaites répétées que lui avaient
infligées les in(figënes, la puissance vandale, quoique affaiblie
par ces échecs, passait pour singulièrement redoutable. Mais
en fait, ni l'armée, ni la flotte de Gélimer n'étaient capables
de justifier les inquiétudes qu'elles inspiraient aux Byzantins.
Les troupes de terre se composaient exclusivement de cava-
lerie * ; et cette cavalerie était bien peu faite pour soutenir le
choc des lourds escadrons de Bélisaire. Sans doute, par son
extrême mobilité, par la fougue impétueuse de ses attaques,
elle aurait pu, comme les légers cavaliers arabes, mettre par-
fois en péril les bataillons byzantins : l'insuffisance de son
armement lui ôtait en grande partie cet avantage. Les Van-
dales en effet ne portaient ni Tare ni le javelot, ou du moins
ils se servaient de ces armes de jet d'une façon plus que mé-
diocre; incapables en conséquence de harceler Tennemi à dis-
tance, habitués à combattre seulement avec la lance et avec
Tépée, ils étaient obligés de rechercher le combat corps à
corps, et dans cette mêlée, leur infériorité apparaissait trop
certaine^ En face d'eux, ils trouvaient une cavalerie pesam-
ment armée, couverte de cuirasses et de boucliers d'acier, sur
lesquels s'émoussait le tranchant des épées vandales; malgré
tout leur courage, ils ne pouvaient, mal armés qu*ils étaient
pour la défense, soutenir longtemps le choc massif des cata-
phraclaires byzantins; ainsi, brisés dans leur élan, s*ils pre-
naient l'offensive, par les flèches dont les harcelaient les
archers montés de Bélisaire, incapables d'enfoncer par la fou-
gue de leurs charges les solides escadrons de Justinien, ils se
trouvaient trop souvent réduits à une attitude défensive qui
leur enlevait le meilleur de leurs avantages. Pour compenser
ces faiblesses et tirer quelque parti de ces brillants cavaliers,
il eût fallu du moins une stricte et rigoureuse discipline : elle
1. Bell. Vand , p. 348-349.
2. Id., p. 348-349. Cf. Pflugk-Hartlung, p. 75-76.
LA CHUTE DU ROYAUME VANDALE 13
manquait absolument dans Tarmée vandale. Il suffit^ pour s'en
convaincre, de voir comment s'engagea la bataille de Deci-
mum. Le capitaine chargé d'attaquer Tavant-garde byzantine
ne prend nul souci des ordres reçus, qui lui prescrivent de
concerter ses mouvemeuts avec ceux des troupes royales, il ne
s'inquiète pas davantage de tenir en main les cavaliers dont il
dispose; et en vrai barbare, friand des grands coups d'épée,
il se jette avec quelques hommes sur les soldats de Bélisaire,
pendant que le reste de son monde s'égrène sur la route de
Carthage, chevauchant, comme en promenade, par petits
groupes de vingt ou trente individus*. Un peu plus tard, en
face même du gros des forces byzantines^ les troupes de Géli-
mer abandonnent leur ordre de bataille*, et il en va ainsi du-
rant toute la campagne^ sans qu'on puisse jamais, même à la
journée suprême de Tricamarum, obtenir de ses chefs ou des
soldats autre chose qu'une valeur brillante et désordonnée.
Quant à la marine vandale^ qui jadis avait rempli do terreur
la Méditerranée, dont l'attaque éventuelle préoccupait si fort
Bélisaire et remplissait d'une inquiétude folle les soldats
byzantins, elle ne parait avoir joué aucun rôle dans la lutte.
Elle n'apparut ni pour couvrir les côtes d'Afrique et empêcher
le débarquement, ni pour défendre les approches de Carlhage.
Sans doute, il faut remarquer que cent vingt vaisseaux venaient
d'être détachés pour l'expédition deSardaigne', mais si c'était
là toute la flotte vandale, elle aussi était bien déchue depuis le
temps de Genséric. Et en fait, on ne voit point que Gélimer
disposât d'autres navires*; et d'ailleurs, même après le retour
de l'escadre de Sardaigne, il ne semble en avoir tiré nul parti.
Certes, le souvenir des victoires navales de Genséric hantait
bien mal à propos l'esprit des conseillers de Justinien; pour
rendre possible le retour de tels désastres, il eût fallu au
royaume vandale d'Afrique d'autres ressources que les sien-
1. Bell. Vand.y p. 385.
2. 74., p. 391.
3. /d., p. 361.
4. Id.y p. 408 iTtoLTii Tû axSltù, Cf. Pflugk-Harttung, /. c, p. 82-83.
14 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
nés, et surtout d'autres hommes que ceux qui guidaient ses
destinées.
Il est incontestable en effet que le caractère de Gélimer,
son étrange imprévoyance, sa rare indécision, contribuèrent
singulièrement à l'heureux succès de Texpédition byzantine.
Le roi barbare se laissa pleinement surprendre par le débar-
quement de Bélisaîre, et cela lorsqu*il avait — on l'a démontré
péremploirement ' — toutes raisons d'attendre la prochaine
ouverture des hostilités. Malgré cela, il ne prit nulle mesure,
Di pour couvrira l'aide de la flotte les approches de l'Afrique,
ni pour mettre Garthage, sa capitale, en état de défense, ni
pour protéger à l'aide de Tarmée de terre la côte contre un
débarquement : il comptait que bien des mois passeraient
encore avant l'arrivée de l'expédition byzantine'; et en atten-
dant, sa belle insouciance laissait aller les choses au hasard.
A la veille même d'une lutte redoutable, il envoyait en Sar-
daigne 5,000 hommes, l'élite de ses soldats, et cent vingt vais-
seau3£, toute sa flotte; à l'autre bout du royaume, il laissait les
impériaux prendre pied en Tripolitaine, et d'avance, jugeant la
partie perdue, s'inquiétait peu de tenter la reprise de cette pro-
vince lointaine'; et, tranquille sur l'avenir, il quittait Car-
Ihag^e et la mer pour s'en aller passer la saison chaude dans la
viilo d'Hermiane en Byzacène*, à quatre jours de la côte,
loin de toute nouvelle. Le débarquement inattendu de Béli-
sairc réveilla brusquement Gélimer; on verra plus tard qu'il
ne sut pas mieux réparer les événements qu'il n'avait su les
prévenir.
En lin la diplomatie byzantine avait gagné à sa cause une
alliance aussi précieuse qu'imprévue : c'était celle d'Amala-
\, PÛugk.HarttuDg, p. 80-82.
2. Procope, Bell. Vand.y p. 371. Il faut noter la valeur du terme : cv toutu
"3//^.," p. 361.
4. Procope, Bell. Vand., p. 311, 383, dit Mermiooe. C'est très probablement
Hermiane, patrie de Facundus. Dans les listes épiscopales on trouve Vepi-
Mcopus Uermianensis,
LA CHUTE DU ROYAUME VANDALE 15
sonthe qui gouvernait au nom de son fils Athalaric le royaume
ostrogoth d'Italie. La mort du roi vandale Transamond, sui-
vie bientôt de l'emprisonnement de sa veuve Amalafride,
fille du grand Théodoric, et du massacre des Gotbs qui rac-
compagnaient', avaient rompu les relations amicales jadis
formées entre les deux grands royaumes germaniques d'Occi-
dent; depuis lors, la mort violente d'Amalafride, demeurée
sans vengeance, avait exaspéré encore les ressentiments du
gouvernement ostrogothique* ; il fut donc tout disposé à favo-
riser l'expédition byzantine dirigée contre les Vandales. Les
ports de la Sicile accueillirent la flotte de Justinien ; l'armée
put y faire des vivres et y acheter en abondance les chevaux
nécessaires à la cavalerie ; le général y recueillit des informa-
tions précieuses sur Tétat du pays où il allait combattre, et ce
n'est point tout à fait sans raison qu'Âmalasonthe, quelques
années plus tard, s'attribuait quelque part dans le succès des
Byzantins'. Si l'on tient compte enfin des diversions heureu-
ses qui avaient permis l'occupation de la Tripolitaine et le
soulèvement de la Sardaigne% on avouera que jamais les cir-
constances n'auraient pu se rencontrer plus favorables.
III
Cependant ce fut un jour solennel, lorsque le 22 juin de
l'année 533 l'expédition mit à la voile pour quitter Constanti-
nople. L'empereur lui-même, des fenêtres du palais, présidait
à la cérémonie; le patriarche de Byzance, environné de son
clergé, était descendu sur le port pour appeler la bénédiction
céleste sur les combattants de la pieuse entreprise, et bénir le
chef et les soldats qui partaient pour cette sorte de croisade ^
1. Bell. Vand., p. 349-350; Vict. Tonn., ann. 523 (p. 196-197).
2. Cassiodore, Var., IX, 1.
3. Bell. Vand., p. 370, 371-372; Bell.Goth., éd. Bonn, t. II, p. 19 20.
S. Bell. Vand., p. 357-338.
5. /cf., p. 362.
fti HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Anxieusement, la superstitieuse population de la capitale
rointuontait les menus incidents qui accompagnaient le départ
vl LHi tirait des présages sur le succès futur de la campagne. Il
faut avouer que, malgré la pompe déployée, l'opinion publi-
i|uo II était point exempte d'inquiétudes: beaucoup d'entre les
assistants craignaient que, de cette flotte magnifique, per-
sonui^ ne revint jamais d'Afrique à Byzance*, et ceux qui par-
taient n'étaient guère moins terrifiés. Si quelques-uns d'entre
eux, ot parmi les plus éclairés, se rassuraient à la pensée de
qui'l^]ue songe favorablement interprété', la masse des soldats
sépouvanlait de ce long voyage vers une terre lointaine, et
beaucoup déclaraient tout net que, si la flotte vandale atta-
quait l'escadre byzantine, ils ne résisteraient point, incapables
tic combattre à la fois Tennemi et la mer». Pourtant c'était
uui' iML'lle armée que Justinien embarquait pour l'Afrique. Elle
conjpîonait 10,000 hommes d'infanterie et S, 000 à 6,000
liuiinriGS de cavalerie pris en partie dans les rangs des légions,
in f^l us grand nombre dans les contingents de fédérés \ La ca-
valt't ie en particulier, qui allait jouer un si grand rôle dans les
coral*Lits futurs, avait été composée avec un soin extrême : on y
truuvail 400 soldats hérules, dont le courage égalait la disci-
plitu' et la loyauté'; 600 archers à cheval de race ^hunnique,
troupe légère destinée à éclairer Tarmée * ; on y remarquait sur-
U îielL Vand., p. 361-362.
1. liLt p. 363, où Procope raconte le rêve qui le détermina à suirre
iJt^Sifaire,
a. ifL, p. 370, 375.
t. ^i., p. 338. Le chiffre de 5,000 cavaliers, indiqué à deux reprises par Pro-
eo^ie ([I. 358 et 441) ne semble point pourtant comprendre certains auxiliaires
biirb.irid, qui accompagnèrent l'expédition. Dans le dénombrement de l'ar-
\i\vii A Afrique (p. 339-360) l'historien, en effet, après avoir énuméré les corps
lie i;avalerie formés de <rrp arc cuTai et de lédérés, nomme à part, et sous d'autres
chefï^, «00 Hérules et 600 archers buns, servant comme Çu(&(&axoc. 11 est donc
pos.-^ibltî qu'on doive ajouter ce millier d'hommes aux 5,000 cavaliers mention-
utis i^ liL p. 358 comme recrutés ex ts arpatTicoT cov xa\ çoiSspdTcov, et majorer
un iH-a en conséquence l'effectif de la cavalerie byzantine.
îi, UL, p. 360,427-428.
B, /^/.,p. 360.
LA CHUTE DU ROYAUME VANDALE 17
tout un corps d'élite de l,S00à 2,000 cavaliers cuirassésS for-
mant la garde de Bélisaire, et commandé par des officiers choi-
sis appartenant à l'état-major du général». A la tête de ces
vieilles troupes aguerries par les longues années de la guerre
perse*, se trouvaient des chefs éprouvés, connus pour leur bra- *
voure et leur grande expérience des choses militaires, et dont
la plupart avaient déjà servi sous les ordres directs ou dans
la maison même de Bélisaire*. Enfin le commandement supé-
rieur était confié au meilleur général de Tempire, au vain-
queur de Dara, à Bélisaire, qui portait le titre de magisler mi-
liium per OrierUem'; pour adjoint — nous dirions pour chef
d'état-major —il avait le domestique Solomon,dont le nom se
rencontrera fréquemment dans l'histoire de l'Afrique byzan-
tine, et autour de lui se pressait tout un état-major civil et
militaire, où Ton doit une mention particulière au xipe^poç
Procope% l'exact et fidèle historien de la campagne qui allait
s'ouvrir. Cinq cents transports, manœuvres par 20,000 mate-
lots, portaient l'armée, et une escadre, formée de quatre-vingt
douze vaisseaux de guerre ou dromons montés par 2,000 ra-
meurs, convoyait l'expédition \
De Byzance en Afrique, la navigation fut longue et pénible,
marquée par d'interminables relâches et par de fréquents in-
cidents, où se révélèrent tout d'abord quelques- uns des défauts
d'administration ou de discipline dont les armées d'Afrique
devaient tant de fois souffrir*. Non sans peine on gagna la
Sicile : c'est ici que les dangers sérieux commençaient. Béli-
1. Sur l'armement de ces troupes d'élite, Strategika de Maurice. L 2 d 20
(éd. Scheffer, Upsal, 1664). » » i F-
2. Bell. Vand,, p. 360. On obtient ainsi le total probable de cette troupe : à la
journée de Decimum, il y a 300 uuaaiïtaroci à l'avant-garde (iîe«. Fond., p. 381),
800 en arrière (£d., p. 389), d'autres avec Bélisaire (id., p. 388). Toute cette
garde est comprise dans le total de 5,000 cavalieri (éd., p. 441).
3. liell. Vand., p. 388.
4. /d., p. 359.
5. Cad. Just., I, 27, 2.
6. BtU. Vand., p. 363, 370.
7. Id , p. 360.
8. /d., p. 367-369, 364.
î.
in HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
saire, en véritable homme de guerre, ne doutait point que la
flotte vandale ne croisât dans le détroit, et sachant combien
peu il pouvait compter sur ses troupes dans une telle conjonc-
ture, il appréhendait fort une bataille navale :.il ne s'inquié-
tait guère moins des difficultés du débarquement sur une côte
inconnue, sous les yeux d'une armée ennemie, dont il igno-
rait la force et la tactique* : singulière ignorance, pour le
dire en passant, chez un général qui comptait parmi ses offi-
ciers des hommes qui avaient vécu à Carthage et à la cour
dvs l'ois vandales*. La chance, qui tient une si grande place
dans celte campagne d'Afrique, vint fort heureusement tirer
Bélisaire d'embarras; un hasard lui apprit que le passage
était libre, que l'imprévoyance de Gélimer rendait le débar-
quement facile : sans tarder, la flotte mit à la voile, et, passant
au large de Malle, elle vint, deux jours après, mouiller sur
la eùte d'Afrique, en face du promontoire désert de Caput
Vada(auj. Ras Kaboudia)'. Il y avait trois mois que Texpé-
tion avait quitté Constantinople (mi-sept. 333)*.
Ci était assurément un succès d'avoir atteint sans coup férir
les rivages du royaume vandale; mais sur cette plage isolée
où le hasard, plus que le choix, avait conduit la flotte byzantine,
on so trouvait singulièrement éloigné du but essentiel de l'ex-
pédilion, plus de 200 kilomètres — neuf jours de route — sé-
paraient Caput Vada de Carthage*. Aussi la plupart des géné-
raux proposaient de reprendre la mer, et au lieu de débarquer
Tannée sur une côte inhospitalière, où aucune place forte ne
fournissait un soutien aux premières opérations de guerre,
où les vivres semblaient rares, oùTeau manquait absolument,
ils conseillaient d'aller mouiller dans le lac de Tunis pour
attaquer directement la capitale : les amiraux, peu soucieux
USelL ran(i.,p. 309-370.
2. îd, p. 431.
3, IfL, p. 372.
\. îiL, p. 377.
'i. l*rocope, Bell. Vand.^ p. 372, dit cioq jours et, p. 374, uciif. Les itiné-
raifâidonaeiiteavirou l7omilleà(Tissot,^ieo.7r. lic l'Afrique romaine, II, lOSsq.)
LA CHUTE DU ROYAUME VANDALE 19
d'exposer longtemps leur flotte sur une côte dangereuse, ou-
verte à tous les vents et dépourvue d'abris, opinaient dans le
même sens, insistant sur le danger de séparer Tarmée de terre
de l'escadre ^ Bélisaire comprit mieux les nécessités de la
situation; redoutant toujours Tapparition de la flotte vandale
et les dangers d'une bataille navale, il refusa de perdre le bé-
néfice déjà acquis d*un débarquement sans péril : d'ailleurs
plus sûr de ses soldats et peut-être de lui-même dans une
campagne continentale, il comptait en outre sur le désarroi
où l'arrivée imprévue des Byzantins jetterait la défense, et
sur l'appui que lui fourniraient les populations africaines. On
se rendit aux raisons du général en chef, et bientôt les événe-
ments se chargèrent de les justifier.
Aux populations romaines d'Afrique, Bélisaire se présenta
comme un libérateur : dans ses proclamations, il déclara hau-
tement que la guerre n'avait d'autre objet que Taffranchisse-
ment du pays, que l'empereur n'avait pris les armes que pour
délivrer ses fidèles sujets, opprimés et persécutés par les Van-
dales". Pour se concilier plus efficacement encore la bienveil-
lance des habitants, il veilla à maintenir dans son armée la
plus stricte discipline: non seulement toute violence à l'égard
des personnes fut sévèrement interdite, tout pillage des pro-
priétés privées rigoureusement défendu, mais la maraude
même, si fréquente dans les guerres africaines, fut punie des
peines les plus dures : le soldat dut payer scrupuleusement
toutes les fournitures que lui firent les indigènes *. Une si rare
modération porta bien vite ses fruits. Les hautes classes de
la société et en particulier le clergé catholique étaient d'avance
acquis au parti byzantin ^ : la masse, agréablement surprise
par la douceur des procédés de l'armée envahissante, suivit
sans se faire prier l'exemple que lui donnaient ses chefs spi-
1. Bell. Vand., p. 373-375.
2. W., p. 380, 394.
3. W., p. 378-379, 382, 394. Cf. BelL Goth., p. 281-282.
4. Vict. Tonn., aua. 533 (p. 198); Bell, f7znrf.,p. 383. On le voit bien àSuUec-
um, où c'est le clergé et l'aristocratie locale qui font accueil aux Byzantins.
20 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
rituels. Aussi la marche entre Caput Vada et Carthage fut-elle
la plus aisée des promenades militaires. « Bélisaire, dit Pro-
cope, s'était si fort concilié les Africains par sa douceur et son
honnêteté qu'il semblait, durant toute la route, qu'on marchât
en pays ami; les habitants ne s'enfuyaient point à l'approche
des troupes, ils ne cachaient point ce qu'ils possédaient; au
contraire^ ils apportaient des vivres et fournissaient à discré-
tion aux soldats tout ce qu'ils souhaitaient'. » Sans doute ces
bonnes dispositions n'allaient point jusqu'à provoquer un sou-
lèvement général en faveur de Byzance; les Romains d'Afri-
que se contentaient d'ordinaire d'ouvrir les portes de leurs
villes et d'en remettre solennellement les clefs à Bélisaire,
mais c'était beaucoup déjà d'avoir assuré le ravitaillement
des troupes, et le moindre succès devait rendre plus efficace
encore la sympathie visible des populations. En fait, à mesure
qu'on avançait, les manifestations devenaient plus auda-
cieuses : un jour, c'était le chef du service des postes qui
livrait tous ses chevaux au général byzantin, ôtant ainsi à
Gélimer les moyens d'obtenir aisément des informations pré-
cieuses*; à l'approche de l'armée byzantine, Carlhage s'agi-
tait', malgré les nombreux Vandales résidant dans la capitale;
la population brisait, à la vue de la flotte impériale^ les chaînes
de fer qui fermaient le port*; à l'annonce du combat de Deci-
mum, la grande ville illuminait, et pleine de joie ouvrait ses
porles à l'armée libératrice*. Et pendant ce temps Gélimer,
surpris par le débarquement inattendu des Byzantins, privé
de l'élite de ses troupes détachée en Sardaigne, éloigné de sa
capitale et des forces qui y étaient cantonnées, sans doute
aussi déconcerté par l'abandon des populations romaines et
la neutralité ambiguë des tribus indigènes, ne faisait rien
pour entraver la marche de son heureux adversaire : et au
1. Bell. Vand,, p. 382.
2. /d., p. 380.
3. /rf., p. 397-398,
4. ld,s p. a«2.
0. Id.y p. 391.
LA CHUTE DU ROYAUME VANDALE 2
lieu d'employer sa brillante et mobile cavalerie à harceler
l'armée byzantine, à entraver ses approvisionnements*, à la
fatiguer par de constantes alertes, sans même s'inquiéter de
faire réparer les fortifications de sa capitale', il préparait le
plan d'une grande bataille destinée à couvrir et à sauver Car-
ihage', et sur cette carte il jouait la fortune du royaume van-
dale.
Dans ces conditions et contre un tel adversaire^ la guerre
ne pouvait être fort longue : trois mois suffirent à décider les
destinées de l'Afrique*. Il n'est point nécessaire de raconter
ici les détails de cette rapide campagne, et de résumer à nou-
veau le récit, bien des fois commenté, de Procope; il suffira
d'en noter les faits essentiels ou particulièrement significatifs.
Bélisaire était encore à 45 kilomètres environ de Carlhage,
lorsque les éclaireurs vandales prirent le contact avec l'ar-
rière-garde byzantine'; pendant quatre jours les deux armées
continuèrent lentement leur marche, s*avançant parallèlement
l'une à l'autre vers la position choisie par Gélimer pour ris-
quer le combat décisif. La bataille se livra à Decimum, la veille
de la fête de saint Cyprien* (13 septembre 533) : en un jour
elle mit à néant toutes les savantes combinaisons du roi van-
dale'. Au lieu de l'action commune et foudroyante qui devait
broyer dans un étau les soldats de Bélisaire, le combat se frac-
tionna en une série d'engagements isolés, oii apparurent à
plein les faiblesses de Tarmée vandale et l'incapacité de son
chef: tandis que l'un des lieutenants de Gélimer s'engageait
trop tôt et sans forces suffisantes, le roi lui-même, réglant mal
sa route, attaquait les Byzantins^ de front au lieu de tomber à
i. Cf. BtU. Vand.y p. 412, où l'on toit les Vandales craindre de rayager le
pays.
2. id., p. 391.
3. M., p. 383.
4. W., p. 423.
5. M., p, 382383.
6. Id.j p. 398. Sur la date, cf. Papencordl, Gesch. der Vandale, 452, DoltJ 1.
1. Sur la bataille, cf. BeH. Vand.^p. 384-391 ; POngk-Harlluiip, /. c, 84-89
Tissot, /. c, H, 115-121.
22 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZAxNTINE EN AFRIQUE
rimprovisle sur leurs derrières; par surcroît, Gélimer^ alors
que l'affaire n'était point encore totalement compromise, lais-
sait passer le moment de forcer la victoire*, et parmi ces mou-
vements décousus, mal concertés, la cavalerie byzantine,
malgré les imprudences de ses chefs, malgré des échecs par-
tiels, n'eut point de peine à rompre les lignes peu solides des
escadrons vandales.
La victoire de Decimum ouvrait la route de Carthage : Géli-
mer, en effet, à l'exemple de ses prédécesseurs, s'était peu sou-
cié de tenir en état les fortifications de sa capitale et n'y pou-
vait maintenant trouver un asile; incapable d'ailleurs, avec ses
cavaliers en déroute, d'Opposer derrière des murs à demi rui-
nés une sérieuse résistance, il s'était, après la défaite, enfui
par la route de Numidie*. Bélisaire ne Ty poursuivit point et
marchadroit sur Carthage ; en même temps, la flotte byzantine,
qui avait doublé le promontoire d'Hermès, apparaissait dans
le golfe de Tunis*. Attaquée par terre et par mer, n'ayant
qu'une faible garnison, affolée par la nouvelle du désastre* et
complètement perdue au milieu d'une population soulevée en
faveur des Byzantins', la grande ville ouvrit avec enthou-
siasme ses portes au vainqueur. L'occupation s'en fit avec un
ordre et une discipline remarquables : « Bélisaire, dit Pro-
cope, maintint si bien ses soldats dans le devoir, qu'on ne
constata aucune menace, aucun acte de violence, et que la vie
habiluelle de la cité poursuivit son cours sans être troublée:
dans cette ville prise, qui venait de changer de régime et de
maître, les boutiques restèrent ouvertes comme d'ordinaire,
et les soldats, achetant au marché les vivres dont ils avaient
besoin, demeurèrent en absolue tranquillité\ » Au nom de
Tempère ur, Bélisaire prit possession du palais de Gélimer
1. Bell. Vand., p. 390.
% Id., p. 391.
3. W., p. 393-394.
4. Id., p. 391.
Tr. W., p. 391-392.
6- R, p. 396.
LA CHUTE DV ROYAUME VANDALE 23
et s'assit sur le trône du roi vandale*, et le soir, il invita à sa
table l'état-major de Tarmée victorieuse. Détail assez piquant,
le dîner était celui-là même qu'on avait préparé le jour précé-
dent pour fêter le retour triomphant de Gélimer; à la veille de
la bataille suprême, au lieu de réparer les brèches des mu-
railles de Carlhage, les Vandales, dans leur orgueilleuse im-
prévoyance, escomptaient le succès et ordonnaient un somp-
tueux festin pour leur roi sûrement vainqueur*.
La chute de la capitale vandale était un événement de la
plus haute importance. Elle donnait à Tarmée byzantine le
point d'appui qui lui avait manqué jusqu'alors, une excellente
base d'opérations pour les mouvements militaires ultérieurs,
une solide place d armes en cas de revers momentanés. Aussi
le premier soin de Bélisaire fut-il de remettre la forteresse
en état de défense. Les brèches furent réparées, les murs con-
solidés, un large fossé bordé d'une palissade vint renforcer
encore les moyens de résistance', et, assez vite, la ville reprît
l'aspect d'une citadelle imposante. A d'autres égards encore,
l'occupation de Carthage n'était point inutile : à l'entrée de la
mauvaise saison*, elle fournissait à la flotte byzantine un port
sûr et bien abrité; elle assurait les communications faciles de
l'armée avec Constantinople ; mais surtout elle augmentait
d'une manière incomparable le prestige de l'armée impériale.
Les populations romaines, on l'a vu, n'avaient pas attendu
la victoire pour se déclarer; le succès remporté décida de
l'attitude des Maures. A la nouvelle de la bataille de Deci-
mum et de la chute de la capitale vandale, les grands chefs
des tribus sortirent de leur neutralité. De la Byzacène, de la
Numidie, de la lointaine Maurélanie même, ils envoyèrent des
ambassades au général byzantin, chargées d'apporter leur
hommage et de promettre leur alliance au représentant de
1. Beil. Vand., p. 394.
2. W., p. 395-396.
3. id,, p. 396, 403. C'étnit la seule place que u'eùt point rasée GfDséric ML.
p. 333).
4. Id., p. 393.
24 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Justinien; ils demandaient en échange une nouvelle et solen-
nelle investiture de leurs commandements*. Bélisaire ne la
refusa point; il en renforça reflet par de larges distributions
d'argent, et assuré ainsi, sinon du concours, du moins de la
neutralité des indigènes, il revint à Gélimer.
Le roi vandale, réfugié dans les grandes plaines de Bulla
Regia, l'acluelle Dakhla des Ouled bou Salem, s^appliquait à
reformer ses forces. Comprenant un peu tard son imprudence
de Decimum, il s'efforçait à prix d'or de soulever les campa-
gnes contre l'envahisseur et d'organiser une guerre de parti-
sans*; il tâchait, pour rendre quelque prestige à ses armes et
quelque confiance à ses soldats, de surprendre et d'enlever les
détachements byzantins envoyés en reconnaissance*; en toute
hâte, il rappelait de Sardaigne Tarmée dont Tabsence lui avait
été si fatale*, et avec ses troupes reconstituées, grossies de
qiitïlques tribus indigènes déclarées en sa faveur*, il marcha sur
Carthage. Les murailles, incomplètement réparées encore*,
semblaient rendre facile une attaque de vive force; mais, pour
la tenter, il eût fallu à Gélimer autre chose qu'un corps de ca-
valerie. Aussi dut-il se contenter de bloquer la ville, coupant
le grand aqueduc qui lui fournissait l'eau, occupant les routes
par où lui arrivaient les vivres '; en même temps il entamait
dans la cité et jusque dans l'armée byzantine des négociations
secrètes, comptant qu'à défaut des armes, la trahison lui ren-
drait son royaume*. L'énergique habileté de Bélisaire déjoua
toutes ses tentatives : son prudent sang-froid ne demeura pas
moins impassible aux bravades par lesquelles Gélimer tâchait
de Kattirer hors des murs en une décisive bataille. Patiem-
ment, le général byzantin attendait son heure; enfin, vers le
i. Bell. Vand., p. 406-407.
ï. /rf., p. 401.
3./^., p. 401-403.
4. /d., p. 401-408.
B Id., p. 406.
li. Id., p. 412-413.
1. Id., p. 412.
«. /</., p. 412-il3.
X
LA CHUTE DU ROYAUME VANDALE 25
milieu de décembre, trois mois environ après la journée de
Decimum, il se décida à marcher à Tennemi.
Gélimer et son peuple, car les Vandales traînaient à leur
suite leurs femmes, leurs enfants, leurs trésors ^ étaient éta-
blis à Tricamarum, à 30 kilomètres environ de Carthage,
dans une position protégée par une petite rivière'; mais avec
leur imprévoyance ordinaire, les barbares avaient négligé de
fortifier leur camp', comptant que leur bravoure et leurs vail-
lantes épées suffiraient à gagner la bataille. Mais cette fois
encore, comme à Décimum, ils commirent fautes sur fautes*.
Au lieu de profiter de leur supériorité numérique et de la mo-
bilité de leur cavalerie pour harceler, fatiguer, envelopper les
escadrons impériaux, ils restèrent sur la défensive derrière le
ruisseau qui les protégeait : par trois fois, ils reçurent sur la
pointe de leurs glaives et brisèrent la charge des cataphrac-
taires byzantins ; mais épuisés par cette vigoureuse résistance,
privés de leurs principaux chefs, ils laissèrent enfoncer leur
centre à une dernière attaque, et en déroute ils se rejetèrent
sur leur camp. Cette fois encore, la cavalerie byzantine avait,
comme à Decimum, été seule à combattre'^; Tinfanterie parut
vers le soir, juste à point pour enlever presque sans combat le
camp vandale. Ce fut le signal de la déroute suprême. Géli-
mer, affolé, sentant que tout était perdu, sauta à cheval
et s'enfuit avec quelques fidèles, sans laisser un ordre, sans
s'inquiéter de ce que deviendrait son peuple*, et pendant que
les siens tombaient aux mains du vainqueur, pendant que
l'armée grecque, grisée de ses succès, ne songeait qu'à mettre
au pillage les trésors livrés à son avidité '', alors que le mom-
dre retour offensif eût suffi à balayer ces troupes disloquées
1. Bell. Vand., p. 416, 422-423.
2. /d., p. 416.
3. /d., p. 416.
4. Cf. BelL Vand., p. 420-422; PQugk-Harltung, l. c, 92-95.
5. Bell. Vand., p. 391, 422.
6. Id., p. 422.
7. Id., p. 423, 424.
26 HISTOIRE DE LA DOMÏNATON BYZANTINE EN AFRIQUE
qui n'écoutaient plus leurs chefs', Gélimer galopait dans la
nuit sur la route de Numidie. Le royaume vandale n'existait
plus.
On sait la suite des événements. Pendant que le roi bar-
bare, poursuivi par la cavalerie grecque, allait chercher un
asile chez les Maures du mont Pappua', le reste de ses États,
sa forte ville d'Hippone, ses trésors, tombaient 'successive-
ment aux mains de Bélisaire*. Lui-même, bloqué dans sa
retraite par un détachement byzantin, passa trois mois à
souffrir le froid, la faim, la misère, sans que son orgueil royal
put se résoudre à accepter les propositions que lui faisait
transmettre le général de Justinien*. A la fin deThiver, pour-
tant, craignant de voir forcer son dernier asile, touché sur-
tout des privations sans nombre que son obstination imposait
à son entourage, il céda à sa destinée et se remit aux mains
de Bélisaire*, moyennant promesse de la vie sauve et d'un
traitement honorable (mars 834). Le représentant de l'empe-
reur promit avec empressement tout ce qu'exigeait le roi dé-
chu : assurément, Gélimer vaincu n'était plus guère redou-
table; mais sa prise était le symbole vivant de la ruine de
l'empire vandale, et elle semblait le gage assuré de la sou-
mission totale de l'Afrique.
IV
Pourtant, malgré la rapidité et les triomphants succès de
cette campagne, c'était une assez médiocre armée que celle
de Bélisaire, et bien faite pour inquiéter le général chargé de
la conduire. Sans doute, ces vieilles troupes étaient capables
de se battre avec courage®, encore qu'on les voie parfois,
{.Bell. Vand., p. 424.
2. Id., p. 427.
3. Id., p. 427, 428-429.
4. Id., p. 427-428, 433-438.
5. Id., p. 438-440.
6. Id., p. 401-402.
LA CHUTE DV ROYAUME VANDALE 27
prises de panique subite, se débander presque sans combat
sous une charge énergique de Tennemi * ; mais, à coup sûr,
elles étaient animées d'un singulier esprit d'indiscipline.
Constamment Tarmée et la flotte discutaient les ordres don-
nés par les chefs; les troupes de terre déclaraient tout net
qu'elles ne combattraient pas dans une bataille navale'; les
équipages de l'escadre refusaient d'obéir aux instructions lais-
sées par Bélisaire, et obligeaient leurs amiraux à contrevenir
aux volontés formelles du général en chef*. Les fédérés sur-
tout se faisaient remarquer par leurs exigences, se considérant
comme les alliés plutôt que comme les soldats de l'empereur;
fiers des privilèges particuliers qui leur étaient concédés*,
ils prétendaient être affranchis des règles de la discipline
commune et uniquement traités selon les usages de leur pa-
trie barbare'; et à leur exemple, le reste de l'armée réclamait
le bénéfice d'une absolue impunité. Habitués d'ailleurs à pen-
ser que la guerre doit nourrir la guerre, tous ces hommes
avaient le butin pour préoccupation principale, et comptaient
bien en Afrique se conduire comme en pays conquis. A peine
débarqués» ils se répandirent dans la campagne pour marau-
der*, et Bélisaire eut tout le mal du monde à leur imposer
cette modération qu'admire tant Procope : encore il n'y réus-
sit qu'à grand renfort de précautions prudentes et d'insistances
répétées', et malgré ses efforts, il ne pût entièrement préser-
ver Garthage du pillage*. Avec ces rudes guerriers, avides de
vin % d'or et de femmes", chaque jour il fallait craindre une
incartade nouvelle; et jusque sous les yeux de l'ennemi, l'i-
1. Bell. Vand,, p. 389-390.
2. ii..p. 370, 375.
3.7d., p. 393.
4.i<i., p. 386.
5. M., p. 364.
6. W., p. 378.
7. Id., p. 391-392, 394.
8. /d., p. 394.
9. Id., p. 364, 426-427.
iO. Id., p. 424.
28 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
vresse ou Tamour du gain leur faisaient sans cesse oublier la
discipline. La trahison même ne les trouvait point inaccessi-
bles. Parmi les fédérés, beaucoup étaient prêts à se vendre
au plus offrant*, et au lieu de réprimer ces intrigues par un
châtiment exemplaire, Bélisaire était obligé de négocier et
de transiger avec les rebelles*. Parmi les officiers mêmes,
beaucoup ne valaient pas mieux que les soldats; les uns déso-
béissaient ouvertement et sans s'inquiéter ni des instructions
reçues ni du reste de Tarmée, s'engagaient témérairement
dans les entreprises les plus imprudentes*; d'autres autori-
sent le pillage et y participent et refusent de rendre gorge
malgré les ordres formels de Bélisaire*; ceux-ci sont ivres
quand il faut marcher en avant*; ceux-là discutent quand on
devrait combattre •, d'autres prêtent Toreille aux propositions
de Gélimer**; tous enfin se jalousent les uns les autres, et
jusque dans l'entourage du commandant en chef, de miséra-
bles rivalités apparaissent. Après la victoire de Tricamarum
il se trouva des officiers pour dénoncer Bélisaire à Constan-
tinople, et, afin de le discréditer aux yeux de Justinien, on
lança contre lui l'accusation calomnieuse, mais si souvent fa-
tale, d'aspirer à revêtir la pourpre impériale*.
Aussi voyez les faits : à la journée de Decimum, Ta van t-
garde byzantine, après un premier engagement, se lance en
une poursuite folle sur les traces des Vandales, et, sans se
préoccuper de sa faiblesse numérique, sans s'inquiéter de l'ar-
mée dont elle doit éclairer la route, sans même prévenir Béli-
saire, elle poursuit sa course durant treize kilomètres jusque
sous les murs de Carlhage*. Le même jour, sous les charges
1. Bell, Vand., p. 412.
S. Id., p. 413.
3. Id., p. 393-394, 385-386.
4. /d., p. 395.
5. W., p. 426-427.
C. W., p. 389.
7. /d., p. 412.
8. /rf., p. 441.
*». /rf., p. 385-386.
LA CHUTE DU ROYAUME VANDALE 29
des Vandales, les fédérés se laissent enfoncer ; pris de panique,
ils entraînent dans lear déroule un corps de huit cents cata-
phractaires et un bon tiers de la cavalerie byzantine, bousculé
presque sans avoir combattu, se replie en désordre et manque
de compromettre lajournée*. Ala bataille de Tricamarum, les
faits sont plus graves et plus significatifs encore : pendant
rengagement, les auxiliaires huns se rangent à Técart et
s'abstiennent de combattre, attendant que la fortune se soit
dessinée pour prendre le parti du vainqueur*; après le com-
bat, Tarmée tout entière se disperse pour piller, et, jusqu'au
matin, c'est un désordre indescriptible, où la voix des chefs
n'est plus entendue, où la discipline n'est plus respectée, où
le soldat grisé par les richesses qui s'offrent à ses yeux ne
songe qu'à faire du butin et à revenir bien vite le mettre
en sûreté à Carthage*. Et les troupes d'élite mêmes, et la
garde personnelle du général suivent l'exemple : en un clin
d'œil, l'armée victorieuse s'évapore et durant toute la nuit,
Bélisaire, demeuré presque seul, ne sait comment faire pour
rallier ses soldats*. Pourtant l'auteur anonyme du traité de la
Tactique avait pris soin d'apprendre aux officiers byzantins,
comment, en négligeant la poursuite pour le butin, on s'ex-
pose à changer une victoire en défaite*, et Procope lui-même
est obligé d'avouer que par deux fois, à Decimum comme à
Tricamarum, quelque décision de la part de Gélimer eût
amené sans nul doute un irréparable désastre. « Pourquoi
Gélimer, dit-il, ayant la victoire en main, lalaissa volontaire-
ment échapper, c'est ceque jene puis expliquer. Assurément,
s'il avait poursuivi les fuyards, Bélisaire lui-même n'eût pu
1. Bell. Vand., p. 389-390.
2. /d., p. 416, 420-421.
3. Id.y p. 423-424.
4. Id,, p. 425. Lft même chose se prodaira plas tard k la journée de CcUas
Vatari (w?., p. 489-490.)
5. Traité de la Tactique (éd. Kôchly et Rûstow, Griech. Kriegsschriftsteller,
t. n, 2 Abt. Leipzig, 1855), XL, 7. Cf. StraUgika de Maurice, Vil, 15, p. 146-
147; Vn, 17, p. 171-172; VIU, 2, p, 197
30 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
soutenir le choc, et nos affaires étaient perdues*. » Voilà
pour Decimum : et, après avoir raconté la journée de Trica-
marum, Thistorien ajoute : « Si à ce moment (durant le pil-
lage) le moindre incident s'était produit, pas un seul des
Romains n'eût échappé*. » Et pour rendre compte de ces
chances inouïes, Procope ne trouve d'autre explication que la
volonté de Dieu, qui trouble la raison de ceux qu'il veut
perdre : Quos vult perdere Jupiter dementat.
Ce fut donc moins la valeur des troupes byzantines que l'é-
trange impéri tie de leurs adversaires qui fit le succès de la
campagne. La stratégie même 4e Bélisaire fut loin d'être irré-
prochable'. Sans doute il/ faut louer le général byzantin de la
décision avec laquelle, malgré l'opposition unanime de son
conseil, il débarqua à Gaput Yada, de Tintelligence qui lui fit
comprendre l'importance d'une marche immédiate sur Car-
thage, du soin qu'il prit, après la chute de la capitale, d'en
faire sans tarder une imprenable forteresse. Il n'est pas moins
vrai qu'il commit plus d'une dangereuse imprudence. Per-
suadé qu'il rencontrerait l'ennemi en avant de Carthage, il
marcha pendant près de dix jours, sans se douter que la prin-
cipale armée vandale le suivait par derrière* ; et alors même
que, bien tardivement, ses éclaireurs eurent pris le contact
avec les coureurs de Gélimer, il ne semble pas un seul instant
avoir deviné le plan du roi barbare. A la journée de Deci-
mum, il laissa en arrière son infanterie, l'exposant, si Gélimer
avait bien calculé sa route, à recevoir en queue et toute seule
le choc des escadrons ennemis'; lui-même, avec sa cavalerie,
se porta à plus de cinq kilomètres en avant, sans réfléchir qu'une
attaque un peu audacieuse pouvait le couper de ses troupes
de pied, et que le corps qu'il commandait, rejeté sur le défilé
de Decimum, courait risque d'être écrasé entre les troupes
1. BelL Vand,, p. 390.
î. irf..p. 424.
3. Cf. sur rhomme, Procope* BelL Goth,, p. 280 sq.
4. UelL Vand., p. 383.
:». /d., p. 387-3S8.
L\ CHUTE ÙV ROYAUME VANDALE 31
royales et la garnison vandale de Carthage\ Dans les deux
batailles qu'il livra, les deux fois il se laissa à peu près sur-
prendre'; au lieu de choisir son heure, il dut accepter un
combat qu'il n'attendait pas, et chaque fois il avait réglé si
singulièrement sa marche que jamais son infanterie ne put
arriver à temps sur le champ de bataille, et que sa seule ca-
valerie dut supporter tout Teffort de la lutte'. De même, par
les instructions qu'il donna à sa flotte, il risqua d'exposer ses
navires à une totale destruction, et il est étrange, lorsque
chaque matelot prévoyait les périls de la tempête d'équinoxe
prochaine^ que seul le général ait ignoré ou oublié un aussi
grave danger*. Mais telle fut dans cette guerre la bonne for-
tune de Bélisaire que ses pires imprudences demeurèrent sans
conséquences, que tout le servit à souhait, jusqu'aux rébel-
lions de ses soldats. C'est la révolte de ses matelots qui sauva
sa flotte de la tempête ^ ; c'est la désobéissance d'un officier
qui assura Toccupalion du port deCarthage', mais surtout
il dut sa victoire à l'incapacité et à la molle indécision de
Gélimer. Le roi vandale, que son peuple regardait comme
le plus valeureux guerrier de son temps \ s'abandonna sans
résistance aux coups de la fortune. A Decimum il laissa passer
le moment décisif, où il pouvait écraser sans peine la cavalerie
byzantine à demi rompue'; à Tricamarum, à l'instant où il
crut voir la partie définitivement perdue, il s'enfuit sans lais-
ser un ordre, sans tenter de rallier ses escadrons, sans essayer
un retour offensif qui pouvaitlui rendre la victoire •.
Avec sa nombreuse et légère cavalerie, il aurait pu, comme
le firent plus tard les tribus indigènes, organiser contre les
1. Cf. Pflugk-HarttuQg, p. 46.
2. Bell. Vand., p. 387 : tcùv yeYovâtcov oùS' ôtioOv neicutfpiévoi. Cf 420.
3. W., p. 388, 420.
•4. W., p. 393, 384.
.5. W., p. 393.
6. Id., p. 393-394.
7. /d., p. 3r)0.
8. W., p. 390.
i). W.,p. 422, 424.
n IKSTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Byzantins uae redoutable guerre de partisans, les fatiguer par
uoG massu de petits combats, couper leurs communications et
leurs vivrt*s, les attirer à sa suite dans Tintérieur du pays et
les épuiser im détail * ; au lieu de cela, il aima mieux risquer
deux grandes batailles, où d'ailleurs il ne semble guère avoir
bion vaillamment payé de sa personne. Le dernier roi vandale
apparaît dans Procope comme une nature indécise et molle,
nerveuse et sentimentale, sans fermeté et sans résistance * :
à Decimum, il perd son temps à pleurer sur le cadavre de son
frère morl et à lui rendre les honneurs funèbres, en face de
rt^nneini ^ : dans les plaines de BuUa, lorsque l'armée de Sar-
daigae vieol rejoindre les troupes du roi vaincu, sans un mot,
il se jctlo en pleurant dans les bras de son frère, et dans une
scène d'ailleurs singulièrement dramatique, il épuise jusqu'à
la lie Famère volupté des larmes*. Lorsque, après la défaite
de Tricamarum, Tâpre poursuite des Byzantins Ta contraint à
cbcrchcr un refuge parmi les Maures du mont Pappua, au lieu
de s'ouvrir, Tépée à la main, un passage à travers les soldats
qui bloi]UL*iit sa retraite, il reste inactif, souffrant le froid, la
faim et la misère, s'étudiant lui-même et se complaisant à
mettre en vers ses malheurs'; et après avoir courageusement
supporté les privations, après avoir repoussé non sans hauteur
les propositions qui lui sont faites, tout à coup, sur un inci-
dent qui louche sa sensibilité et son cœur', ses nerfs s'émeu-
vent, son ressort s'abat et il se remet aux mains de Bélisaire.
Devant le général byzantin, et jusque devant l'empereur, il
gardera une attitude étrange et un peu apprêtée de philosophe
ironique et revenu de tout, qui sait la vanité des choses hu-
maines et se complaît à en admirer en lui-même un exemple
particulièrement mémorable'.
1. Cf. Pflugk-HarUung, /. c, p. 95.
2. Cf, Dahu, /. c, p. 179-180.
3. Bdl. Vand., p. 390-391.
4. /d.. p. IOa-409.
5. td., p. 437-438.
iL IfL, p, 438-439.
7. Id,. p. 440, 446.
LA CHUTE DU ROYAUME VANDALE 33
En terminant le récit de la guerre vandale^ Procope n'essaie
point de dissimuler Tétonnement que lui inspire le merveilleux
succès de cette campagne : « En tout temps, bien des entre-
prises ont réussi au delà de toute espérance, et il en sera ainsi,
taut que les conditions de Thumanité demeureront les mêmes.
Bien des choses qui semblaient impossibles se sont réalisées :
pourtant je ne sais point s'il y eût jamais événement plus mer-
veilleux que de voir un grand empire, puissant en richesses et
en soldats, renversé en si peu de temps par une armée de cinq
mille hommes, qui n'avaient pas même un port pour aborder'. »
Certes peu d'États se sont écroulés d'une chute plus complète
et plus prompte : en trois mois quelques régiments de cavale-
rie avaient détruit le royaume de Genséric.
1. BelL Vand., p. 441.
CHAPITRE II
l'afrioue au lendemain de la conquête byzantine
Deux batailles et une campagne de quelques mois avaient
suffi à décider du sort du royaume vandale : du coup, on crut
l'Afrique conquise et replacée tout entière sous la domination
romaine. Dès le mois de décembre 533, à la nouvelle de la
prise de Carlhage, Justinien proclamait en termes magnifiques
que (c toute la Libye était réunie à Tempire » '; en avril 534,
après la victoire de Tricamarum, il déclarait pompeusement
que « Dieu, par sa miséricorde, venait de remettre entre ses
mains l'Afrique et toutes ses provinces » *, et^ presque émer-
veillé lui-même de la rapidité inattendue de la conquête, il se
répandait en actions de grâces et remerciait la Providence de
ravoir choisi, « lui, le plus humble de ses serviteurs », pour
être le vengeur de TÉglise et le libérateur des peuples '. Sans
doute, on prévoyait bien que pour achever la soumission de
la province, pour la reconstituer dans son intégrité, telle que
Tavait connue et possédée l'empire romain, il faudrait soute-
nir quelques luttes encore et vaincre quelques résistances;
mais Justinien se persuadait que quelques courtes semaines
suffiraient à rétablir en Afrique la paix et la sécurité sous son
règne très glorieux *. Et tout heureux de montrer à ses nou-
veaux sujets la différence qui existait entre « la captivité si
1. De confecl. Digest.,22; Cod. JusL, 1, 17, 2, 1 et 24.
2. Cod. JusL, 1, 27, 1, 7.
3. /rf., 1,27, 1, 1, 5.
i. /d , I, 27, 2, 4 6.
L'AFRIQUE AU LENDEMAIN DE LA CONQUÊTE BYZANTINE 35
dure et le joug barbare » qu'ils avaient connus et cette liberté
toute neuve que leur apportait la domination byzantine \ dès
le mois d'avril 534, avant même que la soumission de Gélimer
fût connue à Byzance, il prenait les mesures nécessaires pour
la réorganisation complète, administrative, financière, mili-
taire, de ses nouvelles provinces. Malheureusement, entre les
séduisantes illusions de Toptimisme impérial et la réalité des
choses, il y avait quelque différence; on le voit bien en étu-
diant Tétat du pays au lendemain de la chute du royaume vaTn-
dale.
I
Tout d'abord, et malgré les affirmations impériales^ il s'en
fallait de tout que TAfrique fût pleinement reconquise. Assu-
rément, la campagne de Bélisaire avait soumis aux Byzantins
la Proconsulaire tout entière et une grande partie de la Byza-
cène; assurément, le reste de cette région semble avoir été
presque immédiatement occupé jusqu'à Thelepte et Capsa et
jusqu'aux frontières de la Tripolitaine - ; dans cette dernière
province aussi^ l'autorité impériale paraît avoir été restau-
rée '. Mais à mesure qu'on s'avançait vers l'ouest, la paci-
fication devenait plus imparfaite. Près des deux tiers de la Nu-
midie échappaient à la domination grecque : si, du côté de
l'occident, elle atteignait la région de Constantine *, vers le
sud, elle ne dépassait point la lisière septentrionale des hauts
plateaux : de ce côté, la ligne des places fortes qui, entre le
Kef et la vallée du Roummel, protègent la grande route de
Carlhage à Cirta — je veux dire les citadelles de Tagoura, de
Madaure, de Tipasa, de Gadiaufala, d'Âd Centenarium, de
Tigîsis — détermine assez exactement la première étape de
1. Cod. Just., I, 27, 1, 8.
2. Cela ressort de Cod, Just.^ I, 27, 2,1 a et de Procope, Bell, Vand., p. 431.
3. Procope, Bell. Vand., p. 361, 431.
4. Cod. Jusé.,h 27, 2, 1 a.
36 HISrOlRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
roccupation byzantine, et Ton voit pour quelles raisons Jus-
tinien, malgré ses déclarations magnifiques, s*est contenté de
fixer à Constantîne la résidence du duc de Numidie ; les pro-
grès de la conquête étaient encore à ce moment fort limités
dans cette partie de l'Afrique *. Quant aux trois Maurétanies,
Sitifienne, Césarienne, Tingitane, elles n'existaient pour ainsi
dire que sur le papier et restaient tout entières à soumettre.
A la vérité, la flotte byzantine avait occupé sans peine un cer-
tain nombre de places de la côte, probablement Igilgilis (Dji-
djelli) et Saldae (Bougie)' dans la Maurétanie Sitifienne, et
certainement Caesarea (Cherchel) dans la Césarienne', et
poussant même jusqu'aux colonnes d'Hercule, les Grecs avaient
délogé les Wisigoths de la ville de Septem en Tingitane et
Jeté une garnison dans cette importante forteresse* ; mais
tous ces postes étaient comme isolés au milieu d'un pays
pleinement insoumis et ne communiquaient que par mer avec
les possessions proprement byzantines *. Sans doute encore, la
supériorité de la marine impériale avait permis la prompte
occupation de la Corse, de la Sardaigne^ des îles Baléares * ;
et, en fait, au mois d'avril 534, Bélisaire pouvait se flatter
d'avoir, comme il le souhaitait, réoccupé au nom de Tempire
tout le territoire jadis possédé par les rois vandales ' : mais
depuis longtemps le royaume fondé par Genséric ne compre-
nait plus qu'une portion de l'Afrique.
II
Du moins, le gouvernement byzantin avait-il quelques
!. Voir la démonstration de ce fait, tirée de la date de ces diverses forteres-
ses, dans mou Rapport sur deux missions en Afrique, p. 65-66.
2. Mommsen, C. i. L., VlU, p. zvii.
3. Procope, BelL Vand., p. 430; Cod. Just,, I, 27, 2, 1 a.
4. Procope, Bell. Vand,, p. 430; Isidore, Hist. Gothorum (éd. Mommsen),
p. 28i.
. 5. Bell. Vand., p. 501.
6. Id., p. 430-431.
7. Id., p. 429-430.
L'AFRIQUE AU LENDEMAIN DE LA CONQUÊTE BYZANTINE 37
chaDces de dominer paisiblement le pays déjà reconquis, d'oc-
cuper rapidement et aisément le reste? Pour assurer dans la
nouvelle province Tautori té impériale, Bélisaire, en vertu des
pouvoirs absolus que lui avait délégués Justinien^ prit une
série de prudentes mesures, bientôt ratifiées et complétées
par les ordres venus de Constantinople. Tout d'abord, il im-
portait de régler le sort des vaincus : pendant la guerre, le
général byzantin avait traité avec douceur les Vandales qui
avaient consenti à faire leur soumission ; il leur avait promis
la vie sauve, et, se contentant de les désarmer, il les avait,
sous bonne garde, internés à Carthage '. Mais une fois la cam-
pagne finie, il sembla impossible de laisser dans le pays ce
dangereux ferment de révoltes futures : Bélisaire se décida,
à la fois pour débarrasser la province et pour parer de leur
présence son cortège triomphal, à faire transporter en Orient
Télite des chefs et de l'armée vandales*. Ces émigrés furent
incorporés dans les troupes impériales; quelques-uns restèrent
à Constantinople et servirent dans la garde de Bélisaire ' ; les
autres formèrent cinq régiments de cavalerie qu'on cantonna
sur la frontière de Perse, et auxquels Tempereur accorda,
pour flatter leur orgueil, le surnom de Vandali Ju$iiniam* .
Toutefois il est évident que ces mesures ne s'appliquèrent
qu'à l'aristocratie de la nation vaincue ; les gens de moindre
importance demeurèrent en Afrique ', et leur condition paraît
avoir été réglée d'une manière assez dure. Sur le champ de
bataille de Tricamarum, beaucoup d'entre eux étaient tombés
au pouvoir des soldats : ceux-là restèrent les esclaves de leurs
nouveaux maîtres. En vertu du même droit de la guerre, les
femmes et les filles prises dans la lutte suprême furent attri-
buées au vainqueur et la plupart d'entre elles épousèrent des
1. Procope, BelL Vand., p. 396, 425, 428.
2. M, p. 42Î). Cf. 428 : lïoXXoi t* xa\ ôtpiaToi.
3. Bell. Golh., p. 281.
4. BelL Vand,, p. 474 ; BelL Pers., p. 244.
5. BelL Vand., p. 475, 471.
38 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
soldats byzantins*. Les propriétés ne furent pas mieux traitées
que les personnes ; non seulement les terres qui avaient formé
le domaine royal furent confisquées au profit de Fempereur',
mais les biens particuliers mêmes ne demeurèrent point à
l'abri des revendications. On fit rendre gorge à tous les déten-
teurs illégitimes de terres; les anciens propriétaires furent
autorisés à faire valoir leurs droits ', les églises catholiques
furent remises en possession de leurs domaines \ Sans doute,
pour éviter un bouleversement total dans l'état de la propriété,
on couvrit bientôt de la prescription toutes les usurpations
remontant au delà de la troisième génération •; néanmoins
la mesure eut sans doute pour effet de dépouiller la plupart
des propriétaires de race germanique. Enfin, persécutés dans
leur religion, chassés de leurs églises, exclus de toute partici-
pation aux charges publiques, « attendu, dit cruellement une
novelle impériale, que c'est bien assez pour eux de vivre » •,
les Vandales semblent avoir peu à peu disparu sans laisser de
trace. Quelques-uns d'entre eux — un millier à peine — es-
saieront quelques années plus tard de venger dans une révolte
suprême, les humiliations de S34 ^ : la masse, désarmée, sou-
mise à une sévère surveillance, évincée peu h peu de TAfrique
byzantine ^ probablement diminua vite, ou se fondit dans la
population indigène ; en tout cas elle ne fut plus jamais une
cause d'embarras pour le gouvernement impérial.
Aussi bien, dans l'Afrique reconquise, les Vandales ne for-
1. Procope, Bell. Vand., p. 470.
2. Id., p. 470.
3. Nov. 36.
4. Nov, 37.
5. Nov, 36, 1.
6. Nov. 37, 6.
7. Bell. Vand., p. 475.
8. D'autres traoBportatioos forent faites par ordre de Solomon {Bell. Vand.,
p. 493) : même les femmes fareat chassées. L*Anonyme de Ravenne (éd. Pin-
der-Parthey, p. 162) montre les restes des Vandales réfugiés en Tingitane.
Pourtant on tronye encore des Vandales en Afrique en 546 {BelL Vand., p. 523,
527).
L'AFRIQUE AU LENDEMAIN DE LA CONQUÊTE BYZANTINE 39
maient qu'une faible minorité. Il était tout autrement impor-
tant de se concilier les bonnes dispositions de Télément
romain. On a vu avec quelle faveur, dès le début de l'expédi-
tion, les populations des villes et des campagnes avaient ac-
cueilli Tarmée byzantine ; elles saluèrent avec une joie sans
mélange le triomphe définitif de Justinien, et pour elles, le
rétablissement de Tautorité impériale fut considéré — et non
pas seulement par métaphore — comme le point de départ
d'une ère nouvelle ^ Le clergé catholique surtout, qui avait
tant souiTert des persécutions vandales durant ce la violente
captivité de cent années » *, exultait d'allégresse, et les évêques
réunis en 534 au concile de Carthage exprimaient en termes
enthousiastes leur bonheur d'être de nouveau soumis à l'em-
pire orthodoxe '. Il était facile d'entretenir ces sentiments de
dévouement : pour le faire, la piété de Justinien se trouvait
d'accord avec son intérêt. Aussi combla-t-il de ses libéralités
rÉglise africaine* : dès 534 ^, un édit ordonna de restituer aux
établissements religieux de tout le diocèse d'Afrique les do-
maines qui leur avaient été injustement enlevés, de les
remettre en possession des édifices du culte, de leur faire
rendre les vases et les ornements sacrés dont ils avaient été
dépouillés, et les autorisa à revendiquer en justice tous les
biens usurpés sur eux par des particuliers *. En même temps,
tous les privilèges accordés par le Code aux églises métropo-
litaines étaient conférés à l'évèque de Carthage^: toutes les
églises de son diocèse devaient jouir du droit d'asile, toutes
légitimement recevoir des legs et des donations ^ Mais
surtout l'empereur s'appliqua à satisfaire les longues ran-
cunes et les haines profondes que le clergé catholique nour-
1. C. /. L.j VUI, 5262. Cf. Sabatier, Monnaies byzantines, I, 190.
2. Labbe, Concilia, IV, 1755.
3. Ibid, IV, 1755.
4. Nov. 37, praef,
3. Nov, 31,praef, La novelle de 535 vise et conflrme une noavelle précédente.
6. Nov. 37, 1, 3, 4.
7. Nov. 37, 9.
8. Nov. 37, 10, 11.
40 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
rissait contre ses persécuteurs : tous les dissidents^ ariens,
juifs, donatistes et païens, furent traités avec la dernière
rigueur. Non seulement leurs prêtres furent chassés des
églises, et interdiction leur fut faite d'administrer les sacre-
ments, mais encore leurs adhérents furent exclus de toutes
les charges publiques, et la conversion même ne leur ouvrit
point Taccès des magistratures '. L'exercice de tout culte héré-
tique fut soigneusement proscrit; les temples ariens, les syna-
gogues furent transformés en églises catholiques ; les conci-
liabules secrets même furent interdits, a attendu qu'il est
absurde de permettre à des impies Taccomplissement de céré-
monies sacrées*. » Ainsi Justinien prouvait à Dieu sa recon-
naissance et montrait qu'il savait « venger les injures de
rÉglise. » Aussi, lorsque reprenant les pieuses traditions d'au-
trefois, les évèques de la Proconsulaire, de la Byzacène et de
la Numidie se réunirent en 534, au nombre de deux cent
vingt, en un concile solennel à Garthage', ils purent exprimer
au pape Agapet la joie presque sans mélange que leur causait
le rétablissement de l'autorité impériale* ; et en leur nom le
Souverain Pontife félicita Tempereur du zèle qu'il déployait
« pour l'accroissement du peuple catholique » et de la piété qui
faisait, partout où s'étendait Tempire, prospérer tout aussitôt
le royaume de Dieu *.
Les populations romaines ne furent pas traitées avec moins
de faveur. Non seulement Justinien voulut que la capitale de
l'Afrique reconquise, dotée de « privilèges impériaux% » prît
en son honneur le nom de Carthago Justiniana; mais il ac-
corda à ces victimes de la tyrannie vandale de plus efficaces
satisfactions. Une pragmatique sanction de 534 autorisa les
Africains à revendiquer^ pendant une durée de cinq années,
t. Nov. 37,3, 6, 7; Procope, Bell. Vand., p. 471.
2. Nov. 37, 8.
3. Labbe, Concilia, IV, 1755, 1784-1785.
4. Ibid., IV, 1755-1756.
5./6trf.,lV, 1793.
6. Nov. 37, 9.
L'AFRIQUE AU LENDEMAIN DE LA CONQUÊTE BYZANTINE 41
toutes les terres qui leur avaient été injustement enlevées,
réparant de cette sorte les spoliations jadis ordonnées par
Genséric *. A la vérité, en même temps qu'il annulait les effets
de la conquête vandale, Tempereur prétendait aussr remettre
les impôts sur le pied où ils étaient jadis établis dans TAfrique
romaine : c'est sous cette réserve expresse qu'il fit restituer,
même aux églises, les biens indûment usurpés'; par ses
ordres, des agents de finances furent chargés par toute la
province de dresser le rôle des contributions : « et ces ctiarges,
dit Procope, parurent aux Africains fort pesantes et intolé-
rables » '.
Pourtant, au moins au début, les Romains d'Afrique avaient
trop à se louer du rétablissement de l'autorité impériale, pour
ne lui être pas pleinement dévoués. Il n'en était pas de même
des tribus berbères, qui formaient le fond de la population.
Sans doute^ la plupart d'entre elles avaient fait avec empres-
sement une soumission apparente; troublés parles oracles de
leurs prophétesses, et plus encore par les foudroyants succès
de Bélisaire, les grands chefs de la Byzacène, de la Numidie,
de la Maurétanie même avaient accepté la suzeraineté impé*
riale, prêté hommage au représentant du basileus, donné
leurs fils ou leurs frères en otages comme gages de leur fidé-
lité \ Mais, malgré ces manifestations, d'ailleurs assez inté-
ressées, les Maures s'étaient bien gardés de se compromettre
entre les deux partis, et la plupart avaient conservé une neu-
tralité prudente, attendant Tissue delà lutte et réservant leurs
forces*. Maintenant que les Vandales avaient succombé, ils
commençaient — un peu tard — à sMnquiéter pour eux- mêmes,
et pour des raisons peut-être plus solides que les motifs indi-
qués par Procope % ils songeaient, non point seulement par
i. Nov. 36, pfaef. et 5. On y trouve la preuve qu'une première constitution
fut promulguée dès 534.
2. ^ov, 37, 1. 2; Evagrius, HisL eccL, IV, 18.
3. Procope, Bc/Z. Vand.,p. 444-445.
4. Id., p. 443, 406.
5. Id.y p. 407, 443.
6. id., p. 442-443.
42 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
perfidie naturelle, à prendre les armes contre les nouveaux
maîtres de TAfrique. Une seule chose les retenait encore dans
le devoir^ la crainte que leur inspirait le prestige de Bélisaire^;
mais déjà* de divers côtés, l'insurrection se préparait. Dès le
début de 534, les Maures de la Tripolitaine s'étaient soulevés,
et il avait fallu, pour repousser leurs attaques, renforcer la
garnison byzantine * ; dans le sud de la Numidie, dans la Byza-
cëne^ les grands chefs se concertaient, et dans l'intérieur
même du pays byzantin^ les tribus qui avaient soutenu la
cause de Gélimer et fidèlement combattu pour lui jusqu'au
bout ', étaient trop récemment et trop mal soumises pour ne
point reprendre les armes au premier signal.
Or, ce n'étaient point là des adversaires méprisables, et
ces YujjLvol Maupouffici, comme les appelait dédaigneusement Bé-
lisaire \ devaient donner plus de mal aux Byzantins que
n'avaient fait toutes les forces du royaume vandale. Ils for-
maient à ce moment quatre groupes principaux. C'étaient
d'abord les tribus de la Tripolitaine, dont la plus importante
et la plus redoutable était celle des Levathes ou Louata, can-
tonnée sur les frontières occidentales de la province *• Dans
le sud de la Byzacène, aux alentours des Chotts et jusqu'aux
environs de Gapsa et de Thelepte, une grande confédération
se groupait autour de la tribu des Frexes, et reconnaissait
l'autorité suprême d'Antalas, fils de Guenfan • ; d'autres tri-
bus de la même région obéissaient à des chefs indépendants,
tels qu'Esdilasa, Medesinissa et surtout le plus considérable
de tous, Coutsina, dont le nom reviendra souvent dans l'his-
toire des guerres africaines'. Dans le sud de la Numidie,
1. Procope, Beil. Vand., p. 444-445.
2. W., p. 431.
3. Id., p. 406, 427.
4. /d., p. 388.
5. W., p. 502, 533 ; Corippus, Joh„ VI, 224 ; Partsch, Préface à Véd, de CoHp-
pus^ p. xu-xin.
6. Bell. Vand., p. 349, 462, 503-504; Joh., III, 66-67, etc.; Partsch, /. c,
p. XI-XII.
7. Bell. Vand., p. 448.
L'AFRIQUE AU LENDEMAIN DE LA CONQUÊTE BYZANTINE 43
toute une série de grands États indigènes s'étaient constitués
à la faveur de Tanarchie vandale. Après avoir^ vers la fin du
v' siècle, secoué l'autorité des successeurs de Genséric, les
montagnards de l'Âurès n'avaient pas tardé à descendre dans
les plaines fertiles qui bordent le massif à l'est et à l'ouest S
et chassant devant eux les colons romains épouvantés par
leurs razzias incessantes, ils avaient pillé et détruit toutes ces
villes florissantes, Lambèse, Diana Veteranorum, Thamu-
gadi, Bagai, qui jadis avaient porté la civilisation sur les hauts
plateaux de Numidie ^ : maintenant, leurs ravages s'étendaient
impunément presque jusqu'à la lisière du TelP. Parmi les
chefs indigènes de cette région^ le plus puissant était le roi de
FAurès, labdas, capable, suivant Procope, de mettre en ligne
30,000 cavaliers * : à côté de lui, Orthaias était probablement
le chef des tribus du Hodna*. Enfin toute la Maurétanie, depuis
Gadès jusqu'au delà de Gaesarea, formait le domaine de quel-
ques grands princes indigènes : la plus forte partie de la Césa-
rienne^ toute la côte, à l'exception de la capitale, appartenait
àMastigas^; au sud-ouest, depuis Tiaret et Frenda jusqu'à
Lamoricière (Altava) et Aïn-Temouchent (Safar), un autre roi,
Masuna, avait fondé un vaste empire^ Tous ces chefs, fiers
des succès tant de fois remportés sur les Vandales ^ encoura-
gés par les faciles ravages dont ils avaient couvert le pays
romain, étaient capables d'opposer aux Byzantins une résis-
tance redoutable et d'ébranler, même dans les provinces déjà
soumises^ une domination encore mal assurée. Les régions
montagneuses de la Byzacène et de la Proconsulaire renfer-
1. BelL Vand,, p. 466.
2. /d., p. 466 (Timgad) ; 494 (Bagai). Diana, Lambèse n*ont plug d'éyèquea en 484
(Ragot, Recueil de Constantine.Wl, 226, 190-191).
3. BelL Vand., p. 463; Corippu», JoA., HI, 184-197, 267-276.
4. BelL Vand., p. 462, 463, 465.
5. W., p. 466.
6. /d., p. 451,465, 501.
7. Id., p. 461; C. /. £., VIII, 9835. Cf. La Blanchère, Voyage d'étude dans la
Maurétanie Césarienne (Arck, des missions^ X, p. 92, 96-99).
8. BelL Vand., p. 456.
a HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
maient en effet, en pif in territoire byzantin, bien des tribus
imparfaitement pacifiées : dans le vaste promontoire du cap
Bon, dans la vallée difficile et tourmentée du haut Bagradas,
dans les ravins du mont Pappua^ subsistaient des ferments
de révolte, que le moindre incident suffirait à réveiller *. Enfin,
au delà des tribus qui se trouvaient en contact immédiat avec
les Byzantins, au delà de TAurës, le désert nourrissait une
réserve inépuisable de nomades, toujours prêts à venir faire
du butin dans les riches plaines de l'Afrique '. La situation
était donc grave, et, malgré la bonne volonté assurée des
populations romaines^ Tinsurrection menaçante des indigènes
risquait d'ajourner, peut-être pour toujours, la réalisation des
vastes espoirs de Justinien.
m
Du moins, le gouvernement byzantin possédait-il des moyens
suffisants pour défendre les conquêtes déjà faites, pour assurer,
fût-ce par la force, la pacification du reste du pays? On a vu
précédemment quel était, même sous les ordres d'un Bélisaire,
Tétat de l'armée byzantine; lorsque, vers le milieu de Tannée
534, le général quitta l'Afrique pour retourner à Constanti-
nople, les choses prirent bien vite une tournure plus fâcheuse
encore. II faut voir, dans Tun des rescrits impériaux d'avril
534, les multiples recommandations que fait Justinien aux
soldats et aux officiers de Tarmée d'Afrique : elles montrent
au vif quelques-uns des défauts dont souffraient les troupes
byzantines. Avec une insistance bien significative, l'empereur
prescrit aux soldats d'être « doux et bienveillants à l'égard
des habitants, de ne leur faire tort ni injure » '. Aux officiers
il ordonne de ne point chercher à gagner sur la solde ou sur
la nourriture de leurs hommes et de se contenter, sous peine
i. BelL Vand,, p. 427; Joh,, II, 56-61, 65-68; Partch, Z. c, VIII-X.
2. BelL YaîMf., p. 493.
3. Cod. Ju8t., 1,27, 2, 11.
L'AFRIQUE AU LENDEMAIN DE LA CONQUÊTE BYZANTINE 45
de destitution, du traitement, d'ailleurs fort suffisant^ qui
leur est alloué*. Surtout, l'empereur exige que les chefs mi-
litaires fassent avant tout leur métier de soldats : ils devront
constamment tenir leurs effectifs au complet et leurs troupes
en haleine'; surtout ils devront concerter leurs efforts, et au
lieu de se diviser par de jalouses intrigues, s'entendre pour
la défense commune des provinces confiées à leur vigilance ».
Tout cela est excellent sans doute; malheureusement, officiers
et soldats devaient en tenir peu de compte : et dans ces ins-
tructions impériales^ déjà l'on voit apparaître le germe de
quelques-uns des pires maux qui ruineront l'Afrique byzantine.
On avait fait dans la conquête la part belle à l'armée victo-
rieuse : les esclaves, l'argent, les femmes lui avaient été libé-
ralement abandonnés^; malgré cela, les soldats se jugeaient
mal récompensés de leurs fatigues ' et se déclaraient lésés
dans le partage du butin. Ils réclamaient, eux aussi, leur part
des terres vandales, et se plaignaient violemment de voir
attribuer au trésor public ou au domaine impérial les proprié-
tés reprises sur les vaincus • : ils soupçonnaient leurs généraux
de vouloir s'enrichir à leurs dépens^ et annonçaient l'intention
de réparer par eux-mêmes les injustices dont ils se croyaient
victimes. D'autre part, après une campagne de six mois, cette
armée de mercenaires aspirait à jouir en repos des richesses
qu'elle avait gagnées ; la plupart des soldats s'étaient ma-
riés, épousant leurs prisonnières vandales^ : ils prétendaient
vivre tranquilles avec leurs femmes et le service commençait
à leur paraître le plus lourd des esclavages *. D'ailleurs, enor-
gueillis de leurs succès, pleins de mépris pour les populations
africaines, ils espéraient bien prendre leur revanche de la
1. Cod. JusL, I, 27, 2, 9 a et 9 6.
2. Ibid., 9.
3. Ibid., 10.
4. Bell. Vand., p. 470.
5. W., 479, 482.
6. /d., p. 470.
7. Id., p. 470.
8. Id„ p. 478.
46 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
modération relative que leur avait imposée Bélisaire : les
riches villes d'Afrique leur semblaient une admirable matière
à pillage, leurs habitants, des vaincus qu'on pouvait molester,
dépouiller et tuer sans scrupules ^ Pour ramener au devoir et
employer utilement cette armée indisciplinée et avide, il eût
fallu des chefs énergiques et loyaux; or, du haut en bas de la
hiérarchie, les officiers, sauf quelques rares exceptions, se
jalousaient àTenvi. Les uns songeaient à profiter des rancunes
du soldat pour chercher la satisfaction de leurs ambitions
personnelles ' ; les autres n'étaient point fâchés d'entretenir,
ou tout au moins de laisser croître une indiscipline qui para-
lysait les plans du général en chef » : et en face de l'ennemi
menaçant, les camps byzantins étaient pleins d'intrigues, de
conspirations, de menaces de révolte *. Cette armée en décom-
position était prête pour toutes les paniques et pour toutes
les séditions.
D'autre part, la défense de la frontière était encore, malgré
les instructions expresses de l'empereur, fort insuffisamment
organisée. Depuis que Genséric avait ordonné de raser les
murailles de toutes lesjvilles africaines *, il n'existait plus, sauf
à Carthage et àHippone •, aucune forteresse dans la province,
et cet admirable système, par lequel les Romains avaient
assuré la sécurité du pays, était pleinement tombé en abandon.
A la vérité, la nécessité de se protéger contre les incursions
des Maures avait amené les populations à construire sur quel-
ques points des fortifications improvisées '. Mais ce n'étaient
pas là de bien sérieux moyens de défense ; en fait, la frontière
était ouverte à toutes les invasions. Pour parer à ces insuffi-
sances, Bélisaire avait installé un certain nombre de postes
1. Bell. Vand., p. 473, 474, 477.
2. /cf., p. 475, 490.
3. /cf., p. 473.
4. /d., p. 472. Sur les précautions à preodre cootre les aTaaet; des troupes,
cL Sirateg., ï. 9, p. 40.
*î. Bell. Vand., p. 333.
*i, Id., p. 333. 427.
7, /d.,p. 3-l9;Aedif., p. 340.
L'AFRIQUE AU LENDEMAIN DtE LA CONQUÊTE BYZANTINE 47
sur les confins de la Byzacène et de la Numidie *, commencé
Torganisalion de ces milites limilanei dont Justinien lui re-
commandait la création, et sans doute même construit quel-
ques redoutes '. Pour surveiller les indigènes, des corps de
cavalerie avaient été cantonnés dans la Byzacène '; pour dé-
fendre le nord de la Numidie, une sorte de marche frontière
avait été constituée sur la lisière septentrionale du haut pla-
teau. Mais cette organisation était encore imparfaite. Les
troupes installées dans les divers postes étaient peu nom-
breuses^ mal préparées au rôle qu'elles devaient remplir*;
les places fortes étaient rares ou inachevées. Par surcroît,
fiélisaire ne parait pas un seul instant avoir pressenti la gra-
vité du péril; comme Justinien, il croyait que la chute du
royaume vandale et la prise de Géiimer aASuraient la sou-
mission de l'Afrique, et fort imprudemment il décidait de
ramener avec lui à fiyzance une partie du corps expédition-
naire, précisément ces troupes d'élite qui avaient assuré le
succès de la campagne *. Aussi le résultat ne pouvait-il être
douteux : dès la première prise d'armes, les postes de la fron-
tière furent enfoncés et le pays byzantin livré sans défense aux
ravages et aux cruautés des indigènes.
En outre, les mesures mêmes par lesquelles Justinien s'était
efforcé de faire agréer la domination byzantine, semaient dans
la province des causes de divisions et de troubles. L'autorisa-
tion de revendiquer les terres injustement usurpées avait
réveillé une multitude de questions litigieuses et produit une
véritable « guerre intestine » '. On remontait jusqu'à cinq ou
six générations en arrière pour prouver des droits manifeste-
ment prescrits ; on produisait devant les tribunaux des pièces
fausses, des témoins subornés', de sorte que, « en souhai-
!. Bell, Vand., p. 447.
2. /d., p. 463.
3. Id., p. 448.
4. Id., p. 444.
5. W., p. 444.
6. Sov, 36, praef.
1. Nov. 36, 2, 4.
48 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
tant restituer à chacun ce qui lui appartenait, Tempereur per-
mettait à beaucoup de gens de s'emparer traîtreusement du
bien d'autrui » *. Il y avait là un état de choses assez grave
pour que, en 835, Justinien jugeât nécessaire d'intervenir, et
de limiter à la troisième génération les droits qu'on pourrait
utilement faire valoir •; mais le mal était commis et il devait
avoir d'assez graves conséquences. D'autre part, Tintolérance
religieuse portait ses fruits : malgré l'ardeur de sa piété,
l'empereur avait compris que quelques concessions étaient
nécessaires et que l'intérêt commandait de traiter avec ména-
gement les prêtres ariens, dont l'influence était grande. Jus-
tinien inclinait donc h conserver dans leurs charges et di-
gnités les membres du clergé hérétique qui reviendraient à
l'orthodoxie '. Mais cette indulgence politique sembla into-
lérable aux évêques africains : le concile de Carthage protesta,
le pape blâma l'empereur d'admettre un compromis aussi
condamnable \ et il fallut en passer par sa volonté. Le résultat
fut plus grave qu'on ne pensait : les prêtres ariens excom-
muniés firent à l'autorité byzantine une opposition irré-
conciliable, et comme ils comptaient encore, dans le pays et
jusque dans rarmée* , un assez grand nombre d'adhérents,
ce fut une nouvelle cause de trouble et de désorganisation
ajoutée à toutes celles qui paralysaient la défense.
Une chance favorable pourtant restait à la cause impériale :
c'était l'heureux choix qu'avait fait l'empereur pour donner
un successeur à Bélisaire. Parmi les officiers qui avaient fait
la campagne d'Afrique^ iiul n'était plus apte à achever la con-
quête que l'ex-consulSolomon. Arménien d'origine, il était né
au bourg de Solachon, près de Dara* ; il avait suivi l'expédition
d'Afrique en qualité d'adjoint du général en chef, avec le titre
1. Nov. 36, 5.
2. Nov. 36, 1.
3. Labbe, IV, 1793-1794; MorcelH, Africa christiana, III, 284.
4. Labbe, IV, 1756, 1791-1792, 1793-1794.
5. Bell. Vand., p. 471-472.
«. Théophylacte Simocatta, II, 3, 13; II, 4,12; Procope, BelL Vawd., 359.
i
L'AFRIQUE AU LENDEMAIN DE LA CONQUÊTE BYZANTINE 49
de domesticus ; véritable chef d'état-major de Bélisaire, il
avait assez complètement gagné la confiance du patrice pour
être chargé par lui, après la victoire de Decimum et la prise
de Carthage, d'aller porter à l'empereur la nouvelle des évé-
nements accomplis '. On peut croire que ses rapports ne furent
point sans influence sur les mesures que Justinien arrèlapour
la réorganisation de l'Afrique ; en tout cas il revint à Car-
thage, investi d'une mission de confiance', -et c'est à lui que
Bélisaire transmit en s'embarquant le commandement de Tar-
mée '. Bientôt, au titre de magister milittim, Solomon allait
ajouter celui de préfet du prétoire d'Afrique, et réunir entre
ses mains les pouvoirs civils et militaires*. Or il se trouva
que^ dans le corps de ce général eunuque ', se rencontraient
une âme énergique, un courage à toute épreuve, de remar-
quables talents de diplomate et d'administrateur : c'était beau-
coup pour résoudre heureusement lacrise qui, en 534, mena-
çait l'Afrique ; ce n était pas assez pour la conjurer entièrement.
Pourtant, ert contre toute espérance, on le croyait à Cons-
tantinople. En toute sincérité^ Justinien pensait qu'un ordre
impérial suffirait à « étendre les provinces africaines jusqu'aux
limites qu'avait atteintes la république romaine avant l'inva-
sion des Vandales et des Maures » % à reconstituer cet « antique
limes» ^ tout hérissé de villes fortes et de citadelles, qui garan-
tissait autrefois l'intégrité de l'Afrique \ Il se persuadait que
« les veilles et les travaux de ses soldats dévoués ^ » triom-
pheraient sans peine des ennemis qui occupaient encore des
portions de son impérial héritage; avec une^emarquable et
un peu naïve insistance, il parlait du moment prochain où
K Beil. Vand., p. 406.
2. id., p. 441-442.
3. Id., p. 444, 447.
4. C. /. /.., Vm, 4677; Nov. 36, 37 (a. 535).
5. Bell. Vand., p. 359.
6. Cod. Just., I, 27, 2, 4.
7. M., 4 a, 7, 13.
S. /rf., 4 6.
I.
50 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Tancienne fronlière serait réoccupée dans son intégrité*, et il
était si sûr du succès, que d'avance, en deux rescrits fameux,
il organisait sa conquête. Il était décidé, décrété, qu'à partir
du mois de septembre 534 % entrerait en vigueur la nouvelle
administration civile, militaire et financière ; à cette date même
les événements allaient se charger de montrer toute la vanité
dtîs illusions nourries par Tétat-major byzantin et partagées
par Tempereur. Pendant que Bélisaire triomphait à Constan-
linople, et étalait aux yeux éblouis de la populace de la capitale
Jes sièges d'or, les pierreries, les vases précieux, la vaisselle
fleprix, les vêtements magnifiques, les voitures somptueuses,
tous les trésors que cent ans de pillage avaient accumulés à
Cartilage*, pendant que la piété et l'orgueil de Justinien se
glorifiaient de voir reconquis tout ensemble les vases de Salo-
mon et les ornements de l'empire S pendant que dans le pa-
lais impérial, sur les murs du vestibule de la Chaicé, on faisait
représenter, en d'éclatants tableaux de mosaïques, les épisodes
de la conquête de l'Afrique, les villes soumises et Gélimer
rendant humblement hommage à Justinien et à Théodora',
pendant ce temps même, le successeur de Bélisaire, avec son
armëe à demi désorganisée, luttait, au milieu d'un pays mal
soumis et plus mal défendu encore, contre une formidable
insurrection.
1. Cad, JusL, I, 27, 2, 4 6, 7, 13.
2. W., I, 27, 1, 43.
3. Util. Vand., p. 445-447.
4. îd., p. 445, 446; Cod. Just., I, 27, 1, 7.
hi. Procope, Aed.f p. 204; Corippus, In laudem Juslini^ I, 285-287.
CHAPITRE III
LA PACIFICATION DE l' AFRIQUE PAR SOLOMON (534-539)
En racontant les origines du soulèvement berbère de 534,
Procope rapporte un curieux épisode *. Au moment où la rup-
ture éclatait entre Gélimer et Tempire byzantin, les chefs des
tribus avaient consulté leurs prophétesses pour savoir quelle
attitude ils devraient observer entre les deux partis. L'oracle
avait répondu qu'une armée sortie de la mer ruinerait le
royaume vandale et que les Maures à leur tour seraient vain-
cus et détruits, le jour où les Romains auraient à leur tête un
général imberbe. Le débarquement imprévu de Bélisaire, en
jusiifiaut la première partie de la prophétie, avait décidé les
tribus à garder la neutralité, et àlaisser, sans intervenir, écraser
les Vandales : mais quand la lutte touchant à sa fin sembla
présager le moment prochain de leur propre défaite, ils cher-
chèrent à reconnaître parmi les officiers byzantins le vainqueur
annoncé par les destins. Ils n'en purent découvrir aucun qui
répondît au signalement donné — Solomon était en ce mo-
ment en mission à Constantinople — et reprenant courage,
se croyant en conséquence à Tabri de tout danger, ils n'hési-
tèrent plus à engager les hostilités.
Au vrai, d'autres motifs encore semblent avoir provoqué
l'insurrection. Pendant la guerre vandale, les indigènes, sui-
vant une tactique dont ils semblent coutumiers, paraissent
avoir jugé fort habile de laisser les deux adversaires user leurs
1. Procope, Bell. Vand., p. 443-444.
52 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
forces et s'épuiser l'un par l'autre : maintenant ils croyaient le
moment venu de mettre à profit la désorganisation profonde
qui suivait la défaite de Gélimer. D'autre part, les prestigieux
succès de Bélisaire, sans doute aussi les promesses magnifi-
ques dont il avait acheté l'inaction des grands chefs, avaient
imposé aux indigènes une prudente et politique réserve; mais
les engagements pris par le général byzantin étaient demeurés
lettre morte, et les tribus se plaignaient de n'avoir obtenu
aucun des avantages qu'on avait fait miroiter à leurs yeux ^ 11
semble en outre qu'une mauvaise récolte, et la famine qui en
était la conséquence *, avaient exaspéré chez les Maures le
désir, toujours éveillé, d'aller piller les plaines fertiles et les
riches villages de l'Afrique romaine. Enfin Bélisaire parlait,
et l'état où il laissait la province semblait merveilleusement
favoriser une prise d'armes.
I
La guerre nouvelle qui commençait était d'une gravité
extrême. Jusque-là, les troupes byzantines avaient eu à com-
battre une armée à peu près régulière; elles en avaient triom-
phé sans trop de peine par la supériorité de leur armement et
les règles plus savantes de leur tactique. Contre le nouvel
adversaire qu'elles rencontraient, ces avantages ne leur ser-
vaient plus guère : en face des légers cavaliers berbères, la
solide armée impériale risquait de paraître un peu lourde et
insuffisamment mobile; devant la tactique, peu scientifique
peut-être, mais si merveilleusement appropriée au pays, de
leurs insaisissables ennemis, les correctes méthodes de com-
bat des généraux byzantins risquaient de demeurer inefficaces;
et les impériaux tout d'abord s'en trouvèrent assez déconcer-
tés, pour qu'il ne soit pas inutile d'insister un peu sur les dif-
férences qui séparaient les deux adversaires.
1. Proc, Bell, Vand,, p. 452.
2. W., p 452.
LA PACIFICATION DE L'AFRIQUE PAR SOLOMON 53
Los troupes byzantines étaient en général fort lourdement
armées*. Le fantassin portait la cuirasse et les jambières de
métal, ou tout au moins de cuir, et par dessous, une cotte de
maille d'environ deux centimètres d'épaisseur; sur la tète^ il
mettait un casque de métal^ surmonté d'une longue pointe;
pour se couvrir, il avait un grand bouclier mesurant 1",62 de
diamètre, au centre duquel était fichée une pointe de fer de
huit centimètres de longueur. Tous les hommes portaient Té-
pée, l'arc et le carquois*; une moitié d'entre eux étaient par
surcroît armés de la pique'; enfin le soldat était parfois en-
core muni d'une forte hache à double tranchant, qui lui ser-
vait, dans les pays boisés, à se frayer un passage*. La ca-
valerie était plus pesamment équipée encore : homme et cheval
étaient complètement bardés de fer; sur la tête, le cheval por-
tait un frontal de métal et tout son avant-train était soigneu-
sement cuirassé; on poussait la précaution jusqu'à lui ferrer
les pieds pour l'empêcher de se blesser aux pointes des che-
vaux de frise ^ Le cavalier n^était pas moins bien protégé : il
avait l'armure de fer, le bouclier, le haut casque empanaché,
et comme armes Tépée, la lance, Tare elle carquois*. Assu-
rément, à côté de ces troupes de ligne, les forces byzan-
tines comprenaient aussi quelque infanterie légère et des
cavaliers moins pesamment armés que les cataphractaires ^ ;
mais ces régiments paraissent avoir été surtout employés au
service d'éclaireurs : ils jouent dans les batailles un rôle assez
i. Anonyme sur la Tactique (Kôchly et Rûstow, /. c), XVI ; Bell. Vand.
p. 456.
2. Anonyme, XXVII, 4; XXXVI, 1.
3. W., XVL
4. /d., XVIII, 10; Joh.y l\, 560, et d'une manière générale, sur Tarmement
de l'infanterie, les Strategika attribués à l'empereur Maurice (éd. Scheffcr;,
Xïl, 8,p. 303-305.
5. Anonyme, XVIÏ.
6. Joh. IV, 489-501 (curieuse description du cavalier byzantin) ; Bell. Vand.,
p. 448, et Strategika, I, 2, p. 20-23.
7. Anon., XXXII, 6, 7 ; XXXV, 4. Les Strategika, Xll, 8, p. 303-305, distinguent
la grosse infanterie des (jxouxaxot et Tinfantcrie légère. Sur la cavalerie légère
( cursores, anlecessores),cf, ibid., I, 3, p. 28-29.
&% HTSTOIRE DE L\ DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
secondaire, et d'ailleurs ils ne semblent point avoir constitué
un effertif fort important.
On conçoit qu'une armée ainsi équipée ne fût point très
mobile et que Tinfanterie en particulier se déplaçât avec quel-
que lenteur: aussi s'accommodait-elle mieux de la défensive
que de Toffensive; et, par un trait assez significatif, les livres
de tactique de l'époque se préoccupent beaucoup moins de
Tattaque à fournir que des moyens de se protéger contre les
assauts deTennemi. D'autre part, les changements introduits
dans Tarmement des troupes avaient fait perdre aux armées
byzantines du vie siècle quelque chose de leur solidité. Depuis
qnvi fantassins et cavaliers étaient tous pourvus de l'arc, l'ar-
cher était devenu le roi des batailles * : et, malgré les critiques
sévères de certains écrivains militaires du temps *, c'est de ce
coté qu'était dirigée toute l'instruction des hommes. On leur
apprenait à manier l'arc, indifféremment à pied et à cheval,
à se servir de leurs armes de manière à tirer tout à la fois
juste* fort et vite; on se flattait d'obtenir des flèches une puis-
sance de pénétration suffisante pour percer facilement boucliers
et cuirasses*; mais, malgré ces perfectionnements ingénieux,
ceux-là peut-être n'avaient pas tort, qui craignaient de voir
aitéror par là les anciennes qualités militaires du soldat ro-
main. Habituées en effet à combattre surtout à distance, les
troupes commençaient à redouter le contact direct de l'ad-
versaire; pour tirer bon parti de Tinfanteri» byzantine, il
était devenu essentiel de la couvrir contre les charges de la
cavalerie ennemie*; il fallait devant son front disposer des
pieux et des chevaux de frise, renforcer par des machines les
an "-les de ses carrés, surtout Tabriter le plus possible der-
'6*
1, BeiL Pers,, 1, 14; I, 18; Bell, Goth., 1,22. Surtout Bell. Pevs., 1, 1, p. 11-13.
a BelL Pers., I, p. U, 12-13.
3. M, p. 12-13. 11 existe un traité dpécial du vi« siècle Tispi xo^îa; (Kôchly
et Rtlatow, /. c, p. 198-209) et Jâhns, Gesch. der Kriegwissenschaft, Munich.
ISSy, p. 151; cf. Strategika, I, 1, p. 18-19.
4. Voir le traité d'Urbicius qui date du vi« siècle; Stralegika, Xll, 8, p. 366-
368* CrJAhns, /. c, p. 141-142.
LA PACIFICATION DE LAFRÏQUE PAR SOLOMON r,5
rière des fortifications, où elle pouvait avec sang-froid faire
usage de ses armes. On voit en quel étal d'infériorité des
troupes de cette sorte, peu mobiles à la fois et peu solides, se
trouvaient devant les charges furieuses des légers escadrons
berbères. Fort heureusement la cavalerie byzantine valait
beaucoup mieux que l'infanterie : en fait, c'est elle qui assu-
rera le succès des guerres africaines, comme elle avait déjà
fait celui de l'expédition vandale.
L'écrivain anonyme du vi* siècle, auquel j'emprunte ces dé-
tails, ne nous renseigne pas moins curieusement sur la tactique *
de son temps. Dans ce traité, où sont résumées avec un tour
assez personnel les traditions militaires de l'époque', rien
absolument n'est laissé à Timprévu* : en toute circonstance le
général, nourri de ces préceptes, sait avec une précision méticu-
leuse quel parti il devra prendre. Il apprend comment il réglera
la marche de ses troupes, selon qu'elles s'avancent en plaine
ou dans un terrain escarpé ou boisé ^; comment il traversera
un défilé ou franchira un fleuve *; suivant quels principes il or-
ganisera sonservice d'éclaireursetdegrand'garde*; comment
il fera manœuvrer ses troupes ou disposera son camp**. Il
apprend d'après quelles règles immuables — ce que le traité
appelle rot7.ovoi;.{a xoXsjjlsj'' — il devra engager et conduire la
bataille : et ici surtout, l'auteur anonyme guide son général
comme par la main. Il prescrit le terrain qu'il faudra choisir
pour combattre, il dit les mouvements tactiques qu'on devra
opérer, il indique comment on rangera les lignes si l'ennemi
1. Il est publié et traduit dans Kôchly et RQstow, /. c. Cf. J&hos, /. c,
p. 146 seq.
2. « Ce n*est point, dit l*auteur des Slraiegika, cooiine le croient des gens
iLiexpédmentés, parTaudace et la masse des soldats que les guerres réussis-
sent, mais par la protection de Dieu, Vordre et la tactique» {Strateg., VU, 1,
p. 135).
3.Anon., XVUI.
4. W., XMII, 7 ; XIX.
• 5 Id., XX.
6. W., XXI-XXV; XXVI-XXX. Cf. Slrateg., IX, 3, p. 218.219.
7. Adoq , XXXI seq.
5fl HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
prend l'offensive de telle ou telle manière, où Ton placera les
houpes de cheval s'il se produit une attaque de flanc, quel
parti on prendra si l'adversaire est en nombre, quelle attitude
si ses forces se composent surtout de cavalerie, où l'on ran-
gera les cataphractaires, où Tinfanterie légère : rien ne man-
que, pas même Ténumération des mesures à prendre en cas
de retraite ou de défaite *. A la vérité, on objectera peut-être
que ces règles, si sensées qu'elles puissent être, sont parfois
singulièrement minutieuses, qu'elles laissent une place bien
"restreinte à l'initiative personnelle, et qu'en face d'une tac-
tique nouvelle comme était celle des Berbères, ces principes
trop stricts devaient être plus d'une fois déconcertés : il n'en est
pas moins vrai qu'en pratique, les Byzantins appliquèrent ces
i ('gles dans toutes leurs guerres africaines : c'est ce qui oblige
à étudier d'un peu près le curieux traité que nous analysons.
Aussitôt que les espions font savoir qu'une incursion en-
ucmie est prochaine, le général, après avoir pris les mesures
nécessaires pour assurer la sécurité des villes et des habitants
du plat pays, doit en toute hâte se rapprocher de la frontière ".
Des partis de cavalerie^ commandés par des officiers choisis
parmi les pluâ intelligents et les plus «débrouillards » de l'ar-
mée', éclairent sa route et battent l'estrade en avant et sur
les flancs de la colonne : ils ont charge de reconnaître les pas-
sages dangereux, d'occuper, s'il faut traverser un défilé, les
hauteurs qui le dominent, de déjouer les surprises, d'enlever
les convois de l'ennemi, surtout d'étudier avec soin le terrain
et de rechercher les endroits qui se prêtent aux embuscades *.
Il n'y a nul intérêt en effet à risquer de grandes batailles :
c'est par des attaques de nuit, par des pièges habilement ten-
dus qu'il faut tâcher de détruire l'adversaire * ; tout au moins,
1. Anon., XXXVII-XXXVIII.
2. Id., XLH, 3.
3. Id., XX, 6 : «povtpiouç rrjv çucxiv xai l|jiirtipou; OopuScbv ts xa\ xaTa9x6trr,c.
i. Id., XX, 5-8 : XVIII, 9. Cf. Joh., I, 571-578 et Strateg,, VII, 4, p. 139.
5. Jd., XXXIX-XL et Slrateg., VII, 4, p. 139; et sur les attaques de Duit, ibid.,
tX. 2, p. 2or3-211.
LA PACIFICATION DE L'AFRIQUE PAR SOLOMON 57
si cela est impossible, faul-il s'efforcer de tomber sur lui à
rimprovîste, soit lorsqu'il est faligué d'une marche longue et
difficile^ soit au moment où ses troupes en désordre s'occupent
à établir ou à lever le camp, soit lorsqu'une partie de sou
monde s'est dispersée à la recherche des vivres ; il est préfé-
rable encore de l'assaillir au point du jour, après Tavoir tenu
en éveil toute la nuit par des escarmouches d^avant-garde,
alors qu'épuisé de fatigue, il est incapable de se défendre*.
Faut-il risquer une action décisive, autant que possible on
choisira une plaine, où la cavalerie pourra se déployer à l'aise*:
rinfanlerie s'y formera en carrés, couvrant ses lignes, comme
d'un mur, de la masse de ses grands boucliers d'acier, et pro-
tégée par des chausse-trapes et des chevaux de frise contre
les charges de l'adversaire' ; en avant, se portent les troupes
légères qui, par leurs flèches, mettront le désordre parmi les
chevaux de l'ennemi, et surtout les corps de cataphractaircs,
afin d'attirer à un engagement de cavalerie les escadrons hos-
tiles*; si, contre tout espoir, ces manœuvres ne décident
point la victoire, si les troupes ainsi exposées sont ramenées
en arrière, l'infanterie légère se réfugie dans l'intérieur des
carrés, la cavalerie se replie sur les ailes et démasque le corps
de bataille \ Alors, pour repousser la charge, les fantassins
mettent la pique à terre : ils couvrent de leurs flèches les
escadrons qui s'élancent, les deux premiers rangs visant aux
jambes des chevaux, les autres tirant en l'air pour faire retom-
ber les traits de haut en bas sur les hommes que leur bouclier
ne protège plus*. Et cette défense semble si sûrement efficace
qu'on prévoit à peine le cas où la charge atteindrait les lignes
1. AaoQ., XXXIII, 7. Oq rematquera que TAnonyme invoque précisément
l'exemple et Tautorité de Bélisaire (XXXIII, 8), pour déterminer les moyens
de diviser un ennemi trop nombreux et de le battre eu détail.
2. JoA., VIII, 23-24.
3. Anon., XVI; Joh. IV, 555-563; Anon., XXXII, 15-17, 14.
4. Anon., XXXV, 1, XXXVI, 2.
5. /d., XXXU, 17; XXXVI, 2.
6. Id , XXXVI, 1.
■fcf^-j
58 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
byzantines; il est comme entendu d'avance que ce tir régulier
et sûr brisera l'élan des escadrons ennemis. Alors, sur ces
troupes en désordre la cavalerie se rabat et par une attaque
furieuse — le seul corps-à-corps de la journée — achève la
déroute ; en même temps, Tinfanterie s'avance, piques en avant,
balayant de sa masse tout ce qui oppose une résistance *. Mais
il faut bien se garder d'abuser de la victoire : aussi on évitera
de pousser trop la poursuite, de crainte de tomber dans quelque
embuscade '; surtout — et la prescription ne laisse pas d'être
curieuse — on ne cherchera jamais à envelopper complète-
ment l'ennemi, de peur qu'ayant perdu loute possibilité de
fuir, il ne se décide par nécessité à fournir une résistance
désespérée'. Inversement, si l'adversaire est en force, on
n'ht^silera point à battre en retraite, et de nouveau la tactique
explique comment elle se fera sans désavantage : ici encore
c'est lîi cavalerie qui soutiendra tout Teffort, et par ses savantes
manœuvres retardera la poursuite de l'ennemi*. Ainsi rien
n'est laissé au hasard, rien non plus à l'initiative du général,
et plus d'une fois la tactique désordonnée des Maures devait
déjou*!r ces principes de combat si méthodiquement établis.
Par l'armement, les Berbères étaient assurément fort infé-
rieurs aux Byzantins, et Ton conçoit que les généraux impé-
riaux les traitent dédaigneusement d'adversaires sans défense*.
Les pieds et les bras nus, le corps et la tête enveloppés d'un
grand burnous de toile, ils n'ont, fantassins et cavaliers,
d*aulro arme défensive qu'un petit bouclier de cuir; pour l'at-
taque ils sont armés d'une courte et large épée, et chacun
d'eux porte en outre deux longs et solides javelots* : mais ce
léger équipement leur assure une mobilité extrême, et ils se
fienl à cet avantage pour harceler, envelopper et rompre la
i. Alîûu., XXXVI, 4.
2, M.. XL, 9.
a id., XXXIV, 4; XXXIX, i2] StraUg., VIII, 2, p. 198-199.
i. Auou., XXX VU, 1-2; XXXVllI, 1-3.
n. Beti. Vand,, p. 388, 454.
G J-jA, II, 114-115, 126-137, 150-155; VIII, 189-192; /?tî//. Vand.y p. 453-
m-
LA PACIFICATION DE L'AFRIQUE PAR SOLOMON 59
lourde infanterie byzantine ^ Suivant Tusage de tous les no-
mades, ils emmènent à leur suite dans leurs courses les
femmes, les enfants, les troupeaux de la tribu '; mais ce n'est
point là, comme on pourrait croire, un obstacle à leur marche :
les bêtes, on le verra tout à l'heure, ont leur rôle dans la ba-
taille; les femmes, en élevant les retranchements du camp,
en soignant les chevaux, en fourbissant les armes, laissent
les guerriers plus frais pour la lutte, et d'ailleurs plus d'une
fois elles prennent furieusement leur part du combat. Quant
à la tactique des indigènes, elle est déterminée par leur par-
faite connaissance du pays et la supériorité numérique de
leur innombrable cavalerie. Ils se plaisent à faire une guerre
d'escarmouches et d'embuscades, occupant les passages dif-
ficiles des montagnes, se dissimulant sous l'abri des bois ou
dans le lit desséché des rivières ; ils aiment à surprendre l'en-
nemi en route et à faire tourbillonner autour de ses rangs
demi-rompus la galopade furieuse de leurs escadrons'; ils
s'entendent aux fuites savantes qui entraînent l'adversaire en
une imprudente poursuite et l'amènent, épuisé et sans ordre,
dans le piège soigneusement préparé; ils le harcèlent par cent
attaques de détail et toujours se dérobent devant lui, sans
jamais risquer un combat régulier, sans vouloir surtout ac-
cepter en plaine une grande bataille rangée ; ils se tiennent
sur les hauteurs, occupant les sommets, se défendant derrière
des abatis d'arbres *, épiant la marche de l'ennemi pour profi-
ter du moindre désarroi, assaillir son camp mal fortifié, le
surprendre au moment de la sieste * ; ils simulent la retraite,
parfois la déroute, pour tromper l'adversaire et l'attirera leur
suite dans les régions désertes, où la faim, la soif, la chaleur
briseront son courage; même, pour mieux l'épuiser, ils font
1. Bell, Vand.y p. 436.
2. Joti., IV, 1074-1076. 112j-1126; Bell. Vand.. p. 4o3, 457-458, :;03 ; Joh.
VII, 68-69.
3. Joh,, I, 52S, 578.
4. W., Il, 16-17.
5. /d., VUI, 258-239.
60 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
le dégât devant lui *. Parvient-on à rejoindre ces insaisissables
cavaliers, à les forcer à une action décisive, leur manière de
combattre trouble toutes les prévisions. Avec leurs chameaux
rangés sur plusieurs lignes d'épaisseur, ils forment au milieu
de la plaine un vaste retranchement circulaire * : derrière cette
première défense, ils placent le reste de leurs troupeaux, bœufs,
moulons et chèvres, solidement attachés les uns aux autres*;
à l'intérieur de ce rempart vivant, des cordes tendues, des
fourches, des pieux fichés enterre, des chausse-trapes semées
sur le sol, renforcent les moyens de résistance'. Dans cette
citadelle, les femmes, les enfants, les vieillards sont laissés à
la garde du camp; les fantassins, qu'on sait incapables de
soutenir le choc de la cavalerie byzantine, s'abritent sur la
lisière du retranchement, entre les jambes des chameaux et
repoussent de leurs flèches les assauts de l'adversaire*; la
cavalerie prend position sur les hauteurs voisines, prête à
charger en queue ou en flanc les escadrons ennemis en dé-
sordre* : les indigènes comptent bien en eff'et que la vue et
les beuglements des chameaux épouvanteront les chevaux
byzantins et rompront sans peine Télan de la première atta-
que \ Et pour mieux décider les Grecs à prendre l'offensive,
quelques cavaliers choisis viennent parader devant les rangs
byzantins'; des détachements de cavalerie berbère prennent
même Toffensive et, poussant des clameurs féroces, se préci-
pitent au combat': mais lorsque leur déroute ou leur fuite
simulée ont amené sur la lisière du camp les escadrons grecs,
alors la tactique des indigènes se révèle avec un plein succès :
f. Joh., vu, 300-309.
2. Bell, Vand , p. 348-349, 453; JoA.. Il, 92-96.
:i. Corippus fait sur ceUe tactique d'intolérable» jeux d'esprit (Jo/i., Il, 397-
A. jQh., IV, 598-605, 613-618.
5. W., IV, 623-626; Bell. Vand., p. 4n3.
6. Btll, Vand,, p. 453; Joh., IV, 808 seq.
7. BHL Vand., p. 456.
8. Joh., IV, 655-637.
9. ld„ IV ,1680-683.
LA PACIFICATION DE L'AFRIQUE PAR SOLOMON 61
en face des chameaux furieux, les chevaux se dérobent ou se
cabrent \ elles fantassins, sortant de leur abri, s'élancent sur
les cataphractaires démontés ou rompus, tandis que les Ber-
bères, descendant des hauteurs, viennent par leurs charges
achever la déroute.
Pour compléter ces indications, il ne sera point superflu
peut-être de résumer le tableau de quelqu'une de ces grandes
batailles africaines, tel que Corippus Ta tracé dans son poème.
Sans doute il y aurait quelque témérité à chercher dans les
vers de la Johannide un rapport pleinement fidèle et parfaite-
ment exact, tel qu'au lendemain du combat le peut faire un
général victorieux. Assurément, les grands coups d'épée des
héros byzantins, les duels magnifiques où les injures alternent
avec les passes d'armes appartiennent à l'arsenal de procédés
ordinaire aux faiseurs d'épopée. Mais si les détails sont de
pure invention poétique, la physionomie générale de la ba-
taille est bien rendue et rigoureusement vraie : la plupart des
traits s'en pourraient découvrir isolés dans Procope; dans
Corippus ils se trouvent rassemblés et groupés le plus heu-
reusement du monde pour nous faire saisir au vif ce qu'était
la tactique indigène.
Voici par exemple une surprise de cavalerie '. A l'approche
de Tarmée byzantine, les Maures ont gagné le sommet des
collines, dissimulés derrière un rideau de forêts où flambent
de larges incendies. L'avant-garde grecque, chargée d'explo-
rer le terrain et de reconnaître les positions de l'ennemi, s'en-
gage dans la plaine : alors quelques cavaliers indigènes
descendent des hauteurs, et, poussant de grands cris, lancent
leurs chevaux au galop vers les lignes de l'adversaire ; et peu
à peu des masses de cavalerie plus profondes débouchent sur
le terrain, sans paraître pourtant rechercher la bataille. A cette
vue, les troupes byzantines s'arrêtent, prêtes à se replier sur
le principal corps d'armée : mais alors de toutes parts les esca-
1. Bell. Vand , p. 457.
2. Jo/t, 11, 162 26.;.
62 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
drotis berbères se précipitent dans la plaine, faisant tourbil-
lonner autour des lignes romaines leurs légers chevaux nu-
mides, s'efforçant d'envelopper le détachement ennemi et de
lui couper la retraite. Une terrible mêlée s'engage, où Ton
ne combat plus qu'avec Tépée : et sous la masse toujours crois-
sante (le leurs adversaires, les cavaliers byzantins écrasés se
replient tant bien que mal vers une hauteur voisine, et s'ap-
prêtent à vendre chèrement leur vie, quand fort heureusement
le gros de l'armée accourt pour dégager son avant-garde.
L'affaire est manquée, et sans plus attendre, les Berbères
•prennent la fuite et regagnent le sommet des collines.
La grande bataille du livre IV de la Johannide est peut être
plus instructive encore. En face des lignes byzantines, les
Berbères ont construit un énorme camp circulaire, formant
avec leurs chameaux et leurs troupeaux de bêtes un rempart
que défend Tinfanterie : une partie de la cavalerie se tient en
réserve fiur les collines ; le reste- commence l'action en cou-
vrant de javelots les lignes byzantines, et, suivant l'usage, le
combat s'engage à. distance entre les deux cavaleries *. Bien-
tôt, en une charge furieuse, les Berbères se jettent sur les
escadrons grecs : repoussés en désordre, ils tournent bride et
se replient au galop sur leur infanterie, entraînant en une
poursuite folle les Romains à leur suite jusqu'à la lisière
même du camp; mais là, ils se reforment, de nouveau ils
recommencent la charge , et une vaste mêlée de cavalerie
s'engage dans la plaine. Enfin les Maures en déroute sont ra-
menés jusque dans leurs retranchements, et la bataille semble
perdue^ quand des hauteurs, d'où elle observait la lutte, la
réserve se porte d'un élan furieux sur le flanc des troupes by-
zatHines, qui, surprises, affolées, s'enfuient en désordre,
abandonnant leurs chefs au milieu du combat. Pourtant, grâce
aux efforts des officiers grecs, la bataille se rétablit, et re-
prend plus ardente devant le camp berbère. Retranchés dans
leur citadelle vivante, les indigènes font une défense désespé-
t Joh,. W, 619-1171
LA PACIFICATION DE L'AFRIQUE PAR SOLOMON 03
rée : les femmes, les enfants, les vieillards, toul le monde
prend pari à la lutte ; on repousse les assaillants à coups de
pierre, on les écrase sous d'énormes meules, on leur jette des
masses de plomb et des torches enflammées, tandis que l'infati-
gable cavalerie maure prodigue les sorties et déploie, à la voix
de ses chefs, un courage auquel ses adversaires mêmes ren-
dent hommage ^ Mais enfin on les refoule; et à grands coups
d'épée les Byzantins s*ouvrent un passage à travers les vivants
remparts *. Les chameaux, le jarret coupé, s'abattent sur le
sol, les bêles se dispersent et s'enfuient : alors de toutes parts,
les troupes pénètrent dans le camp forcé, massacrant tout ce
qu'elles rencontrent, pillant tout ce qu'elles trouvent, cepen-
dant qu'à travers la plaine s'enfuient les débris de l'armée ber-
bère, poursuivis jusqu'à la tombée de la nuit par les escadrons
byzantins.
J'ai insisté — un peu longuement peut-êlre — sur ces dé-
tails si curieux et si pittoresques. C'est qu'en effet, dans ces
indigènes si différents d'eux-mêmes, les Grecs ont rencontré,
jusqu'à la conquête arabe, les seuls, mais constants, adversaires
de leur domination, ils ont pu réussir à les vaincre, ils ont
pu parvenir à paralyser leurs attaques par une solide chaîne
de forteresses, ils ont pu même les réduire momentanément à
une vassalité transitoire : toujours ils ont dû reprendre contre
eux les armes, toujours ils ont trouvé en eux l'obstacle irré-
ductible à l'occupation totale de l'Afrique. C'est pourquoi,
dès celte première guerre, qui est en quelque manière le pro-
totype de tant d'autres, il n'était point inutile de marquer en
quelques traits les habitudes militaires des deux adversaires,
d'expliquer leurs méthodes de combat, de faire comprendre
le caractère de leurs luttes : dans ce tableau général on trouve
en effet, avec Texplication de plus d'une défaite subie par les
impériaux, comme une image réduite de ces guerres inces-
santes qui ont ensanglanté l'Afrique byzantine.
l.Joh., IV, 30-33. •
2. Cf. Bell. Vand., p 457.
64 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Ou conçoit qu'avec do tels ennemis, d'un courage éprouvé,
d'uno obstination sans égale, la lutte qui commençait mena-
çûL d'être interminable. D'ailleurs, avec ces populations no-
mades, qu'on ne savait où frapper sûrement, les actions les
plus décisives en apparence demeuraient sans résultat : après
chaque bataille gagnée, tout était à recommencer; et Ton
avait à peine eu le temps de célébrer la victoire, que du désert,
où les vaincus s'étaient dérobés à la poursuite, une nouvelle
invasion s'abattait sur la Byzacène ou la Numidie*, Enfin,
pour commencer leurs < attaques, les indigènes choisissaient
d'oi dioaire la saison la plus chaude *, et lorsque, pendant plu-
sieurs jours de suite, le sirocco soufflait en brûlantes tempêtes',
on jutre si la marche devenait dure et la bataille pénible pour
les cataphraclaires impériaux tout couverts de fer, pour la
lourde infanterie succombant sous le poids de ses armes.
Fort heureusement, Téternel manque d'union qui a, en tout
temps, fait avorter tous les soulèvements berbères, devait,
comme il avait jadis servi les affaires de Rome, profiter aussi
aux Byzantins*. Au vi*' siècle, comme autrefois, d'incessantes
rivalités armaient les tribus l'une contre l'autre; des haines
farouches divisaient les grands chefs, et jusque dans la même
famille existaient des inimitiés irréconciliables, conséquence
des tragédies domestiques qui plus d'une fois y avaient fait
couler le sang. Grâce à ces divisions constantes, pas une fois
les indigènes ne surent réunir leurs forces dans un soulève-
ment général : au contraire, il suffit de l'insurrection d'un
chef, pour que l'autre demeure neutre ou vienne offrir ses ser-
vices à l'empereur; souvent même les indigènes provoquent
et sollicitent Tintervention byzantine. Le roi de l'Aurès, lab-
das, n'a pas de plus cruel adversaire que son beau-frère Mas-
sonas" ; le chef du Hodna, Orthaias, est l'ennemi juré de soa
1. ffeil. Vand., p. 458; Joh , VI, 58-127.
2. Deil. Vand., p. 464; Joh., VI, 247, 256-257.
3. Joh., VII, 370-373.
4. Sur ce manque d*auioQ, cf. llanoteau et Letourneuz, La iiTafty^te, t. H, 1>4.
6. SeU, Vand., p. 465.
LA PACIFICATION DE L'AFRIQUE PAR SOLOMON 65
paissant voisin * : et pourquoi? C'est que l'un a un meurtre à
venger, l'autre une longue suite de razzias heureuses à faire
expier à son rival. En Byzacène, Antalas et Coutsina se dé-
testent au point de ne pouvoir servir sous les mêmes drapeaux,
et pendant quinze ans on les voit constamment changer de
parti et d'attitude, suivant que l'un d'entre eux abanduaueou
sert les Byzantins*. Que Tinsurrection essayée avorte, que les
révoltés se fassent écraser, que l'autorité byzantine s'accroisse,
peu leur importe, s'ils peuvent satisfaire à ce prix leur ven-
geance et leur haine : pendant qu'en 534, Coutsina et ses
confédérés se soulèvent, les tribus d'Antalas ne font pas un
mouvement*. Enfin, parmi les insurgés mêmes, nulle entente,
nulle action commune. labdas fait des razzias en Numidie,
sans s'inquiéter si les Byzantins taillent en pièces les Berbères
de la Byzacène *; de leur côté les gens de la Tripolilaine com-
battent séparément sans prendre souci de leurs alliés. C'est
à cette absence d'union, à ces divisions éternelles que la do-
mination byzantine dut ses succès principaux et sa longue du-
rée : toujours en effet, la bravoure des soldats impériaux put
vaincre en détail ces adversaires incapables de concert; tou-
jours la diplomatie de leurs généraux sut trouver des partisans
parmi ces grands chefs, plus soucieux de leurs ambitions ou
de leurs haines que de l'indépendance de leur pays ^
II
L'insurrection de 834 commença, suivant l'usage, par d'au-
dacieuses razzias dans le pays ouvert ^ Les postes byzantins
!. Bell. Vand., p. 463.
2. Partsch, l. c, XXVU-XXVIU.
3. BelL y and., p. 462.
4. Id., p. 462, 464-465.
5. Les traités de tactique recommandent, au reste, comme un moyen sûr de
victoire, d'entretenir, à force de cadeaux et de promesses, des divisions parmi
les ennemis [Slrateg., VU, I, p. 136).
6. Bell, Vand., p. 444, 448, 463.
1. 5
66 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
de la frontière se laissèrent enlever ou surprendre; la popu-
lation des campagnes, ne trouvant nulle forteresse où chercher
un refuge, fut massacrée ou réduite en esclavage : et bientôt
plus de 50,000^ Berbères coururent la Byzacène^ sous les
ordres de quatre chefs, Coutsina, Esdilasa, loupbrout et He-
desinissa*. C'étaient là d'inquiétantes nouvelles : bientôt un
incident plus grave acheva d'alarmer les esprits. Un corps de
cavalerie de plus de 500 hommes, troupe d'élite commandée
par deux officiers solides, jadis attachés à la personne de
Bélisaire, était cantonné en Byzacènes: ce détachement es-
saya de faire tète à l'ennemi, et un moment il sembla y réus-
sir; mais bientôt, attaqués par des forces supérieures, cernés
de toutes parts dans un étroit défilé, les cavaliers byzantins,
après une résistance héroïque, succombèrent sous le nom-
bre; la plupart d^entre eux restèrent sur le champ de bataille ;
quelques-uns, moins heureux, tombèrent au pouvoir des in-
digènes, et parmi eux Tun des commandants du détachement.
C'était un prisonnier de marque : tout aussitôt il fut massacré,
et sa tète promenée, comme un trophée de victoire, à travers
les camps berbères. La nouvelle de ce désastre jeta la panique
à Carthage : et on le comprend sans peine, si Ton songe à l'é-
moi que produirait, dans notre Algérie française, au début
d'un soulèvement, l'annonce de la destruction totale d'un
de nos régiments de cavalerie \ En même temps on appre-
nait que la Numidie était envahie, et que 30,000 hommes
d'Iabdas, descendus de l'Âurès,' parcouraient sans trouver
d'obstacle toute l'étendue des hauts plateaux*. Du coup, l'ar-
mée byzantine, déjà si ébranlée, acheva de perdre toute con-
fiance*, et son nouveau chef lui-môme, placé dès sa prise de
commandement en d'aussi difficiles conjonctures, s'effrayait
1. Bell, Vand., p. 454.
2. /d., p. 448.
3. Id., p. 447, 449. Sur le chiffre des troupes byzantines, id., p. 454.
4 W., p. 447.
5. W., p. 447, 463.
6. W., p. 454.
LA PACIFICATION DE L'AFRIQUE PAR SOLOMON CI
non sans raison de la lourde responsabilité qui lai incombait ^
Solomon disposait pourtant de forces assez importantes. Il
conservait avec lui la presque totalité du corps expéditionnaire,
Bélisaire s'étant décidé, au moment de partir, à lui laisser la
plus grande partie de la cavalerie d'élite qu'il comptait d'abord
emmener à Constantinople ' ; de plus, l'empereur avait senti
la nécessité de renforcer l'armée d'occupation, et des troupes
fraîches étaient en route et sur le point d'arriver '. Le général
byzantin allait donc avoir à ses ordres tout près de 18,000
hommes^ : toutefois la nécessité de faire un détachement en
Numidie, l'obligation de laisser des garnisons dans un certain
nombre de villes diminuaient assez sérieusement l'effectif de
l'armée combattante. Cependant Solomon n'hésita point : rap-
pelant à lui toutes les unités disponibles, se contentant d'as-
surer sérieusement la défense de Carthage, il marcha à Tennemi
avec le reste de ses forces.
Il trouva les Berbères en Byzacène, campés, sous les ordres
de leurs quatre chefs, dans la grande plaine de Mamma^ A
la vue de la petite armée byzantine, qu'ils jugeaient — non
1. BelL Vand., p. 447.
2. Id., p. 444.
3. Id., p. 444.
4. On obtient ce total de la façon suivante. Au moment du soulèvement
militaire de 536, c^est-à-dire après les pertes de la campagne de 534-535, les
forces byzantines se décomposent ainsi : 8,000 hommes insurgés avec Stotzas
(fîeZ/.Fand.,p.475),2,000 en garnison à Carthage (»d.,p. 475-476), plus les trou-
pes détachées enNumidie (id.,p. 474-475, 481)« formant environ 3,000 hommes,
plus les garnisons des autres villes {id., p. 4S3), dont on peut déterminer à
peu près le chiffre. En 537, en effet, Germanos constate que les insurgés, gros-
sis des troupes de Numidie, comprennent les deux tiers de Tancienne armée
d* Afrique : on obtient ainsi, pour les garnisons demeurées fidèles, en y com-
prenant celle de Carthage, environ 5,500 hommes. Cela fait un total de
16,500 hommes, qaon peut pousser à 18,000 pour le début de la campagne de
534.
5. L'emplacement est inconnu. Pourtant la même plaine est mentionnée dans
Corippus (/o^., VU, 283), et la ville de MaiipLtjç est nommée parmi celles que
Jttstinien fortifia (Proc, Aed., 342). Elle était au milieu d'une plaine entourée
de hantes montagnes (Bell. Vand., p. 453). On verra plus bas qu'il faut la cher-
cher sans doute entre Sbiba et Kairouan.
68 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
sans raison — assez démoralisée par les premiers succès de
l'insurrection *, les indigènes se crurent de force à accepter
la bataille ; et formant avec leurs chameaux un vaste camp
circulaire, confié à la défense de Tinfanterie, plaçant en réserve
sur les hauteurs une bonne part de leur cavalerie, ils atten-
dirent Tattaque. Solomon avait trop peu de troupes pour
assaillir sur toutes ses faces Ténorme retranchement; de plus
il ne voulait point s'engager entre Tennemi et le pied de la
montagne, craignant — et à juste titre — d'exposer son flanc
ou ses derrières à la charge des escadrons berbères. Il jugea
donc préférable d'essayer^ par un assaut vigoureux, de rompre
sur un point les lignes de ses adversaires, espérant bien qu'un
premier succès suffirait à déterminer la déroute ; et avec toute
sa cavalerie il se porta en avant. Mais à la vue des chameaux,
les chevaux de l'armée byzantine s'affolèrent, le désordre se
mit dans les rangs, et l'infanterie maure, sortant de ses abris,
commençait le massacre, lorsque Solomon, sautant à bas de
cheval, ordonna à son monde de mettras pied à terre. Â Tabri
de leurs grands boucliers, les lignes grecques se reformèrent,
tandis que le général, à la tête de cinq cents hommes d'élite,
s'élançait l'épée à la main sur les chameaux qui formaient
l'obstacle ; plus de deux cents de ces bêtes tombèrent^ le camp
était forcé. Alors, abandonnant leurs femmes, leurs enfants,
leurs troupeaux, les Berbères épouvantés prirent la fuite sans
résister davantage, poursuivis jusqu'au pied des montagnes
par la cavalerie byzantine. Ils laissaient, s'il en faut croire
Procope ', dix mille morts sur le terrain : quoi qu'il faille
penser de ce chiffre, probablement fort exagéré, tout au
moins un énorme butin tomba aux mains du vainqueur.
Après un succès aussi complet qu'inespéré, on devait s'at-
tendre à voir l'armée byzantine pousser ses avantages : au lieu
de cela, Solomon rentra tout droitàCarthage». Croyait-il que
1. Sur la bataUle, Bell, Vand., p. 453-458.
2. Bell. Fand., p. 458.
3. Id, y p. 458.
LA PACIFICATION DE L'AFRIQUE PAR 80L0M0N [69
la sévère leçon qu'ils venaient de recevoir suffirait 'à faire
tomber les armes des mains des indigènes? la chose semble
assez peu vraisemblable, et l'on verra Tannée suivante le gé-
néral byzantin prendre, après la victoire, de bien autres me-
sures de pacification *. Il est donc probable que d'autres rai-
sons déterminèrent ce rapide retour : d'une part la mauvaise
saison commençante — on était à la fin de l'année 534 — ne
se prêtait guère à une longue campagne'; d'autre part les
nouvelles de Numidie étaient inquiétantes et il fallait de ce
côté aussi prévoir de graves événements; enfin l'armée, déjà
sourdement mécontente, prétendait sans doute, suivant l'u-
sage'.mettre tout d'abord en sûreté le butin qu'elle avait fait.
Quoi qu'il en soit de ces conjectures, on avait en somme paré
au danger le plus pressant ; la victoire de Mamma avait mo-
mentanément dégagé la Byzacène tout entière^ : Solomon se
contenta de ce résultat.
Les effets ne s'en firent pas longtemps sentir. A peine le
gouverneur était-il rentré à Garthage, que les indigènes^ plus
exaspérés qu'assagis par leur défaite, recommencèrent en plus
grand nombre qu'auparavant des razzias en Byzacène ^ Il
fallut, sans tarder, reprendre la campagne : c'était dans les
premiers mois de 535. Mais cette fois les indigènes avaient
profité de leur précédent échec : quand Solomon les rejoignit
aux environs dumontBurgaon", il eut beau pendant plusieurs
jours leur offrir la bataille, les Maures refusaient de des-
cendre dans la plaine''. Ils occupaient au flanc de la mon-
i. Bell. Vand., p. 462.
2. Cf. id., p. 468, où cette raison met fin à la campagne.
3. Cf. id., p. 424.
4.0e//. Fam/., p. 458.
5. Id., p. 458.
* 6. Sur la bataille, Beli. Vand.,^, 458-462. Sur l'emplacement, Tissot, I,p. 34.
On veut voir dans cette montagne le Djebel Bou Ghanem ; mais Procope,
p. 459, dit qu'elle se trouve êv x<^P^<p ^piq(i(d : cette indication convient-elle à
l'emplacement signalé? En tout cas, il faut chercher le lieu du combat assez
an sud et non loin des frontières de Numidie.
7. Bell. Vand., p. 458. Cf. p. 465.
70 HISTOIRE DE L\ DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
lagne une formidable position : couverts du côté du sommet
par la difficulté du terrain, qui rendait les crêtes presque
inaccessibles, commandant toutes les pentes qui s'abaissaient
vers la vallée, ils se croyaient inexpugnables. Le général by-
zantin ne laissait pas d*être embarrassé : son armée, mal ravi-
taillée, commençait à murmurer*; et d'autre part l'effectif
très considérable des forces berbères rendait fort périlleuse
une attaque de front '. Solomon s'en tira par un coup d'audace :
pendant la nuit, il réussit à faire escalader, par un millier
d'hommes choisis, les sommets abrupts qui dominaient le
camp indigène; et au matin, au moment où les tribus voyaient^
avec une stupeur joyeuse, les troupes byzantines s'élever,
comme pour Tassant, sur les premières pentes de la montagne,
tout à coup elles s'aperçurent qu'elles étaient prises entre
deux adversaires. Alors ce fut une folle déroute à travers les
escarpements du Burgaon'; cavaliers et fantassins mêlés se
renversaient, s'écrasaient, se tuaient les uns les autres, com-
blant de leurs cadavres les ravins de la montagne, au point
qu'on parla de 50,000 Maures disparus dans le désastre^; cette
fois encore, le butin fut énorme, et la masse des captifs si con-
sidérable, qu'un enfant maure, dit Procope, se vendait au
même prix qu'un agneau ^ Mais cette fois du moins, des me-
sures sérieuses furent prises pour achever la victoire. L'un
des chefs insurgés, Esdilasa, tombé au pouvoir du vainqueur,
fit sa soumission et fut interné à Carthage; ses confédérés
furent refoulés hors des limites de la Byzacëne ; d'ailleurs,
complètement décimés par le désastre et craignant les ven-
geances des populations qu'ils avaient tant de fois pillées, ils
abandonnèrent sans peine leurs terrains de parcours et s'en-
fuirent en Numidie^. labdas les accueillit, leur donna des
i. BelL Vand , p. 439.
2. Id , p. 459.
3. Id., p. 461-462.
4. M, p. 462.
5. Id., p. 462.
6. M., p. 462.
LA PACIFICATION DE L'AFRIQUE PAR SOLOMON 71
terres, peut-être du côté de Timgadou de Lambëse', et nous
les retrouverons plus tard au cours de cette histoire : quant
aux tribus demeurées dans le pays, elles furent placées sous
la haute autorité d'Antalas, un grand chef dont le dévouement
et la fidélité ne s'étaient point démentis pendant le soulève-
ment*. La Byzacène était pacifiée.
Le moment était venu d'agir en Numidie. Pendant Tété de
535, labdas, roi de TAurès, avait profité des embarras des
Byzantins ^ pour razzier les hauts plateaux : avec sa nom-
breuse cavalerie, il avait poussé jusqu'aux limites du Tell,
sans que les faibles garnisons grecques qui occupaient quel-
ques postes sur cette frontière pussent sérieusement songer à
arrêter ses ravages *. Il était grand temps de punir ces inso-
lences. Les circonstances d ailleurs semblaient favorables :
plusieurs grands chefs indigènes, Orthaias, qui commandait
dans le Hodna, Massonas, qui occupait une partie de la Mau-
rétanie, sollicitaient les secours de Solomon contre leur puis-
sant voisin, et promettaient d'unir leurs contingents aux
troupes du général byzantin ^ Aussi, dans les derniers mois
de Tannée 535, Solomon se décida à entreprendre Texpédition.
Il aborda TAurès par Test, par la région de Khenchela, comp-
tant^ selon toute vraisemblance, pénétrer dans la montagne
par la grande vallée de TOued el Arab*. Mais, peu familiarisé
encore avec la tactique des indigènes, persuadé qu'Iabdas
s'empresserait d'offrir la bataille pour empêcher l'invasion de
son territoire, convaincu au reste qu'un seul engagement suf-
i. Pantch, /. c, XVIII. Sur cet usage d^acc.ueillir les vaincus, Haooteau et
Letourneux, l. c, II, 14-15.
2. Befl. Vand., p. 462.
3. /d., p. 465.
4. Il faut noter pourtant l'exploit d'Althias àTigisis {Bell. Vand., p. 463464);
Tîssot, U, p. 422-423, suivant Poulie (Rec. de Const., 1878, p. 375-376), place à
tort cet épisode en 539.
5. Bell. Vand,, p. 465.
6. 7d., p. 465. L'Abigas est en effet l'Oued Bou Rougal qui coule dans la plaine
de Bagai.
72 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
lirait à terminer la guerre*, il se mit en route avec une colonne
de cavalerie assez nombreuse, mais approvisionnée pour quel-
ques jours seulement ^ On s'aperçut bientôt de l'erreur com-
mise : pendant toute une semaine, par des chemins difficiles,
la colonne marcha sans pouvoir joindre l'ennemi ; à mesure
que les Byzantins avançaient, les montagnards se dérobaient
devant eux, se contentant de multiplier sur leur route les
difficultés, mais sans consentir jamais à accepter le combat*.
Par les auxiliaires indigènes qui servaient dans l'armée grec-
que, labdas était d'ailleurs fort exactement informé de la si-
tuation de ses adversaires; il savait que leurs vivres dimi-
nuaient, que la famine allait les obliger aune prompte retraite^:
aussi les laissa-t-il, sans bouger, se déployer trois jours de suite
en ordre de bataille ; il n'avait garde de renouveler l'impru-
dence qui avait coûté si cher aux tribus de la Byzacène. Abso-
lument déconcertés par cette méthode nouvelle pour eux, les
Byzantins commencèrent à se décourager, bientôt à s'inquié-
ter : dans ce pays malaisé, ils avaient pour seuls guides leurs
alliés berbères ; ne risquaient-ils point d*ètre trahis par eux
et jetés en quelque embuscade? Pour encourager le zèle de
ces auxiliaires, Solomon ne leur avait pas ménagé l'argent*;
mais, au vrai, ces gens ne rendaient aucun bon service, n*ap-
portant, lorsqu'on les envoyait en éclaireurs, nul renseigne-
ment précis, retardant la marche des troupes plus qu'ils ne la
guidaient, peut-être même s'entendant avec labdas et lui fai-
sant chaque jour passer de précieux renseignements. £t les
soldats, pleins de défiance à l'égard de ces alliés qu'ils ne
connaissaient pas, se répétaient que les Maures étaient une
race perfide, qu'il fallait de leur part s'attendre à tout dans
une expédition dirigée contre leurs frères^; d'ailleurs, les
1.
Bell. Vand., p.
466.
2.
M.,
p.
466-467.
3.
/d.,
P-
465, 467.
4.
Id„
P
467.
5.
là.,
P-
466.
6.
Id.,
P-
467-468.
LA PACIFICATION DE L'AFRIQUE PAR SOLOMON 74
vivres manquaient, la mauvaise saison était venue ^ Solomon
lui-même, inquiet, découragé, comprit qu'il fallait battre en
retraite ; en toute hâte on regagna la plaine. L'expédition
avait échoué*.
Ce n'était là, dans la pensée de Solomon, qu'un échec pas-
sager, qu'il comptait bien réparer dès le prochain printemps^
Aussi, à peine rentré à Carthage, s'occupa-t-il à préparer une
nouvelle expédition : mais la campagne précédente lui avait
servi de leçon : il sentait que^ pour soumettre l'Aurès, il fallait
autre chose qu'une simple colonne volante; surtout, il com-
prenait quel danger il y avait à employer des auxiliaires ber-
bères, et en conséquence, il organisait ses armements, de ma-
nière à se passer de ce périlleux concours*. Tout à la fois, il
déployait une activité prodigieuse pour assurer la sécurité du
vaste gouvernement qui lui était confié. En même temps qu'il
envoyait une escadre et un corps de troupes rétablir la paix
en Sardaigne\ il se préoccupait d'organiser solidement la dé-
fense de la Numidie byzantine. Dès la fin de 535, au retour de
l'expédition de l'Aurès, il avait laissé un important détachement
en garnison dans la province*; mais, malgré cette augmenta-
lion du corps d'occupation, la frontière demeurait ouverte aux
razzias des Berbères. Solomon la ferma par la construction
d'une série de citadelles. Sur toute la lisière méridionale de
cette région, parallèlement au tracé de la grande route de
Carthage à Constantine, s'éleva une barrière de places fortes
redoutables, destinées à renforcer et à relier entre eux les
quelques postes déjà construits par les ordres de Bélisaire. De
cette époque datent incontestablement, pour citer les prin-
cipaux seulement, la redoute de ïagoura^ le curieux château
1. BeM, Vand,, p. 468.
2. W., p. 468.
.3. /d., p. 4Ô8.
4. Id., p. 468.
5. Id., p. 468-469.
6. Id,, p. 468.
1. C. /. L., Vl[i, 16851; Tissot, H, 383.
74 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
de Madaure*, rimportante forteresse de Tipasa, dominant la
grande et fertile plaine de Dréa ; avec le poste d'Ad Centena-
rium (KevToupiat) * et la ville forte de Tigisîs •, ces places fer-
maient absolument l'accès du Tell aux nomades du sud et
constituaient contre les montagnards de l'Aurès une solide
hase d'opérations. Enfin Solomon ne s'inquiétait pas moins
de protéger la Byzacène pacifiée et soumise ; la construction
de la citadelle de Théveste, qui date de cette époque*, atteste
dès ce moment ses efforts pour empêcher toute attaque des
trihus numides sur le pays byzantin.
Dans son ardent désir de reconquérir sans tarder les pro-
vinces qui jadis avaient formé l'Afrique romaine, Solomon,
comme l'empereur son maître, se flattait de quelques illusions.
A tous deux le souvenir des succès triomphants remportés en
Byzacène avait bien vite fait oublier le léger insuccès de l'Aurès.
Élevé, en récompense de ses victoires à la haute dignité de
patrice^, le général byzantin voyait déjà toute l'Afrique à ses
pieds, et fièrement il rappelait sur les murs de Théveste « la
nation maure tout entière détruite par le bras de Solomon »\
A Constantinople, on s'exaltait bien davantage encore. Dès le
mois de janvier 538, après la victoire de Mamma^ Justinien
déclarait que Vandales et Maures étaient soumis à l'autorité
impériale \ et se félicitait de la grande paix qui régnait en
Afrique*. Quoiqu'il eût fallu par la suite rabattre un peu de
l." C. /. L., VIII, 4677.
2. Cf. Tissot, II, 424.
3. Bell. Vand., p. 463.
4. C. /. L,, VllI, 1863. Ck)mme à Madaore, nnscription iotitule Solomon ma-
gister mililum et praefettus Libyae, Les inscriptioDS du second gouveme-
ment portent toutes : bis praefeclus.
5. Le fût résulte delà comparaison de C. /. L., VIII, 4677 et 1863. Les deux
textes datent du premier gouYernement ; mais dans l'un (Madaure) on ne
trouTe point le mot palricius^ qui figure à Théveste. Solomon obtint donc ce
titre au cours de son premier gouvernement, probablement après les snccës
de 535.
6. C. /. I., Vin, 1863.
7. Nov. 1, praef.
8. Nov. 36, praef. Solomon dit la m^me chose ft ses soldats. Bell. Vand.<,
p 460.
LA PACIFICATION DE L'AFRIQUE PAR SOLOMON 75
ces assertions pompeuses', pourtant la confiance était rapide-
ment revenue. Au mois d'avril 536, Tempereur remerciait le
cielqui lui avait permis de « soumettre les Vandales,les Alains et
les Maures, et de recouvrerrAfrique tout entière», et il ajoutait:
« Nous avons bon espoir que Dieu nous accordera également
de conquérir les autres pays que les anciens Romains ont pos-
sédés jusqu'aux limites des deux océans, et que leur négligence
a plus tard laissé perdre; et avec l'appui céleste, nous nous
efforcerons d'en améliorer la condition*. » Or, au moment
même où Justinien signait ce rescrit tout rempli de belles es-
pérances, de graves événements éclataient à Garthage et une
formidable insurrection militaire, qui mettait en question
l'existence même de la domination impériale, retardait de
trois ans la pacification de TAfrique.
III
Malgré ses éminontes qualités de général et d'administra-
teur, ou plutôt peut-être à cause d'elles, Solomon n'avait
point réussi à se faire aimer des soldats. Exigeant beaucoup
des troupes, très dur dans le service, plus préoccupé de veil-
ler aux intérêts généraux de l'État que de donner satisfaction
à Tavidîté ou à la mollesse de l'armée % il était incontestable-
ment fort peu populaire. Même son entourage immédiat, pour
lequel il n'avait pas plus de complaisance que pour le reste des
troupes, semble lui avoir été assez médiocrement attaché : les
gens de sa maison, les soldats choisis de sa garde, les officiers
de son état-major lui sont pour la plupart fort peu dévoués^ ;
1. Nov. 8, 10, 2 (mai 535), où Tempereur se borne à dire : Vandalos in servi-
iuUm redegimus.
2.N0V, 30, 11,2.
3. BelL Vand., p. 470. II est probable que les plaintes au sujet du butin se
rapportent à des faits du même ordre (cf. Bell, Vand., p. 482), Solomon voulant
sans doute, comme il fit en 539, l'employer à bâtir des forteresses (0e/Z. Vand.^
p. 501).
4. BelL Vand., p. 472.
76 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
le principal de ses lieutenants est en hostilité ouverte avec
lui*; et un complot formidable pourra se nouer contre sa vie,
sans que, parmi les nombreux affiliés, il se rencontre — chose
significative — une seule personne pour l'avertir*. Sous un
tel chef, toutes les causes de mécontentement qui germaient
sourdement devaient bien vite grandir : et en effet, pendant
rhiver de 535-536, Tesprit d'indiscipline, qui depuis long-
temps déjà travaillait Tarmée byzantine, s'accrut, dans Tinac-
tion des camps, d'une manière inquiétante^ Les fatigues mul-
tipliées des précédentes campagnes, la perspective prochaine
d'une nouvelle et pénible expédition donnaient au soldat le dé-
goût du service militaire*; les retards infinis apportés au
paiement de la solde ^ augmentnient sa mauvaise volonté.
Assurément ces retards n'étaient guère imputables à Solomon.
Dans l'enthousiasme des premiers succès, Justinien avait
décidé que les frais d'entretien des troupes et de l'administra-
tion impériale seraient pris sur les impôts de la province
d'Afrique* : or ces impôts, rentraient fort mal et le trésor était
à peu près vide ; mais le soldat ne s*en inquiétait guère et ré-
clamait son dû. Enfin le butin considérable fait dans la cam-
pagne de 535 ne semble pas avoir été partagé d'une façon
absolument équitable : du moins les hommes se plaignaient
d*ètre lésés dans leurs droits, et d'avoir été spoliés de ces dé-
pouilles, « dont la loi de la guerre, disaient-ils, afait la récom-
pense des dangers courus dans les combats\ » D'autre part,
les efforts mêmes de Solomon pour réorganiser la province
conformément aux instructions impériales tournaient contre
lui : la reprise des terres vandales par l'État ou par les anciens
1. Bell. Vand., p. 473.
2. /d., p. 472.
3. C'est pour éviter des daDgers de cette sorte que les traités de tactique
rpcommaDdent de disperser les troupes [Straleg,, I, 9, p. 40).
4. RelL Vand., p. 478, 482.
5. /d., p. 4S2.
6. Cad. Just., I, 27, 2, 18.
7. Bell. Vand., p. 482.
LA PACIFICATION DE L'AFRIQUE PAR SOLOMON 77
détenteurs soulevait de grosses difficultés'; les soldais pré-
tendaient avoir leur part, et ils étaient excités dans ces reven-
dications par les femmes vandales qu'ils avaient épousées,
furieuses de se voir évincer des domaines qu'elles possé-
daient avant la conquête*. L'application des lois contre les
dissidents soulevait d'autres colères : il y avait dans l'armée
byzantine un assez grand nombre d'hommes de confession
arienne; ces gens s'inquiétaient pour eux-mêmes des édits
intolérants de l'empereur; ils compatissaient aux misères de
leurs coreligionnaires africains, ils prêtaient l'oreille à leurs
plaintes et aux suggestions de leurs prêtres'. L'approche des
grandes solennités de Pâques exaspérait encore ces senti-
ments, en faisant plus vivement sentir aux non-conformistes
Texclusion dont ils étaient frappés \ Aussi on s'agitait dans
les camps, et avec d'autant plus de liberté qu'entre les grands
chefs de l'armée régnait, au su de tous, une mésintelligence
profonde, et que les soldats se vantaient de trouver, dans
Tétat-major même, des appuis contre Solomon. De la coali-
tion de tant de mécontentements, d'ailleurs habilement exploi-
tés par quelques ambitieux, naquit sans peine une formidable
conspiration : on devait profiler des fêles de Pâques pour*
assassiner, dansune des églises de Carthage, le général en chef,
etlesuccès semblait d'autant plus assuré que, dans l'entourage
même du patrice, la plupart des gardes et des officiers étaient
gagnés au complot*. Le secret — chose prodigieuse — avait
été scrupuleusement gardé; mais au dernier moment les con-
jurés hésitèrent, soit qu'ils fussent effrayés par la sainteté du
lieu où il s'agissait de commettre le meurtre, soit plutôt qu'un
dernier reste de respect les empêchât d'attenter à la personne
de leur glorieux chef; deux jours de suite ils reculèrent au
moment décisif, puis craignant de s'être trahis par ces allées
1. Cf. Nov. 36 et les modifications qu'elle apportait à i*<'!dit de 534.
2. Beii. Vand., p. 470.
3. /d., p. 470-471.
4. W., p. 471-472.
5. W., p. 472.
78 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
et venues suspectes, et plus encore par les reproches véhé-
ments qu'ils s'étaient faits publiquement de leur lâcheté, ils
quittèrent Garthage en grand nombre, et, jugeant qu'ils
n'avaient plus rien à ménager, ils se mirent à vivre sur le
pays^ On étaitau mois de mars S36'. Solomon, tout surpris
d'un événement si grave et si inattendu, tenta du moins de
retenir dans le devoir les troupes demeurées dans la ville :
et d'abord il crut y réussir. Mais bienlôt^ voyant qu'aucune
mesure n'était prise contre les révoltés, ces régiments, tous
affiliés d*ailleurs à la conspiration', se soulevèrent à leur
tour. En vain, pour essayer de les apaiser, Solomon leur fit
porter de bonnes paroles par Théodore de Cappadoce, l'un de
ses lieutenants : les soldats, qui, à tort ou à raison, croyaient
cet officier en mauvais termes avec le patrice, ne s'en laissèrent
pas imposer ; à grands cris ils le proclamèrent leur chef, et se
ruant hors de l'hippodrome, ils marchèrent en masse sur le
palais*. Inutilement quelques officiers dévoués se firent tuer
en essayant d'arrêter ces furieux : le premier sang versé exci-
tant davantage leur rage, le palais fut pris d*assaut. Bientôt
le désordre et le massacre s'étendirent dans la ville entière :
tous ceux qu'on rencontrait, Byzantins ou Africains, pour peu
qu'on les sût amis du patrice, pour peu surtout qu'on les sût
riches, tombèrent sous les coups des soldats ; les maisons par-
ticulières furent envahies, les propriétés saccagées, et le pillage
ne cessa qu'au soir, lorsqu'enfin la fatigue et l'ivresse eurent
triomphé de la fureur des troupes*. Les officiers, et ceux-là
mêmes qui avaient gardé quelque popularité dans l'armée,
avaient dû assister impuissants à ces scènes de carnage ;
quant à Solomon, il n'avait échappé à la mort qu'en se cachant
dans l'église du palais. A la faveur de la nuit, il put sortir de
celte retraite, et avec un de ses lieutenants qui s'associa à sa
1. BelL Fand.,p. 472, 473.
2. En 536 Pâques tombait le 23 mars (Mas- Latrie, Trésor de chronologie),
3. BelL Vand,y p. 473.
4. /d., p. 473-474.
5. W., p. 474.
LA PACIFICATION DE L'AFRIQUE PAR SOLOMON 79
fortune, avec Procope son conseiller et cinq personnes de sa
suite, il s'embarqua furlivement, et traversant le golfe, gagna
la petite ville de Missua^
L'insurrection triomphait : pourtant les soldats craignirent
de rester à Carthage, où quelques troupes, revenues de leur
stupeur de la veille, semblaient vouloir demeurer fidèles à
l'empereur', et quittant la ville, ils allèrent rejoindre, dans les
plaines de Bulla Regia, le reste des révoltés *. Là ils mirent à
leur tète un officier subalterne, Stotzas, jadis attaché à la per-
sonne d'un des lieutenants de Bélisaire % et appelant à eux
tous les mécontents, ils formèrent bien vite une redoutable
armée. A leur voix, en effet, tout ce qui restait encore de la
nation vandale se jeta dans l'insurrection' ; les esclaves,
comptant bien profiter du grand bouleversement qui se pré-
parait, accoururent en masse au camp des séditieux*; les
grands chefs numides — et parmi eux labdas et Orthaias,
maintenant réconciliés — promirent l'appui de leurs troupes,
ravis d'une aventure qui ruinait les projets de Solomon et
semblait présager la chute prochaine de la domination impé-
riale mème\ Stotzas, en effet, ne cachait pas son intention de
chasser de l'Afrique tous ceux qui restaient fidèles à Justinien
et de constituera son profit une souveraineté indépendante*.
Et dans ce but, avec ses huit mille hommes de troupes régu-
lières et ses innombrables alliés, il marchait sur Carthage,
persuadé qu'il occuperait sans coup férir la capitale de son
futur royaume.
Mais Solomon, tout eu fuyant, n'avait point perdu son sang-
froid. Avant de s'embarquer, il avait eu le temps de s'enten-
dre avec Théodore de Cappadoce^ auquel il laissa pleins pou-
i. BeU. Vand., p. 474.
2. W., p. 475-476.
3. id., p. 475.
4. Id., p. 475, 362.
5. W., p. 475, 471, 47t.
6. Id,, p. 475.
7. Id., p. 487, 490.
8. W., p. 475.
80 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
voirs pour combattre Tinsurectioii, lui recommandant de tenir
ferme à Carthage aussi longtemps qu'il pourrait \ A peine
arrivé à Missua, il envoya un émissaire au général qui com-
mandait le détachement de Numidie, afin qu'averti des événe-
ments, il tâchât à n'importe quel prix de maintenir ses troupes
dans le devoir. Lui-même, avec Procope, s'embarquait en hâte
pour la Sicile'. Bélisaire l'occupait avec l'armée chargée de
reconquérir ritalie, etlepatrice comptait bien qu'il trouverait
chez son ancien général l'appui matériel et moral nécessaire
pour réprimer l'insurrection.
Bélisaire n'hésita pas un instant : sans perdre temps à mo-
biliser une partie de ses troupes, il se jeta dans un vaisseau
avec une centaine de soldats d'élite, et emmenant Solomon,
il cingla vers Carthage '. Il arriva juste à temps pour la sauver.
Déjà Théodore de Cappadoce et les quelques troupes restées
fidèles, serrés de près par les révoltés, épouvantés par les
menaces et les cruautés de Stotzas, étaient entrés en négocia-
tion avec les rebelles ^ et la capitulation semblait imminente,
quand tout à coup l'arrivée de Bélisaire changea la face des
événements. Tel était, sur ses anciens soldats, le prestige du
général en chef, qu'à la seule nouvelle de sa présence, l'armée
insurgée leva le siège et se replia en désordre par la route de
Numidie, tandis que les forces impériales, pleines de confiance
dans le vainqueur de Decimum et de Tricamarum, deman-
daient à grands cris à marchera l'ennemi^. Bien que Bélisaire
pût disposer de deux mille hommes à peine, il ne douta point
de sa fortune : après avoir, par d'abondantes distributions
d'argent, réchauffé le zèle des soldats S il se mit à la poursuite
de Stotzas et l'atteignit au passage de la Medjerda, auprès de
la ville de Membressa (auj. Medjez-el-Bab). La lutte ne fut pas
1. BelL Vand., p. 474-475,
2. /d., p. 474, 475.
3. Id., p. 476.
4. Id., p. 475, 476.
5. /d., p. 476, 477.
6. W., p. 476.
LA PACIFICATION DE L'AFRIQUE PAR SOLOMON 81
loDgue' : surpris au milieu dun mouvement dangereux et
difficile par une vigoureuse charge des impériaux, les rebelles
s'enfuirent sans faire résistance du c6té de Touest.
Bélisaire, avec la faible armée qui l'accompagnait, ne crut
point possible de les poursuivre : persuadé d'ailleurs que l'effet
moral de cette prompte victoire suffirait à ruiner l'insurrec-
tion', jugeant qu'avant toute chose il fallait réorganiser l'ad-
ministration des provinces africaines, il rentra à Garthage :
il comptait au reste que, s'il en était besoin, les troupes de
Numidie sauraient à elles seules écraser les débris des rebel-
les. Il s'attacha donc, mêlant habilement à quelques exécu-
tions nécessaires les gratifications et les faveurs', à restaurer
la discipline tant ébranlée dans l'armée byzantine ; peut-être
même crut-il nécessaire, pour rendre plus aisé le rétablisse-
ment de Tordre, d'éloigner de son commandement le patrice
Solomon* ; et en attendant que l'empereur eût pourvu à son
remplacement, il restait à Garthage, lorsque de mauvaises
nouvelles de Sicile l'obligèrent en toute hâte à rejoindre son
armée'. Au moment même où ce contre-temps éloignait Béli-
saire de l'Afrique, un nouveau désastre frappait la cause im-
périale. Les officiers qui commandaient les troupes byzantines
en Numidie avaient essayé de tirer parti de la victoire de
1. Cf. Bell. Vand,, 476-481; Joh,, III, 311-313; Tissot, U, p. 326-328.
2. Bell. Vand., p. 480.
3. Marcellinus cornes (ann. 535, éd. Mommsen, p. 104) : partim hlandiendo,
partvm ulciscendo.
4. Le continuatear du comte Marceliia affirme que Solomou resta eu Afrique
après le départ de Bélisaire, quMl eut avec l'armée de nouvelles difficultés et
qu'à la suite de cela il fut remplacé par Germanos, qui le renvoya à Constan-
tinople à la disposition de l'empereur (ann. 536, p. 104). La chose parait bien
douteuse. En effet, Bélisaire partant laisse le commandement des troupes à
Théodore de Cappadoce et à lldiger (Bell, Vand.t P* 481). Procope le dit formel-
lement et, comme il accompagnait Bélisaire ou tout au moins le vit à Syracuse
dès son retour, on peut l'en croire. Il semble bien qu'on chercha à satisfaire
les troupes. Valérien, très attaché à Solomon, fut rappelé de Numidie {Bell*
Vand., p. 414, 481). Théodore de Cappadoce reçut de l'avancement^ malgré
le rôle qu'il avait joué dans la révolte. 11 est donc probable que Solomon fut
momentanément écarté.
5. Bell. Vand., p. 481.
1. 6
82 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Membressa : voyant les rebelles rejetés en déroute sur la pro-
vince, ils avaient marché à leur rencontre pour les empêcher
de se reformer; ils espéraient, par surcroît, pouvoir enlever
Stotzas, qu'on savait réfugié avec quelques hommes seulement
dans la petite ville de Gadiaufala'. Mais l'indiscipline qui tra-
vaillait toute Tarmée byzantine n'avait point épargné le déta-
chement de Numidie; à peine les soldats se trouvèrent-ils en
présence du chef de la révolte, qu'oubliant tous leurs devoirs,
ils passèrent en masse au parti de l'insurrection ; bien plus, ils
laissèrent, sans rien faire pour les sauver, massacrer traîtreu-
sement leurs officiers auxquels on avait d'abord promis la vie
sauve : par cette sanglante et inutile exécution, Stotzas comp-
tait bien compromettre ses nouveaux amis d'une manière
irréparable*.
C'étaient près de trois mille hommes qui venaient grossir les
forces de l'insurrection ; maintenant les deux tiers au moins
de l'armée byzantine d'Afrique étaient soulevés contre l'em-
pereur»; sous les ordres dlldiger et de Théodore de Cap-
padoce, chargés par intérim du commandement, restaient
cinq mille hommes à peine, concentrés à Carthage et dans
quelques autres villes, troupes mécontentes, mal sûres, d'une
fidélité plus que douteuse, profondément travaillées par les
intrigues des rebelles, dans les rangs desquels beaucoup de
soldats comptaient des parents ou des amis*. Pour rétablir
l'autorité impériale, pour sauver l'Afrique si récemment con-
quise et déjà presque perdue pour l'empire, un vigoureux
effort était indispensable : mais à ce moment même, l'expédi-
tion d'Italie absorbait toutes les ressources de la monarchie
et immobilisait ses armées : au lieu des soldats qu'il fallait,
Justinien dut se contenter d'envoyer un général (fin 536).
Ainsi, moins de trois ans après la glorieuse expédition de Béli-
saire, tous les rêves de l'empereur, toutes ses ambitions de
1. Bell. Vand., p. 481. Cf. Tissot, II, p. 418.
2. Beil. Vand., p. 481-482.
3. Id., p. 483.
4. Id., p. 483.
LA PAaFICATlON DE L'AFRIQUE PAR SOLOMON 83
domination aniverselle dépendaient à peu près entièrement de
rhabiieté diplomatique plus ou moins grande du nouveau
commandant en chef.
Du moins, pour cette mission difficile, le basileus avait fait
un choix excellent. Lepatrice Germanos s'était déjà, comme
magister militum per Ihraciam, distingué sur la frontière
du Danube en repoussant une incursion de Slaves*; il était
de plus le propre neveu du souverain', et l'on espérait que
cette haute origine, rappelant d'une manière visible aux sol-
dats la fidélité qu'ils devaient au prince, donnerait au nou-
veau gouverneur plus de prestige et d'autorité; enfin» en lui
conférant des pouvoirs extraordinaire^', on le mettait en
mesure de prendre, sans contrôle et selon les circonstances,
toutes les dispositions nécessaires au salut de l'Afrique. Aus-
sitôt arrivé à Carthage, le patrice comprit la gravité de la si-
tuation: pour venir à bout de l'insurrection menaçante, avant
tout il fallait reconstituer l'armée ; mais on ne pouvait songer,
au moins pour le moment, à rétablir par des rigueurs salu-
taires la discipline ébranlée : c'eût été, avec des troupes d'une
fidélité chancelante, achever sûrement la débâcle ^. Germanos
agit en diplomate*. Tout d'abord, par une proclamation, il fit
connaître qu'il était envoyé par l'empereur tout exprès pour
écouter les doléances des soldats, leur rendre bonne justice
et punir leurs oppresseurs^; et comme gage de ses bonnes in-
tentions, il sacrifia à la rancune des troupes et renvoya à Cons-
tantinople quelques officiers trop impopulaires ou trop com-
promis par teur attachement à Solomon^ En même temps il
1. Bell. Golh., p. 450.
â. Bell. Vand., p. 482.
3. Id.<,p. 482.
4. /d., p. 483.
5. Marcellinus cornes, p. 105 (ann. 536).
6. Bell. Vand.y p. 483.
7. U s'agit ici en particulier de Martin et de Valérien. Procope dit {Bell.
Vànd.j p. 493) qnlU furent renvoyés à Byzance sous le gouvernement de
Germanos. Or on voit qn'ils se trouvaient à Constantinople en décembre 536
{BelL Goth., p. 116), et qu*à cette date ils repartirent pour Htalie (Bell, Goth,,
p. 125 ; Marcellinus comes, ann. 537, p. 105). Ils quittèrent donc l'Afrique au
84 HISTOIRE DE LA DOMINATON BYZANTINE EN AFRIQUE
tâchait de prendre les hommes par la douceur, leur manifes-
tant en toute occasion une constante hienveillance, affectant
à leur égard une confiance absolue ', s'appliquant à les séduire
par ses bons procédés et ses largesses ; enfin il faisait annon-
cer que tous ceux qui feraient leur soumission trouveraient
auprès de lui un accueil honorable; bien plus, il promettait -^
et celte concession montre à quel point de faiblesse en était
réduite l'autorité impériale — de payer intégralement la solde
arriérée des troupes, même pour le temps passé dans les rangs
de rinsurrection*. Et tandis que, par cette large tolérance, il
provoquait dans l'armée de Stotzas de nombreuses défections,
il diminuait, d'autre part, les forces des rebelles en traitant
sous main avec les grands chefs indigènes : et, en effet, lab-
das^ Orthaias, d'autres encore, promettaient au représentant
de l'empereur de se trouver de son côté au jour de la bataille '.
L'hiver se passa dans ces négociations : dès le printemps de
537^ avec son armée reconstituée et presque égale en nombre
à celle des rebelles \ Germanos se prépara à commencer les
hostilités. Vainement Stotzas, reprenant la tactique qui lui
avait tant de fois réussi, vint à quelques kilomètres de Car-
thage présenter la bataille, comptant bien qu'à sa seule vue
les troupes du patrice abandonneraient leur chef : cette fois,
pas une défection ne se produisit dans les rangs des impé-
riaux', et après quelques jours d'une inutile attente, Stotzas
crut prudent de se rapprocher de ses alliés indigènes, et il se
replia en hâte vers la Numidie®. Germanos Vy suivit et l'at-
teignit à Gellas Vatari^. Le patrice n'était point 9ans inquié-
plus tard dans la seconde moitié de 536. Or, tous deux étaient fort attachés
à Solomon et mal tus des troupes (Bell. Vand., p. 474).
1. Bell. Vand., p. 483-485.
2. /d.,p. 483.
3. Id., p. 487
4.id., p. 483,
5. Id., p. 483-486.
6. /d., p. 486.
7. Sur l'endroit, cf. Tissot, H, p. 416, qui ne donne point des informations
très sûres. Le comte Marceliin (ann. 537, p. 105), dit : « inter Maurorum dé-
serta. » Sur le nom de rendrait, cf. Joh,, 111, 318.
LA PACIFICATION DE L'AFRIQUE PAR SOLOMON 85
tude : Tannée rebelle, en effet, malgré le désordre apparent
de ses lignes, se composait de vieilles troupes romaines aguer-
ries par vingt combats ; derrière elle, se pressait une masse
épaisse de cavaliers berbères, et malgré les assurances de
défection données par les grands chefs, le général impérial se
rendait bien compte que, si ses soldats pliaient, les indigènes
prendraient sans hésiter le parti du vainqueur* ; enfin il n'avait
dans son infanterie qu'une médiocre confiance et craignait
qu'à la moindre panique, elle ne se laissât emporter'. Et, au
vrai, la bataille fut tout autrement sérieuse que toutes celles
qui jusque-là s'étaient livrées en Afrique'. Dès le premier
choCy la cavalerie impériale qui formait l'aile droite fut bous-
culée par une vigoureuse charge de Stotzas, et déjà Tinfante-
rie à son tour était entamée, lorsque Germanos, à la tète de
quelques escadrons d'élite, se jeta dans le combat Tépée à la
main. Alors, dans une lutte furieuse, les deux cavaleries
s'entremêlèrent; ordre avait été donné de ne faire nul quar-
tier aux rebelles; aussi ils se battirent en désespérés. Germa-
nos, tombé à bas de cheval, ne dut la vie qu'au courage de
ses gardes : Stotzas se défendit tant qu*il lui resta des forces
et quand, avec quelques hommes, il dut prendre la fuite, il
ne jugeait pas encore la partie perdue. Pendant qu'en avant
du camp, ses troupes opposaient une résistance obstinée, et
manquaient de repousser les attaques des impériaux, lui-
même galopait vers les Berbères pour les entraîner à la charge
et rétablir la bataille \ Mais à ce moment même Germanos,
par un mouvement tournant, forçait les retranchements des
rebelles et la déroute commençait. A cette vue, les Maures
crurent le moment venu de participer à la victoire et au pillage
et ils se jetèrent à la poursuite des insurgés. Pendant ce temps,
suivant ses habitudes, la détestable armée byzantine, oubliant
Tennemi, n'écoutant plus son chef, ne songeait qu'à faire
f . BelL Vand., p. 487.
2. Id., p. 486.
3. Cf. id., p. 486-490.
4. Bell. Vand,, p. 490.
86 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
dn butia*; elle manqua le payer assez cher. Plus résolu
que ne Tavait été Gélimer à Tricamarum, connaissant mieux
aussi rindiscipline du soldat victorieux, Stotzas rallia une
partie des siens et tenta une suprême attaque' : elle échoua
devant le courage de Germanos. La bataille était définitive-
ment perdue. Le chef rebelle, demeuré presque seul, s'enfuit
avec quelques Vandales jusqu'en Maurétanie; il y trouva
accueil chez un chef indigène dont il épousa la fille ; ceux des
siens qui avaient survécu à la lutte firent leur soumission.
L'insurrection était terminée.
U s'agissait maintenant de remettre de Tordre en Afrique '.
Germanos sut montrer alors que sa douceur n'était point
exempte de fermeté. A peine en effet rentrée à Carthage, Tar-
mée recommençait à s'agiter : le long succès de Stotzas éveil-
lait les ambitions; on se mit à conspirer contre le patrice,
comme jadis on avait fait contre Solomon* ; de nouveau d'ail-
leurs la solde était en retard, et le mécontentement augmentait
d'autant*; mais cette fois les ménagements n'étaient plus
nécessaires. Averti du complot, Germanos prit des mesures
énergiques ; lorsque les mutins vinrent au palais présenter
des réclamations menaçantes, lorsqu'ensuite, rassemblés à
rhippodrome, ils semblèrent vouloir recommencer les désor-
dres de 536, le général sans hésiter les fit disperser par la
force et tailler en pièces'; en même temps il faisait arrêter et
pendre le principal chef de la conspiration \ Grâce à ces salu-
taires rigueurs, l'armée comprit qu'il fallait obéir : et pendant
près de deux ans, l'Afrique, sous le gouvernement de Germa-
nos, connut quelque tranquillité •.
1. Bell. Fand., p. 489-490.
2. /d.,p. 490.
3. W., p. 490.
4. Id., p. 490.
5. /d., p. 491.
6. Id., p. 491-492.
7. /d., p. 492-493.
8. Ces faits se placent sans doute dans Tbi ver de 537-538, puisque Germanos,
dit Procope {Bell. Vand., p. 491), commença par recourir à la ruse, n^osant
LA PACIFICATION DE L'AFRIQUE PAR SOLOMON 87
IV
A la journée de Cellas Yaiari, les Berbères avaient laissé
échapper l'occasion favorable d'en finir, peut-être pour tou-
jours, avec la domination byzantine. Mais s'ils avaient fait la
sottise d'assister impassibles à la bataille, au lieu de se jeter
sur les Grecs divisés et épuisés, ils n'en demeuraient pas moins
très redoutables dans leur indépendance. Los grands chefs de
la Numidîe, oubliant leurs inimitiés, s'étaient rapprochés et
réconciliés* ; leurs forces, demeurées intactes pendant le sou-
lèvement de Slotzas, paisiblement accrues et reconstituées
durant trois années, étaient considérables. Au contraire, les
sanglants combats de la guerre civile — celui de Cellas
Vatarî semble avoir été particulièrement meurtrier — avaient
fort affaibli l'armée byzantine ; et par surcroît, pour fournir
des renforts àBélisaire assiégé dans Rome, on avait été obligé
de dégarnir la province *. Si donc l'on voulait reprendre les
vastes projets de conquête jadis conçus par Justinien et si
tristement interrompus en 536, il importait avant tout de
remettre sur un pied solide l'effectif du corps d'occupation.
On s'y résolut en l'année 539. A cette date, la soumission
de l'Italie semblait presque achevée; le moment parut venu
de réaliser le rêve, tant caressé jadis, de la reprise totale de
TAfrique romaine. Une armée nouvelle fut donc équipée et
embarquée pour Carthage' ; et à sa tête, la confiance de l'em-
pereur appela le personnage qui jadis en Libye avait si fidèle-
ment exécuté les instructions du prince et si énergiquement
pris en main l'œuvre de la conquête et de la réorganisation
administrative. A la place de Germanos rappelé à Byzance,
immédiatement sévir, de crainte de tout compromettre. En 538, se place sans
doute le combat d*Âutenti {Joh., HI, 319), à Test de SufetnlA ^Tissot, U,
p. 443-445), liyré probablement à une tribu de la Byzacëne.
1. Bell. Vand., p. 487.
2. Bell. Goth., p. 475. Cela eut lieO au début de Tannée 538.
3. Bell. Vand., p. 493.
88 HISTOIRE D£ LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
le patrice Solomon, rentré en faveur, fut nommé tout à la fois
préfet du prétoire et magister niUitum^. La pacification de
l'Afrique allait enfin s'achever.
Dès Tabord, l'énergie du nouveau gouverneur apparut en
des mesures décisives. Résolument il débarrassa les troupes
des éléments de trouble et de désordre qu'elles renfermaient,
renvoyant à Byzance ou à l'armée dltalie tous ceux qui lui
parurent mal sûrs'; et à la place de ces vétérans gâtés jus-
qu'aux moelles partant d'intrigues, de complots, d'insurrec-
tions, il forma des régiments nouveaux qu'il soumit à une sé-
vère discipline. II expulsa non moins rigoureusement les
Vandales qui avaient fourni des armes au soulèvement de
Stotzas, et surtout ce ramassis de femmes dont les criailleries
avaient allumé jadis le mécontement des soldats contre lui ^
Et s'étant ainsi vengé de ceux qui avaient causé sa chute, sûr
maintenant de son pouvoir et de ses soldats, il recommença la
guerre contre les Berbères, négligée depuis trois années, par
une grande expédition dans l'Aurès.
De nouveau, comme en 335, Solomon aborda par l'est le
vaste massif montagneux, et son avant-garde, sous les ordres
de Guntarith, l'un de ses officiers, vint prendre position dans
la plaine de Bagai\ Mais, depuis la précédente campagne, les
indigènes avaient eu le temps d'oublier les sévères leçons de
prudence que leur avaient données les Byzantins : au lieu
d'attendre, comme autrefois', l'ennemi dans leurs redoutables
montagnes, ils descendirent hardiment dans la plaine et at-
taquèrent le détachement grec. Guntarith, vaincu par des
forces très supérieures, dut se replier sur son camp; il s'y
trouva bientôt bloqué par les Berbères, et pour venir à bout
1. C. ;. L., 4799. Victor Tonn., ann. 543, p. 201.
2. Bell. Vand,, p. 493.
3. M., p. 493.
4. /d., p. 493-494. Sur eette campagne, cf. Rinn, Géographie ancienne de
r Afrique (Revue a fric, 1893, p. 297 et sniv., avec une carte), qui essaie d'i-
dentifier les localités désignées par Procope.
5. Cf. Beli. Vand., p. 465.
LA PACIFICATION DE LAFRIQUE PAR 80L0M0N 89
de sa résistance, ceux-ci n'imaginèrent rien de mieux que de
détourner vers les retranchements romains les eaux de TAbi-
gas (OuedBou Rougal), transformant ainsi toute la plaine en
un marais impraticable'. Fort heureusement, Solomon vint à
temps dégager son avant-garde, assez empêchée de la posi-
tion où elle était placée, et poursuivant les indigènes qui
n'avaient eu garde de l'attendre, il leur infligea au pied
même de FÂurès une sérieuse défaite*. labdas comprit alors
qu'il fallait en revenir à son ancienne tactique, et se retirant
vers les régions les plus hautes et les plus difficiles de la mon-
tagne, il s*efforca d'attirer à sa suite Tarmée byzantine*. Mais
Solomon, instruit par Texpérience, refusa de prêter à cette
manœuvre; au lieu de chercher péniblement à joindre le roi
berbère, il se mit à ravager méthodiquement les riches plaines
qui s'étendent au nord de TÂurès, brûlant les moissons, dé-
vastant les campagnes : il comptait bien, en les frappant ainsi
au point sensible, inspirer aux tribus une salutaire terreur\
Puis avec une colonne bien équipée, il se lança à la poursuite
dlabdas. Rapidement il enleva la forteresse deZerbula%puis
il se porta au cœur même de la montagne^ et trouva l'ennemi
établi dans une position presque inaccessible, « défendue de
toutes parts par des précipices et couverte par des rochers
taillés à pic »*. On vit bien dans cette circonstance combien
avait changé l'esprit de l'armée byzantine : malgré les lenteurs
et les difficultés du siège, malgré la pénurie des vivres, mal-
gré la nécessité où Ton était réduit de rationner l'eau aux
4. BelLVand,, p. 494-495. Cf. Masqueray, Bull.Corr, afr,, I, p. 278-279; III,
p. 103-105, où Ton trouve de curieuses légendes berbères gardant le sou-
venir de cet épisode.
2. Id., p. 495.
3. Id„ p. 495-496.
4 Id., p. 495-496.
5. /d., p. 496-497. Sur les noms géographiques de cette campagne, cf. Ragot,
Rec. de CoHst., 1873-74, p. 220-221; Masqueray, «/)e Aurtisio monte, p. 1-20,
47-48; surtout Rinn, /. c, p. 309-310. Cf. aussi Joh,, II, 145. Sur TAbigas,
Tissol, I, p. 52-53.
6. Bell, Vand., p. 496.
90 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
troupes*, les soldats, tout fiers des exploits prodigieux qu*ils
avaient accomplis*, réclamaient impatiemment l'assaut :
Solomon hésitait à le permettre, lorsque quelques hommes
réussirent à surprendre une des portes de la place : à la vue
de ce coup d'audace, sans même attendre les ordres, Tarmée
entière, pleine d'enthousiasme, s'élance àTattaque'; les Mau-
res surpris n'opposent qu'une faible résistance; labdas lui-
même, blessé dans la lutte, est obligé de prendre la fuite.
Comme Stotzas, le chef vaincu alla chercher un asile en Mau-
rélanie*. C'était la fin de la campagne. Peu de jours après, les
femmes et les trésors du roi berbère tombaient aux mains
d une des colonnes volantes qui battaient en tout sens la
montagne*; et bien vite la pacification du pays s'acheva, au
moins en apparence. D'ailleurs, pour assurer les résultats de
l'expédition, pour empêcher toutretour offensif du redoutable
adversaire qu'on venait de vaincre, Solomon comprit qu'il
fallait occuper le pays conquis. Par ses ordres, des redoutes
s'élevèrent dans l'intérieur et au pied del'Aurès : elles devaient
tenir en respect les indigènes et garantir à l'empire la posses-
sion définitive de la région*.
Ainsi tout le haut plateau de Numidie renti*ait sous la do-
mination byzantine : le patrice profita de ces succès pour
pousser encore plus loin ses avantages. Il est probable qu'Or-
thaias avait pris les armes pour soutenir son allié : en tout
cas il avait favorablement accueilli les tribus expulsées de
TAurès^ Solomon se résolut à l'attaquer. Malheureusement
sur cette expédition si grosse de conséquences, Procope ne
fournit que des renseignements fort sommaires; nous appre-
nons seulement que le Zab, le Hodna, toute la Maurétanie
1. Bell. Fand.,p. 497.
2. Id., p. 497-498.
3. Id., p. 498-499.
4. /d.,p. 500.
5. /d., p. 500-501.
6. W., p. 500; De Aedif., p. 343
7. Beil, Vand., p. 495.
LA PACIFICATION DE L'AFRIQUE PAR SOLO MON 91
Sitifienne furent soumis par le patriceS et les inscriptions
nous montrent que, pour assurer sa conquête, il s'attacha,
comme il avait fait dans TAurès, à occuper solidement le
pays. Des citadelles importantes s'élevèrent à Tubunae*
(Tobna) et à Zabi Justiniana' (près de Msila), couvrant contre
les attaques des nomades du sud la nouvelle province byzan-
tine; au nord, Sitifis (Sétif) protégea la frontière du côté de
l'ouest et tint en respect les Berbères de la Césarienne \
C'étaient là, après les tristesses des précédentes années, de
grands et glorieux résultats : depuis la Tripolitaine jusqu'aux
confins de la Maurétanie Césarienne, depuis la mer jusqu'à la
région des Chotts, aux montagnes de TAurès et aux steppes
du Hodna, l'antique province romaine d'Afrique reconnaissait
la domination du très pieux empereur Justinien; au delà
même, vers l'Occident, des places éparses sur la côte semblaient
un point de départ pour de futures conquêtes, et grâce à l'é-
nergique valeur du patrice Solomon, les rêves de l'ambition
impériale semblaient & la veille de se réaliser. Grâce à lui
aussi, après la pacification terminée, l'œuvre de la réorgani-
sation administrative allait s'achever non moins heureuse-
ment : « Solomon, dit Procope, gouverna avec modération et
assura en Afrique une entière sécurité ; il entoura chaque ville
de remparts, il fit observer les lois avec exactitude, il fut vrai-
ment le défenseur de l'ordre : sous son autorité, la Libye,
comblée de richesses, fut puissante et parfaitement heu-
reuse'. » Après les grandes victoires de 539, dit encore l'his-
torien, <c tous les Africains soumis à l'autorité impériale goû-
tèrent une paix durable ; et sous le gouvernement sage et
modéré de Solomon, n'ayant pour l'avenir plus aucune crainte
de guerre, ils se considérèrent justement comme les plus
1. Bell. Fand.,p. 501.
2. Cf. mon Rapport^ p. 24-25.
3. C. /. L., VIII, 8805.
4. Id., VIII, 8483.
5. Bell. Vand., p. 493.
92 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
heureuse de tous les hommes*. » Et plus tard, quand revinrent
pour l'Afrique les mauvais jours de troubles et d'invasion,
c'est vers cette période de paix et de prospérité que se repor-
tèrent naturellement tous les regards : ce Alors, dit le poète
Corippus, la tranquillité la plus profonde régnait dans notre
pays; ni la guerre, ni les ravages des pillards, ni Tavidité
des soldats ne venaient s'abattre sur le toit du paysan; les
propriétés étaient respectées, la Libye regorgeait de richesses,
la paix était assurée dans le monde. Alors Cérès prodiguait
ses dons*, alors les pampres étaient chargés de grappes et les
arbres verts s'émaillaient d'olives brillantes comme des pier-
reries. Le soldat vivait heureux et paisible sur ses terres;
partout le cultivateur avait commencé à planter ses vignes,
et, liant sous le joug ses taureaux dociles, il jetait gaiement
la semence, en faisant sur la montagne résonner son joyeux
refrain. La paix était, féconde et prospère ; sur la terre apaisée
s'élevaient les douces chansons et les voix légères; partout
le marchand chantait, le laboureur était plein de joie, le voya-
geur était tranquille, et les Muses venaient adoucir et charmer
les travaux des hommes. La liberté était entière*. » Sous ce
gouvernement réparateur, l'Afrique retrouvait ses forces
épuisées*; les chefs berbères, tremblant au souvenir de leurs
défaites, venaient d'eux-mêmes se soumettre à l'autorité de
l'empereur % et les populations délivrées de leurs misères
passées', se répandaient en accents de reconnaissance. « C'est
votre main, dit énorgiquement Corippus, qui a arraché les mi-
sérables Africains aux griffes de la mort. L'Afrique a res-
suscité au bruit de vos triomphes; après ses longs deuils, vous
lui avez rendu la joie\ » Sans doute, il ne faut point prendre
1. Bell. Vand.,p. 501.
2. Cf. sur cette fertilité, JoA., III, 28-34; surtout 31-32: ofecuoda, redundans
— Prugibus. »
3. JoA., III. 320-336
4. /d., III, 342.
5. /d., III, 287-289.
6. /cf., m, 278-279 : «c Afris solacia fessis — Summa rereos. n
7. W., III, 281-283.
LA PAaFICATlON DE L'AFRIQUE PAR SOLOMON 93
à la lettre ces hyperboles de poète : il n'en est pas moins vrai
que pendant ces quelques années les gouverneurs byzantins
d'Afrique ont accompli dans la province une œuvre prodi-
gieuse, dont les désordres mêmes des époques ultérieures
n'ont pu faire disparaître tout TefTet. « Notre pays, dit encore
Gorippus^ florissant et prospère, a goûté ces joies pendant
dix pleines années \ » C'est à cette date qu'il faut donc se
placer pour étudier Torganisation civile et militaire que Jus-
tinien a donnée à l'Afrique, et apprécier équitablement les ré-
sultats merveilleux de l'œuvre entreprise et réalisée par le
grand empereur.
i.Joh., HI, 289-290
LIVRE II
L4 HÉORGANISATION DE L'AFRIQUE BYZANTINE
LIVRE II
LA RÉORGANISATION DE L'AFRIQUE BYZANTINE
PREMIÈRE PARTIE
L'ADMINISTRATION CIVILE
Dès la fin de la guerre vandale, avant même qu'on sût à
Gonstantinople la soumission de Gélimer, Justinien s'était
hâté d'organiser sa conquête. Il voulait sans tarder faire sen-
tir à ses nouveaux sujets tout ce qu^ils gagnaient à passer du
dur joug des Barbares à la pleine liberté du « très pros-
père empire romain' », et pour cela il tenait à rétablir tout de
suite en Afrique cet « ordre parfait »', qui lui semblait la
marque de tout état vraiment civilisé. Désireux de montrer
une faveur particulière à ces provinces dont il saluait avec
tant de joie le retour à l'empire, non seulement il voulait leur
rendre cette administration qu'elles avaient connue jadis et
dont le rétablissement devait effacer jusqu'au souvenir de la
« captivité vandale » '; mais pour leur mieux témoigner en-
core sa bienveillance, pour mieux marquer l'importance qu'il
attachait à leur affranchissement, il voulut que, comme l'O-
rient, comme l'IUyricum, l'Afrique fût administrée, non point
par un simple proconsul \ mais par un préfet du prétoire^ et
1. Cod. JusL, I, 27, 1, 8.
2. W., 10.
3. /d., 8.
♦. Nov. 30, 5, où d'aillears l'empereur se trompe eo croyant que le pro-
consul administrait l'ensemble des six provinces.
I. 1
98 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
qu'elle formât un diocèse spécial, dont Carlhage serait la ca-
pitale*. Un rescrit d'avril 534 fit connaître la volonté impé*
•rialeetplaçaàlatète du nouveau gouvernement le patrice Ar-
chélaos, qui avait déjà exercé ces hautes fonctions à Byzance
et dansllllyricum, et qui en ce moment même se trouvait en
Afrique, en qualité de trésorier général du corps expédition-
naire*.
I
Par la pompe qui l'environnait, par le prestige de ses litres,
par rétendue de ses attributions, un préfet du prétoire, on
le sait^ était un fort grand personnage : et les écrivains con-
temporains ne trouvent point d'expressions assez ambitieuses
pour vanter ce pouvoir sans limites, cette magistrature sans
rivales ', « où toutes les grandes affaires viennent aboutir,
comme les fleuves dans FOcéan » ^. Justinien la rétablit en
Afrique dans toute l'étendue de ses privilèges et de son au-
torité. Le titulaire du nouvel emploi fut salué des noms d'Ex-
cellence, de Magnificence et de Sublimité'; comme signe
extérieur de la haute dignité dont il était revêtu, il eut droit
de se servir de la voiture de gala, du carpentum^ sur laquelle il
prenait place parmi les acclamations des hérauts*; mieux en-
core, ses appointements attestèrent l'importance de sa charge ;
il reçut cent livres d'or de traitement, c'est-à-dire près de
113,000 francs de notre monnaie \ Quant à ses attributions,
elles s'étendaient à tout l'ensemble de l'administration civile,
et suivant l'usage, elles se partageaient entre quatre objets
1. Cod, JvsL, I, 27, 1, 10-11; I, 2*7, 2, 13.
2. ife/Z. Vand.,p. 360.
3. Casfliodore, Var., VI, 3.
4. Lydu«, De magislr.. Il, 7.
5. Cod. Just., I, 27, 1, 11, 13, 14, 43; Nov. 36, 3.
6. Nov. 70, 1.
7. Cod. JusL, I, 27, 1, 21.
L'ADMINISTRATION CIVILE 99
principaux : la législation, Tadministration, la justice et les
finances ^
C'était en effet le préfet du prétoire qui recevait communi-
cation de toutes les lois et décisions impériales et qui, par
des edicta publiquement affichés, en assurait la promulga-
tion'. En conséquence, il devait non seulement faire con-
naître aux populations les mesures spéciales prises par le
prince pour la réorganisation de la province, et donner les
instructions nécessaires (praeceptiones) » pour Taccomplisse-
ment des volontés souveraines; mais en outre, lorsque les
lois générales de Tempire, le Digeste et le Gode déjà publiés,
et bientôt toute la série des Novelles, furent appliquées dans
TÂfrique reconquise \ ce fut encore par l'intermédiaire du
préfet qu'on les communiqua aux provinciaux. Chef suprême
de Tadministration civile, c'est lui qui propose au choix du
prince les gouverneurs, consular es ou praesides^ placés à la tète
des différentes provinces, et sur leurs brevets de nomination il
perçoit une taxe déterminée'; quand ils sont en charge, c'est
lui qui leur transmet les décisions impériales, qui correspond
avec eux et leur donne les instructions nécessaires au bon
gouvernement du pays. U nomme même directement certains
fonctionnaires, tels que les professeurs de TUniversité de
Carthage *. Sa compétence judiciaire est également fort con-
sidérable : les Novelles parlent fréquemment du tribunal pré-
torien, du trône de juge (îtxaaTwwt 6p4vot)', dont l'occupation
constitue un des signes essentiels de la magistrature préto-
rienne; et en effet, les textes montrent le préfet Solomon
chargé d'examiner les procès relatifs aux revendications de
terres usurpées sur les anciens possesseurs ', recevant les
\. Cf. Belhmann-Hollweg, Der^Civilprocess des gemeinen Rechts, III, p. 48-49.
2. Nov. 36, 6 ; 37, 12 ; Cod. Just, 1, 27, 1, 43 ; Nov. 169 (édit. Zachariae).
3. iVoo. 37, 2.
4. Cod, JusL, 1, 17, 2, 24;; Nov. 36, 6; 7, 1 ; 79, 2.
5. Cod, JusL, I, 27, 1, 19.
€. Id., 42-43.
7. Nov. 70, 1; i2%, praef,
8. Nov, 36, 3.
100 HISTOIRE DE L\ DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
plaintes ', dirigeant Tenquête et prononçant sans appel la sen-
tence*. En matière de finances, Tautorité du préfet est plus
étendue encore : c'est lui qui surveille la répartition de l'impôt,
qui fait dresser les registres d'après lesquels il sera établi *,
qui veille à ce qu'il* ne se produise nulle exemption illégale *,
qui chaque année fait afficher les tableaux déterminant la
quotité des contributions '. C'est lui qui assure la perception
de l'impôt et en centralise le montant dans les caisses de la
préfecture. C'est lui encore qui s'occupe de Tadministration
des biens du trésor et de ceux de la famille impériale % et il
tient la main à ce qu'on respecte les intérêts de Vaerarium
aussi bien que ceux de la domus divina \ Il est également l'or-
donnateur de toutes les dépenses de la province ', et prélève
sur les recettes tout ce qui est nécessaire à la bonne adminis-
tration du pays; il paie les appointements des gouverneurs
civils et du personnel qui les seconde; il fait les fonds pour
les travaux publics et les constructions que réclame l'état de
la province; et par ces attributions financières, il dépasse
même parfois le cercle de la pure administration civile. C'est
le préfet du prétoire, en effet, qui est chargé de payer la solde
des troupes et d'assurer les subsistances de l'armée • ; c'est
lui qui, comme directeur des travaux publics, prend les me-
sures nécessaires pour la mise en défense des villes et l'éta-
blissement des citadelles " ; par là il se trouve en relations
constantes avec les chefs militaires, et exerce un contrôle par-
tiel sur leur administration. Pour toutes les questions qui
touchent à l'occupation du territoire, c'est à lui que les ducs
1. Nov. 36, 5.
2. mv. 119, 5.
3. Bell. Vand., p. 444-443.
4. Nov. 31, 1-2.
5. Now. 128, 1.
6. Bell. Vand., p. 410.
7. Cf. C. /. /-«., VIII, 14399, où l'on trouve un fonctionnaire de la domus di-
vina.
8. XopYjybç Trie ÔaicàvYi; (Bell. Vand., p. 360, 482J.
%. Cod. Jxist., 1,27, 2, 15.
10. W., 15.
L'ADMINISTRATION CIVILE 101
font parvenir leurs rapports; d'ailleurs, c'est lui qui, sur les
impôts levés dans la province, paie les appointements de ces
officiers et de leurs bureaux S et quoiqu'il n'intervienne point
dans leur nomination, c'est lui qui, par sa chancellerie, leur
fait expédier leurs brevets, et il perçoit sur ces actes une taxe
assez forte*. Enfin, dans un état chrétien tel qu'est Tempire
byzantin, les questions qui touchent TÉglise ne sauraient de-
meurer indifTérentes à Tadministration civile : « Il y a étroite
union, dit quelque part Justinien, entre le sacerdoce et l'em-
pire, et les affaires religieuses sont étroitement mêlées aux
affaires publiques; caries très saintes églises tiennent des li-
béralités constamment accrues du prince toute leur richesse
et leur situation *. » Déjà, par ses attributions judiciaires, le
préfet d'Afrique se trouvait en relations avec les évoques,
ayant à juger les revendications de terres qu'ils présentaient
à son tribunal * ; en matière financière, il se trouvait égale-
ment en rapport avec eux, puisque l'impôt d'état n'épargnait
point les biens d'église; il avait en outre dans ses attributions
le règlement de toutes les questions relatives à la police des
cultes*; représentant de l'empereur, exécuteur de toutes les
décisions souveraines, il n'avait pas pour moindre devoir de
protéger en toute circonstance l'Église orthodoxe, et de mettre
à son service contre les hérétiques, les dissidents, les juifs^ les
païens, toutes les ressources de l'autorité séculière^.
Telles étaient les attributions, fort importantes, du préfet
du prétoire d'Afrique. Pour l'assister dans ses multiples de-
voirs et assurer le bon fonctionnement des nombreux services
confiés à ses soins, le chef du diocèse africain avait auprès de
lui un personnel assez considérable d'adjoints, d'attachés et
d'employés. Le rescrit de 834 énumère fort longuement ces
!. Cod. JusL, I, 27, 2, 18.
2. Id.r il, 35.
3. Nov. 7, 2.
4. NOD, 37, 2.
5. Nov, 37, 5.
6. Nov, 37, 11.
102 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
différentes catégories de personnes, avec le nombre d'auxi-
liaires affectés à chaque service et les appointements attri-
bués à chaque employé; et cette liste, si aride et fastidieuse
qu'elle paraisse à première vue, est fort utile pour faire ap-
précier toute l'étendue des pouvoirs accordés à la préfecture,
toute la variété des affaires qui passaient par sa chancel-
lerie.
Tout d'abord, et en dehors des bureaux proprement dits, le
préfet était assisté d'un certain nombre de conseillers [consi^
liant)^y personnages d'un rang assez élevé, comme l'attestent
le titre de comités primi ordinis qui leur est attribué dans la
hiérarchie' et les appointements assez considérables qui sem-
blent leur avoir été accordés. Ils aidaient le préfet dans l'ad-
ministration de la justice et siégeaient avec lui àson tribunal '.
C'étaient d'ordinaire de jeunes jurisconsultes, qui se prépa-
raient dans ces fonctions à la pratique des affaires, et il n'était
point rare en effet qu'on choisit parmi eux les gouverneurs de
province\ Grâce à leurs connaissances juridiques, ils exer-
çaient sur le magistrat auquel ils étaient attachés une fort
grande influence : souvent môme, quand celui-ci était absent,
le conseiller prenait sa place au tribunal et administrait la jus-
tice*. A l'époque de Justinien, tous les fonctionnaires civils et
militaires avaient auprès d'eux un conseil de cette sorte * ; en
général pourtant, ils étaient assistés d'un seul consiltarius ^ ;
mais dans une préfecture du prétoire, c'eût été là un chiffre
bien insuffisant; et quoique nous ignorions le nombre exact
de ceux qui servaient à Garthage^ en tout cas nous voyons par
1. Cod, JusL, I, 27, 1, 21. Cf. Nov. 24, 25.
2. Cassiod., Var., VI, 12. Cf. Bethmana-HoUvreg, 2. c.,III, p. 129. Mommsen,
Ostgolhische Sludien {Weues Arch., XIV, p. 477-478) suppose que le consilia-
rius remplace dans les bureaux le princeps, disparu au vi' siècle .
3. Cod.Just, I, 51, 14; Nov. 119, 5.
4. Cassiod.. Var., VI, 12.
5. Nov. 82, praef,
6. Cod. Juat., I, 51, 11. C'est eu cette qualité que Procope fut attaché à la
personne de Bélisaire \fielL Fond., p. 370).
7. Nov, 8, 8; 7, 5, 2; 29, 6.
L'ADMINISTRATION CIVILE 103
les termes du rescrit qu*il y avait plusieurs consiliarii près du
préfet d'Afrique * .
Le préfet était secondé en outre dans Tadministralion de la
justice par un certain nombre decancellarii^. Ces personnages
étaient primitivement de simples huissiers chargés de garder
l'accès du tribunal et d'introduire devant le juge les accusés
ou les suppliants*. Leur importance semble s'être quelque peu
accrue au vi* siècle ; ils sont classés en effet en dehors de Voffi-
ciurriy immédiatement après les consiliarii^ et leurs appointe-
ments, bien que moins forts que ceux de ces personnages, pa-
raissent pourtant assez élevés^. Quelques années plus tard, on
trouve, dans d'autres provinces de l'empire, le cancellarius
devenu secrétaire du gouverneur et représentant en justice le
magistrat auquel il est attaché ^ ; on ne saurait dire si, dès 534^
il avait en Afrique un rôle aussi considérable ; en tout cas, ses
fonctions étaient d'ordre judiciaire^.
A côté de cette cour de justice, qui sans doute servait aussi
de conseil de gouvernement, venait Xofficium proprement
dit, comprenant un total de 396 personnes, qui se partageaient
en deux catégories : d'une part des employés répartis en un
certain nombre de bureaux ou scrinia, de l'autre des auxiliaires
1. KrQger, Kritik des Juslinianischen Codex, p. 161-162, pense que le pré-
fet d'Afrique était assisté d*uD seul consiliarius et qu'il y a une faute dans le
texte du rescrit. Momrasen (/. c, p. 477, n. 5), est du même avis. On remar-
quera pourtant que, dans cette hypothèse, le traitement attribué à ce fonction-
naire parait bien élevé.
2. Cod. JusL, I, 27, 1, 21.
3. Agathias, I, 19, p. 55; Cassiod., Kar., XI, 6; Cod. JusL, I, 51, 3. Cf.
Mommsen, /. c, p. 478.
4. Sur le cancellaritu, cf.Rrdger, l, c, p. 164-165, qui croit que le préfet d'A-
frique avait auprès de lui un seul cancellarius^ aux appointements de sept livres
d'or. Mommsen (/. c, p. 480) est du même sentiment. Sur l'importance du
personnage, Mommsen, ibid., p. 479-480.
5. Cassiodore, Var.^ XI, 6, dit que, par l'attitude du cancellarius^ on peut
préjuger celle dn magistrat auquel il est attaché. Cf. Diehl, hxarchat de Ra-
venne^ p. 151, 182.
6. Cassiod., Va»*., XI, 6. KrOger pense qne lecancellatnus réunissait en outre
à ses attributions celles du princeps et du comicularius. qui ont disparu au
Vf siècle (Krûger, /. c, p. 166).
/
104 HISTOIRE DE LA DOMINATION BÏZANTINE EN AFRIQUE
groupés en diverses corporations onscholae. On les distinguait
parles termes généraux de scriniarii et de cohortales^. Les
divers services de Tadministration civile se partageaient entre
dix bureaux. Quatre d'entre eux étaient chargés de l'adminis-
tration générale des finances, et avaient à leur tête un ntime"
rarius; c'étaient, à en juger par les appointements de leurs
chefs, les plus importants ; tandis que les chefs des autres bu-
reaux touchaient un traitement annuel de vingt-trois sous d*or
(360 fr. 30), le numerarius recevait le <jouble, quarante-six
sous d'or (720 fr. 60)*.
Le bureau du primiscrinius avait pour mission de surveiller
l'exécution des ordres émanant de la préfecture et d'investir
les exécuteurs des pouvoirs nécessaires'. Les deux bureaux du
commentariensisei de Vab actis étaient préposés à la rédaction
des actes et à la garde des archives, et s'occupaient en parti-
culier des pièces qui avaient trait à l'administration de la jus-
tice criminelle et civile*. Le bureau des libelli recevait les re-
quêtes adressées au préfet et spécialement les plaintes qui
devaient être jugées devant son tribunal; il était chargé en
outre de la correspondance générale et de l'expédition des
actes officiels V Enfin, deux bureaux fort importants étaient
le scrinium operum et le scrinium arcae : tandis que les autres
bureaux comptaient en général dix employés et celui des
libelli sïK seulement, ici au contraire vingt personnes étaient
attachées à chaque service : l'un en effet était chargé des tra-
vaux publics*, et la masse des constructions élevées par Justi-
nien dans l'Afrique byzantine atteste suffisamment son rôle et
1. Cod. Jus:., I, 27, 1,43.
2. Sur [es numerarii, cf. Cod. JtisL, XU, 49, 4. Au-dessous du numerarius
prenaient place Vadjutor et le chartularius, qui étaient dans chaque bureau
les premiers des scriniarii (KrOger, /. c, p. 166-161).
3. Gagnât, Varmée romaine d'Afrique, p. 719; Bethmann-Hollweg, l. c, 111,
p. 146-147.
4. Bethmann-HoUweg, 111, p. 147-150.
5. Cf. KrQger, /. c, p. 168-169, qui attribne également à ce bureau le soin
du cursus publicus et la rédaction des décrets officiels {cura epistularum),
6. et. Nov, 128, 16, 18.
L'ADMINISTRATION CIVILE 105
son activité; Tautre étaitpréposé à l'administration des caisses
de la préfecture, et faisait sans doute les ordonnances néces-
saires pour les dépenses de la province'.
A côté des bureaux, qui comprenaient un effectif de cent dix-
huit personnes, des auxiliaires assez nombreux étaient attachés
à la préfecture, quelques-uns comme employés aux écritures,
la plupart comme agents d'exécution des ordres du préfet. Ils
étaient groupés en neuf corporations ou scholae^ dont les mem-
bres étaient inégalement appointés, selon l'importance du
service confié à leurs soins ; ainsi les deux chefs de la schola
des exceptores et celui de la schola des chartularii touchaient
môme traitement — vingt-trois sous d'or — que plusieurs des
chefs des bureaux de la chancellerie ; dans les autres scholae,
les chefs recevaient seize seulement ou quatorze sous d'or
(250 fr. 65 et 219 fr. 30). Parmi ces auxiliaires, les plus nom-
breux étaientceux que réclamait l'administration des finances :
il y avait soixante exceptores^ ^ greffiers et commis rédacteurs
employés aux écritures administratives, et cinquante chartU"
fem, chargés de la tenue des comptes'. Pour recueillir les im-
pôts, le service des finances employait encore cinquante mit-
tendarii^. Les besoins de la correspondance administrative
étaient assurés par trente cursores ou courriers ; l'administra-
tion de la justice avait douze nomenclatores ou huissiers * ; dix
hérauts ou praecones étaient chargés delà promulgation des
édits et ordonnances. Enfin, pour rehausser le prestige du
gouverneur, cinquante sitigularii lui formaient une sorte de
garde du corps, et étaient employés par lui à des missions
de confiance^; dix draconarii on porte-bannières'' accompa-
\
\. RrQger, /. c, p. 174.
2. Cf. Cod.Jusi,, XII, 23, 7; Cod. Theod.,\m, 1, 17; Bethmann-IIollweg, HI,
p. 153-155.
3. Cf. Cod. Just., XII, 50, 10; Bethmann-HoUweg, 111, p. 155-156.
4. Cf. Cod. JusU, Xn, 23, 7; Cod. Theod., VI, 30, 2.
5. Lydus, De magistr.y III, 8.
6. Cf. Gagnai, /. c, p. 128 et le texte de Lydus, De mag., III, 7. Ils ressem-
bleat aux scribones (Diehl, Exarchat de Ravenne^ p. 152).
7. Slrateg., XII, 8, p. 308.
106 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
gnaient son cortège; ûx stratores enfin veillaient à ses che-
vaux, et peut-être s'occupaient aussi, pour Tarmée, du service
de la remonte ^ Ces auxiliaires formaient au total un chiffre
de 278 personnes.
Enfin, dans l'entourage du préfet, on rencontrait cinq mé-
decins, assez fortement rétribués à raison de quatre-vingt-dix-
neuf sous d'or (1,S50 fr. 88) pour le chef de service, soixante-
dix (1,096 fr. 55) pour son second, et cinquante (783 fr. 25)
pour les trois autres : on y trouvait aussi deux grammatici et
deux sophistae oratores, payés chacun à raison de trente-cinq
sous d'or (548 fr. 30)*. C'était là, selon toute vraisemblance, un
personnel chargé de donner dans la capitale de l'Afrique by-
zantine une sorte d'enseignement supérieur*.
Tous ces personnages, depuis les comtViam jusqu'au der-
nier auxiliaire, étaient nommés par le préfet lui-même^ et ne
relevaient que de lui. Il devait exercer sur leurs actes une
scrupuleuse surveillance'; mais, même en cas de faute com-
mise, l'empereur semble s'interdire le droit de les punir'. Le
rescrit de 834 leur garantit à titre perpétuel la possession de
leur charge ; seul le préfet était leur juge et avait pouvoir pour
les destituer\ Néanmoins tous recevaient leurs appointements
de l'Etat. Au total, le personnel de la préfecture du prétoire d'A-
frique touchait une somme de 6,575 sous d'or (102,997 fr. 40)
se décomposant ainsi :
ConsUiarii .... 1,440 = 22,557,60
CaDcellarii. ... 504 == 7,895,46
Scrinia . . . • . 1,4781/2= 23,160,70
Scholae 2,6931/2 = 42,193,68
Professeurs. ... 459 = 7,190,23
6,575 = 102,997,37
1. Cod, Jusi., Xll, 25 ; Cod. Theod., VI, 31 ; Gagnât, /. c, p. 128-130. Krflger, '
p. 171-173, leur attribue au coutraire la cuslodia reorum et les considère comme
des employés du commenlariensis,
2. Cod. JusL, I, 27, 1, 41-42.
3. Cf. Marquardt, Manuel desant, rom.,t. X : Oryanwfl/t07i/Çnancière,p.l33-134.
4. Cod. JusL, l, 27, 1, 43.
5. W., 17.
6. Id., 43.
7. Bethmann-Rollweg, III, p. 139-140.
I
L'ADMINISTRATION CIVILE 107
Si Ton joint à cette somme le traitement du préfet qui, à lui
seul, recevait davantage que ses 414 ou 416 auxiliaires*, on
obtient pour les dépenses totales de la préfecture du prétoire
d'Afrique le chiffre de 13,775 sous d'or, ou 215,785 fr. 40 de
notre monnaie.
II
Au-dessous du préfet du prétoire, sept gouverneurs, con*
sulares ou praesides^ se partageaient l'administration civile des
provinces du diocèse. Malheureusement le passage du rescrit
de 534, où sont énumérées les nouvelles divisions de l'Afrique
byzantine, est assez altéré pour qu'on n'y puisse point recon-
naître en pleine certitude la nouvelle organisation du pays;
il est donc indispensable, avant toute chose, de discuter en
quelques mots ce texte controversé.
Dans l'édition que Krûger a donnée en 1884 du Code Jus-
tinien, on lit ceci : Et auxiliante Deo^ septem provinciae cum
suùjudicihusdisponantur^ quantm Tingi, et quae Proconsula-
ris antea vocabatur, Carthago, et Byzacium ac Tripolis recto-
res habeant considares; reliquae veroj id est Numidia et
Mauritania et Sardinia, a praesidibus gubernentur*. Si l'on
accepte cette leçon, les sept provinces créées par Justinien
dans le diocèse d'Afrique seraient :
1* Quatre gouvernements confiés à des consulaires, savoir :
La Tingitane.
La Proconsulaire.
La Byzacène.
La Tripoli taine.
2** Trois gouvernements administrés par des praesides :
La Numidie.
1. Il y a, en effet, 396 employés -f- 9 professeurs -j- les consiliarîi (deux ou
quatre?) et les cancellarii (sept?). Si, avec M. Krdger, on admet un consilia-
rius et un canceliarius seulement, on u un total de 407 personnes.
2. Cad. Just,, I, 27, 1, 12.
108 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
La Maure tanie.
La Sardaigne.
Mais on a justement fait remarquer que la province nommée
en tête de cette liste est bien faite pour surprendre^ : non
point pourtant, comme le déclarent Partsch^ et à sa suite
Mommsen lui-même et Gelzer, parce que l'occupation de la
seule place de Septem ne suffit pas à justifier la création d*une
Tingitane; la même objection vaudrait contre la constitution
d'une province de Césarienne ou de Sitifienne, puisqu'à la
date de 534, les Byzantins ne possédaient dans Tune que Cae-
sarea, dans l'autre que Saldae et Igilgilis. Au moment où, par
son rescrit, Justinien organisait rAfrique, il se préoccupait
peu de Tétat réel de la conquête; mais, plein des plus belles
espérances, sur que ses troupes allaient sans coup férir re-
conquérir dans toute son étendue Tantique province romaine,
il partageait sur le papier en circonscriptions administratives
TAfrique telle qu'elle devait être, telle qu'elle allait être avant
peu. Heureusement de meilleures raisons permettent de rayer
la Tingitane : il y aurait en effet quelque chose d'étrange à
ce que celte province à conquérir fût inscrite avant celle où
se trouvait la capitale reconquise de l'Afrique; il est invrai-
semblable surtout qu'on ait mis à sa tête un consulaire^ alors
que dans Torganisalion militaire l'empereur établit à Septem
un simple tribun dépendant du duc de Maurétanie'. D'ailleurs
les manuscrits permettent une autre et meilleure lecture : il
faut remplacer Tifigi par Zengi^ la Tingitane par la Zeugitane.
Mais est-il possible alors de distinguer en deux provinces
séparées la Zeugitane et Garthage? Partsch et à sa suite Tis-
sot l'ont cru ', et ont modifié en conséquence la liste des pro-
vinces africaines. Pourtant, ainsi que Tobserve Mommsen,
on ne saurait accepter cette singulière correction. Le témoi-
gnage de Procope atteste d'une manière formelle qu'il n'exista
1. Partscb, /. c, vu; MommseD (C. /. I., VIII, p. xvii); Gelzer, éd. de
Georges de Chypre, p. xxviu.
2. Cod. Just., 1, 27, 2, 2.
3. Partsch, xii ; Tissot, II, p. 49.
L'ADMINISTRATION CIVILE 109
jamais de division de cette sorte, et nettement Thistorien
énumëre, dans la partie orientale de l'Afrique byzantine, la
Tripolitaine, la Proconsulaire, où est située Carthage, la
Byzacëne, la Numidie'. Aussi bien est-ce à tort que, entre les
deux mots proconsularis et Carthago, les éditions du Code
intercalent une virgule; dans la notice géographique de
Georges de Chypre, on voit que c'est là une expression toute
faite, — KapÔ3tY£vva TCpoxouvffouXapéa — pour désigner la province*,
et il en résulte que, dans notre rescrit, les termes de Zeugi et de
Carthago proconsularis s'appliquent à une seule et même cir-
conscription administrative.
Mais alors une difficulté se présente : au lieu des sept pro-
vinces annoncées, il n'en reste plus que six. Heureusement le
manuscrit du Mont-Cassin donne la leçon Mauritam'ae au lieu
de Mauritania. Avec une grande vraisemblance, Mommsen
admet que c'est là le véritable texte du rescrit, et que revenant
aux vieilles divisions administratives du v* siècle, Justinien
reconstitua dans l'Afrique reconquise une Maurétanie Siti-
fienne et une Maurétanie Césarienne ^ On se demandera alors
ce que devient la Tingitaue et pourquoi elle n'est point com-
prise dans cetteénumération. Il n'est pas impossible, je pense,
d'en fournir l'explication. Au v* siècle, cette province ne fai-
sait plus partie du diocèse d'Afrique, mais bien de celui
d'Espagne^ : or, dès 534, l'ambition de Justinien rêvait la con-
quête de cette portion de l'ancien monde romain ; dans son
désir de reconstituer, sons son exacte image, l'organisation
administrative ruinée par les Barbares, n'a-t-il pu songer à
réserver la Tingitane, pour la comprendre quelque jour dans
le futur diocèse d'Espagne? La chose est d'autant moins in-
vraisemblable qu'à la fin du vi« siècle, Septem et les places
byzantines d'Espagne se trouveront effectivement* réunies
i. Ùe Aedi/., 335, 339, 340, 342.
2. Georg.' Cypr., 33; Gelzer, p. xzvii.
3. Cf. NotUia dignUatum{éd. Seek, p. 162, 165-166); Gaguat, /. c, p. 709.
4. Cagoat, /. c, p. 704.
110 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
dans un même gouvernement^ Mais enaltendant les conquê-
tes à venir, il fallait faire place à la province reprise dans les
cadres administratifs. Au point de vue militaire, on le verra
plus loin, Septem dépendit donc du duc de Maurétanie; au
point de vue civil, elle fut sans doute rattachée à la Mauréta-
nie Césarienne*. Procope dit expressément que le pays appelé
de son temps la Maurétanie — Maupitavfov te tyjv vOv xaAoupiévr^v
— s'étendait depuis Gadës jusqu'aux environs de Césarée^.
Ailleurs, il distingue la Maurétanie première, qui est la Siti-
fienne et la Maurétanie seconde* ; et c'est cette nomenclature
même que nous retrouverons à la fin du vr* siècle dans la
notice de Georges de Chypre*.
De cette sorte on obtient la liste suivante des provinces de
TAfrique byzantine au temps de Justinien :
i^ Troi^ gouvernements confiés à des consulares :
Proconsulaire ;
Byzacène ;
Tripolitaine.
2* Quatre gouvernements administrés par des praesides :
Numidie ;
Maurétanie première ou Sitifienne ;
Maurétanie seconde (Césarienne et Tingitane) ;
Sardaigne.
Si l'on écarte la Sardaigne qui, ainsi que la Corse et les
Baléares, faisait partie du diocèse d'Afrique, mais n'entre
point dans le cadre de cette étude, on remarquera qu'au point
de vue administratif^ la répartition des provinces entre les dif-
férentes catégories de gouverneurs est exactement la même
qu'au temps de la Notitia. Au v» siècle, il y avait à la tête des
gouvernements d'Afrique trois consulares et trois praesides* ;
1. Georg. Cypr., 34.
2. MommBen, /. c, p. xviii.
3. BelL Vand.y p. -451.
A. Id,, p. 501.
5. Georg. Cypr., 34.
6. Notitia {éd. Seek, 162, 165,166).
L'ADMINISTRATION CIVILE Ui
c'est exactement ce que Ton trouve à Tépoque byzantine ; seu-
lement, rancien consulaire de Numidie a passé en Tripoli-
laine et le praeses de cette province a été transporté en Numi-
die. Le changement s'explique d'ailleurs sans peine, si l'on
considère cette fois les circonstances dans lesquelles fut pro-
mulgué le rescrit impérial. En 534, la Tripolitaine, la Procon-
sulaire, la Byzacëne pouvaient être considérées comme entiè-
rement reconquises ; il n'en était pas ainsi, on Ta vu, de la
Numidie et des Maurétanies. A ces provinces de moindre
étendue, il était assez naturel de donner, au moins provisoire-
ment, des gouverneurs civils d'un rang moins considérable.
C'est pour cela sans doute que Justinien, si respectueux qu'il
voulût être des anciennes traditions romaines, jugea sur ce
point utile d'y déroger.
Quoi qu'il en soit, les six gouverneurs chargés de l'adminis-
tration civile des provinces africaines y exercèrent toutes les
attributions des antiques gouverneurs romains. Sous le con-
trôle suprême du préfet du prétoire, ils furent, comme lui,
chargés^ dans leur circonscription, de la promulgation deslois ^
de ladministration et de la police du territoire, du soin de la
justice', du gouvernement des finances'. Pour les aider dans
leur tâche, ils furent assistés d'un officium de cinquante per-
sonnes * ; et quoique le rescrit de 534 ne nous ait point conservé
rénumération détaillée de ces auxiliaires, on peut, d'après les
indications éparses dans quelques Novelles^ et d'après la liste
des officiâtes attachés au préfet, en retrouver à peu près la
composition. A côté du consularis ou du praeses, il y avait
toujours un conseiller juridique, consiliarius ou assessor\ en
outre les bureaux comprenaient sans doute un cancellarius,
un adjutor, des employés aux écritures chargés de la compta-
bilité financière {rmmerariij chartularit), des affaires judiciaires
1. Cod. Just., I, n, 2, 24.
2. Nov. 36, 3, 5; Cod. JusL, l, 27, 1, 17.
3. fiov. 128, 1.
4. Cod, JuaL, I, 27, 1, 13.
5. 2foo. 24, 25, 26, 27.
112 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
[commentarienses)j de la g^arde des archives {ab actis), et
d'autres employés inférieurs {exceptores). Ces auxiliaires rece-
vaient un traitement total de 160 sous d'or * (2,506 fr. 40), chiffre
qui parait assez faible, lorsqu'on voit, dans les bureaux de la
préfecture, les cinquante chariularii^ les cinquante mittenda-
rii ou les cinquante singu/arii toucher des appointements
dont le total s'élève à 500 ou à 462 sous d'or*, et les qua-
rante employés du gouverneur militaire rétribués, en Afrique
même, à raison de 674 1/2 sous d'or (10,566 fr. 25)'. Pour-
tant, dans plusieurs des provinces orientales de l'empire, les
appointements des bureaux étaient moins élevés encore : en
Pisidie, en Lycaonie, en Thrace, en Isaurie, en Arabie, To/"-
ficium touche une somme totale de 144 sous d'or, et cepen-
dant cet officium, à la fois chargé dos affaires civiles et mi-
litaires, comprend un personnel, non de cinquante, mais de
cent employés*; en Paphlagonie le chiffre est plus impor-
tant, et un officium de cent personnes reçoit 447 sous d or'.
On voit que les appointements fixés pour les provinces afri-
caines sont intermédiaires entre ces deux chiffres : toutefois,
si, comme il est possible, du total de 160 sous il faut déduire
les appointements du consiliariuSy d'ordinaire fixés à 72 sous^,
il resterait ipouv Vofficium 88 sous seulement, chiffre d'ailleurs
supérieur encore à la moyenne des traitements d'Orient. Il
faut se rendre compte au reste qu'à ces appointements s'ajou-
taient divers revenus accessoires assez considérables, et qu'en
particulier les frais de justice [sportulae) étaient pour les em-
ployés deVof/icium une source assurée et légitime de bénéfices
supplémentaires \
Legouverneurprovincialrecevait448sousd'or(7,017fr.90),
traitement assez élevé en comparaison des appointements
1. Cod. JusL, 1,27, 1,40.
2. Id,, 38, 30, 29.
3. /d., i, 27, 2, 21.
; 4. Nùv, 24, 25, 26, 27, 102.
5. Nov, 29.
6. Nov. 24, 25, 26, 27, 29.
7. Cod. JusL, 1, 27, 1, 17.
L'ADMINISTRATION CIVILE U3
attribués à beaucoup d'administrateurs dans les provinces
orientales. Sans doute le proconsul de Cappadoce touchait jus-
qu'à vingt livres d*or*; mais c'était un très grand personnage,
bien supérieur en dignité aux consulares et praesides africains.
Au contraire, les préteurs de Pisidie, de Lycaonie, de Thrace,
et le comte dlsaurie étaient payés à raison de 300 sous seu-
lement*; et si celui de Paphlagonie arrivait à 725 sous, c'est *
que — le rescrit qui le concerne l'indique expressément, — il
cumulaitdeuxtraitements'.Lacondition faite aux gouverneurs
civils d'Afrique, quoique ici encore bien inférieure à celle des
chefs militaires de la province, était donc relativement assez
favorable : et bien qu'au total ce service civil ne coûtât point
fort cher — la Sardaigne mise à part, il revenait à 3,648 sous
d'or ou 57,i46 francs — néanmoins l'importance relative de
ces appointements prouve le désir, d'ailleurs nettement ex-
primé par Tempereur, d'assurer à la nouvelle province les
bienfaits d'une honnête et scrupuleuse administration.
On sait par les Novelles les misères de tout genre que les
agents impériaux faisaient souffrir aux sujets confiés à leurs
soins, et l'insistance même que Justinien apporta à combattre
ces désastreuses pratiques montre combien le mal était profon-
dément enraciné. Les gouverneurs provinciaux rançonnaient
les populations sans miséricorde ; sous cent prétextes divers,
ils accablaient les habitants d'exactions toujours renouvelées;
sans pudeur ils vendaient la justice au plus offrant; àprement
ils exigeaient la rentrée deTimpôt, et par leur avidité et leurs
rigueurs ils provoquaient de constantes séditions*. Autour
d'eux ils laissaient leurs employés, leurs soldats vivre comme
eux sur le pays ^ ; et, à leur exemple, les grands seigneurs de
la contrée, entretenant à leurs gages des bandes armées, rava-
1. iVo». 30, 6.
2. Nou. 24, 25, 26, 27.
3. No». 29, 2.
4. JVov. %,praef. ; 24, 1, 3 ; 28, 4 ; 30, 9.
5. hov, 28, 4, 6 ; 29, 5.
1.
lU HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
geaientle pays et molestaient les sujets*. De là résultaient
une misère et une insécurité générales; les provinces rendues
inhabitables se dépeuplaient, les paysans fuyaient leurs terres,
et le brigandage devenu endémique achevait de ruiner la
contrée*. Justinien connaissait toutes ces misères, et s'effor-
çait, à ce moment même, dans les provinces orientales de la
monarchie, d'y porter un énergique remède; il semble avoir
voulu, autant que possible, en épargner les souffrances à l'A-
frique reconquise, et prouver à ses nouveaux sujets tout ce
qu'ils avaient gagné à rentrer au sein de l'unité impériale».
L'empereur parait avoir compris combien, au lendemain de
la tyrannie vandale, la province avait besoin de sécurité et de
repos* : aussi recommande-l-il à ses gouverneurs d'avoir pour
les populations du diocèse d'Afrique des égards tout particu-
liers. Il veut que ses agents gouvernent « conformément aux
ordonnances et dans la crainte de Dieu » ^, qu'ils traitent les
habitants avec douceur, avec bienveillance, avec justice*. Il
défend de porter une main violente sur leurs personnes ou
leurs propriétés ; dans l'administration de la justice, il inter-
dit qu'on exige d'eux, pour les frais, plus que les tarifs pres-
crits ''i pour le recouvrement de l'impôt, il met les administra-
teurs en garde contre les tentations de leur avidité, et il
s'efforce de leur ôter tout prétexte à charger injustement le
contribuable*. Gomme il sait que ses agents ont assez l'habi-
tude de s'indemniser sur le pays des sommes que la chancel-
lerie impériale a exigées d'eux pour leur nomination®, il di-
minue dans des proportions considérables le tarif des brevets
pour l'Afrique; et tandis qu'en général le nouveau fonction-
1. Nov. 24, 2 ; 28, 5; 29, 4; 30, 5, 7.
2. Nov, 145, praef.i 24, 3; 25 4,; 24, 1; 30, 5.
3. Cod, JusL, 1, 27, 1, 8.
4. Id., 16.
5. W., 15.
6. Id , 15; 1,27,2, 11.
7. Id , 15-16.
8. Id.y 18.
9. Nov. 8, praef.
L'ADMINISTRATION CIVILE 115
naire paie aux divers bureaux jusqu'à soixante-seize sous
d'or *, les gouverneurs du nouveau diocèse acquittèrent un
droit de dix-huit sous seulement'. C^est pour ce motif aussi
qu'il releva sans doute les traitements des agents africains, en
même temps qu'il diminuait un peu le nombre des fonction-
naires ' : de cette sorte il espérait diminuer leur avidité, et
ne les point mettre dans « la nécessité d'écraser les contribua-
bles de notre Afrique » *.
Toutefois ces bonnes intentions de l'empereur n'étaient pas
entièrement désintéressées. S'il avait si fort à cœur de voir
bientôt « restaurée et florissante » sa nouvelle province, ce
n'était point uniquement par bienveillance pour les sujets; s'il
voulait que ses fonctionnaires eussent « les mains pures » %
c*est qu'il savait que, « si les populations sont ménagées par
l'administration, l'empire et le trésor y trouveront toujours
bénéfice » *. Or l'empire avait besoin d'argent ; la guerre d'A-
frique avait coûté cher ; les entreprises futures seraient assu-
rément plus dispendieuses encore^; il fallait que les contri-
buables fussent de force à porter le poids des impôts. Si
l'empereur recommandait tant d'intégrité à ses gouverneurs,
c'était pour pouvoir faire rentrer sans peine « le cens public et
les impositions justes et légitimes » *. Et pour cela^ il se hâ-
tait de faire remettre à jour les registres qui serviraient à éta-
blir en Afrique l'assiette des impôts % et, s'adressant aux po-
pulations de l'empire, il leur dictait nettement leurs devoirs,
a Que tous nos sujets sachent que, soucieux de leurs intérêts et
pour qu'ils soientà l'abri de toute injustice et qu'ils vivent en
pleine tranquillité, nous avons promulgué cette loi. Mais il faut
i . Nov. 8 (Notitia placée à la fia de la Novelle).
2. Cod. Just , I, 27, 1, 19.
3. Lydus, De magistr.^ III, 66.
4. Cod. JmL, I, 27, 1, 18.
5. Nov, 8, 8.
6. Nov, 8, praef,
7. Nov. 8, 10.
8. Nov. 8, prcxf.
9. BeU. Vand., p. 444-445. ^
116 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
que vous aussi, mes sujets, sachant quelle sollicitude nous
avons pour vous, vous payiez avec un absolu dévouement les
impôts publics dans leur intégrité, sans avoir besoin de la coer-
cition administrative, et que vous montriez une obéissance qui
nous prouve par les faits toute la reconnaissance que vous
inspire notre extrême clémence *. » Si Tempereur recomman-
dait si énergiquement à ses gouverneurs de ménager les
contribuables, c'est qu'il se réservait à lui-même le monopole
de les exploiter.
III
La nouvelle administration civile de TAfrique devait entrer
en vigueur à partir du 1" septembre 534 *. Pourtant, si Ton
considère les tendances générales de la politique administra-
tive de Justinien, c'était à quelques égards une mesure assez
surprenante que ce rétablissement absolu du gouvernement
civil en Afrique V Alors que, dans un grand nombre de pro-
vinces, le prince s'attachait, à ce moment même, à réunir dans
une même main les attributions civiles et militaires, on s'é-
tonne que, dans les pays récemment reconquis, il ait, au con-
traire, tenu à rétablir Tancienne séparation des pouvoirs : et
cela lorsque dans ces contrées Tétat de guerre cessait à peine,
lorsque le prince lui-même prévoyait pour elles de prochains
dangers et de nouvelles luttes, lorsque tout eût justifié une
énergique concentration de Tautorité. 11 est probable que, de
même qu'en Italie, un peu plus tard, il voulut, selon l'expres-
sion d'un contemporain, « restituer à Rome tous les privilège»
de Rome » \ ainsi il tint à rendre aux populations, si long-
temps soumises aux Vandales, l'exacte image de l'empire
romain telqu'ellesl'avaientautrefois connu. Mais dans laprati-
1. Nov, 8, 10.
2. Corf. JusL.l, 27, 1, 43.
3. Cf. Diehl, Exarchat de Ravenne^ p. 81-82.
4. Lydiis, De magUtr., III, 55.
L'ADMINISTRATION CIVILE H7
que^ les circonstances devaient être souvent plus fortes que
la volonté impériale : en fait, les nécessités de la situation^
les périls de la province modifièrent bien vite l'organisation
administrative restaurée par Justinien.
Dès le l**" janvier 535, la préfecture du prétoire d'Afrique
se trouve entre les mains de Solomon ^ ; or, ce personnage
était en même temps le commandant en chef de Tarmée : trois
mois après la date où l'administration civile devait entrer en
vigueur, elle avait, à sa tête, un magister militum réunissant
entre ses mains tous les pouvoirs*. Lorsque, en 536, à Solo-
mon succéda dans le gouvernement général le patrice Ger-
manos, sans doute il amena avec lui un préfet ; mais ce per-
sonnage, qui parait avoir été particulièrement chargé de
l'administration des finances, fut hiérarchiquement soumis au
prince, neveu de l'empereur, investi de pouvoirs extraor-
dinaires pour pacifier TAfrique*. Quand, en 539, Solomon re-
vint dans la province, de nouveau il réunit les fonctions de
préfet du prétoire à celles de commandant suprême de Tar-
mée ^ : et ainsi, pendant dix ans de suite, bien que les Novelles
continuent à parler gravement du « très glorieux préfet d'A-
frique »', et bien qu'en théorie cette haute dignité civile
continuât d'exister^ en fait elle fut parfois subordonnée, plus
souvent encore unie à l'autorité militaire. II en alla à peu près
de même durant tout le règne de Justinien : le patrice Ser-
gius, qui remplaça Solomon, est nommé tout à la fois dux
belli et moderaior provinciae ^ ; le préfet Athanase, qui en 546
accompagna en Afrique le magister militum Aréobinde, semble
bien être hiérarchiquement inférieur à ce haut personnage,
parent de l'empereur \ Ce sont là des faits significatifs ; et il
i.Nov, 36-37.
2. C. /. L., VIII, 4677, 1863, 1864.
3. BelL Vand,y p. 482.
4. C. /. L. Vm, 4799. Cf. Vict. Tonn., ann. 543, p. 20i.
5. Nov, 69, 2 et epil. ; 70,1 (ann. 538) ; 73, epil.\ 79, 2 (ann. 539).
6. Marcell. corn., ann. 541, p. 106.
7. BelL Vand., p. 513. Cf. p. 532.
118 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
est remarquable qu'au lendemain même du jour où Justinien
rétablissait en Afrique l'administration civile, on y constate
tout aussitôt les premiers symptômes de la grande réforme,
qui, bientôt, réunissant entre les mêmes mains les pouvoirs
civils et militaires, tranformera tout entière Torganisation de
l'empire byzantin.
i
DEUXIÈME PARTIE
LA RÉORGANISATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BTZANTINE
CHAPITRE PREMIER
l'armée d'occupation et l'âdmimstration militaire
En même temps que Justinien rétablissait Tadministration
civile dans l'Afrique reconquise, il s'occupait — et avec un
soin plus attentif encore — de régler l'organisation militaire
du pays. Deux questions s'imposaient à la sollicitude du
prince : il fallait défendre efficacement contre les incursions
des Berbères les portions déjà soumises de la province ; il
fallait d*autre part achever la conquête et rendre à l'Afrique
les limites qu'elle avait atteintes sous la domination de Rome ^
L^empereur confia cette double tâche au général qui« en
quelques semaines, venait de renverser le royaume vandale.
Bélisaire fut chargé de prendre toutes les mesures néces-
saires pour la protection de la frontière, de fixer remplace-
ment des garnisons et le nombre des troupes qui les occupe-
raient, de créer les corps spéciaux particulièrement affectés à
la garde des confins militaires, de construire ou de remettre
en état les places fortes indispensables pour défendre le limes
africain ; il dut en outre n'épargner aucun effort pour réoccuper
1. Cod. Jusl,, I, 27, 2, 4, 4 a. Cf, praef. : a ut recte gubernetur et firme
custodiatur. *>
120 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
au plus tôt dans son intégrité Tancienne province romaine'.
Mais quelque confiance qu'eût Justinien en son victorieux
lieutenant, il sentait trop vivement Pimportance de l'œuvre
entreprise pour n'en point vouloir par lui-même contrôler
l'exécution : et, avec une remarquable sollicitude, avec un
soin du détail presque excessif, il surveilla et dirigea à dis-
tance toutes les dispositions adoptées par le magislermilittim.
Il voulut qu'on lui rendît compte du choix des garnisons, du
chiffre et de la qualité des troupes qui y seraient cantonnées,
se réservant, s'il était besoin, d'en augmenter le nombre; lui-
même, il traça et fit tenir à Bélisaire un pian déterminant le
système d'occupation des confins militaires; sur toutes les
questions relatives à la défense, il voulut recevoir directement
les rapports des officiers' ; bref, rien ne se fit en Afrique sans
l'approbation expresse du prince, et si l'œuvre réalisée a eu
quelques résultats, il faut en reporter l'honneur autant à
Justinien qu'à son général. D'ailleurs la mission confiée à
Bélisaire ne devait être que transitoire : le patrice ne fut
point officiellement nommé au commandement militaire de la
province ; il garda le titre de magister militum per Orientem^
sous lequel il avait dirigé l'expédition; bien plus, aussitôt la
réorganisation achevée, il devait revenir à Constantinople * ;
pour l'avenir, le prince se réservait de prendre lui-même, sur
le rapport du préfet et des gouverneurs militaires, les mesures
que pourrait réclamer la situation *. Est-ce que l'esprit soup-
çonneux de l'empereur prenait ombrage des succès de son
lieutenant"? est-ce qu'il songeait déjà à employer ses talents
à la conquête de l'Italie? On ne sait : mais en tout cas il im-
portait, avant d'exposer les principes qui présidèrent à la
réorganisation militaire de l'Afrique, de noter la part prépon-
dérante que Justinien prit à cette grande œuvre.
1. Cod. JusL, I, 27, 2, 5, 13.
2. ld„ 5, 13, 8, 16.
3. W., 1,27,2,13,15.
4. W., 16.
5. BelL Vand., p. 441-442.
L'ARMÉE D'OCCUPATION KT L'ADMINISTRATION MILITAIRE 12i
On sait comment, depuis le commencement duiv^siècle, de
graves changements s'étaient introduits dans la composition
des armées romaines, a Dorénavant, dit M. Gagnât, dans
toutes les provinces, les troupes d'occupation se composèrent
de deux groupes tout à fait distincts : d'un côté, l'armée séden-
taire des confins, armée territoriale qui a la garde du limes en
temps ordinaire, et qui fournit les contingents nécessaires à
la garnison des forteresses ou des camps établis contre les
ennemis du dehors ; de l'autre côté, Tarmée mobile disséminée
dans l'intérieur du pays. Celle-ci comprend les milites pala^
tint et les milites comiiatertses: celle-là renferme les milites
ripenses et les milites limitanei. Toutes deux sont employées
d'ailleurs différemment à la défense de la frontière; l'armée
sédentaire d'une façon permanente ; Tarmée mobile par inter-
valles et dans les cas pressants... La victoire une fois rem-
portée, l'armée mobile se replie, abandonnant de nouveau
aux garnisons du limes le soin de couvrir le pays qu'elle les a
aidées à reconquérir ou à conserver. M. Mommsen considère
très justement l'armée mobile et surtout les comitatenses qui
tiennent garnison dans chaque province, comme la réserve de
l'armée sédentaire de la frontière *. »
C'est d'après ces règles nouvelles que le corps d'occupation
d'Afrique avait été, comme partout, organisé durant le iv* et le
V® siècle, « les troupes de la frontière étant réparties entre dif-
férentes marches militaires, les autres étant disséminées dans
le pays*. » C'est d'après les mêmes principes qu'au vi* siècle
Justinien reconstitua l'armée africaine : le rescrit de 534
nomme en termes exprès, d'une part, les comitatenses^ souvent
désignés aussi par le terme de milites^, et, d'autre part, les li-
mitanety cantonnés dans les castra et les villes du limes. Il reste
avoir commentées deux groupes bien distincts étaient com-
1. Gagnât, U armée éC Afrique, p. 713-714.
2. Gagnât, L c, p. 714.
3. Cod. Just.y I, 27, 2, 8, 13. Cf. Mommsen, Das rômische Militœrwesen aeit
Diocletian (Hermet, t. XXIV), p. 199.
122 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
mandés et organisés, de quels éléments divers ils se compo-
saient, quel rôle enfin leur était assigné dans la défense de
la province.
Le commandement en chef de l'armée d'Afrique — et par
là il faut eniendreles comitatenses aussibien que leslimùanei —
appartenait à un officier général qui, de bonne heure, parait
avoir reçu le titre de magister militum Africae^ . C'était un per-
sonnage fort considérable^ généralement revêtu de la haute
dignité de patrice, décoré de Tépithëte de gloriosissimtis, et
qui tenait dans la hiérarchie militaire la même place que le
préfet occupait dans l'administration civile*. Sa résidence était
à Carthage. Il avait la direction suprême de toutes les opéra-
tions de guerre, et tout ce qui concernait la défense de la pro-
vince rentrait dans ses attributions'. Il était le chef de l'armée
mobile, et le supérieur hiérarchique des ducs chargés de la
garde du limes : et son autorité fut d'autant plus grande que,
dans les premières années de l'Afrique byzantine, plusieurs
fois cette haute charge fut confiée à des personnages apparen-
tés à la famille impériale. Souvent aussi, on l'a vu, le magister
mt/i/wm joignit à ses fonctions militaires le litre de préfet du
prétoire ; on conçoit dès lors quelle fut Timportance d'un So-
lomon, d'un Germanos,d'un Aréobinde : en fait, ils furent en
Afrique de véritables vice-rois.
La situation du magister militumAfricae était d'autant plus
considérable qu'il entretenait autour de lui une nombreuse
maison militaire. Dans les armées byzantines du vi* siècle,
1. Cod. JusL, 1, 27, 2, 17, 35 ; C. /. L., VIU, 101, 102, 4799, 1863, 4677; Vict.
ToDD., p. 201 (ann. 543). Le terme grec est orpaTQyic (Bell Vand,<t p. 507,
513, 518, 533).
2. C. y. L., VIII, 1863, 4799, 5352; Vict. Tona., p. 201 (aDD. 543), 205 (anD.
560), 201 (ann. 546).
3. Dus belli (MarceU. com., p. 106); princeps Romanae militiae (Vict
Tonn., p. 201); Afticanae dax mUitiae (tV^,, p. 205).
L'ARMÉE D'OCCUPATION ET L'ADMINISTRATION MILITAIRE 123
c'était un usage constant que tout officier général eût à son
service un certain nombre d'hommes d'armes, liés à sa per-
sonne par un serment de fidélité^ combattant à ses côtés dans
la bataille, et qui recevaient de lui^ à ce qu'il semble^ leur sub-
sistance et leurs appointements*. Le chiffre de ces gardes va-
riait selon l'importance du personnage auquel ils étaient
attachés; mais il n'était point rare que, pour les grands chefs,
il atteignît plusieurs milliers d'hommes. Naturellement les
gouverneurs militaires de l'Afrique byzantine entretenaient
auprès d'eux des troupes de cette sorte : les textes signalent
près de Solomon, de Germanos^ de JeanTroglita, des Sopu(p6pdt
et des oiraoïuioraC formant la maison (o!x(a) de ces généraux *.
Mais ce n'étaient point là, comme on pourrait le croire tout
d'abord, de simples gardes du corps : si les hypaspistes, qui for-
maient la partie la plus nombreuse, n'étaient en réalité guère
autre chose, les doryphores, souvent de naissance assez haute,
jouaient près du magister militum un rôle beaucoup plus im-
portant '. Fréquemment ils faisaient fonction d'ofiiciers^, et
étaient mis à la tète d'un détachement plus ou moins consi-
dérable ; souvent le général leur donnait des missions de con-
fiance, telle qu'une reconnaissance importante, une poursuite
de conséquence, un dangereux service d'avant-garde; d'autres
tenaient auprès de lui la place d'officiers d'ordonnance, trans-
mettant ses ordres, portant son fanion de commandement' :
bref, ils formaient près du général une sorte d'état-major,
d'ordinaire très dévoué, et qui permettait de faire efficace-
ment sentir à travers toute l'armée la volonté du chef. C'est
pour cela sans doute, et à raison des services publics qu'ils
1. Cf. MommBen, L c, 236-238; Benjamin, De Jusliniani aetate quaestianes
miiitaresj p. 25-27, 30-31; LécrÎTain, Les soldais privés au Bas Empire (Mél. de
Rome, t. X, p. 267-283). Sur le serment, Bell. Vand., p. 491.
2. Bell, Vand., p. 472, 491, 494, 505, 527, 532, 489; JoA., IV, 923-924 (où on
trouTe réqnivalent latin armigeri),
3. Sur la différence des deux catégories, Benjamin, /. c, p. 31-36,
4. Bell. Vand,y p. 359, 448, 494, etc.
5. id., p. 415, 448 (PavSo<p6po(;).
124 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
étaient appelés à rendre, que ces gardes du corps devaient
également prêter serment de fidélité à Tempereur*.
En outre le commandant en chef parait avoir eu auprès
de lui, pour l'aider dans les charges de Tautorité suprême, un
adjoint, portant souvent le titre de domesticus *, et qui rem-
plissait à peu près les fonctions d'un chef d'état-major. C'est
ce rôle que Solomon semble avoir eu près de Bélisaire'; c'est
celui que joua Recinarius auprès du patrice Jean Troglita^
C'est sans doute le même personnage que les textes de l'épo-
que ultérieure désignent par le terme de ùxocrpaTYîYcç.
Telle fut, autant qu'on en peut juger, l'organisation du
commandement suprême. En outre, les différentes armes
avaient des chefs particuliers. Un magister peditum commanda
Tensemble des troupes d'infanterie ' ; il est probable que les
contingents de cavalerie eurent également un officier général à
leur tête ; enfin les ducs provinciaux, dont nous parlerons plus
loin, avaient sous leurs ordres les régiments de toute arme can-
tonnés dans leur circonscription administrative. A un degré
inférieur de la hiérarchie venaient les commandants des divers
numeri\ ils portent le titre, parfois de magistri militum, plus
souvent de tribuni^ ou de comités'^. Au-dessous d'eux, on trouve
différents officiers et sous-officiers encore, dont les fonctions
malheureusement sont assez difficiles à déterminer ^ On ren-
contre en particulier les grades de ducenarius, de centenarius et
de biarchus, le premier commandant deux centuries, le second
1. Bell. Vand.j p. 491.
2. Sur le sens de ce mot, cf. Bell. Vand,^ p. 326, 359. Les dacs aussi étaient
parfois assistés d'un domesticus (Édilde V empereur Anastase sur l'organisation
militaire de la Libye, n^ 14, 1. 4-5, de l'édition donnée par Zachariae de Lin-
genthal, Monatsberichte de V Académie de Berlin, 1879, p. 134-158).
3. Bell. Vand., p. 359.
4. Joh. II, 312-319; IV, 583-595 ; VI, 411-413, 420-424; VU, 23-38.
5. Bell. Vand., p. 359, 482. Peut-être Jean, fiU de Sisinniolus, remplissait
ces fonctions {Bell. Vand., p. 493, 506, 509).
6. Joh., JII, 42.; Vict. Tonn., ann. 546 (p. 201); Cod. Just., I, 27, 2, 2, 9;
C.I.L., Vni, 9248; Joh., m, 47; IV, 18, 108, 504; 5^a^e^., 1,3, p. 27-28.
7. Nov., 130, 1.
8. Cf. Gagnât, /. c, p. 737-738.
L'AHMÉE D'OCCUPATION ET L'ADMINISTRATION MILITAIRE 125
correspondant sans doule à l'ancien centurion, le troisième
étant, à ce que Ton prétend, chargé du soin des vivres \ Enfin
on mentionne dans chaque numerus des chartularii* qui tien-
nent la comptabilité des corps, et des optiones, auxquels sont
confiées les fonctions d'officiers payeurs *.
Quant aux troupes qui composent Tarmée mobile, elles
comprenaient^ indépendamment de la maison militaire du
fnagister^ les éléments suivants : 1® des excubiteurs, soldats
de la garde détachés en Afrique auprès du général en chef,
et sans doute en petit nombre* ; — 2" des milites comitatenses,
organisés en numcri ou xaTaXoyoi, comprenant des troupes
d'infanterie et des régiments plus nombreux encore de cava-
lerie •. — 3" des foederati^ généralement montés, mercenaires
recrutés parmi les nations barbares voisines de l'empire *, et
commandés par des chefs de leur nation; — 4^ des contingents
indigènes [gentiles) \ levés parmi les tribus africaines et dont
nous déterminerons plus tard les relations avec Tautorité
byzantine.
On a dit précédemment quel était larmement de cette
armée, quelle était sa force et aussi ses faiblesses : nous ne
reviendrons point sur ces détails. Il importe seulement de
déterminer ici avec précision le rôle assigné par Justinien à
cette portion du corps d'occupation. D'une façon générale, les
comitatenseséibAdïii destinés à faire en rase campagne la grande
guerre, et à achever par leurs victoires la conquête de la con-
trée '. En temps ordinaire, ils étaient répartis dans l'intérieur
du pays, et cantonnés dans un certain nombre de garnisons
1. Cod, JusL. 1,27, 2, 22.
2. Nov.y 117, 11.
3. Bell. Vand,, p. 381, 499;; Nov., 130, 1.
4. Id., p. 460, 474.
5. Cod. JuaLy I, 27, 2, 8, 13, 5; Mommsen, /. c, p. 196-197. Sar l'impor^
tance numérique que doit avoir la cavalerie dans une armée byzantine, Slra-
te^., Vin,2. p. 196.
6. Cf. BeDJamin, l, c, p. 4-6, 8-13; Mommaen, /. c, p. 234-235.
7. Joh., m, 40, 5; Mommsen, p. 215-221 ; Gagnât, p. 744-746.
8. Ck>d, Ju8l., I, 27, 2, 4.
126 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
importantes, généralement dans les villes*; enfin, au début
tout au moins de Tœuvre de réorganisation, et en attendant
que fussent prises toutes les mesures prescrites par l'empe-
reur, une partie d'entre eux furent établis sur la frontière
même et mis aux ordres des ducs chargés de garder le
limes*. La défense du territoire était en effet la préoccupation
principale de l'empereur : tandis que, pour l'armée mobile, il
n'y avait, en somme, rien à changer dans des institutions déjà
existantes, ici au contraire il fallait de toutes pièces créer une
organisation nouvelle ou du moins reconstituer un système
disparu. Pour donner à l'Afrique la paix et la sécurité, pour
empêcher les tribus encore insoumises de ravager la province ',
l'empereur constitua, tout le long du limes africain, de véri-
tables confins militaires.
II
Au point de vue de la défense, l'Afrique fut partagée en
quatre circonscriptions : Tripolilaine, Byzacène, Numidie,
Maure tanie *. A la tête de chaque subdivision, un gouverneur
militaire fut placé, et en attendant que la reprise du pays tout
entier permit de donner pour résidence à ces officiers les divers
postes jadis occupés par Rome », et qu'énumère la Notitia Di-
gnitatum *, l'empereur leur assigna des sièges provisoires de
commandement. Ce fut Leptis Magna, pour la Tripolitaine,
Capsa et Thélepte pour la Byzacène \ Constantine pour la Nu-
midie, Caesareapour la Maurétanie ; en outre, un officier de
grade inférieur fut détaché dans l'importante place de Septem,
1. Cod. JuêL, I, 21, 2, 13. ; Joh., VI, 54-55, 265. Cf. Édit d^Anastase, n« 3, et
le commentaire de Zachariae, p. 148-149.
2. Cod. Just., I, 27, 2, 5, 7.
3. Id., 4, 4 6.
4. Id., 4 a.
5. W., 7.
6. Cf. Cagnat, p. 748-763.
7. On lit quelquefois Leptis Minor au lieu de Thélepte.
L'ARMÉE D'OCCUPATION ET L'ADMINISTRATION MILITAIRE 127
OÙ une flottille de guerre renforça la garnison ; ce personnage
dépendit du gouverneur militaire de Maurétanie ^ Chacun des
territoires militaires ainsi organisés porta le nom de limes* et,
sauf à Septem où le commandement fut exercé par un tribun,
chacun d'eux fut administré par un duc ayant rang de vir
spectabilù ».
Pour fonction essentielle, le duc était chargé d'assurer la
défense de la province confiée à ses soins : aussi devait-il,
avant toute chose, occuper sur la frontière les castra, castella
et villes fortes situés sur son territoire de commandement*, y
distribuer les garnisons suffisantes pour les protéger et y faire
exécuter les travaux de fortifications nécessaires •. Pour être
toujours prêt à repousser les attaques, le duc devait le plus ra-
rement possible quitter sa circonscription administrative • ; et
pour qu'il eût toujours sous la main les moyens de faire résis-
tance, il commandait en chef à toutes les troupes, comitatenses
ou autres, cantonnées sur son territoire ^ : de plus, il était chargé
de toutes les relationsaveclestribusétabliesprësdelafrontière;
en temps de guerre, il commandait leurs contingents*; en
temps de paix, il surveillait leurs mouvements, s'attachait à
prévenir leurs desseins hostiles, autorisait ou interdisait les
relations commerciales entre elles et le pays romain ^ Outre
ses fonctions militaires et diplomatiques, le duc avait certaines
attributions judiciaires; il était, suivant l'usage, le juge natu-
rel de ses hommes ; mais par surcroit, il paraît avoir admi-
nistré la justice, même pour les populations civiles établies
!. Cod, Just,, I, 27, 2, 2.
2. W., 5, 17.
3. Id„ 2, 4 b.
4. /d., 8. Cf. CagDat, p. 767.
5. /rf., 15.
6. Id., 8.
7. Nov,, 103, 3, où il est dit que le duc de Palestine commaudera militibtu^
iimitaneis et foederalis. Cf. Édit dAnasltise, û« 5, 12, où le duc a sons ses
ordres les YsvvatÔTaxoi orpaTiûTai et 11, 14, les xaaTpT)9tavo:.
8. Bell. Vand,, p. 502; Jok., m, 405.
9. Édii d^Anastasey n* 11.
128 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
dans sa circonscription ^ Aussi, nommé par l'empereur, ayant
même le droit de correspondre directement avec Tadministra-
tion centrale *, le duc dépendait à la fois du préfet du prétoire
et du magister militum : la chancellerie de la préfecture perce-
vait une taxe sur son brevet de nomination, et pour tout ce
qui concernait les constructions militaires, la solde des
troupes, la fourniture des vivres et le paiement de ses propres
appointements, le duc s'adressait au préfet '. Mais d'autre part
il payait aussi une redevance dans les bureaux du magister
militum * et pour tout ce qui regardait les opérations mili-
taires, rétablissement des garnisons, l'organisation de la dé-
fense, il prenait les ordres du commandant en chef. Il arrivait
même fréquemment que le duc du limes prît part avec l'ar-
mée mobile à quelque grande opération de guerre et fût mis
à la tête d'un corps de comitatenses.
Les ducs, et ceci encore atteste Timportanco qu'attachait
Justinien à la réorganisation militaire de l'Afrique, reçurent
des traitements beaucoup plus élevés que les fonctionnaires
civils. Chacun d'eux dut toucher une somme de 1,582 sous
d'or* (24,782 fr.) : il est vrai que dans ce chiffre étaient compris
les appointements des homines du gouverneur; par là il faut
entendre non point les troupes régulières placées sous son
commandement, mais les hommes d'armes, doryphores, hypas-
pistes, attachés à sa personne comme à celle du commandant
en chef*, et parmi lesquels TÉdit d'Anastase désigne nommé-
ment l'écuyer [spatharius) et le clairon {buccinatory . Quoi
1. Cod, JusL, l, 21, 2, 12. Cf. Édit d'Anastase, 2, oCl Voffieium du duc sert
Tat; ScxaoTtxaic xai lr,\t.ouiaxç 6iiT)peataic.
2. Cod,Just., I, 27, 2, 16.
3. /d., 15, 17, 35.
4. W., 35.
5. Id., 20, 23, 26, 29.
6. Bell. Vand,, p. 503.
7. Édit d^Anaslasey n» 14, 1. 8-9. Zachariae se trompe évidemment quand il
range ces personnages parmiles quarante employés de Voffieium (l, c, p. 145).
Le Code Justinien distingue nettement (I, 27, 2, 20-21, 23>24, 26-27, 29-30) les
homines du duc et les employés de son bureau.
L'ARMÉE D'OCCUPATION ET L'ADMINISTRATION MILITAIRE 129
qu'il en soit, Tempereur paraît avoir tenu essentiellement à
rétribuer largement les gouverneurs militaires*: par là il
pensait à la fois stimuler leur zèle et leur ôter toute tentation
de faire des bénéfices sur leurs soldats; il savait que les offi-
ciers byzantins n'avaient que trop de tendances à prélever pour
eux une portion de la solde des troupes, à diminuer les effec-
tifs réels pour s'attribuer le surplus des fournitures faites, à
gagner même sur la subsistance des hommes présents au
corps' : en les payant bien, et plus largement même que les
autres officiers de même rang', Justinien espérait porter re-
mède àces pratiques si dangereuses pour la bonne organisation
et la discipline de l'armée. En même temps, il diminuait pour
les ducs, comme pour les fonctionnaires civils, les taxes pré-
levées par la chancellerie sur les brevets de nomination : les
gouverneurs militaires acquittèrent une redevance totale de
trente sous d'or*. Enfin le prince annonçait qu'il exercerait
directement sur leur administration un sévère contrôle : et
tandis que des peines pécuniaires et la destitution même du-
rent punir toute infraction commise, en revanche Justinien
promit de récompenser tout bon service par des avancements
en grade et en dignité^.
Pour les assister dans leurs fonctions, les ducs avaient un
certain nombre d'auxiliaires. C'étaient d'abord; comme dans
Tarmée mobile, des officiers placés à la tête des différents corps
de troupes cantonnés dans le territoire; ils avaient le grade de
tribuns^ et en général on leur confiait le commandement des
places importantes da limes'. En outre, le duc avait sa maison
1. Cod. JusL, 1, 27, 2, 9 b.
2. ld,y 8, 9,9 a. Cf.^sar ces pratiques, Édit (VAnastcLse, n» 4, 12, 6, et le
commentaire de Zachariae, p. 149-150.
3. Le duc de Libye, par exemple, touchait, sous Justinien, seulement 1,330
sons d*or {Ed. 13, 18), ou tout au plus, d'après la lecture de Zachariae,
1,435 sous.
4. Cod. JusL, I, 21, 2, 35.
5. 7(2., 9 a, 9 6.
6. Id., 9, 9 a, 11.
7. Id., 2; CL L.,Vni, 9248. Inscription de Khenchela (0u//. des Anliquairts
de France, p. 171).
I. 9
130 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE]
militaire, ses homines dont le rescrit ne nous donne point Té-
numération détaillée*, mais que le gouverneur employait sans
doute de la même manière que le commandant en chef faisait
de ses doryphores et hypaspistes. Enfin pour l'administration,
le duc avait auprès de lui un bureau dont la composition nous
permet, comme pour la préfecture, d'apprécier Tétendue de
ses attributions*. Comme le préfet, le duc était assisté par un
conseiller juridique analogue au consiliarius : c'était Vassessor
(auvxaSsSpoç) % dont la présence suffit à attester la compétence
judiciaire du gouverneur; il est probable, quoique le texte
ne mentionne point ce fonctionnaire, qu'il était également
pourvu d'un cancellarim^ . BsiXïsVof/îcium proprement dit, le
soin de la comptabilité était confié à un numerarius^ , à côté
duquel se trouvaient un certain nombre d'employés d'origine
militaire, officiers ou sous-officiers. Le plus élevé en grade
était \e primicerius, qui était le chef du bureau' ; au-dessous
de lui se trouvaient quatre ducenarit on commandants de deux
ceilturies, six centenarii ou centurions, huit biarchi ou com-
missaires aux vivres, neuf circiiores, ou sous-officiers de
cavalerie, onze semissales^ ou bas officiers d'infanterie "^ ; bref,
en laissant à part VassessoTy qui est un civil, et le cancellarius,
Vofficium, composé de quarante personnes *, formait autour
du gouverneur un bureau militaire avec ses plantons, ses
scribes, ses officiers chargés de l'administration des corps et
des différents services d'état-major. De même que le duc
1. Cf. les iadications de VÉditiTAnastase, n» 14, 1. 1-10.
2. Cod. JusL, l 2T, 2, 22, 24, 25. 28, 31.
3. Édit d'Anastase, n* 14, 1. 3.
4. Mommsea, Oslgolh. Studien, p. 479, n. 3. Oa trouve an cancellarius à
côté da duc de Libye (Édit d'Anastase^ n» 14, 1. 5-6).
5. Cf. Édild'Anastase, n» 5 et 14.
6. MocDmeen, Ostgoth. Studieitj p. 474-475. C'est sans doute le même per-
sonnage que le primiscrinius de VÉdit d'Anaslase (n^s 5, 14).
7. Cf. Cagnat, p. 719, 738. Sur les circitores, dont la schola fournissait au
duc les soldats détachés pour le service de la correspondance, etc., cf. Édit
d'Anastase, n» 8.
8. Ce chiffre de quarante employés parait avoir été fixé par l'empereur Ànu-
tase, comme suffisant pour les bureaux du duc (Édit dAnastase, n»» 1-2).
L'ARMÉE D'OCCUPATION ET L'ADMINISTRATION MILITAIRE 131
et pour les mêmes raisons, les employés de ce bureau étaient
beaucoup mieux rétribués que ceux des officia civils, et plus
largement même que ceux des autres officia ducaux* : leurs
traitements s'élevaient à une somme totale de 674 1/2 sous
d'or (10,366 fr. 25). De cette sorte, les frais généraux de Tad-
ministration militaire de TAfrique montaient — en laissant
toujours la Sardaigne en dehors du calcul — à un chiffre de
9,026 sous d'or ou 141 ,393 francs : cette dépense était imputée
sur les recettes produites par les impôts de la province*, et elle
était ordonnancée par les soins du préfet du prétoire'.
Les textes nous font connaître un certain nombre de ducs
provinciaux, et en même temps qu'ils nous prouvent avec
quelle promptitude furent exécutées les instructions impé-
riales, ils nous fournissent quelques indications utiles sur les
attributions et le rôle de ces personnages. En Tripolitaine,
nous rencontrons, dès le premier gouvernement de Solomon
(334-536), ce Jean Troglita, qui plus tard commandera en chef
l'armée d'Afrique ; et la Johannide le montre défendant la fron-
tière, d'ailleurs en cette région fort voisine du littoral, assu-
rant au pays une pleine sécurité et terrifiant par ses constants
succès les tribus insoumises des Levathes\ Plus tard on y
trouve le duc Sergius, qui, par sa mauvaise administration à
l'égard des indigènes de son territoire, provoqua la grande
insurrection de 543*; en 547, la province paraît avoir été gou-
vernée par le duc Rufinus, dont les messages firent connaître
au patrice la nouvelle du soulèvement des tribus'. Les mêmes
textes nous apprennent que» conformément aux ordres du
prince, la résidence du duc se trouvait à Leptis Magna. — En
1. Vof/icium du duc de Pentapole recevait, au temps d'Anastase, 360 sous
d'or; celai du duc de Libye, au temps de Justinien, 187 1/2 sous d*or seule*
ment(i^d. d'Ânaaiase, u9 2; Éd. JusL 13, 18).
2. Cod. Just.,l, 27,2,18.
3. ïd., 15.
4. JoA., m, 294-295; I, 470.
5. Bell. Vand., p. 502. Cf. Jok., III, 405 (où se trouve mentionné Pelagius,
suppléant de Sergius).
6. Joh., VI, 221.
132 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Byzacène, le premier duc que les textes nous fassent connaître
apparaît h la date de 545, ce qui, d'ailleurs, ne prouve nulle-
ment qu'avant cette époque, il n'y eût point de duc dans cette
région. Procope dit expressément qu'il était le chef de toutes
les troupes cantonnées en Byzacène*, et qu'il avait sous ses
ordres un certain nombre de niimeri d'infanterie et de cava-
lerie ayant leurs officiers particuliers*; on voit qu'outre le
commandement des corps spécialement chargés de la garde
du limes^ ce personnage était à la tête de toutes les forces de
la province, même de celles qui appartenaient à l'armée mo-
bile. A la date indiquée, la résidence du duc était Hadrumëte ',
changement qui paraît tenir à un dédoublement — que nous
étudierons plus tard — apporté dans l'organisation .défensive
de la région. L'année suivante, le successeur d'Himerius,
Marcentius, se trouve dans une condition absolument sem-
blable* : lui aussi est représenté comme commandant toutes
les troupes régulières cantonnées en Byzacène, et nous le ver-
rons même, avec son corps d'armée, prendre part aux grandes
batailles de la campagne de 546*. — Enfin, en Numidie, nous
rencontrons un duc dès 536; il est gouverneur militaire de la
province, et en cette qualité, il a sous ses ordres les officiers
de tous les corps qui y sont cantonnés. Or Procope en a donné
une fort intéressante énumération : il y a des numeri d'in-
fanterie, un niimerus de cavalerie, des troupes de foederati,
toutes par conséquent appartenant à l'armée mobile \ La ré-
sidence du duc est établie à Constantine. De môme en 546,
le duc de Numidie, Guntarith, a à ses ordres tous les numeri
de la province ^ On voit que, conformément aux instructions
du rescrit de 534, les milites comilatenses qui tenaient garni -
1. Bell, Fand., p. 510.
2. Id, p. 509.
3. Joh,, IV, 8-9.
4. Bell, Vand,, p. 523.
5. Joh., IV, 532.
6. Bell. Vand,, p. 481.
7. Id,, p. 515.
L'ARMÉE D'OCCUPATION ET L'ADMINISTRATION MILITAIRE 133
son dans les différents territoires militaires prenaient les
ordres des ducs provinciaux.
II n'est point sans intérêt de voir dans quelle catégorie de
personnes étaient choisis ces gouverneurs militaires. En gé-
néral, la plupart d'entre eux sont pris parmi les officiers de
Tarmée mobile. Quelques-uns pourtant ont une autre origine :
certains, tels que les ducs Valérien et Marcellus de Numidie',
sont d'anciens chefs defoederati; d'autres ont une provenance
plus intéressante encore : le duc de Numidie^ Guntarith, qui
joua un si grand rôle dans les troubles de 546, avait com-
mencé par être doryphore du patrice Solomon *. On voit par
cet exemple, ajouté à tant d'autres, à quelle haute fortune pou-
vtient arriver ces hommes d'armes du général en chef.
Il reste à faire connaître les troupes placées sous les ordres
des ducs. On a déjà vu qu'ils commandaient aux régiments de
l'armée mobile stationnés dans les places de leur province : en
outre ces milites comitatenses participèrent même directement
à la défense immédiate du pays. Dans chaque limes ^ un cer-
tain nombre de nwmm d'infanterie et de cavalerie occupèrent,
au moins au début, les postes principaux', et surtout les
villes fortes de la frontière; mais comme, en principe, l'armée
mobile à laquelle ils appartenaient était destinée à un autre
usage, Justinien voulut que la protection du territoire fût,
autant que possible, assurée sans leur concours*. A cet effet,
il organisa des corps spéciaux, dont il nous reste à déterminer
la condition : ce furent les Izmitanei, ou troupes de frontière
proprement dites, établis dans des sortes de confins militaires
tout le long du limes africain.
Depuis le milieu du m** siècle, on rencontre dans les armées
romaines « ces soldats d'une espèce spéciale, ces soldats co-
lons »' à qui des terrains étaient concédés dans le voisinage
1. Be/Ï. Vand,, p. 350, 474, 481.
2. Id,, p. 494.
3. Cad. JusL, I, 27, 2, 5, 4 a, 4 6, 7.
4. Id., 8.
5. Cagnat, /. c, p. 742.
134 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
de la frontière, à charge pour eux de les mettre eu culture et
de les proléger par les armées. On espérait, dit un historien,
« qu'ils serviraient l'empire avec plus de cœur, s'ils défendaient
en même temps et par là même leur propriété \ » Justinien
s'empressa de réorganiser cette sorte d'armée territoriale, et
lui-même traça le plan d'après lequel ces corps spéciaux de-
vraient être constitués et répartis entre les cités, les castra
et les postes du /2m^5*. Parmi ^es populations provinciales,
principalement parmi celles de la frontière^, on recruta les
éléments nécessaires ; à ces hommes on accorda des conces-
sions de terres, qui probablement furent exemptées d'impôt;
en outre, une solde leur fut allouée *. En échange de ces avan-
tages, ils durent, en temps de paix, mettre en culture le terri-
toire qu'ils occupaient et surveiller exactement toutes les
routes qui franchissent le limes, pour empêcher toutes re-
lations de commerce non autorisées entre les tribus berbères
et le pays romain*. Se produisait-il quelque mouvement
sur la frontière, aussitôt ils s'armaient, soit pour défendre le
poste particulier confié à leur garde, soit pour concourir avec
d'autres troupes de même formation à repousser l'envahisseur^.
En aucun cas, ils ne devaient quitter le iimes où ils étaient
établis, la perpétuité du service militaire étant la condition
formelle de leur droit de propriété. Ils étaient autorisés à se
marier, et en général leurs femmes et leurs enfants vivaient
avec eux dans les castella où ils étaient cantonnés'' ; toutefois,
si le poste était peu solide ou d'un ravitaillement un peu dif-
ficile, la famille des soldats ne demeurait point avec eux; on
1. Vita Alex. Sev.^ 58.
2. Cod, Just., h 27, 2, 8. Cf. CagDat, p. 741-744; Mommsea, p. i98-200.
Dans VÉdit dAnastase^ ces soldats, exclusivement caDtonnés dans les castra,
portent le nom de xaorpvidtavoi = castriciani (n*« 11, 14).
3. Cod, Just., I, 27, 2, 8. Cf. Joh., lU, 47-30, où Ton trouve un tribau d'o-
rigine africaine.
4. Cod. Just., I, 27, 2, 8, 15.
5. Édit d'Anastasej n^ 11.
6. Cod. Just , 1,27,2,8.
7. Joh., ni, 326; IV, 72; Anonyme, IX, 6.
L'ARMÉE D'OCCUPATION ET L'ADMINISTRATION MILITAIRE 135
crai^ait qu'elle ne devint dans ce cas une cause d'embarras,
de lâcheté OU de trahison'. Soumis à Tant or i té du duc pro-
vincial, et groupés en régiments commandés par des tribuns^
ces soldats cultivateurs étaient répartis, en garnisons plus ou
moins nombreuses dans les villes fortes et châteaux de la
frontière ; et pour qu'ils fussent en tout temps capables de
rendre de bons services*, leurs officiers devaient les tenir en
haleine par de fréquents exercices militaires'.
Par ces mesures, Justinien espérait assurer, sans le concours
1. Anon., IX, 4.
2. Cod, Just.y I, 21, 2, 9.
3. Il est intéressaot de remarquer combien, en ce pays d'Afrique, des néces-
sités semblables ont, en tout temps, produit des résultats identiques. Le
général du Barail. dans un curieux passage de ses Souvenirs, expose un plan
de défense de la frontière algérienne qui rappelle trait pour trait les mesures
ordonnées par Justinien. Voici en quoi consiste ce plan : « pousser tous les
escadrons (de spahis) à la frontière, les établir, à l'ouest, le long de la fron-
tière du Maroc, à Test, le long de la frontière de la Tunisie, et dans le sud,
anx postes les plus avancés; imiter l'Autriche dans l'organisation de ses
troupes de frontière, de ses confins militaires, et constituer, sur toutes les
limites de nos possessions, de véritables smalas. Nous avions assez de terres
domaniales pour accomplir cette opération sans grands frais.
« Dans ces smalas, les spahis vivraient sous la tente, avec leur famille. Par
l'exemption de certains impôts, parla culture de lots de terre temporairement
concédés, et même par l'élevage, ils y trouveraient assez d'avantages pour
attirer dans leurs rangs bien des cavaliers avides d*y participer... Contre les
agressions, je proposais de les appuyer sur quelque chose de stable : une
enceinte carrée, construite sur un terrain choisi, facile à défendre et entourée
d'nn mnr crénelé, flanqué aux quatre coins d*une sorte de bastion... Elle
devait être assez vaste pour recevoir, en cas de danger pressant, les spahis et
leurs familles. Là ils pourraient braver une insurrection que^ la plupart du
temps, ils auraient pu prévoir : car, établis au milieu d'un pays pour le sur-
veiller et le garder, ils noueraient fatalement des relations et posséderaient
des intelligences avec les populations et les tribus voisines...
« Ce n'était pas le seul avantage que je trouvais à mes smalas.,. Je me figurais
que derrière la, smala, la. colonisation marcherait, et viendrait la rejoindre»
(Général du Baraîl, Mes Souvenirs, t. I, p. 417-418).
Rien ne manque à ces pages pour en faire le véritable et pittoresque com-
mentaire du re3critde534: c'est le même système, servant tout ensemble à
la défense et à la colonisation, c'est le même mode de recrutement local,
assuré par les mômes privilèges, c'est la même vie enfin; et jnsque dans le
type de construction proposé pour appuyer les smalas, on retrouve, à s'y
méprendre, les dispositions des castra byzantins.
136 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
de Tarmée mobile, la défense de la frontière; il se flattait en
outre, par l'exemple des limitanei, d'attirer des cultivateurs
dans les régions du sud, et d'accroître, par le développement
de la colonisation agricole, la prospérité de TAfrique pacifiée*.
Aussi recommandait-il avec insistance à ses officiers, d'ap-
porter tout leur zèle à l'exécution de ses instructions : non
seulement ils devaient attentivement remplir leurs devoirs
militaires, veillera ce que, dans l'armée mobile comme dans
l'armée territoriale, les effectifs fussent toujours au complet,
la discipline sévère, les exercices fréquents'; non seulement
ils devaient soigneusement concerter leurs efforts pour la
défense commune de la province'; mais par dessus tout, ils
devaient s'appliquera faire aimer leur autorité par les troupes
et les populations. Il importait essentiellement, si Tœuvre
entreprise devait avoir des résultats efficaces, que le soldat,
n'ayant à se plaindre de rien, fût prêt à rendre de bons ser*
vices, que l'habitant ne vît point dans la réorganisation mi-
litaire un accroissement de misères et de charges. Aussi
Justinien recommandait avec insistance aux ducs, aux tribuns,
aux employés des officia, de ne point céder aux tentations de
leur avidité : il leur prescrivait de ne point chercher à s'enrichir
aux dépens des hommes, soit en détournant une part de la
solde, soit en faisant des bénéfices sur les fournitures \ Il leur
ordonnait d'être doux et bienveillants pour les sujets, de les
protéger contre les violences des soldats et les exactions des
tribunaux*^, et il rendait le duc et ses officiers responsables,
sous peine d'amende et de destitution, de tout excès commis
par eux ou leurs troupes, de toute infraction aux instructions
impériales ^
1. Cod. Just,, I, 27, 2, 8. Il est question de môme àBnhVÉdit (fAnastase
(n^ iO) de particuliers (IdtôTai), établis sous la protection des castra,
2. Cod. Just, I, 27, 2, 8, 9, 9 a,
3. W., 10.
4. Id., 8, 9, 9 a. Cf. Édit d'Anastase, n«" 4, 5, 6, 12.
5. W., 11, 12.
6. Id., 9 a, 11.
L'ARMÉE D'OCCUPATION ET L'ADMINISTRATION MILITAIRE 137
Les événements ne devaient que trop donner raison aux
craintes du prince, et prouver combien il avait justement prévu
les dangers qui menaçaient son œuvre. Néanmoins l'orga-
nisation militaire qu'il donna à l'Afrique demeure un des plus
sûrs titres de gloire de l'administration byzantine dans la pro-
vince : par les efforts de l'armée impériale, les frontières
furent, sinon reconstituées dans leur intégrité, du moins pous-
sées assez avant vers le sud; par les soins des officiers impé-
riaux, une sécurité relative fut assurée à la contrée; enfin un
réseau de forteresses couvrant toute la surface du pays vint,
conformément aux instructions du prince ' , fournir un soutien
aux opérations de l'armée mobile, donner un point d'appui aux
garnisons de l'armée territoriale et compléter le système de
défense organisé par Justinien.
i. Cod. Just., h 21, 2, 14. 15.
CHAPITRE II
LES PRINCIPES DU STSTÈHE DÉFENSIF DANS L AFRIQUE BYZANTINE
Dans son livre des Édifices^ Procope a longuement énuméré
les nombreuses constructions militaires par lesquelles Justinien
couvrit, du fond de l'Orient jusqu'à l'extrémité de l'Occident,
les frontières de l'empire, et par lesquelles il a véritablement
« sauvé la monarchie » \ Et en face de cette œuvre gigan-
tesque, de cette masse de villes fortes et de citadelles, l'historien
ne peut retenir un sentiment d'admiration qui confine à l'éton-
nement: « Si nous dressions, dit-il, la liste des forteresses
élevées par Justinien devant des hommes habitant un pays
éloigné, et incapables de faire de leurs yeux la preuve de nos
assertions, assurément la multitude de ces constructions ferait
paraître notre récit fabuleux et incroyable » ' ; et il se demande
si la postérité, considérant le nombre et la grandeur de ces
édifices, pourra vraiment admettre « qu'ils soient tous l'œuvre
d'un seul homme » '. Au vrai, c'est l'impression que produit,
aujourd'hui encore, la vue des innombrables forteresses byzan-
tines dont les ruines couvrent le sol de l'Afrique : partout, sur
les rivages de la mer comme au pied des montagnes, dans les
solitudes du Hodna, au milieu des plaines désertes du haut
plateau numide, dans les steppes de la Tunisie, les restes de
puissantes citatelles attestent la merveilleuse activité que dé-
ploya le grand empereur ; et en face des rescrits qui organi-
sèrent la défense des frontières africaines, les monuments
viennent, par un vivant commentaire, prouver le soin qu'on
1. Aed,, p. 209. Cf. p. 171-172 et 343-344.
2. M., p. 277.
3. Id.y p. 172.
LES PWNCIPES DU SYSTÈME DÊFENSIF DANS L'AFRIQUE BYZAiNTINE 139
apporta à exécuter les instructions de Justinien. Ici comme sur
l'Euphrate, comme aux monts d'Arménie, comme aux rives
du Danube, quelques années ont suffi à réaliser une œuvre
prodigieuse, à reconstituer en le fortifiant l'admirable système
défensif jadis créé par Rome, à couvrir la province entière
d'un réseau de places fortes, dont les savantes dispositions et
la construction rapide font également honneur aux talents
stratégiques et à l'énergique volonté des généraux byzantins.
Sans doute, et nous n'essaierons point de le dissimuler, le gou-
vernement grec a donné en Afrique bien despreuves de faiblesse
et d'incapacité : par un côté pourtant, il ne s'est pas montré
trop indigne de cette grande administralion romaine dont il
revendiquait l'héritage : on s'en rendra compte aisément en
étudiant les principes généraux dont il s'inspira pour assurer
la sécurité des provinces africaines, en montrant surtout avec
quel zèle, quelle entente des nécessités particulières, quelle
incroyable variété des dispositions il a édifié cette multitude
de ch&teaux forts, dont le seul aspect suffirait à rendre équi-
table pour ces Byzantins si injustement décriés.
Les principes généraux du système défensif byzantin.
Pour protéger efficacement leur province d'Afrique, les
Romains s'étaient en général contentés « de prendre en main
la défense immédiate des confins, de mettre des garnisons aux
endroits les plus menacés, le long des routes les plus suivies
des indigènes et aux passages où ils avaient coutume de fran-
chir la frontière, de relier ces postes par des voies grandes et
solides, pour faciliter le mouvement des troupes et le trans-
port des vivres de l'un à l'autre, en même temps, d'établir en
arrière des camps permanents servant de soutiens et de points
de ralliement à tous ces postes disséminés, centres de comman-
140 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
dément et de ravitaillement*. » Quelques grandes places
fortes, comme Théveste et plus tard Lambëse, une série de
redoutes et de citadelles échelonnées uniquement le long du
limeSy suffisaient à donner une parfaite sécurité à Timmense
territoire occupé par Rome. C'est que d'une part, une armée
nombreuse et solide, qu'une puissante organisation militaire
avait faite tout à la fois très forte et très mobile, occupait les
postes disposés sur la frontière ; c'est que, d'autre part, l'in-
térieur du pays était assez sérieusement pacifié pour que les
troupes chargées de la défense du territoire n'eussent à penser
qu'aux attaques venues du dehors : c'est qu'en un mot les
Romains, « loin d'avoir à se préoccuper de ce qui se passait
dans la province qu'ils couvraient, trouvaient, sur le territoire
occupé, avec une population généralement paisible, des se-
cours contre les pillards du sud '. »
Ces conditions avaient fort changé à l'époque byzantine.
On a déjà vu, par les détails empruntés à Procope, ce que va-
laient les armées grecques du vi® siècle ; peu nombreuses,
surtout peu solides, elles étaient assez peu propres à tenir
longtemps et heureusement la campagne; et les traités de
tactique du temps recommandent unanimement d'aventurer
le plus rarement possible ces troupes dans de grandes batailles,
de les abriter le plus souvent qu'il se pourra derrière des re-
tranchements ou des remparts*. D'autre part, le lent relâche-
ment du système défensif romain^ la faiblesse trop visible des
forces byzantines avaient rendu aux adversaires de l'empire
une audace depuis longtemps oubliée ; et des tribus indigènes,
devenues à peu près indépendantes au temps du royaume
vandale, avaient pris l'habitude d'oser, sans cesse ni trêve, des
courses rarement réprimées. Enfin, dans le pays jadis pacifié,
s'étaient réveillés des éléments de troubles : jusque dans l'in-
térieur de la province s'agitaient des populations berbères mal
1. Gagnât, /. c, p. 496.
2. W., l. c, p. 598-599.
3. Anonyme, passim; Siraiegika, X, 2, p. 241. Cf. Jfthna, Gesch, d, Kriegs-
wissensckaft, p. 146, 15^.
LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉFENSIF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE 141
soumises ; parmi les habitants même de nationalité romaine,
des divisions profondes régnaient. Pour toutes ces raisons,
l'organisation défensive imaginée par Rome ne pouvait plus
suffire ; pour assurer la sécurité des frontières et des provinces
africaines, un autre système était nécessaire.
Bien avant le vi* siècle, dans une partie du moins de TAfrique,
Rome avait dû appliquer des principes d'occupation tout parti-
culiers. Dans les Maurélanics, hérissées de massifs monta-
gneux, où les populations mal soumises trouvaient une ten-
tation constante et un asile pour la révolte, il avait fallu mul-
tiplier les postes militaires et cerner en quelque manière
chaque massif d'une chaîne serrée de forteresses ^ Aussi, à
cftté des troupes cantonnées sur la frontière, les soldats du
corps d'armée de Maurétanie « occupaient toutes les lignes
stratégiques, toutes les grandes voies militaires qui coupaient
le pays »'. De plus, dans cette région accidentée, difficile à
surveiller, toujours menacée de quelque nouveau danger, il
avait fallu « donner aux habitants la possibilité de se sous-
traire à une attaque imprévue »'; et pour cela, à côté des
points occupés par des garnisons permanentes^ on avait vu
apparaître des types nouveaux de fortifications, absolument
inconnus dans la Numidie romaine. Ce sont des villes forti-
fiées, des maisons de commandement offrant un refuge aux
populations en cas d'insurrection, des fermes isolées transfor-
mées en citadelles, nous dirions enbordjs, des tours destinées
à assurer par des signaux les communications rapides entre les
différents postes, et à prévenir en temps utile les habitants des
campagnes de l'invasion menaçante ou du soulèvement prêt à
éclater^. Des conditions analogues devaient nécessairement
produire des résultats presque identiques : par bien des côtéB
le système de défense de l'Afrique byzantine rappelle celui
que les Romains appliquèrent dans les Maurétanies.
1. Gagnât, /. c, p. 601.
2. /d., p. 682.
3. Id., p. 677.
4. id., p. 677-683.
142 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Aussi bien ces principes nouveauxne sont point particuliers
à l'Afrique : sur toutes les frontières de Tempire, la stratégie
du vi« siècle employa les mêmes mesures ; et la comparaison
en est fort instruclive pour rendre compte des dispositions
adoptées dans les citadelles africaines. C'est d'abord, tout le
long du limeSy une série de villes fortifiées, reliées par une
succession de postes {castella, çpoùpia)*, assez rapprochés les
uns des autres, solidement construits, bien pourvus d'eau et
de vivres, et généralement occupés par de petites garnisons*.
Leur but est double : ils doivent barrer la- frontière et surveil-
ler l'approche de l'ennemi, et d'autre part servir de base d'opé-
rations aux colonnes expéditionnaires chargées de piller le
territoire hostile*. Mais, pour les raisons qu'on a dites, cette
première ligne, quoique plus serrée qu'autrefois et plus dif-
ficile à franchir, ne parait plus oiïrir une barrière suffisante.
Aussi, à quelque distance en arrière, se développe une seconde
ligne de citadelles, plus importantes celles-là et aussi plus
espacées ^ : ce sont d'ordinaire d'assez grandes villes^ défen-
dues par des garnisons plus nombreuses % et qui offrent tout
à la fois un soutien aux places de la frontière, une nouvelle
barrière à Tinvasion, un asile aux populations du plat pays.
C'est là en effet la grande préoccupation des tacticiens et des
généraux byzantins, assurer la sécurité des habitants de la
province, faire en sorte que la région souffre le moins pos-
sible de l'invasion ennemie*. Dans ce but, partout où un péril
1. Sur la frontière de Mésopotainie, outre les grandes places de Daraet d'A-
mida, Procope énumère une série de çpoupta reliant les deux Tilles fortifiées
(Atd,, p. 222). Cf. p. 227-228. Sur ridenlité des mots çpo^piov et caHellum,
Aed.j p. 225.
2. Anon., IX, 3, 8. U doit y avoir de petites garnisons, pour que Tennemi
n*ait pas la tentation d'assiéger longuement la place.
3. Anon., IX, 1.
4. Aed., p. 228. Cf. la seconde ligne en Arménie, tcf., p. 252-253 (Satala, Go*
loneia, plusieurs castella, Nicopolis, Sébastôe).
5. Anon., XI, 7, qui ?eut gae les grandes viUes soient en général asseï éloi-
gnées de la frontière, surtout si elles sont en plaine.
6. Voir, dans l'Anonyme, V, 1-3, Fimportance des règles relatives an
çuXaxTtxbv Tôbv otxeicov.
LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉFENSiF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE U3
semble à craindre, on élëve une redoute ou une citadelle.
« Voulant, dit Procope, couvrir la frontière du Danube,
Justinien borda le fleuve de nombreuses forteresses, et ins-
talla tout le long du rivage des postes, pour empêcher les
Barbares de tenter le passage. Mais, après la construction de
ces ouvrages, sachant toute la fragilité des espérances hu-
maines, il fit réflexion que, si les ennemis réussissaient à
franchir cet obstacle^ ils trouveraient des populations absolu-
ment sans défense, et qu'ils pourraient sans peine réduire les
personnes en esclavage et piller les propriétés. Il ne se con-
tenta donc point de leur assurer, au moyen des citadelles du
fleuve, une sécurité générale ; mais il multiplia dans tout le
plat pays les fortifications, de telle sorte que chaque propriété
agricole se trouva transformée en un château fort ou voisine
d'un poste fortifié^. » Les traités de tactique professent une
doctrine absolument conforme à ces pratiques. Avant toute
chose, il importe qu'on garantisse, en cas d'invasion, la sécu-
rité des villes et des campagnes-; pour cela, à la moindre
alerte, les postes de la frontière devront, à Taide de signaux
de feu, annoncer rimminence du péril; et l'Anonyme explique
en grand détail comment ces signaux seront manœuvres, de
manière à indiquer exactement la force de Tarmée envahis-
sante, la nature de ses troupes, etc.'; aussitôt tous les habi-
tants du plat pays chercheront refuge dans les forteresses *,
et ce n'est qu'après avoir protégé leur retraite que le général
byzantin prendra l'offensive.
On voit quelle masse de places fortes exige un tel système,
et quelle variété de types en est Tinévitable résultat. Ici, c'est
une grande ville entourée tout entière d une enceinte de rem-
parts*, parfois même protégée, par surcroît, par des forts dé-
1. Aed., p. 268.
2. Anon., XLII, 3.
3. Anon., VIII; Strateg., X, 2, p. 243.
4. Anon., VI, 2;X, 2; XU, 5.
5. En AXriqae, Tébessa, Béja, Bagai, Teboursouk.
144 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
tachés qui couvrent une partie de ses murailles' ; là, pour
aller plus vite, la ville n'a point été fortifiée, mais une citadelle
construite dans une position dominante protège sa sécurité*.
Ici, sur la frontière ce sont des forteresses isolées, plus ou
moins grandes, surveillant le territoire ennemi; là, ce sont
de vastes places de refuge, destinées à recueillir la popula-
tion des campagnes voisines*, ou des fortins construits sur les
hauteurs pour abriter les habitants de la plaine'. Partout les
passages importants, les défilés sont gardés par des redoutes,
et transformés, suivant Texpression byzantine, en véritables
clisures*; ici, sur tel point particulièrement dangereux, des
tours isolées s'élèvent*; là^ pour barrer telle route particuliè-
rement importante, des murs continus sont jetés sur une vaste
étendue de pays \ Ainsi, rien n'est laissé au hasard : au centre
des plaines, de grandes citadelles surveillent tout le pays avoi-
sinant'; à l'entrée des vallées ou au débouché des gorges, des
redoutes interdisent le passage; sur les collines, des tours de
vigie observent l'approche de l'ennemi, pour transmettre la
nouvelle de l'invasion ; partout, des fortins offrent un refuge
aux populations des campagnes. Contre l'ennemi du dehors,
deux lignes de places fortes au moins opposent leur barrière ;
pour contenir celui du dedans, des forteresses occupent tous
les points stratégiques; chaque ville se clôt de remparts,
chaque route se hérisse de tours, et au lieu du système si
simple de l'époque romaine, qui limitait à la zone frontière les
travaux de fortification, la province tout entière se couvre de
1. Aed., p. S30. En Afrique, Safes, Thelepte.
2. i4ed.)p. 269. Eq Afrique, Haïdra, Timgad, Mdaonrouch, Tobna.
3. Aed., p. 299-300. En Afrique, Bordj-Uallal, Zana.Sur le détail de chacun
de ces établissements militaires, cf. mou Rapport sur deux missions en Afrique
{Nouv. Archives des Missions, t. IV) .
4. Aed., p. 222-223.
5. /cf., p. 250, 261, 271-273, 306. En Afrique, Lemsa, Henchir-Sidi-Amara,
Aln-el-Bordj.
6. Aed., p. 228.
7. Id., p. 270-271 (Thermopyles) ; 273 (l*isthmede Corinthe).
8. En Afrique, Sétif, Laribas, le château du Bellezma.
LES PRINCIPES DU SYSTEME DÉFENSIF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE 145
citadelles. De là un système de défense plus compliqué, moins
régulièrement ordonné, plus difficile à définir et à décrire :
entre ces ouvrages de toute sorte, il est malaisé parfois de dis-
tinguer ceux qui servent à la garde de la frontière et ceux
qui sont destinés uniquement à recueillir les colons ; il est
plus malaisé encore de faire le départ entre les constructions
dues à l'initiative impériale et celles qu'ont élevées le zèle ou
les inquiétudes des particuliers.
II
Les principes généraux de la construction militaire byzantine.
Quoi qu'il en soit, la place forte byzantine, ville fortifiée ou
citadelle, est protégée d'ordinaire par une triple série de dé-
fenses *. Tout d^abord, c'est le mur d'enceinte (tsTxoç, TceptôoXcç),
ayant deux étages de hauteur; à Tétage inférieur, des meur-
trières ménagées dans l'épaisseur du rempart permettent de
couvrir de flèches les assaillants ; au-dessus^ le premier étage,
qui s'élève parfois à une hauteur de près de neuf mètres, porte
à l'intérieur un chemin de ronde couvert et solidement
voûté, par lequel on peut circuler sur tout le pourtour de la
place '. Le haut du mur est couronné par une terrasse crénelée.
Tout le long des remparts, de distance en distance, de fortes
tours carrées flanquent les courtines ; elles ont trois étages et,
comme le mur qu'elles dominent, elles sont garnies de cré-
neaux. Certaines d'entre elles sont disposées de manière à
former de véritables donjons, capables de continuer la résis-
tance, même après la prise de la courtine. En avant du mur
d'enceinte, à une distance équivalant généralement au quart
de la hauteur du rempart, s'étend Tavant-mur (icpo-ceixi^ixa), qui
doit tout à la fois empêcher l'attaque directe de l'enceinte et
1. Atd,, p. 211-214 (Dara) ; 255-256 (TheodosiopoUs) ; Anoo., Xil.
2. Cf. Aed., p. 301.
I. 10
146 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
étendre les dimensions de la ville, de manière qu'elle puisse
fournir abri aux gens de la campagne : c'est sur le glacis soi-
gneusement nivelé et aménagé, qui sépare les deux lignes de
retranchements, que ces populations s'installeront pour parti-
ciper à la défense *. Devant le xpoieixtaixa, un fossé (ti^poç), très
large, très profond, est creusé dans le sol et rempli d*eau; il
doit mesurer au moins dix-huit mètres de largeur % il doit s'en-
foncer dans la terre à un niveau inférieur aux fondations du
Tzpoxdy{C[Lx, dételle sorte que les mineurs de l'ennemi ne puissent
atteindre et saper la base de Tavant-mur; ses parois doivent
être absolument verticales, de façon à le rendre tout à fait in-
franchissable. Enfin, le long du fossé, les matériaux de déblai
sont entassés de manière à former une haute levée de terre
Tel est, dans ses traits généraux, le système complet de la
construction militaire byzantine. Pourtant, dans la pratique,
ces principes souffrent plus d'une altération. Tantôt, soit que
les dispositions naturelles du terrain rendent cette défense
inutile ^ soit pour tout autre motif, on ne creuse point de fossé
en avant du T.çioxtiyia\Lx *, et deux lignes de retranchements
suffisent à la défense. Tantôt, et cette règle trouve surtout son
application dans les places moins considérables, dans les
castella échelonnés sur la frontière, le xpoTeCxt<xiJux manque en-
tièrement * ; alors le mur d'enceinte est généralement protégé
par un fossé ^ ; parfois même un simple rempart forme Tunique
défense \ En fait, les circonstances, la nécessité d'élever plus
ou moins hâtivement les travaux de fortifications, la nature
aussi de l'ennemi qu'il s'agit de repousser, déterminent sou-
verainement ces modifications de détail. Si le péril est pressant,
1. Anon., Xn. Cf. Proc, BelL Pers,, p. 212.
2. AnoD., Xll, 0.
3. Aed., p. 213.
4. Id., p. 224, 226, 230.
5. /d., p. 252.
6. Id., p. 301.
1. Quelquefois il Q*y a même pas de mur en pierre (Aqod.^XUI, 12).
LES PRINCIPES DV SYSTEME DÉFENSIF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE 147
si l'invasion menace, on se contente d*éleyer un simple mur
de médiocre hauteur, flanqué de distance en distance par des
tours crénelées. « Les Romains, dit Procope dans une circons-
tance de cette sorte, attendant d'un instant à l'autre une at-
taque, ne conduisirent pas fort soigneusement la construction,
et la rapidité causée par Texcës de leur zèle fit quelque tort à
la solidité de l'ouvrage ; car, dans leur hâte à élever la mu-
raille, ils se contentèrent de lui donner la hauteur strictement
nécessaire, sans même s'inquiéter de disposer les pierres en
lits réguliers, sans en assembler soigneusement les joints,
sans les lier convenablement au moyen de la chaux ; et en
peu de temps, la bâtisse n'étant point assez solide pour résister
aux gelées et à la chaleur du soleil, la plupart des tours vinrent
à se fendre*. » D'autres simplifications se produisent, si l'en-
nemi n'a pas l'habitude des sièges : dans ce cas, un mur uni-
que, sans fossé, parfois même sans tours, parait amplement
suffisant. « Les Romains, dit encore Procope, s'étaient bornés
à entourer la place d'un mur peu élevé, juste suffisant pour
empêcher les Arabes de la région d'enlever la ville par surprise.
Les Arabes, en effet, sont naturellement incapables de conduire
un siège régulier, et n'importe quoi, le mur le plus misérable,
un simple terrassement, suffit à briser leur attaque ' . » Contre
des adversaires de cette sorte, il n'était point besoin de faire
appel aux raffinements de la fortification ; c'est ce qui a permis
aux Byzantins de tant simplifier leurs forteresses africaines.
Sans danger, ils ont pu y supprimer et le fossé et le zpoteCxKiixa ;
sans péril même, ils ont pu élever hâtivement les murailles
de leurs citadelles : et si j'ai cité tout au long ces deux passages
de Procope, c'est qu'ils expliquent à merveille quelques-uns
des partis adoptés par les constructeurs de l'Afrique grecque.
Néanmoins^ en aucun cas les Byzantins ne construisent
leurs forteresses au hasard. Le traité anonyme de la Tactique
indique avec une grande précision les conditions auxquelles
1. Ae(L, p. 210-211.
2. Afd.. p. 235.
148 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
on devra subordonner le choix de l'emplacement. En principe,
il faut le plus souvent possible s*établir sur une hauteur en-
tourée d'escarpements^ ou dans une position défendue par une
rivière * ; si l'on est obligé de s'installer en plaine, il est indis-
pensable que la citadelle soit très forte, bâtie en belles pierres
de taille soigneusement appareillées, construite sur un plan
très savant et avec des dispositions très heureuses '. Ce n^est
pas tout : il importe que le pays d'alentour soit fertile *, que
l'eau se trouve en abondance à portée ou dans l'intérieur de
la place ; il faut considérer aussi les facilités de construction
qu'offre la région, en particulier examiner s'il y a dans les
environs des pierres toutes taillées*. On verra combien ce der-
nier détail a eu d'importance pour l'établissement des cita-
delles africaines.
En général, le mur byzantin est formé d'un double revête-
ment de pierres de taille, l'intervalle entre les deux parements
étant comblé par une maçonnerie en blocage *. Cette muraille
doit être à la fois très haute et très épaisse, très haute pour
protéger la place contre toute escalade, très épaisse pour
amortir le choc des machines destinées à faire brèche. Le
traité anonyme de la Tactique demande que le rempart ait au
moins cinq coudées, soit 2*",31 d'épaisseur, vingt coudées, soit
9"',24 de hauteur *; et dans la pratique, il n'est pas rare que
ces dimensions soient dépassées. Au rapport de Procope, les
murailles de Martyropolis en Arménie mesuraient douze pieds
(3",70) d'épaisseur et quarante pieds (12",32) de hauteur^;
celles de Dara atteignaient 18", 50'. En Afrique, l'épaisseur
habituelle de la courtine varie entre 2"',30 et 2n,70 ; la hauteur,
dans les rares citadelles où le mur s'est conservé intact jusqu'à
1. Anon , XI, 1.
2. /d., XI, 6.
3. /d., X, 4.
4. W., X, 3.
5. i4ed., p. 250, et presque toutes les forteresses d'Afrique.
6. Anoo., XU, i.
1. Aed,, p. 250.
8. Bell Pers.f p. 212.
LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉFENSIF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE U9
son couronnement, atteint de 8^,05 à 10 mètres ^ La partie
inférieure du rempart, plus exposée aux attaques directes de
Tennemi, doit être construite avec un soin particulier; l'Ano-
nyme demande que jusqu'à sept coudées de hauteur (3™,24), on
n'emploie dans la bâtisse que de très grandes pierres de taille
soigneusement ajustées*; et d'une façon générale, dans toutes
les constructions militaires du temps de Justinien, non seule-
ment la pierre remplace partout les épaulemenls de terre 3,
mais très souvent des pierres droites et minces alternent avec
les blocs posés de champ et s'insèrent dans la masse de la ma-
çonnerie, de manière à former boutisse et à renforcer la soli-
Fig. 1. Kasr-Maizhra. Appareil du mur. Fig. 2.
Vue extérieure. Vue intérieure.
(Dessins de M. Saladin.)
dite de la fortification^. Surtout il importe que le mur soit
assez élevé, pour qu'en aucun point ses défenseurs ne soient
exposés à être dominés par Tennemi^ s*il est absolument
impossible d'éviter cet inconvénient, des mesures défensives
spéciales en atténueront le désavantage. C'est pour cela qu'au
premier étage des remparts, on ménage fréquemment des ga-
leries couvertes et voûtées où les combattants trouveront un
1. Par exemple, à Lemsa, & Tébessa. Les plans de toutes les citadelles
byzantines, auxquelles nous renvoyons dans ces notes, se trouvent repro-
duits au cours du volume. Une table des matières spéciale, classée par or-
dre alphabétique, indique les pages où sont placés les plans et dessins rela-
tifs à chacune de ces forteresses.
2. Anon., XII, 4.
3. Aed ,p, 223, 227,235.
4. Par exemple, à Timgad, au Bellezma, etc.
5.'i4ed., p. 212, 225, 304.
130 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
abri \ C'est pour cela que, sur la terrasse crénelée qui cou-
ronne la muraille, on élève parfois une loilure légère qui pro-
tégera les hommes contre les flèches de Tennemi * ; c'est pour
cela qu'entre les créneaux, on dispose des blindages formés de
pièces de toile ou de laine, ou même des matelas tendus le
long du mur'; c'est pour cela encore qu'en avant du rempart,
à une distance de deux coudées (0°*,92), on installe des filets
aux mailles très serrées, où s'amortira le jet des pierres'.
Sur tout le pourtour sup<^rieur du rempart court un chemin
de ronde assez large. Tantôt il est porté sur des contreforts
Kig. 3. — Aïii-Hedja. Forteresse byzanliue. Tour de laDgle sud-ouest (coupe)
et escalier de la courtine ouest. (Dessin de M. £. Sadoux.)
intérieurs épaulant la courtine, et reliés entre eux par des ar-
cades ou des linteaux^; tantôt une partie de sa largeur est
prise en encorbellement, et soutenu sur de forts corbeaux qui
débordent le parement intérieur, il forme comme une sorte de
balcon surplombant la muraille^; tantôt il couronne tout sim-
1. Aed.,p. 212,256, 301, 304.
2. /d., p. 232.
3. Anon.. XUI, 18,2!.
4. /(/., XUI, 26.
5. Exemple h Haïdra, Mdaourouch.
6. Exemple à Tébessa.
LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉFEN9IF DANS L'AFRIQUE HYZANTINE 151
plement la courtine et a la même largeur qu'elle*. Pavé de
grandes dalles plates posées sur le sommet de la muraille, il
est bordé, vers le dedans delà citadelle, d'une assise de pier-
res de taille haute de 0"',50; vers Textérieur, il est couvert par
un parapet crénelé, ayant même épaisseur que le parement
extérieur du rempart et dont les créneaux mesurent 1",50 de
hauteur'. En certains endroits, le chemin de ronde est coupé
par des marches ayant même largeur que lui, et destinées,
lorsque la déclivité du sol est très prononcée, à racheter les dif-
Echelle d^^ o , o c > p . m .
Pig. 4. _ Mdaourouch. Forteresse byzantiDe. Tour de Tangle sud-eï^l.
férences de niveau*. Ce chemin de ronde fait tout le tour de
l'enceinte, assurant les communications entre les tours qui
flanquent les courtines et qui généralement y prennent accès
par une ou plusieurs portes. On monte au chemin de ronde
par des escaliers accolés, sur différents points de Tenceinte, à
la face intérieure de la muraille, et appuyés sur une arcade
1. Exemple à Tehoursouk, Leuipa.
2. Exemple à Lemsa.
3. Exemple à Haîdra. Tébessa.
152
HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
OU sur un fort massif de maçonnerie*; parfois pourtant, on ne
trouve aucune trace de dispositions de cette sorte, et c'est par
les escaliers intérieurs des tours qu'on gagne le chemin de
ronde*.
A Textérieur du rempart, de distance en distance, mais assez
Fig. 5. — Ksar Bagai. Tour de l'angle nord.
rapprochées Tune de l'autre pour couvrir utilement la courtine
intermédiaire', des tours, généralement assez saillantes, flan-
quent la muraille, La forme en est très variable : le traité de
la Tac/iywe demande qu'elles soient hexagonales à l'extérieur
et circulaires au dedans*; en fait, les unes sont rondes %
i . Exemple à Haïdra, Tébessa, Aïn-Hedja.
2. Exemple à Mdaourouch.
3. Aed., p. 224-22iî.
4. Anon., XU, 2.
5. Exemple à Haïdra, Thelepte, Bagai, Guessès (Gsell et Graillot, Buines^rO'
maines au nord de fAurès, p. Ii9->i20].
•a
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d
o
o
H
'S
154 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
d'autres hexagonales ou octogonales'; parfois mémo, com-
mencées sur un plan carré, elles s'achèvent en une construc-
tion circulaire*; le plus habituellement, elles sont carrées
tout simplement. Leurs dimensions varient à Tinfini : en
général pourtant, les tours qui^ couvrent les angles extrêmes
de la forteresse sont de proportions plus considérables. Par
une anomalie assez singulière, mais presque constante, Tépais-
seur de leurs murailles est moindre que celle des courtines :
elle varie entre i",25, i",70 ou i",80 ; presque jamais elle ne
Echelle cie o,oos p naître
» ■■ — I I
Pig. 7. — Bordj-llullal. Forterehse byzaotiue. Plan d'uue tour de l'enceinte
(Dessin de M. Sadoux.)
dépasse 2 mètres; quant à la hauteur^ elle atteint, là. où il est
possible de la vérifier avec exactitude, de 14"*, 50 à 16 ou
17 mètres'. D'habitude, ces tours s'ouvrent sur Tin té rieur de
la forteresse^ par une poterne assez étroite ménagée au rez-
de-chaussée*. Elles ont d'ordinaire deux ou même trois
étages' : en bas, il y a une salle carrée, faiblement éclairée
1. Exemple àTigisis.
2. Àed., p. 2i2. Exemple à Theleptp.
3 . Exemple à Lemsa, Tébessa.
4. Exemple à Timgad, Lemsa.
5. Exemple à L^mi^a, Tébe8sa,Mdaourouch, Aïu-Tounga. Cf. Antiochi^ (Rey,
Archii, militaire des Croisés, p. 188-i89) ; Nicée (Texier, Asie Httiet/re; I, pi. iO).
LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉFENSIF DANS LAFIUQUE BYZANTINE 15r,
par de rares meurtrières, el voûtée soit en berceau, soit en
voûte d'arête, soit parfois même en coupole*; au niveau du
chemin de ronde, el prenant accès sur lui par une porte par-
ticulière, se trouve le premier étage, dont le plancher reposait
sur des corbeaux accrochés aux faces latérales, ou sur quatre
fig. 8. — Bordj-Hallal. Coupe de la tour suivant EF.
(Dessin et restitution de M. Sadoux.)
solives profondément engagées dans des trous ménagés à cet
effet*. Une fenêtre assez large, ouvrant sur l'intérieur de la
citadelle, et souvent surmontée d'un arc de décharge soigneu-
1. Exemple à Tébessa, Bordj-Hallal, Timgad.
2. Exemple à Tébessa, Lemsa, Aïu-Touuga, Teboursouk (Saladin, Il [Rap-
port de 1893], p. 445).
156 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
sèment appareillé, éclaire d'habitude cette salle*. Pour la
couvrir, il y avait soit une voûte, soit plus fréquemment un
plafond soutenu de la même manière que le plancher, et for-
mant une plate-forme où Ton accédait par un escalier inté-
rieur". La tour était couronnée par une terrasse crénelée.
Très souvent, pour permettre aux défenseurs de faire une
plus longue résistance, on s*appliquait à isoler chaque tour de
ses voisines, à la transformer en une sorte de donjon, ce que
Procope appelle un luupYoxacnsXXov *. A cet effet, au lieu de
mettre les tours en communication avec le chemin de ronde.
■■//■■/■/ vZ,r>-
Fig. 9. — Teboursouk. Enceinte byzantine. Archère dans une tour.
(Detsin de M. Saladin.)
on ferme soigneusement toute issue sur les courtines ; chaque
tour a son entrée spéciale, qu'on défend et dissimule le
plus soigneusement possible , ses escaliers intérieurs reliant
les différents étages^; de cette sorte, même si Teonemi est
parvenu à franchir les remparts, chaque tour isolée continue
i. Exemple à Tébessa, Aïn-Tounga.
2. Exemple à Tébessa, Lemsa.
3. Atd,, p. 225, 256, 304.
4. \d,, p. 298.
LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉFENSÏF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE 157
à offrir ua abri à ses défenseurs. D'autres fois, mais plus
rarement, les tours sont sans communication avec Tintérieur
de la citadelle' : dans ce cas, si l'ennemi pénètre dans le châ-
teau en forçant une porte ou surprenant une poterne, les dé-
fenseurs, groupés sur le chemin de ronde, peuvent continuer
y.-..r ? -y f f y !> f ^ ..^
Fig. 10. — Béja. Eaceiate DyzaQtiue. — Tour maitreaae de la casba.
la défense sans avoir à se préoccuper de protéger les escaliers
des tours; au reste, lorsque les tours s'ouvrent sur la cour
1. Exemple à Tlingad.
iaK HISTOIHE DE LA|Û0M1NAT10N BYZANTINE EN AFRIQUE
de la forteresse, la salle du rez-de-chaussée demeure d'ordi-
naire sans communication avec celle de l'étage*.
Enfin il n'est point rare que les villes fortes byzantines aient
une ou plusieurs maltresses tours, de dimensions plus consi-
dérables et d'une résistance plus puissante, destinées à offrir
aux défenseurs un suprême refuge'. C'est ainsi qu'on trouvait
0
I i
7 Mètres
Fig. 11. — K*^v bcliezma. Porte du front ouest.
à Dara un donjon que Ton appelait la tour de garde*; de
même, il y avait à Nicée/a tour du centenier et à Édesse la tour
des Perses*. Ces tours étaient fortifiées avec un soin tout par-
ticulier : leurs murailles, beaucoup plus épaisses que d'ordi.
1. Exemple à Lemsa, AÎD-TouDga, Timgad.
2. Aed., p. 212-213; Rey, /. c, p. 13-14.
3 Aed., p. 2<3.
4. T'^xier ci Popplewell Pullan, Archit. hj/zantine^ p. 55.
Les principes du système DëFëNSIF DAiNS L'AFRIQUE BYZANTINE 159
naire, avaient 2 mètres, 2'»,30, jusquà 2™,60 de largeur;
leurs faces extérieures mesuraient 42 ou 15 mètres, quelque-
fois davantage encore ^ Presque toujours elles occupaient un
point par liculièrehnent important de Tenceinte, tantôt couvrant
un saillant spécialement exposé à Tattaque, plus souvent do-
minant, de Tendroit le plus élevé et le plus fort de la citadelle^
toute rétendue de la place étalée à leurs pieds. Quelquefois
encore ces tours s*élevaient isolées à l'intérieur de la forte-
EcKeMe 3.e o^ooS p. m.
o
Fig. 12.
"J
â 2 i.
- AïQ-TouQga. Forteresse byzantine. Porte du front sud.
resse : placées à quelque distance en arrière du rempart
qu'elles dépassaient^ elles formaient alors tout à la fois une
tour de guet et un poste de refuge pour les défenseurs*.
Sur les différentes faces de l'enceinte, un certain nombre
de portes et de poternes donnaient entrée dans le château. On
attachait une importance toute particulière à fortement pro-
téger ces issues, qui constituaient naturellement le point vul-
i. Exemple À Thelepte, Tigisis, Béja, Tifech, Guesaès (/. c).
2. Exemple à Laribus.
160 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
nérable de toute ville forte. D'habitude, les portes s'ouvraient
donc entre deux tours très proches l'une de Taulre qui en
couvraient Taccës'. C'était le parti le plus simple; mais il ne
semblait pas toujours suffisant : alors on s'ingéniait à ima-
giner mille moyens pour compliquer la défense. Tantôt, dans
la face latérale d'une des tours de Tenceinte, on perçait une
Fig. 13. — Aïn-Toanga. Porte ouest de la tour du front sud.
(Dessin de M. Saladin.)
porte sur Textérieur, commandée à la fois par la tour et par
la courtine voisine; puis, du réduit intérieur de la tour, une
seconde porte, placée à angle droit avec la première^ con-
duisait dans la citadelle, resserrée encore à son débouché et
comme étranglée entre deux puissants contreforts *. Tantôt
1. Aed., p. 296. Exemple à Tébessa, Tigisis.
2. Exemple au Beilezma, Aïu-Touoga.
LES PRINOPES DU SYSTÈME DÉFENSIF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE 161
les deux porles se trouvaient disposées dans un même axe ;
mais sur les côtés de la petite cour qui les séparait, des cou-
loirs dérobés, ménagés dans l'épaisseur de la muraille, per-
mettaient d'assaillir sur les flancs les ennemis retenus entre
les deux porles, et criblés en même temps de flèches par les
soldats postés sur les courtines : peut-être même pouvait-on
par ce moyen tenter de couper la retraite aux assaillants *. En
tout cas^ on s'appliquait toujours à placer les entrées de lacita-
EcTielle de o,oo5 p. m
Fjg. 14. — Mdaourouch. Citadelle byzantine. Porte principale.
délie sous l'abri tout prochain de quelque tour voisine; les
poternes elles-mêmes ne sont jamais dépourvues de cette pro-
tection*. Enfin on faisait les portes très étroites : les poternes
ont généralement un mètre tout au plus d'ouverture^; les
portes principales ne dépassent guère une largeur de trois
mètres*, et souvent elles ont beaucoup moins (2™, 25, ^",25)^
1. Ëx. : Timgad, Mdaouroucb.
2. Ex. : Sétif, Haîdra, Mdaourouch, etc.
3. Ex. : Timgad, Mdaourouch, Sétif, Guelma.
4. Ex. : Aîn-Tounga.
5. Ex. : Tiragad» Bclleznia.
162 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
De lourds battants, épais de O'^ySS et assujettis par une forte
barre transversale poussée dans des glissières, fermaient la
LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉFËNSIF DANS L'AFRIQUE BYZAiV/lNE 163
baie de Farcade^ et garantissaient la sécurité de la forteresse.
Quelquefois on tâchait même de dissimuler les portes aux vues
de Tennemi *.
Enfin, dans un certain nombre de villes fortes, et d'ordi-
naire sur le point le plus élevé de la place, s'élevait un réduit
fortifié, véritable citadelle qui pouvait, la ville prise, offrir
aux défenseurs une dernière retraite '. Comme Tenceinte, ce
réduit était sur ses différents fronts flanqué de tours carrées ;
parfois il était encore renforcé par une sorte de donjon inté-
rieur. Les murailles de cet ouvrage, moins fortes que celles
des remparts de la cité, mesuraient en général l'',20 à l'^^iO
seulement.
Hais, il ne suffisait pas d'assurer la défense : il fallait en-
core procurer kla citadelle des approvisionnements suffisants,
soit en vivres, soit en eau. Ce dernier point surtout était d'une
importance particulière : et l'auteur de la Tactique y insiste
longuement*. Il faut que chaque citadelle ait son alimentation
d'eau, que cette eau soit de bonne qualité et en quantité suf-
fisante pour fournir aux besoins de la garnison et des popula-
tions réfugiées dans la ville ; il faut, autant que possible, que
la source se trouve dans l'intérieur même de la place; tout au
moins en doit-elle être assez proche pour qu'en cas de siège
on puisse s'y approvisionner sans difficulté. Si, sur le point
qu'on veut occuper, on ne réussit à découvrir aucune source S
on amènera par un aqueduc l'eau d'une montagne voisine * ;
s'il y a un fleuve dans le voisinage, on y embranchera un canal
de dérivation*; mais surtout on s'appliquera à construire de
vastes citernes où s'accumulera et se conservera l'eau de
pluie*. Tantôt ces réservoirs sont établis entre le mur d'en-
1. Ex. : Mdaouroach.
2. Aed.j p. 296.
3. Ex. : Bagai, Laribud, Djeioula, Guessës (Gseli etGralllot, L c, p. 119-120).
4. Adoo., X, 2;cf. IX, 8.
5. A9d., p. 223-224.
6. Id,y p. 225.
7. Jd., p. 2U.
8. Id,, p. 2U, 236, 239, 269, 271.
164 HISTOIRE DE Lk DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
ceinte et le TcporeCxtqjLaS plus souvent dans Tintérieur même de
la place : parfois mème^ chaque tour a une citerne particulière,
qui donnera en toute circonstance Teau nécessaire aux défen-
seurs*. Enfin, dans les villes importantes, on installait des
magasins considérables destinés à assurer le ravitaillement
des postes de la région '.
Il faut se figurer en outre Tinlérieur de ces forteresses
rempli de constructions de toute sorte, bâtiments pour loger
la garnison, écuries pour les chevaux, magasins pour les vi-
vres, meules et pressoirs pour l'emploi des récoltes faites dans
le pays même; souvent aussi on y rencontrait une église*.
Quand la citadelle était plus considérable, une véritable ville,
avec des rues et des places, se construisait au dedans de l'en-
ceinte ' : malheureusement la plupart de ces édifices ont à peu
près complètement disparu.
Tel est, dans ses traits généraux, le système de la fortifica-
tion byzantine au vi* siècle, tel qu'il apparaît, non seulement
en Afrique, mais encore dans certaines citadelles importantes
de rOrient grec. Parmi elles, l'enceinte d'Antioche était, il y
a encore peu d'années, une des plus remarquables, avec ses
hautes murailles crénelées, escaladant les pentes de la mon-
tagne, ses puissantes tours carrées à trois étages de défense,
son chemin de ronde établi sur arcades, son énorme donjon
pentagonal, et le réduit fortifié, flanqué de massives tourelles,
qui se dressait tout au haut de la ville sur un rocher presque
inaccessible *. Dara%Nicée*, Anazarbe* n'offrent pas de moins
curieux spécimens de Tart militaire byzantin du vi< siècle. A
1. Aed., p. 2t4.
2. Id., p. 239.
3. /d., p. 271, 302.
4. Ex. : Haîdra. Cf. Saladia, l (Rapport de 1887), p. 174-175.
5. Ex. : Tbelepte.
6. Rey, /. c, p. 185-193 et pi. 81. Cf. Âed,, p. 238-241.
7. Texier, Arcfdl. byz,, p. 53-55.
8. Texier, ArchiL byz,, p. 23 : Asie Mineure, 1, p. 39-43.
9. Tezier, Archil, àyz., p. 19-20 ; Schlumberger, Nicéphore Phocas, p. 197-
198.
♦ . V \.
Vue resliluée de la cUadelle byzantine t
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£
I
166
HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Taide de ces monuments, il est facile de reconstituer, sous leur
véritable aspect, quelques-unes des citadelles si bien décrites
[Fig. 17. — Antioche. Portion de Tenceinte byzaotiDe.
(D'après le dessinlde Cassas et la planche de Rey.)
par Procope* : et cette étude a d'autant plus d'importance que,
1. Cr. la restitutioQ de Haîdra proposée'par M. Saladin (pi. II).
LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉFENSÏF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE 167
suivant une observation fort exacte, « beaucoup des disposi-
tions employées par les Byzantins dans leurs travaux de forti-
fications forment une transition entre les méthodes antiques
et celles du moyen âge*. »
III
Comment furetit appliqués dans f Afrique byzantine les prin-
cipes généraux de la défense et de la construction.
II faut voir maintenant de quelle façon ces principes de la
construction militaire byzantine trouvèrent en Afrique leur
application.
Les Vandales, on le sait^ avaient, par mesure de prudence,
rasé les fortifications de presque toutes les villes africaines ;
si bien que, sauf Carthage, Hippone et quelques rares cités,
dont les murailles mal entretenues tombaient d'ailleurs à peu
près en ruine^ sur toute l'étendue du territoire il ne restait
pas une citadelle*. Une tâche immense s^imposait donc aux
généraux de l'empereur. L'Afrique était librement ouverte
aux Berbères : il fallait à n'importe quel prix arrêter leurs
courses et les empêcher de dévaster le pays byzantin '. Mais
dès les premières campagnes, avait apparu l'impossibilité d'ob-
tenir par quelques victoires la soumission des indigènes :
contre ces ennemis insaisissables et toujours renaissants, les
plus glorieux succès, les leçons les plus sévères demeuraient
sans longue efficace ; si l'on voulait sérieusement mettre un
terme aux incursions des tribus, il fallait en revenir au sys-
tème défensif jadis pratiqué par Rome^ et contenir les Ber-
bères sur les frontières par une solide chaîne de forteresses.
Aussi, dès le début de l'occupation, Justinicn s'était empressé
i. Rech. des Anliquilés en Afrique^ p. 159.
2. BelL Vand,, p. 333, 403 ; Aed. p. 338, 340.
3. Cod. Juêi., I, 27, 2, 4 b.
168 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
de reconstituer les antiques /tmtV^'5 romains^; il avait ordonné
à ses généraux de réoccuper et de remettre en état tous les
ouvrages de défense, villes fortes, camps retranchés, châteaux
et clisures échelonnés jadis le long du /tm^s africain*. Mais ce
réseau trop lâche laissait encore trop de portes ouvertes à
Taudacieuse attaque des indigènes : bientôt on s'aperçut que,
pour assurer la pleine tranquillité du pays pacifié, pour orga-
niser réellement, derrière l'abri de la frontière, ces « felicia
régna » dont parle Corippus', il fallait faire quelque chose de
plus. On multiplia donc, comme sur les autres confins de
Tempire, les lignes de forteresses ; on organisa des places de
refuge prèles, en cas d'invasion, à recueillir les populations ;
on surveilla les routes, on ferma les passages ; comme le dit
avec son amplification poétique Tauteur de la Johannide, on
couvrit de retranchements les montagnes, les bois, les fleuves,
les clairières, on barra en les occupant les gorges et les défi-
lés*. De cette sorte on espérait que les Berbères, rejetés au
désert, incapables de chercher comme jadis leur subsistance
dans les plaines fertiles de l'Afrique, seraient bientôt réduits
à la famine et obligés de faire leur soumission ou de chercher
une nouvelle patrie*. Surtout on comptait que Tarmée byzan-
tine, peu nombreuse et peu solide, rendrait de meilleurs et
plus utiles services, ainsi répartie en petites garnisons dans
une multitude de forteresses, qu'aventurée tout entière sur
un même point en une bataille rangée. On se décida donc à cou-
vrir toute la province d*un réseau serré de citadelles : et en
quelques années, avec une rapidité prodigieuse, on mena à
bien cette œuvre gigantesque, à laquelle demeure attaché pour
toujours le nom du patrice Solomon.
Dès son premier gouvernement, Solomon avait entrepris
cette tâche colossale de faire à l'Afrique byzantine une cein-
i. Cod. JusL, 1, 27, 2, 5, 8. 10, 17.
2. M., 4, 8, 14.
3. JoA.,Vl, 39.
4. /d., VI, 40-43.
5. Id., VI, 44-48.
X
LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉFENSIF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE 169
tnre de forteresses : plusieurs places, celles en particulier de
la Numidie septentrionale, datent de cet époque. Les événe-
ments de 536 arrêtèrent Tœuvre de la défense comme ils
entravaient celle de la pacification ; mais lorsque, en 539, le
patrice revint administrer la province, l'un des premiers soins
de son infatigable activité fut d'achever la construction du
système défensif. « Solomon, dit Procope, entoura chaque
cité de remparts »'; et ailleurs Thistorien parle des sommes
considérables qu'il dépensa pour « environner de murailles
beaucoup de villes africaines )>^ D'après un autre écrivain,
Justinien, c'est-à-dire son lieutenant, ne reconstruisit pas
moins de 150 villes africaines^; et non content de remettre
en état les ouvrages ruinés par les Vandales, il éleva un grand
nombre de forteresses nouvelles*. Et en effet, les inscriptions,
les textes, les monuments s'accordent à attester la grandeur de
l'œuvre entreprise. En Tripolitaine, Leptis Magna et Sabrata
virent relever leur enceinte fortifiée'; toute la côte de Byza-
cène se couvrit de citadelles ; lunca^, Hadrumète^ furent
entourées de murailles, et au promontoire de Caput Yada, où
jadis avait débarqué Bélisaire, une ville forte s'éleva sous le
nom de Justinianopolis*. A l'intérieur du pays, Gapsa et Thé-
lepte devinrent de puissantes citadelles chargées de la garde de
lafrontière"; àÂïn-Bou-Dris, une redoute protégeala province
du côté de la Numidie ^^; plus loin, le château d'Ammaedera
barra la grande et importante route qui mène de Théveste à
Carthage". En arrière de cette première ligne, les forteresses
1. Bell. Vand,, p. 493.
2. /rf., p. 501.
3. Evagrius, IV, 18.
4. Aed,y p. 339.
5. Id.y p. 335, 336, 337.
6. Joh., VII, 395.
I, Aed., p. 340 ; Bell. Vand., p. 510-511.
8. Aed,, p. 341-342; Tiasot, II, p. 181.
9. C. /. I., VIIÏ, 101, 102; Aed., p. 342; Cod. JusL, I, 27, 2, 1 a.
10. C. /. /..,Vni,2095, add.
II. Aed., p. 342.
170 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
de Sufes et de Chusira défendirent les approches du massif
montagneux qui couvre le centre de la Tunisie', et la place
de Laribus ferma aux nomades du sud Taccès des plaines de
la Medjerda*. D'autres villes encore, Mamma, Kouloulis, con-
tribuèrent à protéger les frontières de la Byzacène*. Dans la
Proconsulaire, Garthage vit réparer ses murailles : un fossé
profond compléta du côté de la terre Tœuvre de la défense* ;
vers la mer, le couvent fortifié du Mandrakion couvrit les
approches du port et forma une inexpugnable forteresse*.
Dans la vallée du Bagradas, Vaga fut entourée de remparts*;
et tout autour d'elle, à Henchir-Negachia', à Tucca", Solo-
mon éleva des redoutes ; à Bordj-IIallal, une grande forteresse
ferma du côté de Touest Taccès des riches plaines de Bulla
Regia*, et Sicca Yeneria couvrit le point où se rencontrent les
roules de Théveste et de Cirta*®. La Numidie également se
hérissa de citadelles : au pied du plateau des Nemenchas, le
long des pentes septentrionales des massifs de TAurès, les
villes ravagées par les Maures et trouvées désertes par les
Byzantins furent transformées en places fortes**: Théveste**,
Bagai,Thamugadi*^,Lamfoua*^ fermèrent aux nomades Taccès
des hauts plateaux, et deux forts installés sur les premiers som-
mets de la montagne surveillèrent au loin le pays*\ Derrière
i. C. /. /-., Vni, 259» 700.
2. Joh,, VIÏ, 143-146; BeU. Vand.^ p. 508; Proc , Aed. (pans. înéJil d'uu ma.
du Vatican, communiqué par M. Haury.
3. Aed., p. 3V2.
4. W., p. 339.
5. W., p. 339; Bell. Vand,, p. 521.
6. Aed., p. 339-340; C. /. L., VIII, 14399.
7. C. /./.., VIII, 14439.
8. Aed , p. 340.
9. C. /. L., 1259, 14547.
10. Aed. (pasB. ioédit).
11. Aed., p. 342-343.
12. C. 1. L., VIII, 1863, 1864.
13. Aed. (pass. inédit).
14. Ibid.
15. Aed., p. 343 et pas», inédit*
LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉFENSIK DANS L'AFRIQUE BYZANTINE 171
cette première ligne, dans le nord de la province, Tagoura^
Madaure% Gadiaufala^ Tigisis*, Galama*, Constantine*,
MiIeu^ formèrent une seconde barrière protégeant la région
du Tell ; tandis que sur la côte, le castellum de Fossala s'éle-
vait aux environs d'Hippone ^ Dans le Hodna, Zabi Justiniana,
relevée de ses ruines, devint une forte place de guerre' ; dans
la Sitifienne, SitiGs couvrit du côté de Touest la frontière du
pays byzantin^®. Et au delà même des provinces entièrement
soumises, tout le long des rivages d'Afrique et jusqu'aux
Colonnes d'Hercule, des citadelles s'échelonnèrent. C'étaient
Césarée dans la Maurétanie Césarienne ^S et en face de l'Espa-
gne, aux limites mêmes de la domination impériale, le redou*
table chftteau de Septum que Justinien, dit Procope, rendit
c< imprenable au monde entier »^^. Et je ne parle ici, il faut
le remarquer, que des forteresses dont un texte ou une ins-
cription nous fournit la date d'une manière irréfutable : mais
combien d'autres citadelles éparses sur le sol d'Afrique appar-
tiennent incontestablement à cette grande œuvre de restau-
ration ! Ce sont tantôt des places de premier ordre, comme
Tubunae, le château du Bellezma, le fort de Ras-el-Oued ou
Zarai ; ce sont surtout des redoutes innombrables, reliant les
grandes cités entre elles, barrant les vallées et les défilés.
Pour la plupart de ces monuments, une simple comparaison
suffit à fixer l'époque où ils furent construits : ils appartien-
nent au même système, ils s'inspirent des mêmes principes
que les places sûrement datées par un témoignage certain; et
1. C. /. L., VIII, 46851.
2. Ihid., Vni, 4677.
3. Ibid., 4799.
4. Aed. (pas», inédit).
5. C. /. L.^Vni, 5352, 5353; Aed, (pass. ÎDédit).
6. Cod. JusL, I, 27, 2, 1 a.
1, Aed. (pass. inédit).
8. Ibid.
9. C. /. L., VIII, 8805.
10. C. /. I., Vni, 8483; Aed. (pass. inédit).
H. Cod, Just,, l, 27, 2, 1 a.
13. Aed.. p. 343.
172 HISTOIRE DE LA DOMINATON BYZANTINE EN AFRIQUE
les données archéologiques s'ajoutent ici aux informations de
rhisloire pour prouver la grandeur de Tœuvre réalisée par
Solomon.
Et si Ton songe au petit nombre d'années qui suffirent à
élever ces ouvrages, à la rapidité prodigieuse qu'il fallut ap*
porter au travail, on admirera encore davantage l'énergique
activité du général byzantin. On a compté que, pour construire
la seule enceinte de Théveste, il n'a pas fallu moins de
335^800 journées d'ouvrier, et que pour parvenir en deux ans
à terminer la forteresse, on a dû journellement employer 800
à 850 travailleurs ' ; et si Ton considère que des citadelles sem-
blables se bâtissaient au même moment sur toute la surface de
l'Afrique, on voit quelle prodigieuse dépense d*efforts, d'hom-
mes et d'argent a exigée cette colossale entreprise. Ce n'est pas
tout. « Lorsque, dit un juge compétent, on examine avec
attention le réseau des forteresses byzantines, on s'aperçoit
que le choix des positions a eu lieu en général avec beaucoup
de soins et qu'un coup d'œil remarquable a présidé à l'ensem-
ble de cette opération, dont le but évident était de dominer le
pays avec le moins de troupes possible. Si en outre on se rend
compte des efforts qu'il a fallu faire, des difficultés qu'il a
fallu vaincre, pour construire en un temps si court des établis-
sements si considérables et si multipliés, appuyé sur une
armée très faible, dans un pays incomplètement soumis et
grand comme la France, on est obligé de reconnaître, non
seulement que Solomon élait un stratégisle habile, mais
que les ingénieurs et lieutenants chargés de le seconder
avaient une vigueur d'exécution incontestable et une connais-
sance approfondie de l'art de la guerre*. »
Pourtant on chercherait à tort, dans les citadelles de l'Afri-
que, l'application intégrale des principes de la fortification
byzantine. Les circonstances particulières dans lesquelles
Solomon dut accomplir son œuvre ne permettaient point
1. Moll, Rec. de ConsL, 1860, p. 206-207.
2. ItU, p. 208-209.
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174 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
d'employer le système complet et assez compliqué que Justi-
nien avait pratiqué dans les grandes forteresses de TOrient ; et
par surcroît, la qualité des adversaires auxquels ces châteaux
devaient faire résistance n'exigeait point de telles précautions.
D'une part, contre des ennemis fort inexpérimentés dans Tart
des sièges', des moyens de défense simplifiés pouvaient être
adoptés sans péril ; d'autre part, la nécessité pressante de cou-
vrir de forteresses le plus promptement possible un pays
récemment conquis et qu'on sentait fort menacé, interdisait
les longues recherches et les travaux trop soigneusement con-
duits. On a donc tiré parti, et sans scrupule, de tout ce qui
pouvait accélérer la besogne proposée : on a voulu faire vite,
et on s'en aperçoit du reste en étudiant les détails des citadel-
les africaines. Au lieu de prendre la peine de demander aux
carrières les matériaux dont ils avaient besoin, les construc-
teurs byzantins « ont puisé dans les ruines des cités qu'ils
rencontraient, sans distinguer entre les différentes pierres qui
leur tombaient sous la main, empruntant aux forums leurs
bases honorifiques, avec les statues qui s'y élevaient, aux
temples leurs architraves, leurs colonnes, leurs inscriptions
votives, aux cimetières leurs tombes*. » Souvent ils ont fait
mieux encore: pour se procurer rapidement les matériaux
nécessaires à certaines portions particulièrement difficiles de
la construction, ils ont démoli sans hésiter les édifices encore
debout, démontant par exemple, vousaoir par voussoir^ les
portes ou les arcades de ces monuments pour les transporter
dans leurs forteresses'. D'ailleurs Tusage et même Ift loi auto-
risaient ces pratiques^: et Ton a vu Fauteur de la Tactique
recommander comme un endroit spécialement désigné pour la
construction d'un château, celui où se rencontrenten abondance
des pierres déjà toutes taillées^ Aussi n'est-il point, en Afrique,
1. Bell. Vand., p. 508.
2. Gagnât, Titngad, p. xi.
3. Saladio, 11, p. 532-533, 543, 544-545.
4. Nov. 120, 1.
5. Adoo., X, 3.
LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉFENSIP DANS L AFRIQUE BYZANTINE 175
une seule construction militaire byzantine qui n'offre abon-
damment la preuve de ces méthodes hâtives. A Sétif, à Tim-
gad, à Tébessa, à Haïdra, à Mdaourouch, à Aïn-Tounga, partout
Fig. 19. — Alo-TouQga, citadelle byzaolioe. Tour de Taogle sud-est.
(D'après une photographie communiquée par M. Gauckler.)
enfin, les fragments d'inscriptions, les architraves moulurées,
les débris de corniches, les colonnes et les chapiteaux, les
ne HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
sarcophages et les morceaux de sculpture, sont entassés pêle-
mèle dans les murailles, et parfois même noyés dans la
maçonnerie de blocage ; les blocs taillés en bossage se mêlent
aux pierres demeurées lisses et tous ces matériaux antiques,
souvent d*une qualité excellente, sont accumulés les uns sur les
autres dans le désordre le plus complet. Indifféremment les
blocs sont placés de champ ou en délit : entre les pierres de
dimensions énormes, de tout petits matériaux s'intercalent.
Fig. 20. — Teboursouk. — Appareil du mur byzantin.
Souvent les assises sont irrégulièrement disposées et la diffé-
rence de niveau est simplement rachetée par des lits de mortier
plus ou moins épais ; souvent les joints sont faits grossière-
ment : plus fréquemment encore des disparates singuliers
apparaissent. Tandis que le bas de la muraille est assez
soigneusement construit, dans les parties supérieures l'appa-
reil s'altère et se gâte; alors que le parement extérieur du mur
est régulièrement disposé, le revêlement intérieur des cour-
tines et des tours est d'un travail beaucoup moins attentif.
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LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉFENSIE DANS L'AFRIQUE BYZANTINE HT
Sans doute les parties de Tenceinte plus exposées aux attaques
sont formées de beaux matériaux ; mais là où lé terrain sem-
L 12
178 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN At^RlQUE
ble assurer une défense naturelle suffisante, le mur prend
aussitôt une apparence plus médiocre : des pierres de petit
échantillon remplacent les grandes pierres de taille, une sim-
ple maçonnerie de blocage se substitue au revêtement inté-
rieur*. D'autres fois, pour économiser les pierres de belle
qualité, on emploie pour construire la muraille, au moins
dans ses parties plus élevées, a un système de chaînage et de
Fig. 22. — Teboursouk. Porte antique murée dans l'eoceiDte byzanUoe.
(Dessin de M. Saladin.)
harpes eu grands matériaux avec remplissage de moellons*. »
Enfin, dans certains monuments la brique apparaît concurrem-
ment avec la pierre soit pour former les arcades qui portent
le chemin de ronde*, soit pour construire les voûtes en cou-
l.Ex. : Tifech.
2. Ex. : Teboursouk, AÏQ-Hedja, Tifach.
3. Ex. : Bladaure.
LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÊFENSIF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE 179
pôle qui couvrent le rez-de-chaussée des tours*, soit même
pour édifier les créneaux qui couronnent les courtines'.
Mais où ce désir de faire vite apparaît plus manifestement
encore, c'est dans Temploi qu'ont fait les Byzantins des édifices
antiques demeurés debout'. Partout où un monument de
l'époque romaine s'était conservé à peu près intact, on s'est
appliqué à le comprendre dans Tenceinle de la citadelle» pour
Eclielle ie 0,002 p. m.
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20
Fig. 23. — Henchir-Sidi-Amara. Monument antique transformé
en redoute byzantine.
renforcer la défense et éviter la construction de quelques
mètres de rempart. C'est ainsi qu'à ThévesteTarc de triomphe
de Caracalla est devenu l'un des bastions de la citadelle, et
en même temps Tune de ses portes, par la fermeture de ses
ouvertures latérales et le rétrécissement de son arceau sep-
tentrional ; c'est ainsi qu'à Galama le désir d'appuyer le rem-
i. Ex. : Timgad.
2. Ex. : Lemsa.
3. Cf. Aed., p. 291.
180 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
part au puissant bâtiment des thermes, dont la masse pouvait
fournir un sérieux renfort à la défense, a déterminé sur le
front sud de la place la direction de la fortification. A Haïdra,
à Tangle nord-est de la citadelle, les murs de la grande basi-
lique ont été partiellement enclavés dans l'enceinte S* à Ha-
daure, les murs ruinés d'un édifice demi-circulaire ont servi à
asseoir une partie des remparts, et ainsi donné au plan de ce
Pig. 24. — Zana. Arc de triomphe transformé en redoute byzantine.
ch&teau un aspect assez particulier ; à Théveste, une portion du
front sud-ouest est établie sur les substructions d'une construc-
tion romaine, probablement sur le mur de scène d'un théâtre,
et on voit encore engagés dans la muraille, d'énormes tam-
bours de colonnes qui débordent le parement intérieur. Parfois
même un bâtiment romain tout entier a été transformé en
1. Saladin, I, p. 175.
Fig. 25. — Plan du temple de Dougga formant réduit de l'eDceinte byzantine.
(Dessio de M. Saladio.)
^82 RfôTOtflfi-DfrbAr DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
citadelle; la redoute de Henchir-Sidi-Amaraa pour noyau un
grand édifice antique, devenu une sorte de donjon qu'entou-
rent les murailles byzantines : et de même que, dans la Rome
du moyen-âge, les arcs de triomphe de Titus et de Constantin
sont devenus des forteresses sous la main des Frangipani,
ainsi dans l'Afrique byzantine les monuments de celte sorte
se transforment en fortins avancés protégeant les grandes
citadelles. L'arc de triomphe de Diana Yeteranorum, prolongé
de chaque côté par une courte muraille, devient l'un des côtés
d'un réduit carré ; et pour donner à cette redoute une entrée
facile à défendre, on a muré les deux faces latérales et rétréci
fortement laprincipale ouverture. L'arc de triomphe de Haîdra,
enveloppé d'une gaine en pierres de taille, est devenu une
sorte de donjon, auquel les avant-corps qui accostent Tarcade
forment quatre bastions; et ainsi modifié, le monument occupe
le centre d'une petite forteresse. De même qu'à Olympie, le
temple de Zeus a été transformé en redoute, ainsi à Sbeitia
le péribole des temples devient sous la main des Byzantins une
puissante citadelle, et partout il en va de mème^ A plus forte
raison, s'il subsiste quelque part les restes d'une construction
militaire plus ancienne, on en tire parti dans l'établissement
du nouvel ouvrage. Une portion de l'enceinte de Calama n'est
autre chose qu'un débris de la forteresse romaine, soigneuse-
ment conservée et réparée*.
Il devient dès lors plus facile de comprendre la merveilleuse
rapidité apportée à la construction de si nombreux ouvrages.
Si, en outre, on examine les plans adoptés dans beaucoup de
ces monuments, on y retrouvera les mêmes partis pris de sim-
plification, destinés à hâter le travail. A la seule exception de
Carthage', aucune place forte ne parait avoir été pourvue de
1. Exemples à Zano, SbéiUa, Maktar, Sidi-Amara. Cf., à Bir-el-Ueusch, uo
temple transformé en forteresse {Bull. Ant, afr,^ 1885, p. 92) ; à Aphrodisium
(Gagnât, Arch, des Missions, XI, p. 14-16) ; à Rusuccurru {Revue Afr., 1891,
p. 11-12); à Doagga (Saladio, II, p. 450, et Carton, Découvertes archéologiques
et épigraphigues faites en Tunisie^ p. 153).
2. Havoisié, Explor. de V Afrique, H, p. 27; cf. ibid., p. 20.
3. Aed , p. 339.
GUELMA
(CALAMA)
CITADELLE BYZANTINE
Fig. 26. — Guelma. Citadelle byzantiue. (D'après le plaa de Ra?oi8ié.}
184 HISrOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
fossés; de xpoTeC^taixa, on ne rencontre nulle trace. Quant aux
toiirs^ le nombre en est singulièrement réduit dans beaucoup
de ces citadelles. Sans doule, aux endroits particulièrement
menacés, on les accumule en aussi grande quantité que dans
les places de l'Orient byzantin, et Ton constate en quelques
endroits de fort belles études de flanquement^ Mais partout
où les dispositions du terrain ont paru suffire à assurer la
sécurité de la ville, les tours sont rares et espacées*. Même
dans des places fort importantes, telles que Thélepte, Tha-
mugadi, Tubunae ou le château du Bellezma, les tours sont
souvent distantes de plus de 50 mètres; un type très fré-
quemment employé dans les ca^/e/Za d'Afrique présente quatre
tours seulement flanquant les quatre angles d'un carré ' ; enfin,
la plupart des fortins de moindre importance sont de simples
réduits rectangulaires, qu'aucune tour absolument ne vient
protéger.
D'autre part, dans beaucoup de villes on s'est attaché à des-
sein à réduire l'étendue de Tenceinte, afin qu'une moindre
garnison pût suffire à en assurer la défense. A cet égard, Jus-
tinien avait donné des ordres formels à ses lieutenants : « Si
Votre Grandeur, mandait-il dès 534 à Bélisaire, constate que
certaines villes ou châteaux du limes sont d'une étendue trop
considérable, et pour cette raison difficile à garder efficacement,
elle fera en sorte de les faire reconstruire de manière à ce qu'un
petit nombre d'hommes suffise à les protéger^. » Dans toutes
ses constructions militaires, constamment l'empereur avait ap-
pliqué ce principe : partout où les remparts d'une ville lui sem-
blaient trop étendus pour la défense, partout où de grands
espaces vides, réservés inutilement au dedans des murailles,
risquaient de compromettre la sécurité de la cité par les facili-
tés qu'ils offraient à une surprise, résolument il avait restreint
1. Ex. : Tigisis.
2. Ex. : Tifech, Tigisis.
3. Cf. Atd„ p. 266.
4. Çod. Just., I, 27, 2, 14.
LESPRINaPES DU SYSTÈME DÉFENSIF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE 185
les dimensions de la forteresse \ Il avait agi ainsi à Ântioche, à
Césarée de Gappadoce', ailleurs encore; il fit de même en
Afrique. Procope l'indique expressément pour Leptis Magna';
les monuments montrent que la même règle fut suivie en hien
d'autres endroits : à Thélepte, à Théveste, à Bagai, à Guelma,
àTeboursouk, beaucoup d'édifîces furent laissés en dehors de
Tenceinte de la nouvelle ville fortifiée. Dans la plupart des
cités on se contenta de moins encore : à Ammaedera, à Tha-
mugadi, à Madaure, à Tubunae^ à Sétif, à Thignica, une cita-
delle plus ou moins grande s'éleva au centre ou à côté de la
ville, et servit tout ensemble à la protéger et à offrir un refuge
à ses habitants.
IV
Des divers types de constructions militaires africaities.
Pour tous ces motifs, une grande variété de dispositions
apparaît dans les citadelles africaines. Les textes y distinguent
plusieurs sortes de constructions militaires, les villes fortifiées
(civitates), les camps retranchés (castra)y les grandes forteresses
{castella)^ les redoutes de moindre importance [burgi)^ les
murs de barrage {clisuraey. L'étude des monuments confirme
pleinement cette classification : ils se ramènent en effet à cinq
catégories principales, dont quelques exemples particuliers,
choisis dans chaque série parmi les édifices les mieux conser-
vés, suffiront à donner une idée exacte'.
1. Aed., p. 236, 290.
2. Id., p. 238, 316, 317.
3. Id.y p. 335, 336.
4. Cod. JusL, I, 27, 2, 4, 8, 14, 15; C. /. £., vm, 4799. Sur les mots castel-
lum et bvargusy CagDat, Armée romaine, p. 674.
5. Cf. Rech. des anliquilés, p. 163.
186 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
lo On rencontre en premier lieu les villes fortifiées. Tébessa
en offre un fort intéressant spécimen, et ainsi qu'on Ta juste-
ment remarqué, ses fortifications^ admirablement conservées,
« peuvent Atre considérées comme nq véritable type de l'art
de l'ingénieur au VI* siècle'». Selon la description d'un témoin
oculaire *, elles forment « une enceinte rectangulaire de 320 mè-
tres de longueur sur 280 mètres de largeur, flanquée par
quatorze tours carrées et percée de trois portes qui sont placées
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Fig. 27. — TébesBa. Enceinte de la ?ille byiantine.
(D*aprè8 le plan de Moll.)
sur les trois faces sud, est et nord . Cette dernière est formée par
l'arceau nord de Tare de triomphe de Caracalla, qui lui-même
est devenu une des quatorze tours de flanquement. Les murs
de Tenceinte ont une épaisseur variant de l^^ySO à 2*,20 et dans
le principe ils atteignaient une hauteur de neuf à dix mètres. A
1. Moll, Aec. de Consl., i860, p. 204.
2. ld,f p. 204-205| que je complète et corrige snr quelques points. Cf. Diehl,
Rapport, p. 42-47.
LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉFENSIF DANS L'AFRIQUE HYZANTINE 187
sept OU huitmèf res environ au-dessus du sol régnait un chemin
de ronde crénelé qui faisait le tour de la place. Il était destiné
Fig. 28. — Tébessa. PortioD de l'enceiote byzantine, face intérieure.
à recevoir les défenseurs et à faire communiquer les tours
eutre elles ;Vine partie de sa largeur était prise en encorbelle-
ment, et en Certains endroits il élait coupé par des marches
188 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
destinées à racheter les différences de niveau. On y arrivait
au moyen de trois escaliers placés chacun à côté d'une des
portes. Toutes ces maçonneries sont en pierres de taille posées
par assises réglées et tirées des ruines de l'ancienne ville.
Celle des tours est dans un état de conservation remarquable,
et il est facile de voir que Tingénieur a mis beaucoup de soin
à leur construction. Trois ou quatre assises seulement de la
partie supérieure sont tombées en quelques endroits, et on peut
constater sur place que la hauteur de ces tours atteignait 16 ou
17 mètres. Elles étaient divisées en rez-de-chaussée et en
étage, séparés Tun de l'autre par une solide voûte d'arèle éga-
lement en pierres de taille. Le rez-de-chaussée s'ouvrait par
une porte rectangulaire couverte d'un fort linteau et formait
une haute pièce carrée, faiblement éclairée par une meurtrière
assez large, ménagée sur la face intérieure. L'entrée de l'étage
était de plain pied avec le chemin de ronde. Une salle carrée
Toccupait, recevant le jour par une large fenêtre ouverte au-
dessus de la porte et par d'étroites archères percées sur les
autres faces de la tour» Pour recouvrir Tétage, il y avait une
deuxième voûte — plus souvent un simple plancher, soutenu
sur quatre forts piliers d'angle — formant une plate-forme qui
était reliée au chemin de ronde par un escalier adossé contre
la face intérieure de la tour. Des deux côtés de chaque tour, à
l'angle formé par les flancs avec les murs de courtine et à
hauteur du chemin de ronde, existait une petite guérite en pierre
de taille destinée à recevoir une sentinelle. Ces guérites étaient
munies de deux créneaux, l'un surveillant dans sa hauteur et
sa longueur la partie de courtine adjacente, l'autre ayant vue
en avant sur la campagne. L'épaisseur de la muraille des tours
est variable : sur leur face extérieure elle mesure en général
l^^SO à 1",80; sur la face intérieure elle atteint 2",10. »
Dans l'intérieur de la ville se trouvaient enfermés un cer-
tain nombre des édifices de l'antique Théveste. C'était le (em-
ple élégamment décoré et environné de portiques, que l'on
appelle aujourd'hui temple de Minerve ; c'était le forum dé la
ville romaine, un autre temple fort important et d'une cons-
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Fig. 29. — Thélepte. Eneeiute de la Tille byzautiae.
190 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Iruclion particuliëremeat soignée^ sans doute d'autres b&ti-
ments encore, aujourd'hui disparus sous les maisons de la ville
arabe. En dehors de Tenceinte avaient été laissés Tamphi-
théàtre^ les thermes, une grande partie de la ville; toutefois,
au nord des remparts, la belle basilique chrétienne, avec le
couvent qui Tenvironnait, avait été transformée en une for-
teresse qui couvrait de ce côté les approches de la place.
D'autres villes fortes de Tépoque byzantine montrent plus
clairement encore certaines dispositions adoptées dans cette
catégorie de constructions. Dans les ruines, si cruellement ra-
vagées, mais si grandioses encore de Thélepte \ on reconnaît
fort nettement, à l'intérieur de l'enceinte fortifiée, les trois
grandes rues, larges de 4^^,80 à 5'",50, qui la parcouraient du
sud au nord, et les cinq ou six voies transversales qui la sil-
lonnaient de Test à l'ouest; on remarque, presque au centre
de la ville, à Tentrecroisement de deux larges rues, une place
assez grande, où se dressent les ruines d'un bâtiment précédé
d'une colonnade ; et partout, le long des trottoirs qui bordent
les avenues, on voit encore l'alignement des maisons particu-
lières et les restes des édifices publics. Dans la partie septen-
trionale de la ville, appuyé au mur du front nord, c'est, occu-
pant tout rilot compris entre deux longues rues, un vaste
bâtiment rectangulaire, bordé à l'intérieur d'une double rangée
de colonnes; dans l'angle sud-ouest, c'est un bel édifice, long
de 43 mètres, large de 16 mètres, adossé, lui aussi, aux mu-
railles de l'enceinte; des rangées de colonnades de marbre,
aux cannelures enroulées en spirale, décoraient ce monument ;
des pavés en mosaïque, des placages de marbre multicolore
en rehaussaient la splendeur, et des restes de sculpture, pa-
raissant provenir d'un ciborium, montrent qu'il y avait là
sans doute une grande église chrétienne. Assurément, en de-
hors de l'enceinte fortifiée, bien des édifices s'élevaient dans
l'antique Thélepte : tout autour des remparts, ce sont, dans
toutes les directions, des ruines de temples, de thermes, de
1. Voir Diehl, Rapport, p. 53-58.
192 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
basiliques. Mais les dimensions considérables de la forteresse
— 350 mètres de longueur sur 150 mètres de large — empê-
chent à elles seules d'y voir une simple citadelle ' : et il faut
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0 10 20 40 60 6l- 100
Fig. 31. — Rsar-Bagai. Enceinte de la Wlle byzantine.
assurément reconnaître ici un exemple particulièrement inté-
ressant de ces villes réduites par ordre de Justinien.
Béja ', avec les vingt-deux tours qui flanquent l'hexagone irré-
i. Rech, des antiguiUs, p. 163. Cf. Bull, du Comité, 1885, p. 131-149; 1888,
p. 177-193.
2. Voir Diehl, Bappwt, p. 130-136.
LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉFËNSIF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE 193
gulier de ses murailles, Tigisis avec ses dix-sept tours déformes
si variées et si curieuses ^ , Guelma avec les treize tours qui, sui-
vant les termes d'une inscription placée dans la muraille, ren-
daient inexpugnable rétablissementdupatriceSolomon ', mais
surtout Bagai, avec ses vingt-cinq tours et l'énorme développe-
Echelle de o.ooi p mèlrc
Fig. 32. — Rsar Bagai. Réduit de la citadelle byzaotine.
ment — l,172mètres — de sa vaste enceinte offriraient des types
non moinsremarquablesdelaville fortifiée byzantine. Je noterai
seulement la disposition si intéressante qui, à Bagai comme à
Djeloula, renforce par un réduit intérieur les moyens de défense
de la ville. Adossée au front nord-ouest de Tenceinte, une
véritable citadelle s'élève, dominant toute la cité, sur le point
le plus escarpé de la colline : suivant le type ordinaire des
i. Diehl, ilnd,, p. 72-78.
2. C. /. L., Vni,5352. Cf Diehl, Rapport, p. 8C-90.
I.
13
194
HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
châteaux forts d\\frique, elle forme ud rectangle mesuraat
74 mètres environ sur 63, flanqué à ses angles de tours qua-
drangulaires, et défendu sur le milieu de chaque courtine, à
Texception du front commun avec Tenceinte, par une autre
tour carrée. A rinliérieur même de cette forteresse, une der-
nière construction se dresse : c'est une sorte de donjon ap-
puyé aux courtines extérieures. Il mesure 26 mètres environ
de côté, ses murailles ont 1",15 d'épaisseur et deux tourelles
flanquent ses angles vers Test et vers le sud \ Ce sont là, dans
la ville forte de Bagai, si curieuse d'ailleurs, des construc-
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Fig. 33. — Haïdra. Plan général (d'après le levé de M. Saladin).
tions tout à fait dignes d'altenlion : elles montrent quels
efl'orts furent faits pour assurer, même après la prise des villes,
une dernière retraite à la garnison, et un suprême moyen de
résistance; elles ofl'rent un type assez rare de ces maltresses
tours byzantines, de ces ::jpYox.iffTeXXa, comme dit Procope, que
les Grecs construisaient volontiers au point le plus élevé de
leurs enceintes fortifiées ^
2"* A côté de la ville forte, on rencontre une autre catégorie
1. Cf. Diehi, Rapporl, p. :?2-40.
2. A ce type appartienneal eu Afrique : Thélepte, Théveste, Bagai. Vaga,
Thuburaicum Bure, Laribus, Tigisis, CaiamafC. LL., VIII, 5352 : urbs), DJe-
loala (Kouloulis?;, Mamnia, Tagoora (C. /. L., VIII, 16854 : it6Xic}> Goessès.
Fig. 34. — Haïdra. Plan de la citadelle byzaatiae.
(D'après M. Saladin.)
196 HISTOIRE D£ LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
de monuments. C'est le castellum, la citadelle défendant une
ville ouverte. Les exemples en abondent en Afrique : c'est
Tobna et Timgad, c'est Sélif et Mdaourouch, c'est Tifech et
Sbiba; c'est surtout la puissante forteresse de flaïdra, si bien
conservée et si pittoresque, et assurément un des types les
plus remarquables de ce genre de construction. « Elle occupe,
dit M. Saladin, qui l'a étudiée en grand détail', le versant
méridional d'une petite colline, et a la forme d'un quadrilatère
irrégulier dont les faces est et ouest sont brisées. La grande
dimension du nord au sud est à peu près de 200 mètres de
long, celle de Test à l'ouest de 110 environ. Le front septen-
trional a été refait complètement, à une époque récente» par
les Tunisiens... Le front oriental, construit avec soin, se com-
pose de deux tours carrées (les hauteurs d'étage sont distinctes
dans la seconde, couverte en voûte d'arête); une de ces tours
se trouve formée en partie par l'angle de la basilique romaine
qui est au nord de la citadelle. Viennent ensuite des contre-
forts intérieurs épaulant la courtine, et une porte : ces contre-
forts sont reliés entre eux ou par des linteaux, ou par des arcs
et supportent le chemin de ronde, visible encore en certains
endroits. Comme la déclivité du sol est très prononcée, les
differences.de niveau sont rachetées par des marches de la
largeur du chemin de ronde. Suivant le mur, nous trouvons
une poterne murée, puis nous arrivons à une tour circulaire
presque dégagée du mur. Cette tour a deux étages indiqués
par une retraite sur le mur^ au premier à l'intérieur. Nous
arrivons ensuite à une porte et à une large brèche, et enfin à
l'angle sud de la forteresse, terminée au bord de la rivière par
une tour carrée dans laquelle s'ouvre une grande porte sur-
montée d'une arcade fermée par un linteau. Le remplissage de
l'arcade est fait en pierre de grand appareil. Devant cette
porte se trouvait un pont d'une seule arche de 30 mètres de
portée, qui franchissait l'oued; à ce pont complètement ruiné
aboutit une partie de voie antique, se dirigeant vers le sud.
1. Saladio, l,p. 171-175.
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LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉFENSIFDANS L'AFRIQUE BYZANTINE 191
Au-dessus de cette porte, une arcade en berceau de 3"»,50 sou-
tient la partie supérieure delà tour. La courtine longe ensuite
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Toued sur une longueur d'environ 100 mètres et aboutit à une
tour d'angle, à la partie supérieure de laquelle on accède par
«98 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
un escalier qui s'appuie sur un assez fort massif et une arcade.
Rendontanl ensuite la colline, en suivant toujours les murs,
nous rencontrons successivement, à 53 mètres, une tour car-
rée, puis une autre plus petite à 57 mètres, et 60 mètres plus
loin, une troisième qui aboutit au bastion arabe.
« Tout ce côté occidental est presque complètement ruiné ; il
a été construit en grande partie avec des matériaux emprun-
tés à des édifices d'une époque antérieure ; on y distingue des
fragments nombreux d'inscriptions et de bases de chapiteaux,
de corniches ou architraves, ainsi que des tombeaux... A l'in-
térieur de la citadelle, on distingue en maint endroit des traces
de murs, de voûtes, de citernes. A la hauteur de la deuxième
tour de la courtine ouest, on remarque une petite église dont
Tabside est en place. Cette abside était décorée de sept niches
circulaires soutenues par des colonnettes qui ont disparu^
ainsi que presque toutes les voûtes. L'abside est formée par
deux colonnes corinthiennes en marbre cipolin ; l'une a con-
servé son chapiteau de marbre blanc. A gauche, une construc-
tion, de 6", 30 de long sur 2", 80 de large, a conservé son pre-
mier étage, avec porte et fenêtres en place et les corbeaux
pour soutenir les lambourdes du plancher. L'église était formée
d'une nef de 5", 60 de large sur 13'',20 de long, et de deux bas-
côtés de 2",90 de Inrge sur 13'",20 de long. Cette église avait
probablement une couverture en charpente. »
Tout autour de l'enceinte fortifiée s'étendait la ville, avec
ses arcs de triomphe, ses basiliques, son théâtre, ses quais sur
la rivière, ses rues et ses maisons, avec ses nombreuses
églises et son couvent, assez analogue à celui de Théveste *.
Couverte du côté du sud par la rivière, dont la citadelle défen-
dait le passage, la cité était en outre protégée par deux for-
tins détachés : au nord-ouest, une redoute carrée était établie
à quelque distance du fort; à Test, à cheval sur la route de
Théveste à Carthage, un autre réduit carré enveloppait le
grand arc de triomphe transformé en donjon.
1. Saladin, I, p. 469-171. Cf. Diehl, Rapport, p. 49-51.
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200 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFKÎQUE
Par rimportance de ses dimensions, le castellum d'Haîdra
diffère assez peu des villes fortifiées que nous signalions tout
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Fig. 37. — Timgad. Plan de la forteresse byzantine.
à l'heure, et s'en distingue uniquement par ce fait que, à part
son église, les constructions qu'il renferme sont exclusive-
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LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉFENSIF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE 201
ment militaires. En général, les forteresses chargées de
défendre une ville ouverte ont de moindres proportions : le
château de Timgad, quiest un desplus importants, mesure seu-
204 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE Efi AFRIQUE
milieu des courtines est et ouest, et où Ton rencontre à Tinté-
rieur une disposition fort intéressante. Le réduit carré qui
occupe le rez-de-chaussée est couvert en effet d'une coupole
surbaissée ; c'est Tunique exemple que je connaisse dans toutes
les citadelles africaines d'une construction de cette sorte. Le
Ectello de 0,002 p. "m.
Fig. 41. — Mdaourouch. Pian de la forteresse byzantine.
système de défense de la porte principale n'est pas moins
curieux : elle est pratiquée dans la puissante tour (9", 40 X
6",35) qui occupe le milieu du front nord; et j'ai déjà signalé
précédemment les raffinements de toute espèce employés
pour protéger ce point faible, les couloirs dérobés circulant
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LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉFENSIF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE 205
dans l'épaisseur des murailles latérales, la double entrée
rétrécie jusqu'à 3°, 50 seulement d'ouverture, Tavant-corps
qui postérieurement, mais sans doute encore à Tépoque byzan-
tine, vint sur ce point renforcer la défense. Une disposition
presque pareille se rencontre au castellum de Madaure^ assis
sur un mamelon au milieu même des édifices de Tantique cité
romaine : ici encore, il faudrait signaler bien des dispositions
intéressantes, et la série des contreforts reliés par des arcades
qui, comme à Haïdra, portaient le chemin de ronde» et la belle
structure des deux tours d'angle, si solides et si puissantes,
et l'original tracé du plan, qui s'achève du côté du nord en un
vaste demi-cercle, et tant de détails qui font de cette forteresse.
Tune des premières construites par Solomon, un des exem-
plaires les plus curieux du genre de construction que nous
étudions*.
3« Les villes fortifiées et les citadelles protégeant une cité
ont toutes ce double caractère d'être à la fois des établisse-
ments militaires et des places de refuge ouvertes à la popula-
tion civile. Il n'en est plus ainsi — en général du moins — des
châteaux forts isolés occupant quelque position stratégique,
surveillant quelque grande plaine ou commandant quelque
importante vallée. Exclusivement destinées à la défense, uni-
quement occupées par une garnison plus ou moins forte, ces
constructions correspondent fort exactement aux castella et
burgi mentionnés par Justinien. Le château de Lemsa en
offre un type particulièrement bien conservé. Ainsi qu'on l'a
justement observé, cette citadelle est « un des plus beaux et
des plus complets monuments » • que la Tunisie ait gardés
de l'époque byzantine. J'ajoute que c'en est un des plus pit-
toresques et des plus intéressants. Après tant de ruines oîi il
faut à grand'peine retrouver sur le sol les débris épars des
édifices, c'est une surprise véritable et charmante qued'aper-
1. Cf. Diehl, Rapport, p. 60-66.
2. A ce type appartieDoent : Ammaedera, Madaure, Thamagadi, Tubuoae,
3itiÛ8,'Tipasa, Thignica/.Sufes, Henchir-Sidi-Amara (Aggar ?).
3. Gagnât, Arch, des Missions ^ XLV, p. 16.
206 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
cevoir de loin, bien avant qu'on y soit parvenu, les murailles
dorées par le soleil et les hautes tours crénelées de la forte-
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LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉ PENSIF DANS L AFRIQUE BYZANTINE 207
resse qui domine la vallée de l'Oued Mahrouf. A mesure qu'on
approche, renchaniement grandit : sans doute tout le front
sud-est de la citadelle est rasé jusqu'au sol ; sans doute quelques
brèches endommagent partiellement les courtines; l'effet d'en-
semble n'en est pas moins saisissant : et le soir, lorsque, à la
flamme des grands feux allumés dans le campement, les rem-
parts byzantins, noyés d'ombre, s'éclairent parfois de lueurs
fantastiques, lorsque, dans la vaste plaine déserte, nul bruit,
nulle présence importune ne réveillent la notion du temps un
moment abolie, alors pour quelques instants le pa»sé semble
revivre, et Ton s'étonne, entre les massifs créneaux, de ne plus
voir scintiller Tarmure des archers, de n'entendre plus sur le
chemin de ronde résonner le pas des sentinelles, et par la
porte ouverte^ de ne plus voir défiler le solide escadron des
cataphractaires by;santins.
Le château de Lemsa' a la forme d'un rectangle, flanqué à
chaque coin par une haute tour carrée' : il mesure à l'intérieur
28"',85 du sud .au nord, 31"',1S de l'est à l'ouest. Ses mu-
railles ont 2i»,20 à 2"',25 d'épaisseur; et quoique ici, comme
partout, les matériaux aient été empruntés aux édifices détruits
de l'antique Limisa, pourtant la construction est faite avec un
soin extrême, comme si, en cette région moins voisine des
frontières, des nécessités moins pressantes avaient permis un
travail moins hàtif. Encore couronnés de leur parapet crénelé,
les remparts ont gardé leur hauteur primitive : elle est, dans
la partie du château qui regarde la montagne, de S^^^OS ; plus
élevée du côté de la plaine, elle atteint 10 mètres : c'est qu'en
effet la citadelle est assise sur une pente assez forte, et pour
racheter la différence des niveaux, pour permettre d'établir à
une même hauteur le chemin de ronde qui fait le tour de l'en-
ceinte, on a notablement exhaussé les portions basses de la
forteresse (courtines sud-est et extrémités adjacentes des cour-
tines sud-ouest et nord-est). Sur le dessus du rempart, auquel
on accède par un escalierporté sur une voûte en berceau, court
1. Voir Diehl, Rapport, p. 105-113.
208 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
un chemin de ronde pavé de grandes dalles plates, bordé vers
riniérieur d'un rebord haut de 0", 50, vers le dehors d'un pa-
rapet, dont les créneaux, construits en briques encadrées de
pierres, ont 1",50 d'altitude. Ce chemin de ronde relie entre
elles les quatre tours d^angle, dont chacune s'ouvre par deux
portes sur les courtines voisines : seule, la tour de Tangle sud
Echelle cle 0,002 p. mètre
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O ItS^S xo 20
Fig. 43. -r Lem&a. Plan du château byzantin.
est sans communication avec la courtine sud-ouest. Construites
suivant le même système que les remparts, mais n'ayant à
leurs murailles qu'une épaisseur de 1"',20 à 1",40, ces tours
mesurent environ 5 mètres de côté; la tour du nord, un peu
plus forte, a7»",10 sur 6 mètres. Toutes quatre s'ouvrent, au
rez-de-chaussée, sur l'intérieur de la forteresse par d'étroites
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Echelle de o,oo5 p. mètre
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Fig. 44. — Lemsa. Château byzantin. Tours des angles sud-ouest et sud-est.
(Rez-de-chaussée et premier étage).
14
210 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
poternes de 0",80 à 0"»,90 d'ouverture, donnant accès à des
couloirs resserrés qui, aux tours de Touest et du sud, serpentent
en détours compliqués. A Tétage inférieur, se trouve une pièce
quadrangulaire faiblement éclairée par de rares meurtrières,
et couverte par un plancher posé sur quatre solives engagées
dans les murs latéraux. Mais tandis que, dans les tours de
Fouest et du nord^ le chemin de ronde se trouve à la hauteur
du premier étage, celles de Test et du sud au contraire, fon-
dées à un niveau plus bas, ont deux étages superposés au-des-
sus du rez-de-chaussée. De ces pièces, toutes éclairées par
d'étroites meurtrières, un escalier de bois menait à une plate-
forme occupant le sommet de la tour et bordée d'un parapet
crénelé, haut de deux mètres. La hauteur totale des quatre
tours est à peu près identique : elle varie de 13",S0 à li^jSO;
toutefois les tours de Test s'élèvent à une moindre altitude au-
dessus du chemin de ronde. Sur la face nord-est du château
s'ouvrait, entre deux avant-corps, une porte de quatre mètres
d^ouverture : malheureusement il est difficile d'en reconnsdtre
les dispositions. Enfin une source abondante, amenée de la
montagne voisine, assurait aux défenseurs une constante pro-
vision d'eau*.
4*" Les castella construits sur le type du château de Lemsa
sont assez nombreux dans l'Afrique byzantine : leur rôle dé-
fensif était complété par une dernière catégorie de construc-
tions militaires. Ce sont ces fortins de moindre importance
qu'on rencontre à chaque pas, en Algérie et en Tunisie, tan-
tôt isolés à l'issue de quelque défilé, tantôt, et plus fréquem-
ment encore, élevés à portée de quelque village ou de quel-
que établissement agricole. La plupart de ces kasr sont bâtis
sur le même type, et ce type est fort simple : c'est d'ordinaire
un réduit carré ou rectangulaire, ayant tantôt 40 mètres, tan-
tôt 20 mètres, souvent 40 mètres seulement de côté. Une seule
i. A ce type appartiennent : Lemsa, le fort du Bellezma, celui de Gastal.
Agbia, Henchir-Sguidan, Ilenchir^Kesreia, Gadiaufala, le fort de Ras el-Oued
(Tharaalla).
LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÈFENSIF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE 2U
porte donne accès dans Tenceinte; aucune tour ne flanque les
murailles. Mais si le système de construction est à peu près
identique dans tous ces monuments, leurs destinations assez
différentes obligent à les distinguer bien nettement. Les uns
sont échelonnés le long de quelque route importante ou établis
en plaine au débouché de quelque gorge ; ceux-là ont un rôle
nettement mililaire, ils sont occupés par une petite garnison,
ils ont été construits par les ordres de Tautorilé impériale
pour participera la défense du territoire. Ce sont des redoutes,
moins importantes que les castella, mais n'en différant point
essentiellement : et les postes d'Aïn-bou-Dris, sur la route de
Théveste à Sbeitla ou à Tbélepte *, de Ksar-el-Achour, entre
Guelma et Bône % d'Henchir-Zaga entre Béjaet Tabarca', re-
présentent à merveille celte catégorie de construction,
5* Mais parmi les édifices de ce type, les fortins proprement
militaires forment de beaucoup le moindre nombre : au con-
traire TAfrique byzantine est couverte de petites places de re-
fuge, élevées sur la hauteur à proximité des centres d'habita-
tion, ou occupant le milieu du village, pour offrir en cas
d^alerle un abri aux habitants du plat pays \ La construction
en est d'ordinaire fort médiocre et sensiblement inférieure à
celle des redoutes que je signale plus haut"^ : c'est qu'en effet
ces bâtisses sont« d'une part, de date généralement postérieure
au règne de Justinien; c'est que d'autre part, on le verra tout
àTheure, elles ne sont point d'habitude Tœuvre des agents
impériaux, mais paraissent pour la plupart avoir été élevées
hâtivement par Tinitiative privée des populations menacées.
Quoi qu'il en soit, les exemplaires en sont nombreux en Afri-
1. C. /. L., Vlll, 2095.
2. C. /. L., VUr, p. 520.
3. Gagnât, Arch. des Missions^ XI, p. 141.
4. SaladiD, 1, p. 220. Cf. sur ce système de défense, d'un caractère tout lo-
cal, les intéressantes remarques de M, de la BJanchëre, V aménagement de
Veau et Vinstailation rurale dans V Afrique ancienne, p. 85-89. Il se peut qui
y ait dans ces ouvrages quelques éléments de Tépoque byzantine.
5. Saladin, I, p. 220.
212 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFKIQl'E
que : comme type, je citerai eii parliculier le [grand .kasr
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d'Haouch-Khima-mta-Darrouia, établi à Tangle sud-est de la
petite ville de ce nom : il mesure 40 pas sur 33 et les disposi-
LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉFENSIF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE 213
lions intérieures en sont encore très recounaissables '. Ces
enceintes fortifiées, quelquefois même remplacées par une
simple tour*, n'étaient point d'ailleurs occupées par des
g^arnisons ; les habitants se chargeaient de les garder et de les
Fig. 46. — Bordj-Hallal. Citadelle byzantine. (Dessin de M. Saladin.)
défendre. Elles répondent assez bien à ce que nous appelons
des bord j s ou des a maisons de commandement » '.
Toutefois le témoignage de Procope montre que le gouver-
nement impérial ne s'était point entièrement désintéressé de
cetle œuvre de protection. Non seulement ses villes fortifiées
1. Saladin, I, p. 136-139.
2. C. /. L., VIII, 12035.
3. Cf. pour l*époque romaine, Gagnât, Armée romaine, p. 618-682.
214 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
et ses citadelles étaient toujours prêtes à recueillir les popu-
lations menacées; mais en outre i|
semble avoir sur certains points créé
tout exprès de vastes places de refuge.
La citadelle de Bordj-Hallal me pa-
raît une preuve péremptoire de ces
intentions. Construite sous le règne
de Justinien dans une admirable posi-
tion stratégique*, surveillantle cours
de la Medjerda à Tendroit où la riviè-
re, avant de pénétrer dans les grandes
plaines de Bulla Regia, traverse un
défilé assez étroit, sans doute la for-
teresse avait un but militaire; elle
couvrait du côté de la Numidie l'en-
trée de la fertile vallée du Bagradas.
Mais pour assurer la garde de ce pas-
sage, un simple castellum comme
Lemsa eût amplement suffi : or les
grandes dimensions de la place sont
300 mètres environ du nord au sud,
250 de Test à l'ouest ^ Ces proportions
sont presque égales à celles des villes
fortifiées les plus vastes de l'Afrique
byzantine ; et pourtant il est incon-
testable que jamais une cité impor-
tante ne s'éleva sur l'emplacement
de Bordj-Hallal •. Quelle nécessité
s'imposait donc, alors que, dans tant
de villes considérables, on réduisait
sans hésiter le développement des
remparts, d'établir une enceinte aussi
étendue, à laquelle on ne pouvait
1. C. /. L., VUl, 1259.
2. SaladiD, II, p. 427-429 et Diehl, Rapport, p. 136-139.
3. Tissot, 11. p. 266-268, 308.
LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉFENSIF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE 215
assurément donner une garnison suffisante pour la défendre?
C'est que, tout autour de la forteresse, s'étendait un pays fer*
tile et peuplé, qui intéressait tout particulièrement Justinien.
Au VI* siècle, les carrières de Chemtou étaient encore exploi-
tées pour le compte de Tempereur '; dans la même région se
trouvaient, à Fépoque romaine, de grands domaines impé-
riaux, qui des rois vandales avaient sans doute passé aux
mains du prince byzantin '. N'est-il point possible qu'aux co-
lons, établis sur ces terres, Justinien ait voulu assurer un
refuge et qu'il ait créé pour eux celte vaste enceinte fortifiée*?
Forme f dimensions^ situation des citadelles byzantines
d Afrique,
Telles sont les différentes sortes de constructions militaires
usitées dans l'Afrique byzantine. Si l'on essaie maintenant de
les classer, non plus d'après leur destination^ mais d'après
leur forme, on verra qu'elles se répartissent en deux grandes
catégories. Les unes — et c'est le plus grand nombre — ne
sont guère autre chose que des réductions plus ou moins mo-
difiées du camp romain*. Elles affectent la forme très régu-
lière d'une enceinte rectangulaire, flanquée d'un grand nom-
bre de tours, qui varie suivant l'importance de la forteresse.
En règle générale, les quatre coins du rectangle sont couverts
par de puissantes tours, carrées ou rondes : d'ordinaire, si la
place est de quelque importance, d'autres tours se répartissent
d'une façon symétrique sur les différents fronts de l'enceinte.
Si la citadelle est de grandes proportions, si c'est une ville
fortifiée comme Théveste, Théleple ou Laribus, chaque cour-
1. Gagnât, Arch. des Missions, Xï, p. !03.
-2. Tissot, U, p. 306-308:
3. Cf Gagnât, Armée romaine ^ p. 674.
216 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
tine est flanquée, entre les bastions d^angle» de deox ou trois
tours intermédiaires, si bien qu'au total Thé veste et Laribus
ont quatorze tours, Thélepte douze, et Sétif onze '. Dans les
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Fig. 48. — Tobna. Plan de la forteresse bfïantine.
castella un peu moins considérables, une seule tour intermé-
diaire s*élève sur le milieu de chaque face, et l*on obtient
1. Voir Oiehl, Rapport, p. 93-100 (Laribos), p. 9-12 (Sétil), p. 53-^9 (Thé-
lepte).
LES PRINCIPES DU SYSTÈME DEKENSIF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE 217
ainsi Tun des partis les plus fréquemment adoptés dans les
citadelles d'Afrique, le rectangle flanqué de huit tours^ tel
qu*on le trouve à Tobna, à Timgad, au château duBellezma, à
la Kessera, à Henchir-Sguidan près de Djebibina S à Ras-eU
Oued, à l'ouest de Sétif. La construction est>elle moins
étendue encore, alors elle ne conserve plus que les quatre
tours d'angle : c'est le cas, par exemple, à Lemsa, à Zana, à
Sbiba, à Aîn-Hedja, à Zarai, à Gastal' près de Tébessa.
Enfin, dans les petites redoutes, les tours disparaissent com-
plètement; seul le rectangle demeure, tout au plus renforcé
sur les angles par des tours sans saillie apparente.
Mais cette forme très régulière ne s'adapte pas à tous les
terrains avec une égale facilité. Quand il s'agit de construire en
plaine ou du moins sur un sol suffisamment plat, rien n'est
plus aisé que d'adopter ces partis. Mais souvent d'impérieuses
nécessités de défense ou le désir de tirer profit d'une belle si-
tuation stratégique font chercher sur la hauteur l'emplacement
de la nouvelle citadelle : alors les dispositions du terrain
déterminent impérieusement les formes de la construction et
leur enlèvent leur habituelle régularité. L'enceinte de Bagai,
par exemple, assise sur un mamelon aplati qui domine la
plaine, suit fort exactement les contours de la colline, lon-
geant soigneusement la crête de l'escarpement, de manière à
assurer à la ville la protection du profond ravin qui la borde au
nord-ouest. Hsadra, Tifech, Tigisis sont construites au pen-
chant d'une colline, sur les pentes de laquelle elles s'élèvent en
gradins successifs : et il faut voir, en particulier dans les
deux dernières de ces forteresses, comment on a fait servir à la
sécurité de la place les dispositions naturelles du terrain, pro^
1 . Voir Diehl» Rapport, p. 22-25 (Tobna), p. 26-32 (Timgad), p. 19-22 (Bellezma) ,
p. 100-103 (Ressera); Gagnât, Arch. des Missions, XI, p. 34; La Blanchère, BulL
du Corn., 1888, p. 46B-472.
2. GselJ, Recherches archéologiques en Algérie, p. 270-211.
3. Voir Diebl, Rapport, p. 105-113 (Lemsa), p. 15-18 (Zana), p. 119-123
(Sbiba), p. t45-149 (Ain-Hedja); Gsell, Rech. arch. en Algérie, p. 142; Rec. de
Const., 1876, p. 412.
218 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
tégeant par de forts bastions rapprochés Tun de l'autre les
Echelle de 0,001 p 2 m.
O 10 20
^o 60 loo
Fig. 49. - Tifech. Plan de Teuceinte byzantioe.
portions de la citadelle voisines de la plaine, utilisant pour la
LES PRINCIPES DU SYSTEME DÉFENSIF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE 219
défense des parties supérieures les escarpements abrupts et
les précipices qui les rendent à peu près inaccessibles. Dès
%.iî" «<• if 1^ *f *" '•' *" •• '•" •?•
rpoi
Fig. 50. — AÏQ-el-P.ordj (Tigisis). — Citadelle byzantine.
(D'après le plan de M. Chabassière.)
lors il ne saurait plus être question de dispositions régulières
ni de tours symétriquement échelonnées le long des courtines :
220 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
la forme du terrain détermine celle de la place, et les points
naturellement faibles sont compensés par l^accamulation des
défenses. Ainsi Bagai est un quadrilatère irrégulier, où neuf
tours sur vingt-deux couvrent le front sud-ouest, le plus im-
portant et le plus exposé de l'enceinte ; Tifech et Tigisis ' sont
des forteresses hexagonales, où les bastions se multiplient au
point où les pentes plus douces permettent une approche plus
facile, tandis que les tours s'espacent sur les points naturel-
lement protégés par les ravins avoisinants. Béja, assise au
penchant d*^ne colline, a la forme d'un hexagone irrégulier
flanqué de vingt-deux tours. Teboursouk est un pentagone,
Tagoura un hexagone irrégulier, Aïn-Tounga un quadrilatère
extrêmement irrégulier*. D'autres fois, ce n'est point le ter-
rain, mais le désir de comprendre dans la construction quelque
édifice antique, qui détermine Tirrégularité du plan : de là
vient le tracé si singulier de Tenceinte de Guelma; de là, la forme
bizarre du château de Mdaourouch, et le vaste hémicycle qui
du côté du nord achève si curieusement la forteresse.
Quant aux dimensions de ces citadelles, elles sont extrême-
ment variables : les plus grandes mesurent, comme celle de
Bagai 330 mètres sur 308, comme celle de Tébessa 320 mètres
sur 280, comme celle de Bordj-Hallal 300 sur 250, comme
celle deThélepte 350 sur 150*. Les castella proprement dits
sont de moindres proportions : les plus considérables, tels
que la forteresse du Bellezma ou SétiT, ont respectivement
425 mètres sur 412, et 458 sur 407; Timgad a 444°»,25 sur
67", 50; mais beaucoup d entre eux sont plus petits : Aïn-
Tounga mesure 59 mètres sur 53, Sbiba 45 sur 40, Mdaou-
rouch 35 sur 33, Ain-Hedja 37 sur 34, Lemsa 28 sur 34 \
1. Voir Diehl, Rapport, p. 67-72 (Tifech), p 72-78 (Tigièia).
2. Ibid., p. 140-142.
3. Voici qaelqaee autres mesures: Laribus, 220X203; Calama, 278X219;
Tigisis, 217 X 190; Teboursouk, 150 X 1^0.
4. Voici quelques autres mesures : Tobna, 72.50 X 54; Gastal, 53 X ^S;
Henchir-SguidaD, 40 X ^0 ; Haidfa, 200 X HO ; Tifecb, 246 X 130; Tagoura,
95 X "2.
M. X
BÉJA — TOURS DE L'ENCEINTE BYZANTINE
LES PRINCIPES» DU SYSTÈME DÉFENSIF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE 221
Les fortins sont plus exigus encore : certains ne comptent que
9™, 70 de côté. On voit par la variété de ces chiffres qu'entre la
longueur des côtés de ces forteresses, il ne faut chercher au-
cune proportion fixe; ils prouvent surtout — et c'est ce qu'il
faut retenir de toutes ces observations — que dans l'Afrique
byzantine, les nécessités particulières du terrain et l'obligation
de faire vite ont, bien plus que les principes absolus, déter-
miné la forme et les dimensions des forteresses.
Il est intéressant par contre de rechercher comment ces ci-
tadelles étaient alimentées d'eau potable, un point qui en
Afrique avait une importance capitale. Suivant une habitude
constante de l'époque byzantine, on parait avoir assez fré-
quemment construit, dans l'intérieur des places, de vastes ci-
ternes où l'on emmagasinait l'eau des pluies : on en trouve des
traces dans les enceintes fortifiées de Haïdra \ de Tagoura',
de Bagai, de Laribus^ et El-Bekri signale dans l'intérieur du
château de Tobna un grand réservoir qui semble bien appar-
tenir à la même catégorie de constructions'. Parfois on avait
utilisé en les réparant les anciens aqueducs romains : c'est de
cette manière qu'était assurée l'alimentation d'eau de Té-
bessa*; de même à Timgad, on avait fait aboutira la cita-
delle une conduite embranchée sur la canalisation antique.
Mais, en général, les Byzantins paraissent s'être surtout préoc-
cupés d'établir leurs ca^/eZ/a à proximité d'un point d'eau. C'est
ainsi qu'au pied même des remparts de Tifech, de Tigisis,
crAïn-Tounga, d'Aïn-bou-Dris, de Ras-el-Oued, jaillit une
source importante • ; ailleurs la source toute voisine est par
surcroit de précaution amenée par une conduite souterraine
dans l'intérieur delà place : c'est le cas à Béja% à Guessès *,
à Lemsa. Parfois même la source prend naissance au dedans
1. Saladin, 1, p. 174.
2. LewaI, Taoura{Rev. afr., 1859, p. 23).
3. EI-Bekri (Jouni. asiaL, 5« série, t. XIII, p. 62).
4. H. de Villefosse, Tébessa (Tour du monde, t. XL, p. 15).
5. Bell. Vand., p. 463. Pour Ras-el-Oued, Rev. afr., 1861, p. 453.
6. Cf. El-Bekri, /. c, p. 75.
7. Gsell et Graillot, /. c, p. 120.
222 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
de la forteresse; il en est ainsi à Teboursouk, à Zarai, à Aîn-
Hedja. Aussi bien, roccupation des points d'eau avait, surtout
dans le sud, une double importance pour la défense : <c ces
points sont en effet des endroits de passage obligés pour ceux
qui tiennent la campagne, et, lorsqu^on en est maître, on Test
aussi de tout le pays ^ »
Ceci nous amène à dire un mot des positions habituellement
choisies pour rétablissement des forteresses byzantines. La
première préoccupation des officiers impériaux semble avoir
été d'assurer la surveillance des grandes plaines, où venait se
croiser un important réseau de routes et de ménager à leurs
citadelles des vues extrêmement étendues. Dans ce but ils ont
quelquefois choisi, à Textrémité de quelque plaine, une hau-
teur dominant au loin le pays et surveillant les passages d'a-
lenlour : Tifech^ assis au-dessus de la plaine de Dréa, Tigisis
commandant au loin le Bahiret-et-Touila, Béja dominant le
fertile bassin du Blad Béja, sont des exemples intéressants de
cette disposition. En général pourtant, les Byzantins ont jugé
préférable encore d'établir leurs grandes places de guerre au
centre même de la plaine, occupant là, s*il était possible,
quelque mamelon légèrement relevé, sinon s'installant en ter-
rain plat, sans se soucier beaucoup, à ce qu'il semble, d'être
dominés par les crêtes environnantes. Confiants dans la so-
lidité de leurs murailles pour repousser les attaques, ils ont
mieux aimé s'assurer solidement les routes en les barrant di-
tectement. Autour de ces vastes forteresses centrales, sur tout
le pourtour de la plaine, s'élevaient au pied même des mon-
tagnes, au débouché des principaux passages, des redoutes de
moindre importance qui s'appuyaient sur la citadelle et en
protégeaient les approches ; d'autres fortins jalonnaient les
voies qui mettaient en communication les grands châteaux
forts; pour ceux-là on choisissait habituellement des positions
1. CagDat, Armée, p 677. Sur l'habitude des Byzantins d^occuper les points
d'eau, cf Maaqueray, Ruines ancienneu de KtienvMa à Besseriani {Hev. afr,^
1878, p. 432).
LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉFENSiF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE 223
qui parfois nous surprennent, et pour lesquelles on se laissait
sans doute guider par des considérations autres que les mo-
tifs purement stratégiques ^ La place de Tébessa avec les re-
doutes qui complètent son système de défense. Bagai, avec
les fortins qui Taident à défendre le vaste plateau du Tarf/ le
Ksar-Bellezma, avec sa ceinture de forts avancés sont des
exemples remarquables de ce système défensif.
Il va sans dire qu'en dépit de ces règles générales, le bar-
rage des défilés, l'isolement des massifs montagneux au
moyen d*une chaîne serrée d'ouvrages fortifiés obligèrent plus
d'une fois à modifier sérieusement ces dispositions : elles sub-
sistent pourtant, du moins pour les grandes forteresses de l'A-
frique byzantine, et les vastes horizons qu'on découvre de la
plupart de ces ruines attestent suffisamment les intentions des
généraux impériaux.
Une quantité si considérable d'enceintes fortifiées, grandes
et petites, pouvait, on le conçoit de reste, être difficilement
occupées d'une manière permanente : l'armée assez peu nom-
breuse que Justinien entretenait en Afrique eût été absolu-
ment incapable de suffire à une pareille lâche. Assurément, de
même que jadis dans la Maurétanie romaine', toutes ces pla-
ces pouvaient, en cas d'invasion, « servir aux troupes de point
d'appui dans leurs opérations ou de refuge en cas d'échec » ;
mais en temps ordinaire, beaucoup d'entre elles étaient sim-
plement laissées à la garde des habitants. C*est là, pour qui
veut étudier le système défensif de l'Afrique byzantine, une
distinction essentielle à retenir. A côté des constructions pro-
prement militaires, élevées par les généraux de Justinien, et
que j'appellerai volontiers les forteresses impériales, un grand
nombre de points ont dû leurs fortifications à l'initiative privée
des habitants. De bonne heure, l'absence de sécurité, si fré-
quente dans certaines parties de l'Afrique, avait poussé les po-
1. Le même système se rencontre à Pépoquc rom&iue (Gagnât, Atntiée
p. 677).
2* Cannai, Armée romainet p. 682.
224 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
pulations à se protéger elles-mêmes. Dès le m* siècle, pour se
défendre contre les .pillards, les colons de Maurétanie bâtis-
saient des fortins sur les terres qu'ils cultivaient, et à leurs frais
entouraient leurs villes ouvertes de solides remparts *. Quand
à lautorité romaine se fut substilué le faible gouvernement
vandale, bien vite ces pratiques se généralisèrent dans toute
l'Afrique, et pour se mettre à Tabri des incursions des pillards,
les populations remplacèrent leurs murailles détruites par des
fortifications improvisées*; il en fut de même à Tépoque byzan-
tine. Sur bien des points, les habitants des villages, insuffisam-
ment protégés par Tannée régulière, élevèrent contre les at-
taques incessantes des indigènes des redoutes fortifiées. Les
inscriptions l'attestent d'une manière péremptoire ' ; et à leur
défaut, les partis fort sommaires adoptés dans ces construc-
tions, la simplicité souvent rudimentaire de leurs dispositions
suffiraient à prouver que jamais on ne songea à y appliquer les
règles de Tarchitecture militaire. Les fortins d'Aïn-el-Ksar ^,
d'El-Mader, de Seriana peuvent donner entre mille une idée
de ces édifices. Toutefois, on remarquera que beaucoup de ces
kasr sont d'une époque postérieure au règne de Justinien,
qu'ils datent de la fin du vi* siècle*, et surtout du vu*, c'est-à-
dire de Tépoque où le péril berbère grandissant et bientôt Tin-
vasion arabe emportant les grandes forteresses de la frontière
ont fait plus impérieusement sentir la nécessité de ces moyens
de défense. Il importe donc assurément de faire à ces cons-
tructions leur place dans l'histoire de TAfrique byzantine :
mais il faut soigneusement les distinguer — tant pour la date
que pour le rôle auquel elles sont destinées — des citadelles
construites par l'autorité impériale, occupées par les troupes
i. C. I. L,, Vm, 8426, 8701,8710,8777. Cf. Cagoat, /. c.,p. 606,614 615,625.
2. Aed., p. 340 (Hadrumète) ; Bell. Vand., p. 379 (Sullcctum); Rec. de OmsL,
1860, p. 215-216 (Tébessa).
3. C. 1. L., Vin, 4354, 2079 et Add., 10681, 12035.
4. Rec. de Consl., 1862, p. 128; Diehl, Rapport, p. 12-15.
5. Les uns sont du règne de Tibère II (C. /. L., VIII, 4354), d'autres du
règne de Maurice (td., 12035) ou d*HéracIius (tU, 10681).
LES PRINCIPES DU SYSTÈME DÉFENSIF DANS L'AFRIQUE BYZANTINE 225
régulières et qui seules défendaient — au moins officielle-
ment — le limes africain. Ce n'est qu'à cette condition essen-
tielle, trop souvent mise en oubli, qu*on pourra sérieusement
étudier Toccupation militaire de l'Afrique byzantine sous le
règne de Justinien.
15
CHAPITRE III
L OCCUPATION MILITAIRE DE L AFRIQUE BYZANTINE
Nous avons essayé de faire connaître les règles générales
d'après lesquelles les Byzantins organisèrent en Afrique le
système delà défense. Grâce aux textes, aux inscriptions^ sur-
tout aux monuments, il est possible de faire quelque chose
de plus, d'exposer le détail de cette occupation militaire, de
déterminer les points principaux où furent établies les troupes,
de suivre la direction générale de la frontière, en un mot, de
tenter pour l'occupation byzantine l'étude que M. Gagnât a si
magistralement faite pour la période romaine ^ Assurément
le territoire auquel s'appliquent ces recherches est infiniment
moins étendu que celui de l'Afrique impériale : le temps est
bien loin où la troisième légion poussait ses garnisons jus-
qu'aux oasis de la Tripolitaine, jusqu'à la vallée de l'Oued-
Djedi, jusqu'aux hauts plateaux de la Maurétanie'. Au temps
de Justinien, on ne songe plus guère qu'en théorie à reconqué-
rir ces frontières lointaines; en fait, on se restreint modeste-
ment et on revient en arrière, et c'est à peine si la domina-
tion byzantine dépasse la ligne jadis occupée par Bome an
premier siècle de FEmpire*. Maintenant on se contente de
garder la côte de Tripolitaine depuis la Gyrénaïque jusqu'à
Gabès; la frontière de la Byzacène passe au nord des Ghotts
et par Gafsa rejoint Tébessa ; en Numidie on occupe le pied
1. Cagn&ifArmée d*Afriquei p. 549-674.
2. Id,, p. 598.
3. Id , p. 549.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 227
septentrional du massif des Aurës, sans à peine entamer la
montagne; et si Ton pénètre dans la plaine du Hodna, en
revanche on ne possède plus que la moindre partie des Mau-
rétanies. Mais dans ces limites plus étroites, Tétude de l'occu-
pation militaire byzantine n en est pas moins délicate et com-
pliquée. Tandis qu'à Tépoque romaine, le pays était défendu
par une suite de points fortifiés s'étendant sur une seule
ligne, maintenant la province tout entière est couverte de for-
teresses : et à ces lignes de citadelles échelonnées Tune der-
rière l'autre depuis le limes jusqu'à la côle, il est difficile
parfois d'assigner une date exacte et une destination précise.
D'autre part, si, sur la frontière, les Byzantins ont conservé
d'une façon remarquable les traditions militaires et les habi-
tudes stratégiques des Romains, dans l'intérieur de la pro-
vince, ils ont inauguré des méthodes nouvelles, qui rendent
singulièrement malaisé l'examen du système de la défense et
produisent de perpétuelles confusions entre les ouvrages pro-
prement militaires et les autres travaux de fortification. Enfin,
s'il est possible de fixer à peu près certainement la chaîne des
chàteaux-forls qui protégeaient les régions définitivement
soumises, il est certain qu'au delà de cette ligne, l'influence
byzantine s'étendait au loin sur les tribus berbères, et que
peut-être même des postes fortifiés assuraient parfois dans ces
états vassaux la fidélité fort incertaine des Maures. Nous exa-
minerons dans un prochain chapitre les relations du gouver-
nement grec avec ces populations indigènes, tour à tour
révoltées ou soumises : ici nous nous contenterons de déter-
niner, du mieux qu'il sera possible, la première ligne de défense
qui formait la limite réelle de l'Afrique byzantine, et d*étudier
ensuite les mesures complémentaires qui, dans l'intérieur du
pays, assuraient la sécurité des populations et le maintien de
l'autorité impériale.
PREMIÈRE SECTION
LES FORTERESSES DE LA FRONTIÈRE
I
Frontière de Tripolitaine .
 l'époque romaine, autant qu'on en peut juger Ipar les
renseignements assez incertains relatifs à un pays mal connu,
la frontière de Tripolitaine a varié suivant les époques. Au
début de TËmpire, elle s'écartait peu de la côte, et de Gabès
aux limites de la Cyrénaïque, elle longeait de très près le ri-
vage^; plus tard, au moins dans la partie occidentale de la
province, entre Leptis Magna et les Ghotts, elle fut reportée
un peu plus au sud, et une série de postes fortifiés occupa la
ligne de hauteurs, qui depuis le Djebel-Nefouça jusqu'au pla-
teau des M atmata, forme de ce côté la frontière naturelle du
pays*. Il est difficile de déterminer, entre ces deux tracés,
celui qu'adopta l'époque byzantine. Dans la partie orientale
de la province, la nature des lieux suffit à trancher la question :
jusqu'à Leptis Magna^ la zone habitable est étroitement res-
treinte à la côte, entre le rivage et les dunes de sable qui
viennent aboutir à la mer; de ce côté les Byzantins durent^
comme les Romains, se contenter d'occuper le littoral extrême '«
et, s'il en faut croire les informations recueillies par Tissot, ils
protégèrent dans cette région, depuis la Cyrénaïque jusqu'à
1. Cagoat, /. c, p. 549, 578.
2. Id^ p. 552, 749-751. Cf. les renseignements fournis par M. Lecoy de la
Marctie [Bull, Corn., 1894, p. 389-413} et Tintéressant artide de M. ToaUin (MéL
de Rome, XV (1895), p. 211-229).
3. Cagoat, l, c, p 552.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 229
Mahda-Hassan, « tous les terrains cultivables, tous les pâtu-
rages même, par des postes militaires de 15 à 20 mètres
de côté, placés en vue les uns des autres et formant une vé-
ritable chaîne, qui assuraient aux populations sédentaires de
la côte une protection efficace contre les incursions des no-
mades'. » Mais à partir de Lebda la difficulté s'accroît; nous
possédons en effet si peu de renseignements sur l'intérieur de
la Tripolitaine qu'il est absolument impossible de dire s'il s'y
rencontre ou non quelque forteresse de Tépoque byzantine.
11 faut donc s'en remettre aux textes peu nombreux que l'on
peut rassembler sur la matière : d'après ces témoignages, il
semble bien qu'ici encore l'occupation grecque s'est limitée à
la côte, abandonnant les postes du limes énumérés par la
Notitia Dignitatum. ICn Tripolitaine, Procope ne signale que
deux villes fortifiées, toutes deux situées sur le littoral : c'est
Leptis Magna, capitale de la région et résidence d'un duc', et
plus à l'ouest, Sabrala'; entre les deux, il faut faire place à
Oea, qui, quoi qu'en dise Tissot, existait encore au vi^ siècle*,
et était sans doute, comme ses voisines, entourée de remparts ;
enfin, dans la partie occidentale du pays, on rencontrait
Gergis, Girba, dans l'île de Meninx (Djerba), et sur la fron-
tière même de la Byzacène, Tacape (Gabès)*. Mais ces cités
que Procope nomme sans y indiquer aucun ouvrage de forti-
fications, semblent, d'après ce silence même, devoir être te-
nues pour des villes ouvertes, et en effet, le récit de la Johan-
nide prouve d'une façon péremptoire qu'au milieu du vi^ siècle
encore, Gabès au moins était dépourvue de remparts •. D'aulre
1. Tissot, H, p. 235-236.
2. Aed., p. 333-336.
3. Id., p. 337.
4. Georg. Cypr. (éd. Gelzer), p. 41; Byz, Zeitschr,, H, p. 25-31. C'est même
une place forte au vu* siècle (Fournei, Les Berbères^ p. 18); cf. ElNoweïri
{Journal asial.^ 3* série, t. XI, p. 102).
5. Aed., p. 337; Lahbe, IV, 1627, 1640-1C41 ; Byz. Zeilachr,, p. II, 31.
6. Sans cela il est impossible de comprendre la retraite qu*en 547 l'armée
romaine fit jusqu'à lunca (Joh,, VII, 111-136).
230 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
part, dans la plus grande partie de celte région, les Berbères
semblent parvenir presque jusqu'au littoral : Leptis Magna a
à ses portes des tribus indigènes et parait exposée à de cons-
tantes attaques de leur part'; chose plus significative encore,
remplacement de plusieurs postes de l'ancien /tmes romain, par
exemple Talalati (Ras-el-Aïn, près de Tlalet) et Tillibari qui
se trouve un peu à Test, est indiqué comme le centre d'habi-
tation de populations absolument insoumises* ; un peu au sud
de Gabès, la tribu des Astrices étend son territoire jusqu'au
littoral de la Petite Syrte, et les liens qui la rattachent à l'au-
torité impériale semblent assez incertains'; enfin la région
qui s'étend au sud du Chott-el-Fedjedj, et à travers laquelle
la frontière romaine de Tripolitaine parvenait jusqu'à Telmin,
parait entièrement abandonnée : on peut donc affirmer avec
une grande vraisemblance que, de Gabès à la Cyrénaïque, la
domination byzantine se bornait à la possession de la grande
voie stratégique qui borde la côte et à une influence purement
diplomatique et religieuse, d'ailleurs souvent contestée, sur
les tribus du voisinage^. En un point pourtant, il faut admettre
une domination un peu plus étendue, c'est à l'endroit où, entre
le plateau des Matmata et le littoral, s'ouvre « un passage étroit
qui est la seule voie d'invasion possible pour les tribus de la
Tripolitaine vers l'Afrique »*. On peut, je crois, prouver que
les Byzantins, comme jadis les Romains, avaient tenté, bien
que moins complètement, de barrer ce défilé.
Il faut pour cela étudier avec quelque détail le récit que fait
1. Aed., p. 336-337.
2. Ji)h.^ II, 78. Cf. Cagaat, l. c, p. 749-750 et les reDseigaemeDts fournis
sur Riis-el-Aîn par le lieutenant Lecoy de la Marche (Bail. Corn., 1894,
p. 399-402).
3. Joh., VI, 391-437.
4. On remarquera, à Tappui de cette hypothèse, que, dans toute la région
comprise entre le fiahiret-el-Biban et Rsar-Rhelane, ainsi que dans le pays
situé au sud de la ligne joignant ces deux points, M. Lecoy de la Marche a
rencontré de nombreux ouvrages romains, mais pas un poste qui semble
de Tépoque byzantine {Btdi. Corn,, 1894, /. c).
5. Gagnât, /. c, p. 551 .
L'OCCUPATION MILITAIRE DE UAFRIQUE BYZANTINE 231
Corippus de la campagne de S47. A la nouvelle de la prise
d'armes des Berbères, qui déjà ravagent la Tripolilaine, le
patrice Jean, pour protéger du moins la Byzacène contre l'in-
vasion ', prend une offensive hardie^ et au moment oix déjà
les cavaliers indigènes atteignaient, saiù avoir rencontré nul
obstacle, les frontières de la province *, il les oblige à se replier
en désordre^ et les poursuit jusque dans le désert. Mais bien-
tôt, devant les difficultés de l'expédition, le général grec est obli*
géde regagner lacôte', et il s^établit aux environs d'un point
que la Johannide nomme Gallica ou Marta*, et dont on peut
avec précision identifier l'emplacement'; l'endroit se trouve à
Maret, à 26 milles au sud de Gabès, au bord d'une rivière,
près d'une plaine entourée de collines et sur la route antique
qui menait au poste romain d'Augarmi (Ksar-Koutin). Or, si
aux alentours de cette position, le littoral est occupé par des
villes byzantines*, tout l'intérieur du pays au contraire appar-
tient aux Astrices, et sur le territoire de cette tribu berbère
aucun poste fortifié n'existe, puisque l'approche seule du pa-
trice détermine la soumission des indigènes \ Mais en revan-
che, un peu en arrière de Marta, et par conséquent au milieu
même de l'isthme resserré que nous signalions tout à Theure,
Corippus mentionne une petite ville anonyme placée an bord
d'une rivière, dans une sorte d'oasis fertile •; et avec une pré-
cision absolue, le poète nous apprend qu'elle était fortifiée.
Quelle était cette place, nous ne saurions le dire : ce ne peut
être Gabès, trop importante et trop connue pour que Corippus
ne l'eût pas nommée expressément*; mais en tout cas on
i.Joh.,\l 242-246, 251.
2. /d.,Vl, 279-280.
3. W.,VI, 367.
4. W., Il, 77, 8083 ; Vï, 483-486.
5. Gf.Tissot, II, 692-693; Partsch, l c, xxxi-zxxii.
6. Joh,, VI, 384-385.
7. Id , VI, 391-560. On observera d'autre part que, sur remplacement
d'Âagarmi (Ksar-Routin), ii n'y a aucune trace d'établissement byzantin (Bu//.
Corn., 1888, p. 444-447).
8. Joh., VII, 1-3.
9. On pourrait penser peut-être à Agma ou Fulgurita (= Zarat) sur ]a route
232 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
peut conclure qu'en ce point de passage si particulièrement
important, entre la route du littoral et la montagne, un peu en
avant de Gabès, les Byzantins avaient construit un castellum
surveillant le défilé et fermant de ce côté aux nomades du sud
Taccès de l'Afrique propre. C'est en somme, sauf que la fron-
tière est ici un peu plus reportée vers le nord, le rôle jadis
assigné aux postes romains d'Augarmi et de Talalati, et que
remplissent aujourd'hui encore nos établissements de Mede-
nine et de Foum-Tatahouine.
II
Frontière de Byzacène.
A partir de Gabès, derrière l'infranchissable barrière des
Chotts, commençait la Byzacène. Ici, la frontière suivait tout
d'abord la grande route de Gabès à Gafsa; mais cette voie,
pour Tépoque byzantine comme pour l'époque romaine, est
« fort mal connue, malgré la fréquence des convois qui la sui-
vent actuellement »*, et il faut se contenter d'en fixer les
deux points extrêmes sans essayer de retrouver les postes
intermédiaires*. Il est certain en tout cas qu'au temps de Jus-
tinien, Capsa était solidement occupée par les Byzantins^ :
d'Augarmi (Tissot, II, p. 706). Cf. BulL Com., 1888, p. 440, où l'on signale des
ruines de quelque importauce entre Réténa et Maret.
1. Gagnât, /. c, p. 577-578. Cf. pourtant sur cette route Tétude dn capitaine
Privé {Bull. Com.y 1895, p. 85-94), où il n'est fait mention au reste d'aucun poste
byzantin.
2. On trouvera dans la reconnaissance du capitaine Privé {L c, p. 101-104)
des détails intéressants sur ia façon dont étaient gardés par des murailles et
des fortins les défilés du Djebel-Cherb,qui s'étend au sad de la route et paral-
lèlement à elle. 11 y alà,semble-t-il, de véritables clisurae byzantines, fermant
les passages qui à travers la montagne mènent au Bled Segui, mais les indi-
cations données sont trop vagues pour qu'on puisse dire si ces ouvrages sont
romainsjou byzantins.
3. C. 1. L., Vin, 101-102.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE Î33
pour barrer les débouchés de l'étroit passage ouvert entre le
Chott-el-Djerid et le Chott-el-Gharsa, cette citadelle avait, en
effet, une importance capitale. « Située au seuil du désert,
au point où les dernières hauteurs du Tell s'ouvrent pour for-
mer une sorte de carrefour auquel aboutissent les trois grandes
vallées qui conduisent, Tune au fond du golfe de Gabès,
l'autre à Tébessa, la troisième au centre de la régence de Tu-
nis, elle est tout à la fois une des « portes >» du Sahara et une
des clefs du Tell, le point de transit obligé des caravanes du
Soudan et le poste avancé des hauts plateaux contre les incur-
sions des nomades »*. Aussi Justinien avait-il voulu qu'elle
fût Tune des résidences du duc de Byzacène', et ce fait indi-
que assez le rôle considérable qu'il lui destinait.
De Gafsa, la frontière byzantine remontait brusquement
vers le nord. Il ne semble point, en effet, que la région de
rOued-Oum-el-Ksob, dont la vallée ouvre un important pas-
sage vers le nord, fût enveloppée dans la ligne des forteresses
byzantines : du moins, dans la contrée si peu connue qui se
trouve à l'ouest et au nord-ouest de Gafsa, MM. Gagnât et Sa-
ladin ne signalent aucune ruine byzantine, si ce n'est un for-
tin construit à Henchir-Mzira, à l'endroit où le Fedj-Rettala
donne accès sur la trouée qui nous occupe; encore conserve-
t-on quelque doute sur le caractère militaire de cet ouvrage*.
Le limes suivait donc ici la grande voie de Capsa à Thélepte,
qui de distance en distance était jalonnée de postes fortifiés.
C'était, près de Gafsa, à Ksour-el-Kraïb, une grande cons-
truction carrée de 40mètres de côté*; plus loin, près duKhan-
guet-el-Aïch, une tour d'observation*; enfin, à l'endroit où
l'Oued-Bou-Haya, qui passe à Thélepte, rencontrait la vallée
latérale de l'Oued- Goubeul, au point où la route traverse le
1. Tissot, II, p. 668.
2. Cod. JusL, 1, 27, 2, 1 a.
3. Saladin, I, p. 105 ; Gagnât, Arck. des Missions, XII, p. 175.
4. Saladin, I, p. 100.
5. C. /. L., VIII, p. 30.
234 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Khanguet-OguelT, le Kasr-el-Foul, qui mesure 32 mètres sur
21, commandait le passage ^
La forte ville de Thélepte, à laquelle aboutissait cette voie,
occupait comme Gafsa une admirable position stratégique ' •
Sa puissante citadelle barrait absolument Tétroit défilé par
lequel rOued-bou-Haya' s'écoule vers le sud, et couvrait au
loin le vaste plateau, jadis peuplé et fertile, qui s'étend vers
le nord-est jusqu'à Cilliiim (Kasrin)et Sufetula (Sbeitla). Elle
surveillait, d'autre part, le pays découvert qui s'ouvre dans la
direction de Touest. Il semble, en effet, qu'entre Thélepte et
Théveste, le limes byzantin ne suivait point les routes qui re-
lient ces deux points, en passant soit par Bir-Oum-Ali, soit
par Tamesmida ^ : on n'a signalé dans ces ruines aucune
trace d'occupation byzantine*; et d'autre part, l'étude fort
attentive que j'ai faite du terrain entre Feriana et Tébessa
m'incline à croire que la ligne frontière se trouvait un peu
plus à l'est, à quelque distance en avant de la route qui mène
de Thélepte à Théveste par Gillium et la plaine du Fouçana.
Au nord de Thélepte, tout le long de TOued-bou-Haya, on
rencontre une série de fortins barrant du nord au sud le pas-
sage delà plaine; une redoute était établie au pied du Djebel-
Dernaia, à l'endroit où le long défilé du Khanguet-bou-Haya
conduit dans la grande forêt de Bou-Chebka; au milieu de
ces bois, un peu au nord, la petite citadelle d'Aïn-bou-Dris,
construite par le patrice Solomon, occupait une position ad-
mirable*, à portée de la route de Théveste à Capsa, et à l'en-
droit où une vallée latérale donnait entrée dans la riche plaine
du Fouçana; de là, par une ligne brisée assez incertaine, la
frontière rejoignait les postes qui, au sud des cols de Becca-
ria et de Tenoukla^ protégeaient les abords de Théveste.
1. Saladin, l, p. 116.
2. Tissot, II, p. 648-649, 676-678; Bull. Com.y 1885, p. 131-149; 1888, p. 177-193.
3. Tissot. II, p. 648-649; Gagnât, Armée, p. 574-577.
4. Il y a bien le poste de HeDchir-el-KUb (Saladin, I, p. 148), mais si ce kasr
était byzantin, il serait étrange que Bir-Oum-Aii et Tamesmida ne soient
point occupés.
5. C. /. L., VIII, 2095, Add,
L'OCCUPATION MILTTAraE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 235
Parmi les forteresses construites par Justinien en Byza-
cëne, et destinées à repousser les incursions des Maures, Pro-
cope mentionne encore, comme situées sur la frontière même,
les deux villes fortifiées de Mamma et de Kouloulis et le châ-
teau d*Ammaedera*. Nous connaissons ce dernier point : c'est
la citadelle d'Haïdra, située en arrière de la ligne frontière» au
nord-est de Tébessa. sur la grande voie qui mène de celte
ville à Carthage. Quant aux deux autres places fortes, Templa-
cément en est inconnu, mais il semble assez difficile de les
identifier avec quelqu'un des postes compris dans le limes que
nous venons de décrire. Ils paraissent, en eiïet, être situés assez
au nord de cette ligne, et bien plus dans l'intérieur du pays.
Il est plusieurs fois fait mention, dans les textes, de la plaine
de Mamma, entourée de hautes montagnes; c'est là, qu'en
534, Solomon battit les Berbères*, c'est là aussi qu'en S47,
après la défaite des Byzantins à Marta, les tribus indigènes
vinrent s'établir, après avoir ravagé la Byzacène, pendant que
lepatrice Jean reformait son armée àLaribus^. Or, ici encore,
la Johannide nous apporte de précieux renseignements :
lorsque, au printemps de 548, les troupes grecques furent assez
fortes pour reprendre Toffensive, les chefs berbères se déci-
dèrent à battre en retraite; ils se replièrent vers la côte, et,
après dix jours de route, ils installèrent leur camp à Tabri
des remparts de lunca*. C'est donc au nord-ouest de cette
ville, non loin d'une ligne tracée de ce point du littoral vers
Laribus, c'est-à-dire en tout cas dans l'intérieur même de la
Byzacène, qu'on cherchera la plaine de Mamma. Il est possible
peut-être de préciser davantage les choses : la grande voie
qui aboutit au littoral tout auprès de lunca et qui servit
évidemment de ligne de retraite aux indigènes, est celle qui,
d'après l'Itinéraire d'Ântonin, relie Assuras (Zanfour) à Maco-
mades, en passant par Sufes (Sbiba), Safetula (Sbeitla), Nara,
1. Aed.y p. 342.
2. Bell. Vand.j p. 453.
3. Joh , vu, 283, 142-149.
4* Id., Vil, 370-374; 391-392.
236 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Madarsuma et Tabalta*. Or, à Test de Sbiba, entre cette ville
et Kairouan, les historiens arabes mentionnent un village de
Mams*, près duquel, en 688, une grande bataille se donna
entre les Arabes et les Berbères^ et dont on remarquera l'évi-
dente analogie avec le nom grec de Ui[L\>.riq. On cherchera donc,
selon toute vraisemblance, l'emplacement de la forteresse sur
les hauts plateaux qui avoisinent la vallée moyenne de TOued-
Zeroud, au sud du pays montagneux qui couvre le centre de
la Tunisie. J'ai essayé de démontrer ailleurs que la Kouloulis
de Procope peut être avec quelque vraisemblance identifiée à
la ville forte dont les ruines se trouvent à Djeloula, au nord-
ouest de Kairouan ^ Assurément, ce n'est là, pour aucune des
deux villes, une situation qui justifie les expressions èv eoxaria
Tfj<; xtùpaç employées par Thistorien byzantin. Est-ce à dire que
Procope se soit trompé dans ses indications topographiques,
d'ailleurs assez vagues? la chose n'est point impossible. Ou
bien faut-il admettre qu'en Byzacène comme en Numidie, la
domination byzantine ne s'étendit vers le sud que par étapes
successives, et que les renseignements de l'écrivain s'appli-
iquent à la première période de l'occupation, avant que les
grands succès de Solomon eussent débarrassé le pays? Dans
ce cas, il resterait à expliquer pourquoi, dans le même para-
graphe, Procope nomme, dans la même série de forteresses,
Thélepte, incontestablement située plus au sud; pourquoi
surtout, dès 534, Justinien peut assigner pour résidence pro-
visoire au duc de Byzacène, non seulement Thélepte, mais la
ville plus méridionale encore de Capsa". Quoi qu'il en soit,
nous retrouverons ultérieurement ces places en étudiant la
seconde ligne de défense de la Byzacène : il suffit pour le pré-
1. Tis»ot, H, p. 644-648; Itinéraire cTAntonin {Rech, des antiquités, p. 246).
2. El-Bekri {Journal asiat., l. c, t. XHI, p. 397) ; Noweiri {ibid,, t. c, t. XI,
p. 132).
3. Fournel, l. c, p. 195.
4. Cf. Diôhl, Kappor/, p. 118-119.
5. Cod, Just.y I, 27, 2, 1 a.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 237
sent d'avoir marqué les motifs qui nous empêchent de les
ranger parmi les postes échelonnés le long du limes africain.
III
Frontière de Numidie.
A l'endroit où la frontière byzantine atteignait les confins de
la Numidie, la première place importante que Ton rencontrait
était, sur les limites mêmes des deux provinces, la forte cita-
delle de Théveste *. On a insisté bien des fois sur l'impor-
tance stratégique de ce poste, sur Tadmirable position qu'il
occupait pour couvrir la province d'Afrique « contre toute
invasion venant du sud, soit de la Numidie^ soit de la Byza-
cène )>*, sur les avantages qu'il offrait comme base d'opéra-
tions, aussi bien contre les Berbères de Test que contre les
montagnards de PAurès et les populations du sud de la pro-
vince de Constantine '. On conçoit que les Byzantins er) aient,
comme les Romains, apprécié toute la valeur : elle était d'au-
tant plus grande pour eux que, n'ayant pins guère à s'occuper
des Maurétanies, ils trouvaient à Théveste le centre même de
leur ligne de défense, entre la mer et le Hodna. Dans la
plaine que surveillait et commandait cette place, débouchaient
de toutes parts des routes importantes \ celles du sud-est qui
venaient de Gafsa et de Thélepte, celle de Test, qui par la
vallée de TOued-el-Hatob arrivait de Sufetula, celle du nord
qui menait à Carthage, celles du nord-ouest qui allaient à
Thagaste et à Cirla, celle de l'ouest qui, longeant le pied de
\. CI. L.y VllI, 1863-1864. Cf. MoU (Rec. de ConsL, 1858-59, avec un
plaD, et 1860); VilIefoBse (Tour du mondent. XXXX,p. 28-29) ; Tisaot, H, p. 466-
468, 472-473.
2. MoU, Le, J858-59,p. 81-82.
3. Gagnât, Armée romaine^ p. 497-498.
4. Tiesot, II, p. 465.
238 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
l'AurèSy se prolongeait jusqu'à Lambèse par Mascula et Tha-
mugadi, celles du sud-ouest enfin qui arrivaient du désert
par les vallées de TOued-Hallel et de rOued-Tilidjen. Au
nœud de cet important réseau routier, Théveste fermait aux
envahisseurs les passages du sud, couvrait et protégeait les
routes du nord, et tout autour de la puissante citadelle, d'au-
tres fortins avancés complétaient son système de défense et
barraient les principaux passages qui s'ouvraient sur la
plaine. Au sud-est, du côté de Thélepte, au delà des cols de
Bekkaria et de Tenoukla, on signale dans la vallée de TOued-
el-Ma le poste de Henchir-bou-Sebaa S et Ton a déjà noté
la position qu'occupait la citadelle d'Aïn-bou-Dris. Sur la
route qui venait de Cillium et de Sbeitla, par la plaine du
Fouçana et le Khanguet-Oum-el-Ouahad, le poste fortifié
d'Henchir-el-Hammam défendait la vallée, à Tendroit où elle
se resserre entre le Djebel-Chambi et le Djebel-Semmana';
au nord-est, sur la route de Carthage,au défilé du Khanguet-
Mazouch, la redoute de Ksar-Gouraï mettait un jalon entre
Théveste et la puissante forteresse d'Haïdra» ; du côté du
nordy à l'endroit où le col d'El-Attaba traverse le massif du
Djebel-Dir, un château fort s'élevait à Gastal^; enfin, de
nombreux ouvrages surveillaient les routes du sud* ouest, le
Trik-el-Karreta et les passages de TOued-Hallel; et Ton voit
avec quel soin le patrice Solomon avait, dans cette position
militaire de premier ordre, accumulé les moyens de défense.
De Théveste jusqu'à la profonde coupure où passait la voie
romaine de Lambèse à Biskra, la frontière byzantine longeait
le versant septentrional de l'Aurès. Sur cet espace de près de
200 kilomètres débouchent de nombreuses voies d'invasion ; à
travers les profondes déchirures du plateau des Nememchas,
i. RecdeConst.j 1874, p. 67. La coostructioD pourtant n'est pas sûrement
byzantine (cf. de Rossi, Buil, arch. crisl., 1878, p. 11). Cf. aussi C. I. L., VIU,
2079 et Add,
2. Gagnât, Arch. des Missions y XII, p. 147. Cf. Tissot, II, p. 630.
3. Rec, de ConsL, 1866, p. 219; 1876, p. 421.
4. /rf., 1876, p 412 Cf. Villefosse, /. c, p. 412.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 239
le long des grandes vallées du massif aurasiqne, serpentent
plusieurs routes importantes qui mettent en communication
le Sahara avec le Tell. Déjà, les Romains, qui occupaient
pourtant le versant méridional de TAurès, avaient jalonné
cette ligne d'un certain nombre de postes *. Les Byzantins,
dont la domination s'arrêtait aux premières pentes de la mon-
tagne, durent à plus forte raison y multiplier les moyens de dé-
fense. Pour couvrir la région des hauts plateaux, ilo y éta-
blirent plusieurs grandes citadelles, reliées par une chaîne de
postes qui barraient tous les passages de la région. Toutefois,
si nombreux que soient les renseignements sur ces ouvrages,
il est indispensable d'apporter une sévère prudence dans l'é-
tude qu'on en fera. Les explorateurs ont, en effet, fort abusé
du mot byzantin pour désigner toute construction irrégulière
ou hâtive; ils ne se sont point attachés non plus à distinguer
ici, aussi soigneusement qu'en Tunisie, les constructions
proprement militaires et les fortins simplement destinés à
fournir un refuge aux populations. Il faut donc apporter
quelque circonspection à accueillir ces indications'; aussi^
partout où il ne m'a pas été possible de les contrôler direc-
tement, je n*ai accepté que les informations où une description
précise m'a paru fournir des éléments suffisants d'appréciation.
Entre Tébessa et Khenchela, plusieurs vallées profondes
constituent des lignes de pénétration importantes '. Tout d'a-
bord, deux passages s'ouvraient par les vallées de TOued-Ti-
lidjen et de l'Oued-Hallel. « Ces étroits couloirs, dont les replis
tortueux parcourent une longueur de 20 kilomètres entre
deux murailles à pic d'une hauteur de 450 mètres, présentent
un aspect sauvage^ extrêmement curieux... C*est par là que les
1. Cagoat, Armée, p. 579-581.
2. « Il y a en Algérie, dit fort justement Masqueray à propos de l'un de
ccB monuments, bon nombre de ces petites ruines carrées, basses et assez bien
conservées, qui sont jusqu'ici regardées comme des constructions militaires
byzantines et qui sont probablement tout autre chose » (Revue aft\, 1878,
p. 467).
3. Gagnât, Armée^ p. 584-586.
240 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
nomades opèrent annuellement leurs migrations ^ » Il était
donc essentiel d'en garder fortement les issues. Et en eiïet^
sur la voie de TOued-Tilidjen, on signale des fortins byzantins
à Aïn-Tilidj en " et à Henchir-Bouraoui •; ce dernier avait une
valeur toute particulière ; établi à l'entrée du Bahiret-el-Ar-
neby il surveillait les passages de TOued-Tilidjen et du Foum-
el-Mallegy et couvrait d'autre part les cols du Trik-el-Karreta
et de Tenoukla, par où on débouche dans la plaine de Tébessa.
Sur rOued-Hallely au point où la vallée s^élargit pour entrer
dans le Bahiret-Mechentel, un poste installé à Aïn-Guiber sur-
veillait la rive droite de la rivière *; un peu en arrière, au
centre de la plaine^ s'élevait la citadelle de Cheria*; plus au
nord, les redoutes de Henchir-Meklides et d'Okkous proté-
geaient le col d'Aïn-Saboun *, et la tour de Ksar-Belkassem^
surveillait le col de Gaïguia par où une route gagne la vallée
de VOued-el-Kebir.
Les vallées de TOued-bou-Doukan et de TOued-bou-Bedjer
formaient une autre ligne d'invasion * ; on y signale des pos-
tes byzantins au sortir de la plaine du Guest, à Aïn-Seggar',
à Aîn-Ghorab^^ et à Henchir-Adjedj^^ Mais le grand danger
venait surtout du large passage que la vallée de TOued-el-
Arab ouvre entre le plateau des Nememchas et le massif de
TAurès proprement dit. Par là, un double débouché s*offrait
1. Rec. de ConsL, 1876, p. 383.
2. W., 1871, p. 422.
3. W., 1878, p. 17-18.
4. W., 1871, p. 420-421.
5. Masqueray, Ruines anciennes de Khenckela à Besseriani {Revue afr.^ 1879,
p. 82).
6. C.LL., VIII, 16751; Masqueray, Revue afr,, 1879, p. 77-78.
7. Rec. de ConsL, 1878, p. 35.
8. Cf. Gagnai, Armée, p. 580 et 584.
9. Rec. de ConsL, 1876-77, p. 380; De Rossi, /. c, 4878, p. 22-24; Masqueray,
Revue afr., 1878, p. 467-468.
10. Rec. de Omet.., 1871, p. 421; De Rossi, /. c. 1878, p. 19-20. Masqueray,
Revue a/r., 1878, p. 465-466, reconuaU dans cemonumeDt une église, dod uue
forteresse.
U. Rec. de Const., 1878, p. 30-31.
hnp . Monrocq- Faris .
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CARTE DE L'OCCUPATION MILITAIRE
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L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 241
aux envahisseurs : à Test du Tafrent, par la plaine de la Sbikha
et la vallée de TOued-Meskiana, ils parvenaient au centre
même des hauts plateaux* ; vers le nord-ouest, le col de Khen-
chela, qui donne issue sur la plaine d'Aïn-Beida, servait de
débouché à Tun des passages principaux qui conduisent du
Sahara au Tell, à la route directe du Souf à Gonstantine*. Aussi
sur cette portion de la frontière, les généraux byzantin s avaient
accumulé les défenses; dans la Sbikha, une grande forteresse
s'élevait à Henchir-oum-£if, l'antique Cedia', et une autre était
bâtie à Ksar-el-Kelb (peut-être Vegesala), sur un mamelon qui
commande une source abondante ^ ; plus loin, au col d*El-Fedj>
paroù passait une des routes de Théveste à Mascula, la grande
redoute d'Henchir-Tebrouri défendait le passage ^ ; un autre
fortin gardait le col de Tazougart^; enfin, dans la grande
plaine fertile» où l'Oued-bou-Rougal, TAbigas de Procope,
écoule ses eaux dans l'immense lagune du Guerah-el-Tarf, au
pied des montagnes des Amamra, au débouché même de la
route qui franchit le col de Khenchela^ la puissante ville forte
de Bagai formait un obstacle presque infranchissable*. Admi-
rablement établie sur un mamelon qui domine au loin le pays,
elle couvrait une grande partie du Tell par la proximité où elle
était de la tète des principales vallées qui traversent l'Au-
rès*; barrant les défilés de la montagne, elle surveillait non
moins exactement l'étroit passage ouvert entre le Tarf et la
chaîne du Tafrent, route nécessaire de toute invasion qui veut
1. Masqueray, Bull, de Corr. afr.j I, p. 285.
2. TisBot, II, p. 481.
3. Masqueray, Bti/Z. de Corr. afr., \, 326 et Revue a/?*., 1878, p. 456. Masque-
ray {Revue afr.^ 1878, p. 453) signale un fort byzantin à Âln-Zoui (Vazani) :
mais le renseignement n'est point confirmé d'autre part.
4. Bull, de Corr., afr., I, p. 285 ; Rec. de Consl., 1876, p. 395.
5. Rec. de Conet., 1867, p. 222; Bull, de Corr. afr., I, p. 281.
6. Masqueray, Revue afr., 1878, p. 452.
7. Sur cette fertilité, Masqueray, Bull, de Corr. afr., I, p. 279-280; lll,
p. 105.
8. Cf. Villefosse, Arch. des Missions, 1875; Tissot, II, p. 480,783; Rec. de
Omet., 1873>74, p. 215.
9. Gagnât, /. c, p. 581-586.
I. 16
242 HISTOIRE DE LK DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
gagner le nord des plateaux ; vers Touest enfin, elle comman-
dait la large plaine qui s'ouvre vers Timgad et Batna. Autour de
cette incomparable position stratégique, un certain nombre de
redoutes, dont le caraclëre striclement militaire n'est d'ailleurs
point nettement établi, couvraient le pays entre la forteresse
et les hauteurs du Tafrent' et cernaient cette pointe avancée
du massif de TAurès" : enfin, vers la fin du vi« siècle, une autre
citadelle compléta la défense. En avant de Bagai, un peu plus
au sud et plus avant dans la montagne, l'empereur Tibère II
fit réoccuper le poste romain de Mascula, situé à 4,300 mètres
d'altitude, sur l'emplacement actuel de Khenchela'. C'était,
mieux encore que Bagai^ une position militaire de premier
ordre, observant les principales vallées de TAurès et offrant
une base d'opérations admirable à toute colonne chargée de
pénétrer dans la montagne ^
Entre Bagai et Thamugadi, aucune voie importante ne dé-
bouche du massif de l'Aurès : pourtant les moindres passages
étaient surveillés par des redoutes, généralement établies»
selon l'usage, à proximité des points d'eau '^. C'est ainsi qu'en
face du Foum-el-Gueiss on signale le fort d'Henchir-Halloufa*,
et plus à l'ouest, les postes d'Aïn-el-Ksar et d'Henchir-Mliya';
plus loin, à la sortie du couloir qui sépare le Djebel- Amran
des derniers contreforts de T Aurôs, un ouvrage s'élevait à Hen-
chir-Mamra'; mais c'est surtout vers le défilé de Foum-Kosan-
tina que s'était porté dans cette région l'effort de Toccupation
i, Hec.deConsl.yi%%l, p. 223.
2. ici., p ai7, 221 ; BulL de Cort\ afr.y I, p. 283.
3. C. /. L., VÏII, 2245.
4. Tissot, 11, p. 481 ; Masqaeray, De Aurasio monte, p. 21-22; Rec. de ConsL,
1873-'74, p. 209-211, note, et Masqueray, Revue afr,, 1878. p. 449-450. Un fortin
assura les communications entre Mascula et Bagai (Gsell etGraïUot, l. c,,p, 114).
5. Sur Fensemble du système défensif des Byzantins dans cette région,
voir Gsell et Graillot^ Explorations archéologiqties dans le département de
Constantine (Méianges de V École de Rome, 1893 et 1894), p. 17-18 du tirage à
part.
6. Gsell et Graillot, /. c, p. 31.
7. Ibid,, p. 69 et 65.
8. Ibid , p. 24.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 243
byzantine. Là aboutissaient en eiïet les routes qui viennent
des vallées de TOued-el- Abiod et de l'Oued-Abdi ; là il y avait
une remarquable position à prendre, soit pour arrêter les in-
cursions des montagnards et des nomades du sud, soit pour
pénétrer dans Tintérieur du massif aurasique'. En tout
temps les colonnes chargées d'opérer dans TAurès ont trouvé
là un de leurs points d*appui : les généraux de Justinien, pas
plus que les Romains, ne négligèrent de s'assurer un poste
stratégique de si haute valeur. Parmi les ruines de la ville
déserte de Tbamugadi, ils construisirent une forte citadelle
qui barra le passage*, et bien que la ligne des Ghotts, qui cou-
vrent parallèlement à TAurës toute cette portion des hauts
plateaux numides, semblât former en arrière de cette pre-
mière ligne un obstacle naturel à l'invasion^ les Byzantins
renforcèrent encore par une série d'ouvrages ce système dé-
fensif et firent de toute cette région comme « un grand camp
retranché tourné vers le sud »^ comme un vaste quadrilatère
appuyé sur les forteresses de Bagai et de Mascula à Test, de
Tbamugadi et de Guessès à Touest. En arrière de Bagai, entre
le Guerah-el-Tarf et le Djebel-Fedjoudj, un fort dedimensions
assez considérables ferma à Henchir-Sbaragout le passage ou-
vert vers le nord*; la redoute d'Henchir-Seffan garda le col
de Teniet-el-Kebch taillé dans la masse du Djebel-Seffan*^;
mais surtout on s appliqua à barrer, entre le Djebel-Seffan et
le Djebel-Arif, l'importante trouée de TOued-Chemorra. Une
vaste forteresse fut construite à Henchir-Guessès^ protégeant
1. Cagnat, Armée romaine, p. 58i; Timgad, p. iv ; Masqueray, De Aurasio
monte, p. 23-24.
2. Rec. de Consl.y 1873-1874, p. 199-201; 1882, p. 344; Tissot, II, p. 489-490,
et Maaqueray, Les ruines de Tamgad (Revue afr,, 1876, p. 466-468).
3. GseU et Graiilot, /. c, p. 17.
4. Ibid,, p. 117.
5. Ibid., p. 127. 11 De me semble pas qu'il faille comprendre dans le système
défenaif plusieurs fortins que MM. Gsell et Graiilot signalent, soit au pied
da Djebel-Fedjoudj, soit entre Bagai et Guessès : ces ouvrages paraissent plutôt
destinés à couvrir des centres d'babitation, et nous leur ferons place en con-
séquence dans un autre chapitre de cette étude.
244
HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
la route qui du Foum-Kosantina mèae à Constantine et ren-
forçant utilement la position de Timgad^ Enfin à Touest de
Thamugadi, sur remplacement même de Lambëse, au point
(Fig. 51. — Guessès. Eaceinte de la ville byzantine.
(D*aprè8 le plan de M. Gsell.)
OÙ durant tant d'années l'armée romaine d'Afrique avait eu
son quartier général, une citadelle de première ligue surveil-
i. Rec. de ConsL, 1860-61, p. 131-132; 1873-74, p. 206; 1892, p. 203-^04, et
Burtout Gsell et Graillot,p. 119-120.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 245
lait les débouchés du passage qui, par le col d'ËI-Kantara, fait
communiquer le Sahara avec la région des hauts plateaux'.
A la fin du vi* siècle, sous le règne de l'empereur Maurice, on
établit, sur la route même qui conduit de Biskra à Lambèse»
à l'endroit où cette grande voie débouche dans la plaine, une
redoute auprès d'El-Ksour, au sud de Batna' : elle devait
achever de fermer la porte aux invasions du sud.
Ici se pose une question fort importante. A partir du com-
mencement du ii« siècle de TEmpire, la frontière romaine,
arrêtée jusque-là au versant septentrional de l'Aurès, s'avance
d'un bond vers le su3, et une nouvelle ligne de forteresses,
établie aux limites mêmes du désert, fait à la fois rempart
contre les nomades et achève de cerner par le midi le redou-
table massif aurasien. On connaît les principaux postes de
cette ligne : c'est, à partir du Chott-el-Gharsa, Spéculum, Ad
Turres, Ad Majores (Besseriani), Ad Médias (Taddert), Badias
(Badis),Thabudeos(Thouda),Bescera (Biskra), d'où Ton gagnait
Lambèse par la grande voie militaire du col d'El-Kantara : de
cette sorte, on empêchait à la fois les Sahariens de donner la
main aux populations de l'Aurès, et les gens du Zab et du
Hodna de s'unir à eux dans une commune et formidable in-
surrection». Jusqu'aux derniers jours de l'Empire, Rome de-
meura maîtresse de cette ligne* : il importe de savoir si, à
quelque moment de leur domination, les Byzantins réussirent
à en reprendre possession.
Sur remplacement de plusieurs des postes romains énu-
mérés plus haut, on a signalé des ouvrages de fortification
qu'on a attribués à l'époque byzantine. A Besseriani, on men-
tionne une enceinte entourant la ville, et qui, dit M. Gagnât,
« d'après la description qui en a été donnée, ne peut être que
byzantine »\ On affirme que l'établissement de Badias existait
1. Ti880l, II, p. 497-498; Rcc. de ConsL, 1873-74, p. 191-192.
2. C. /. L., VIII, 2525.
3. Gagnât, /. c, p. 562, 567, 570-71, 583-584.
4. W., p. 754-755.
5. /d., p. 565, uote 2.
Î46 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
encore au Bas-Empire : et en eifet^ parmi les villes grecques
de la Numidie, Georges de Chypre, un géographe du vi* siècle,
nomme la ville de Ba$r^;S et les historiens arabes la montrent
au vn"" siècle menacée par Sidi Okba^ A la même époque, on
prétend qu'une garnison byzantine occupait Thouda', et Ibn
Abd-el-Hakem déclare que c'est l'armée des Ronms qui, alliée
aux Berbères, défit près de cette place le conquérant arabe \
Enfin au sud-ouest de Biskra, à Tolga, L. Renier a cru re-
connaître une citadelle de l'époque byzantine'. La démonstra-
tion semble donc certaine, et il faudrait admettre que les
généraux grecs, réalisant le rêve de Jusiinien, ont reporté jus-
qu'aux antiques limites de l'Afrique romaine la frontière des
possessions byzantines.
La chose pourtant, il faut le dire, parait a /?rtori fort invrai-
semblable. Assurément, l'histoire de TAfrique grecque nous
est trop incomplètement connue pour qu'on puisse rien con-
clure du silence des historiens, mais enfin on voit mal à quel
moment, par quels moyens, les Byzantins, déjà si embarras-
sés de défendre les hauts plateaux de la Byzacène et de la
Numidie contre les incursions des tribus berbères, auraient
réussi à pousser si avant les bornes de TEmpire. Voici une
considération plus grave : si les Grecs avaient réellement oc-
cupé une ligne de places au sud de l'Aurès, toute communi-
cation eût été, ce semble, interrompue entre les montagnards
et les Sahariens. Or, entre la Miurétanie et le massif aura-
sien, les relations sont faciles : moins de sept ans après la
grande expédition de Solomon, labdas est rentré en maître
dans sa montagne, ce qui indique une occupation bien passa-
gère ou au moins bien insuffisante* ; en 546, les populations
1. Georg. Cypr., p. 3t. Cf. Proc, Aed (passage iné Ut), qui signale également
parmi les citadelles destinées & cerner TAurës la place de BaSv];.
2. Fournel, /. c, p. 176 ; Rec. de Const.y 1813-74, p. 294.
3. Rec. de Const.y 1873-74, p. 293.
4. Id., 1873-74, p. 293 ; Fournel, / c. p. 177.
5. Renier, Arch. des Miss» y 1851, p. 449.
6. Bell. Vand., p. 515. Cf. p 506.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 247
qui habitent la contrée au sud des Chotts, celles qui sont éta-
blies sur le Tersant méridional de TAurës, s'associent sans
difficulté à l'insurrection des montagnards S ce qui ne parait
point attester une domination byzantine bien solidement éta-
blie dans la région. Enfin et surtout les arguments qu'on in-
voque ont, en fait, beaucoup moins de portée qu'il ne semble
à première vue. Nous écarterons tout d*abord le renseigne-
ment relatif à Tolga : comme l'observe justement M. Gagnât,
a la similitude du plan avec celui des citadelles de Timgad et
Lambëse n'est peut-être pas une raison entièrement déci-
sive » *, un rectangle flanqué de tours pouvant tout aussi bien
être une construction militaire romaine. Pour Besseriani, la
description assez vague donnée par M. Baudot 'mo parait
beaucoup moins significative que ne pense M. Gagnât : et
d'ailleurs un explorateur compétent, M. Masqueray, attribue
sans hésitation cette enceinte à l'époque romaine * : en pré-
sence d'informations contradictoires et assez incertaines, Use-
rait donc fort imprudent de rien conclure. Ainsi, au lieu d*une
ligne de postes, longeant tout le sud de l'Aurès, il no s'agit
plus maintenant que de deux villes fortes, voisines Tune de
l'autre, Badis et Thouda. Je ne crois point qu'il faille, en ce
qui les touche, attacher trop d'importance aux textes du
vu* siècle : à ce moment, en face de l'invasion arabe, il y a eu,
on le verra plus tard, alliance conclue entre les Grecs et les
indigènes menacés par un commun danger ; il n'est point sur-
prenant que, dans ces circonstances, les troupes byzantines,
qui à cette date occupaient encore les citadelles établies au
pied septentrional de l'Aurès, qui venaient de résister dans
Bagai et Lambèse aux attaques de Sidi Okba, aient concerté
leurs mouvements avec ceux des Berbères, et, pour couper
la retraite au général arabe, momentanément passé au sud de
\.Joh.,U, 146-156.
2. Cagnat, Z. c.,p. 594.
3. Rec. de Const., 1875, p. 124-425.
4» Masquent, Revue afr., 4879, p. 73-76.
248 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
TAurës. Les historiens racontent qu'à la têle de Tarmée qui
attaqua le conquéreuit musulman se trouvait Kocéila, un grand
chef indigène, ce qui semble bien réduire au r61e d'auxiliaires
les contingents byzantins ' ; et quant au fait de trouver des
places fortes entre les mains des tribus berbères, il paraîtra
peu surprenant, si Ton songe que, jusqu'au xi® siècle, ces
mêmes villes de Thouda et Badis abritèrent derrière des rem-
parts leur population *. Ici encore, en Tabsence de renseigne-
ments précis sur la nature des ruines conservées à Badis et
à Thouda, rien n'oblige à admettre Texistence d'établisse-
ments byzantins au sud de TAurès. Il reste pourtant à discuter
les textes de Procope et de Georges de Chypre, qui semblent
placer Badis dans l'Afrique grecque à la fin du vi' siècle. Mais
rien ne prouve qu'il s'agisse ici du poste romain de Badias.
Il y avait dans la Numidie deux villes au moins de ce nom ^,
ce qui laisse, on l'avouera, quelque place au doute. Par sur-
croît, parmi les populations indigènes qui prirent part à la
grande guerre de 546, Gorippus nomme précisément les
Maures qui habitaient le territoire de Badis \ Et ici, il ne sau-
rait y avoir nulle incertitude sur l'emplacement désigné. Go-
rippus parle de la moisson que font deux fois par an les habi-
tants de « la chaude Vadis ». Or ce même détail se retrouve
dans El-Bekri à propos de l'antique Badias'. Il serait bien
surprenant, si au vi« siècle les Byzantins^ je ne sais trop par
quel miracle, avaient occupé ce poste, que la région fût signa-
lée comme étant le centre d'une population insoumise. Enfin^
si les Grecs avaient établi des forteresses au sud de l'Aurès,
ils auraient dû nécessairement occuper, comme les Romains
l'avaient fait, la voie militaire de Biskra àLambèse : or on ne
trouve sur cette ligne, avant la redoute d'El-Ksour, aucune
trace de forteresses byzantines; et c'est là une dernière
1. Fournel, /. c, p. 177.
2. El-Bekri, /. c, t. Xlll, p. 130.
3. Nolitia episc. Numidiae (éd. Halm), 7 et 117.
4. Joh., U, 156-157.
5. El-Bekri, /. c, t. XUl, p. 131.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 2i9
preuve, et non la moins décisive, que jamais les Byzantins
n'ont réussi à cerner par Touest et par le sud le massif de
l'Aurès.
Il est vrai que Procope affirme qu'en 539 les Romains se
décidèrent à occuper définitivement cette région et y élevèrent
des citadelles pour empêcher les indigènes d'en reprendre pos-
session*; et cette assertion de Thislorien, prise à la lettre, pour-
rait donner quelque crédit à l'hypothèse qui étend jusqu'au
sud de la montagne la domination byzantine. Mais Procope
lui-même s'est chargé de réduire à sa juste valeur la portée de
son témoignage. Dans le livre des Édifices^ on voit que les
mesures prises se bornèrent à la construction de citadelles dans
les villes ouvertes et abandonnées qui se trouvaient aux envi-
rons de la montagne^ c'est-à-dire à Bagai, à Timgad^ à Lam-
bèse '. Dans le massif même, Solomon établit deux redoutes
seulement^; mais nous ignorons totalement en quel point il
construisit ces forteresses, et tout fait supposer qu'il se con-
tenta de les bâtir sur les premières pentes de la montagne^.
On admettra donc qu'en Numidie comme en Byzacène, la
frontière byzantine ne s'étendait guère au delà des limites que
l'Afrique romaine avait connues au premier siècle de l'Empire*
Elle les dépassa sur un[point seulement : ce fut du côté du
Hodna.
A l'ouest de la voie militaire de Biskra à Lambèse, une
assez large trouée s'ouvre vers le nord, entre les Chotts du
1. BtlL Vand.y p. 500.
2. Aed., p. 343.
3. Id., p. 343.
4. Cf. Masqueray, De Aurasio monte, p. 7-9. « Les Byzactias, dit ailleurs
Masqueray, n'ont jamais pénétré dans le Djebel- G hechar : en tout cas on n'y
trouve pas de forteresse byzantine » (Le Djebel-Chechar, Revue afr. , 1878, p. 42).
Je n'ignore point que M. Rinn {Géographie ancienne de CAfrique^ Revue afr.^
1893, p. 305, 311, 325) signale des fortins byzantins sur le plateau de Médina,
aux sources de l'Oued-el-Abiod, à EUKsar, dans la vallée de l'Oued-eUKsar,
au sud du col de Tighanimine, ailleurs encore, à Saghida, à Diar-Abdous, etc.,
près de la ligne de faite qui sépare l'Oued-el-Abiod des ravins allant vers le
Sahara. Mais jrieu absolument ne prouve que ces ouvrages soient vraiment de
l'époque byzantine, et tout incline à faire croire le contraire.
250 HISTOIBE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Hodna et les montagnes qui forment la ceinture orientale de
cette vaste région. Cest Tun des deux points.de passage né-
cessaire pour les envahisseurs venant du sud, et obligés de
coatourner les lacs soit à Touest, soit à Test^ C'est aujour-
d'hui encore une des routes les plus fréquentées par les no-
mades du sud pour se rendre à SétifV De bonne heure, les
Romains avaient occupé ce point si important; les Byzantins
firent de même. Entre TOued-Bitam et TOued-Barika, sur le
versant occidental d'un plateau d*où l'on domine au loin la
plaine, ils élevèrent la grande citadelle de Tubunae (Tobna)
aujourd'hui complètement ruinée : elle commandait toute la
région découverte qui s'ouvre au sud dans la direction de
Mdoukal, elle surveillait et maintenait en repos tout le Hodna
oriental ; et ainsi placée sur les limites de la Numidie et de la
Maurétanie Césarienne, elle jouait un rôle capital dans le sys-
tème défensif de l'Afrique grecque.
En arrière de Tobna^ plusieurs autres forteresses renfor-
çaient la frontière byzantine sur ce point où le péril pouvait,
à la fois, venirau midi, du côté du désert, et à Touest, du côté
de la Maurétanie; elles étaient échelonnées sur la grande
route qui va de Théveste à Lambèse et qui, de là^ se prolon-
geait jusqu'aux confins méridionaux de la Maurétanie Siti-
ficnne. C'était d'abord, surveillant à Touest les débouchés du
col d'EUKantara et gardant tout ensemble le passage du Dje-
bel-Touggour, la citadelle de Lambiridi^; plus loin, au centre
de la grande plaine du Bellezma, une autre forteresse barrait,
au nord de Tobna, la trouée de rOuéd-Barika\ Aux pieds de
ses remparts se rencontrait un réseau de routes fort impor-
tant*. Du côté de Test, la voie qui venait de Lambèse débou-
chait dans la plaine par un étroit passage en face de la Me-
rouana; vers l'ouest deux routes menaient à Zarai et àSétif ;
i. Gagnât, /. c, p. 597.
2. Masqueray, De Aurasio monte, p. 61.
3.Ti8sot, 11, p. 502. Sur la route qu*elle gardait, »</., H, p. 479.
4. Gagnât, /. c, p. 572. Gf. Rec. de ConsL, 1873-74, p. 238-239.
5. TisBOt, H, p. 503-504.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 251
au nord s'ouvrait le chemin de Diana Veleranorum, au sud-:
ouest, celui de Tobna et du Hodna. Il était essentiel de tenir
solidement un carrefour aussi fréquenté; aussi de même qu'à
Thévesle, tout autour de la grande citadelle, des fortins déta-
chéss*échelonnaientaupourtourdelaplaine, gardant rissuedes
principaux défilés. Vers Test, à la sortie du col étroit ouvert
Jni
i3zz7.^i:
Echelle de 0.001 p. 2 m.
t' ' ■■' I I — 1 I
0U6610 20 30 iO SO
Fig. 52. — Ksar-Bellezma. Plan de la forteresse byzantine.
au pied du Djebel-Mestaoua, une redoute fermait le passage
de laMafouna; au sud-est, à la Merouana, parmi les ruine»
de l'antique Lamasba, un réduit carré barre la roule qui vient
de Batna à travers la montagne; au sud-ouest, plusieurs for-
tins jalonnent la voie qui conduit à Tobna; vers l'ouest, le
poste de Ksar-Gheddi^ surveille le chemin de Zarai. De tous
i. Oq donne souvent, et à tort, ce nom à la grande forteresse (cf. Masque-
ray, Bull, Corr. a/r.,ll, p. 219).
252
HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
ces points on aperçoit la masse du Ksar-Bellezma, dominant
la vaste plaine, commandant toutes les routes qui y aboutis-
sent et couvrant l'accès des passages ouverts vers le nord.
Plus loin, au point où la route qui du Hodna conduit à Sétif
sort de la plaine pour s*engager entre le Djebel-Mouassa et
les monts des Ali-ben-Sabor, deux forts, élevés à Kherbet-
Zerga (Gellae) et à Eherbet-Bagerou S gardaient l'entrée de
cet important passage. Au nord-est de ces places, sur la limite
de la Maurétanie, couronnant un mamelon qui commande tout
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100 Mitn^
Fig. 53. — Plan de Zraia. (D*aprè8 le levé de M. Gsell.)
le pays, se trouvait la citadelle de Zarai; elle défendait « la
trouée ouverte dans le massif des Ouled-Sellem par TOued-
Taourlalent qui se jette au Chott-el-Fraïni »^. Dans cette po-
sition stratégique solidement occupée dès Tépoque du Haut-
Empire^ les Byzantins avaient construit une forteresse assez
importante, qui formait peut-être le réduit d'une enceinte
beaucoup plus étendue*. Enfin, en arrière de cet établissement,
se trouvait entre le Djebel-Messaouda et le Djebel- Agmerouel,
1. Gsell, Recherches archéologiques en Algérie^ p. 138-139.
2. Cagnati l. c, p. 573.
3. Rec. de Const., 1873-74, p. 245-246; Tisaot, II, p. 485; Gsell, Recherches
archéologiques en Algérie,^. 142.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE
253
le fortin de Kherbet-Tamarit^ el au point de jonction des routes
qui viennent de Zarai par Ad Centenarium et de Sétif par Ge-
mellae et Nova Sparsa', s'élevait la redoute de Diana. Sur-
veillant au loin la vaste plaine découverte qui s'ouvre à l'ouest
et au nord-ouest vers Zarai et Sétif , commandant d'autre part
40
Fig. 54. — Zana. Forteresse byzantine.
l'étroit passage où débouche le chemin direct venant du Bel-
lezma, cette place, de date postérieure sans doute au règne de
Juslinien, complétait le système défensif et l'occupation mi-
litaire dans la région sud-occidentale de l'Afrique byzantine ^.
i. Gsell, /. c, p. 173.
2. Tissot, II, p. 484, 508.
3. Cf. Tissot, 11, p. 484-485; Rec. de Const,, 1873-74, p. 226.
254 HISTOIRE DE LA DOMINATION' BYZANTINE EN AFRIQUE
IV
Frontière de Mmurétanie Sitifiemie.
£n l'année 539, après la campagne dé FÂurës, le patrice
Solomon avail réussi à reconquérir la Maurélanie Silifienne.
Toutefois nous connaissons assez mal Tétendue ém posses-
sions grecques dans cette province. Nous constatons dhuie
part que toute la portion du Hodna située au nord des Ghotls
avait été reprise par les impériaux : une citadelle s'élevait en
effet à Zabi Justiniana, près de Tactuelle Msila*; et de même
que Tobna fermait du côté de Test les routes d'invasion, cette
place était destinée à arrêter les nomades qui essaieraient de
contourner le grand lac par l'ouest. Elle barrait en particulier
la voie qui vient de Bou-Saada, surveillait le Djebel-bou-Taleb
et couvrait le défilé qui, suivantla vallée de l'Oued-el-Ksob, re-
lie le Hodna avec la région de Bordj-bou-Arreridj. Sur ce point
les Byzantins n'avaient d'ailleurs fait que conserver les tradi-
tions de Rome, qui, elle aussi, avait partagé la garde du Hodna
entre les deux chefs du limes Tubunensis et du limes Zabensis^.
Faut-il croire qu'au nord de Msila, la frontière bjrzantine
remontait le long de l'Oued-el-Ksob pour gagner le plateau
de la Medjana, et la contrée où s'élevaient à l'époque romaine
la place fortifiée de Tamannuna (Bordj-bou-Arreridj', Aïn-
Tassera ou Aïn-Toumella^) et un peu en arrière celle de Le-
mellef (Kherbet-Zembia)? L'hypothèse^ qui est séduisante,
parait assez vraisemblable. Non seulement elle s'accorde avec
le témoignage de Procope, déclarant que la Maurétanie Siti-
fienne fut tout entière reconquise par les Byzantins; non
1. C. /. L., Mil, 8805. CLRec, de ConsL, i871-72, p. 322 sq.; Poulie, Ruines
de Bechilga {Bévue a/r,, 1861, p. 195).
2. Gagnât, /. c, p. 755; NoUiia Dign,, XXV, 1-36.
3. Cf. Cagoat, /. c, p. 607-608.
4. Cf. Gstll, Satafisel Thamalfa(MéL de Home, 1895, p. 05-66;.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BY/ANTINE
233
seulement elle rend compte mieux que toute autre de la
position occupée par Zabi Jusliniana, qui semblerait sans
cela quelque peu excentrique : mais elle a pour elle des
arguments .plus décisifs. Sans doute on n*a signalé jus-
qu'ici aucune redoute byzantine défendant les défilés de
rOued-el-Esob; sans doute, dans les ruines de Tamannuna et
de Lemellef, on ne constate nulle trace d'une occupation
militaire prolongée jusqu'au vi'' siècle^; mais un peu à Test
de ces deux emplacements, les Grecs avaient incontestable-
ment pris pied sur le cours supérieur de FOued-el-Ksob et
v/!;/û:ûxa'MW//M^/^
d
IT
A f> J. <»
Fig. 53. — Ras-el-Oued (Thamalla). Citadelle byzaatiae.
(D'après le plan de M. Gsell.)
de son affluent TOued-R'dir. On signale à Bordj-R*dir un
fort carré asse? considérable^ et à Ras-el-Oued (Thamalla)
1. A la vérité, on trouve dans Mercier, îioUs sur les ruines et voies antiques
de r Algérie (Bull. Com,, 1886, p. 479) l'iDdicaiioa suivante : au nord de Bordj-
Medjana, sur la route de Kalaaet du massif des Beni-Abbès, s'élève, dominant
la plaine, une redoute romaine : on assure que cet ouvrage porte trace de
remaniements byzantins, « ce qui permet de croire, dit fauteur, que ces
pierres ont été déplacées lors de la marche de Bélisaire vers Gésarée (!!). »
Or, on sait que Césarée fut occupée par mer. Toutefois, il se peut que la
redoute soit byzantine : on verra tout à l'heure comment sa présence pourrai
s'expliquer.
2. Gsell, Rech, archéol. en Algérie, p. 274-275.
256
HISTOJRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
une citadelle plus importante encore '. Or ce dernier ouvrage,
avec ses murs de 2<n,50 d'épaisseur, avec les huit bastions
quadrangulaires qui le flanquent, appartient incontestable-
Fig.56. ^Sétif. Plan de l'enceinte byzantine*.
ment au groupe des grandes forteresses impériales et date,
selon toute vraisemblance, de l'époque de Justinien. Il est
1. Gsell, /. c, p. 210-271 (avec un plan) ; Gsell, Saiafis et Thamalia, l. c,
p. 63 et suiv.
2. Les parties pointées sont restituées d'après le plan de Ravoisié.
eu
C0
a
ci
b
^
n
258 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
donc légitime de conclure que les Byzantins s'étaient préoc-
cupés de dominer le plateau de la Medjana, ou tout au moins
de barrer les routes qui le traversent en venant de la Maure-
tanie.
De là, la frontière gagnait sans doute la vallée de FOued-
bou-Sellam* que commandait la forte place de Sitifis'; elle
surveillait tout à la fois les montagnes de la Petite Kabylie
et le haut massif du Babor, et gardait la grande voie qui
vient de Touest, au point où elle entre en plaine, après avoir
franchi les défilés des Bibans. Malheureusement toute la ré-
gion à Touest et au sud'Ouest de Sétif est trop mal connue en-
core' pour qu'on puisse exactement déterminer comment cette
place se reliait à Ras-el-Oued, et comment cette dernière cita-
delle communiquait avec Msila : mais on voit en tout cas que
dans cette région le limes byzantin doit être reporté bien &
Test de la route qui joint Zraia à Sétif % et que les généraux
de Justinien, en même temps qu'ils occupaient fortement le
Hodna, n'avaient rien négligé pour couvrir solidement, du côté
de la Maurélanie indépendante, le territoire soumis à Tempè-
re a r.
Au delà de Sétif, de nouveau on perd toute trace précise
de la frontière. Sans doute on trouve les Byzantins établis au
vi^siècle à Cuicul (Djemila) *, à Mileu (Mila)*, où Ton signale
une enceinte fortifiée \ à Tucca, située à l'embouchure de
1. On signale, sur le cours supérieur de la rivière, un fort byzantin à Aïa-
Mafeur, qui commande la plaine des Righas et ferme le passage qui, à Touest
du Djebel-Bou-Taleb. vient par TOued-Magra du Hodna (Gsell, /. c, p. 255).
2. Cf. C. /. L., VlU, 8483.
3. Gsell, l. c, p. 267.
4. M. Gsell observe (/. c, p 80) que dans le pays au sud-est de Sétif, « ea
aucun point de la région dcâ Ghotts située entre le DjebeUYoussef, le Djebel-
Tnotit, Aîn-Azel et Diana », on ne trouve de preuve certaine dn séjour des
Byzantins. Ce fait serait inexplicable si la frontière avait suivi la roule de
Zraia à Sétif.
5. Ubbe, V, p. 417, 582 .
6. lbid.,W, p. 418, 583; Proc, Aed. (passage inédit).
7. Aec. de ConsL, 1879, p. 34-37. Delamare, /. c, pi. 108.
L'OCCUPATION MILITAIUE DE L'AFBIQUË BYZANTINE 259
rOued-el-Kebir* ; par celle ligne, ils cernaient à Tesl le massif
des Babor et protégeaient la Numidie contre les incursions
des redoutables montagnards qui Thabitaient *. Au nord de
la même région, ils possédaient sur la côle les places dl-
gilgilis (Djidjelli), de Choba (Ziama)' et de Saldae (Bougie) :
mais enlre Sélif et ce dernier poste existait-il, comme à l'é-
poque romaine *, quelque grande voie mililaire assurant les
communications el achevant d'isoler par Touesl la Petile Ka-
bylie? Cerlains indices pourraient faire croire que les Byzan-
tins occupèrent dans la vallée inférieure de rOued-Sahel,rim-
portante position deTupusuctu (Tiklal) * ; el assurément il serait
séduisant, pour la simplicité des choses, d^admellre que la fron-
tière byzantine, formée par TOued-el-Ksob depuis Msila jus-
qu'au plateau de la Medjana, gagnait de là Tiklat et la vallée
de rOued-Sahel*. Pourtant^ en attendant que des explora-
tions plus complètes viennent ici préciser nos connaissances,
il convient par prudence de reporter un peu en arrière le limes
byzantin, et de le tracer suivant une ligne allant de Ras-el-
Oued à la vallée de TOued-bou-Sellam et à Sétif , et qui de là
rejoindrait, en longeant par le sud-est le massif des Babor,
la basse vallée de TAmpsagas, antique limite de la Numidie
et de la Maurétanie.
1. Byz, Zeitschr., H, p. 26, 31. Cf. Cagaat, /.c, p. "ÎSS.
2. a. Gagnât,/, c, p. 621.
3» La Bwite africaine (1857, p. 61) indique sur ce point un rempart «< ren-
forcé intérieurement de pieds droits reliés entre eux par des arceaux *i et
flanqué de demi- tourelles de distance en distance. Or ce parti parait bien dater
de l'époque byzantine.
4. Gagnât, /. c, p. 621-622.
5. Vigneral signale à Tiklat {Kabylie du Djardjura^ p. 119) une enceinte
formée d'un mur épais de blocage, auquel s'adossent intérieurement des
arcades épaulant le rempart et qui jadis portaient un chemin de ronde ; sur
UQ point un escalier menant au chemin de ronde s'appuie sur une de ces
arcaides. Or ces dispositions sont fréquentes dans la construction byzantine.
6. U existe une route antique de la Medjana à Tiklat (Gagnât, l. c. p. 624),
et la redoute signalée plus haut (BulL Corn,, 1886, p. 479) au nord deBordj-
Medjana pourrait se rattacher à ce tracé.
260 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Les postes de laMaurétanie Césarienne.
En tout cas, et quel que soit le parti auquel il semble con-
venable de s^arrèter, à l'ouest de la Maurétanie Sitifienne^
l'occupation byzantine cessait presque entièrement. Malgré
les rêves ambitieux de Justinien, les armes victorieuses de
Solomon n avaient pu enlamer la Césarienne, et Procope dit
formellement à la date de 540 : « Dans la Maurétanie seconde
habitait Mastigas avec ses Iribus maures, ayant sous son au-
torité le pays tout entier, à l'exception de la ville de Gaesarea :
et avec cette place, les Romains ne communiquent que par
mer, et ils ne peuvent y aller par terre, car les Maures occu-
pent toute cette région \ » C'est là, au milieudu vi* siècle, que
trouvent asile tous les fugitifs chassés du pays byzantin ; c*est
là que, pendant près de dix années, Stotzas vaincu vit auprès
du chef berbère dont il a épousé la fille*; c'est là qulabdas,
expulsé de TAurès, va chercher une retraite'; et cela seul
suffit à prouver que la domination byzantine ne s'élendaii
point à celte contrée, que son influence même ne s*y exerçait
pas. En fait, Faction du gouvernement impérial ne dépassait
guère les limites de la Sitifienne : ce n'est point en effet au
fond de la Césarienne que ces insurgés sont allés s'établir,
c'est — la suite des événements le montre — à portée du pays
grec, assez près pour y rallumer des troubles et en profiter.
Et d'autre part, Justinien lui-même, qui en 534 constituait
superbement une province de Maurétanie Césarienne S semble
avoir assez vite reconnu la vanité de ses espérances : en 542,
écrivant aux évèques d'Afrique, il s'adresse au métropolitain
\.BelL Vtmd., p. 501.
2. Id., p. 490, 506.
3. /c/., p. 500.
4. CW. JusL,\, 27, 1.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 261
de Carthage, aux primats de Byzacëne et de Numidie, comnie
si laMaurétanie était entièrement perdue pour l'empire*. A
la fin du VI" siècle, le géographe Georges de Chypre n'inscrit
même plus sur le papier le nom de la province de Césarienne :
à ce moment, les quelques villes du littoral que les Byzantins
tiennent encore dans cette région sont rattachées à la Siti-
fienne; et si Ton trouve à la vérité dans celte liste une Mau-
rétanie seconde, que désigne en réalité ce terme? C'est Sep-
tum, ce sont les Baléares et les débris des possessions
grecques d^Espagne, rattachées sous ce nom à l'exarchat d'A-
frique*. Dans ces conditions, il parait absolument impossible
d'admettre que les Byzantins aient jamais sérieusemetit oc-
cupé l'intérieur de la Césarienne^; il parait impossible d'ac-
cepter l'hypothèse du Corpus, qui à Aïoun-Bessem, au nord
d'Aumale, croit retrouver une citadelle byzantine*. Seuls,
certains points du littoral, occupés par la voie de mer, et con-
servant par là leurs communications avec les possessions im-
périaiesy maintenaient le long de la c6te un semblant de do-
mination grecque, et parfois permettaient à la diplomatie
orientale d'exercer sur les grands chefs berbères quelque in-
fluence plus ou moins incertaine. Ce sont ces postes que nous
devons rapidement signaler, sans d'ailleurs méconnaître qu'ils
n'ont point été tous occupés à la même époque, et que tous
ne sont point restés jusqu'au vue siècle aux mains des Byzan-
tins.
Sur la côte do la Grande Kabylie, les Grecs semblent avoir
été établis à Rusippisir (AzefToun), où l'on signale une cita-
delle encore occupée au vi« siècle", et à Rusuccuru (Tigzirt)
l.MorcelIi, Africa christ.,Ul,p. 294. Cf. sur la question Gelzer, /. c.,p. xxx-xxxr.
2. Georg. Cypr., p. 34. .
3. Cf. Cat, Maurétanie Césarienne, qui prétend (p. 275) « qu'une bonne partie
de la Maurétanie Césarienne se replaça d'elle même sous le gouvernement de
Jostinien ». Cela ne se soutient pas (cf. Bell. Vand., p. 451).
4. C. /. L., VIII, p. 169. Cf. Bull. Corr. afr., I, p. 225; Cagnat, /. c, p. 629-630
5. Vîgneral, Kabylie du Djurdjura^ p. 66-71 (avec plan); Mercier, Bull, Com.
1886, p. 466-467.
262 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
qu'ils tenaient certainement à la tin du vi^ siècle ^ Au promon-
toire du cap Matifou, qui ferme à Test la baie d'Alger, ils pos-
sédaient Rusguniae, où Ton constate une population chré-
tienne au commencement du vu* siècle'; puis c'était Tipasa,
où la basilique de Sainte-Salsa atteste la présence d'habitants
catholiques', et Gaesarea (Cherchel), capitale officielle de la
province et résidence d'un duc S d'où les Grecs furent peut-
être chassés dès la fin du vi^ siècle ; à l'ouest de cette ville^
Gunugus (Gouraya), où l'on signale des restes de l'occupation
1. Georg.Cypr., p. 34. Cf. Gelzer, /. c, p. xzxi; et poar les rnioes de Tigzirt,
Vigneral, Kabylie du Djurdjura, p. 20-26 (avec plan) : Bourlier et Gavaalt,
Tigzirt et Taksebt {Revue afr., 1891, p. 5). Pour Taksebt, cf. Vigneral, /. c,
p. 31-35 (avec plan). Dans des notes médites, que me communique obligeam-
ment M. Gsell, M. Gavault, mort récemment, signale à Tigzirt et décrit uDe
enceinte datant de Tépoque byzantine. J'emprunte à cette description les in-
dications suivantes. Conformément à une pratique fréquente au ti* siècle, Ten-
ceinte byzantine est de dimensions beaucoup moins considérables que celle
de l'ancienne ville romaine et laisse en dehors d*elle plusieurs édifices impor-
tants de la cité, en particulier une église chrétienne datant du v* siècle ; on
voit que, pour mieux assurer la défense, on a, & Tépoque byzantine, sensible-
ment réduit le périmètre de Rusuccurn. Établi de façon à couvrir du côté
de la terre Tétroit promontoire où s'élevait le centre de la ville antiqae,
« ce rempart n*est guère qu'une soite de redans et de courtines, avec des portes
étroites habilement défilées. Il est surtout visible en ses extrémités est et
ouest. En ces deux points le mur se prolonge jusque dans la mer, soit que
celle-ci ait empiété beaucoup sur les terres, soit que les ingénieurs d'alors
aient voulu éviter que leurs défenses fussent tournées par un ennemi hardi,
la plage étant fort peu profonde en cet endroit. Du cdté est, le rempart
écroulé laisse voir très nettement sa constrnction. Il a une épaisseur de 2b,10
et il est composé de deux parements en grosses pierres de taille, qui se re-
joignent de temps à autre, mais le plus souvent laissent entre elles un inter-
valle rempli par de petits blocs très irréguliers Parmi les matériaux de
ce mur, nous avons remarqué quelques claveaux et un certain nombre de
pierres à bossages Dans plusieurs endroits les raccords des blocs se font
mal ; des pierres ont été entaillées pour en recevoir d'autres, on posées tant
bien que mal au détriment de l'horizontalité du joint. Dans une même assise
la hauteur varie souvent... Çà et lÀ nous avons trouvé quelques rosaces et
monogrammes qui décèlent avec certitude l'époque chrétienne. » Il y a donc
tout lieu d'attribuer au vi« siècle la construction de cette enceinte.
2. Byz, Zeitsckr.,\\, p. 26, 32; C. /. L., VllI, 9248. Cf. Cat., /. c, p. 118-119.
3. Gsell (Comptes rendus de CAcad. des inscr., 1892, p. 246-247) et Rech, arch.
en Algérie, p. 40-48 et 66-72.
4. Hell Vand., p. 501 ; Cod. Just., l, 27, 2, 1 a.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 263
byzantine *, et Cartenna (Ténës) qui avait un évëque au com-
mencement du vii«" siècle*. Au delà, jusqu'à la Tingitane, on ne
trouve, sur le littoral même, nulle trace de la domination impé-
riale. Mais à quelque distance de la côte, entre la vallée de
VOued*el-Hamman et celle de la Tafna, on a relevé à Aquae
Sirenses (Hamman-bel-Hanefia)'., à Altava* (Lamoricière),
surtout à Pomarium* (Tlemcen), une série d'inscriptions cu-
rieuses du vi« et du vu* siècle (entre 538 et 651) datées, suivant
Tancienne habitude romaine, par l'ère locale de la province
de Césarienne. Faut-il conclure de ce fait, comme Ta soutenu
Gelzer, que « les limites de l'Afrique byzantine se sont éten-
dues après le règne de Justinien » ". La chose parait assez
surprenante, et Targumentation un peu singulière. S'il s'agis-
sait ici de l'emploi de quelque ère nouvelle et spéciale à
Byzance, ducomput par indiction s, par exemple, que l'on ren-
contre au vi* siècle en Byzacène ou en Proconsulaire % certes
il y aurait lieu de tenir grand compte de cette innovation signi-
ficative : mais en fait, que trouve-t-on ici? la persistance d'un
usage ancien, pratiqué dans tout le pays durant tout le temps
de la domination romaine, et qui se conserva dans ces
mêmes villes après la chute de cette domination, alors que, à
la faveur de l'anarchie vandale, des royautés indigènes s'éle-
vaient dans ces contrées, c'est-à-dire à un moment où nul ne
pensait encore à Byzance. Il y a à Altava des inscriptions de
cette sorte, datées de 480 et de 508*, il y en a à Tlemcen
de 469 et de 522', et vers le même temps on rencontre des
1. Gauckler {Comptes rendus de VAcad, des inscr,, 1893, p. 20). Cf.Cat.,^ r.,
p. 138 sqq.; Bull. Corr, afr., I, p. 131.
2. Byz. Zeilschr.,\l, p 26, 31. Cf. Cat., p. 143-145.
3. C. /. L., VIII, 9146.
4. W., Vin, 9869, 9870, 9899.
5. /d., 9952, 9932, 9926, 9925, 9921, 9922, 9958, 9948, 9930, 9939, 9914,9950,
9931, 9953. 9923, 9949, 9934, 9920, 9935.
6. Geizer,/. c.,p. xxx.
7. C. /. L., VIII (voir V Index).
8. W., VIII, 9876, 9835.
9./d., 9911, 9940.
264 HISTOIRE IDE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
preuves du même usage à Orléansville (ann. 474, 475) ' et à Tia-
ret (ann. 485, 488) *. Or, en cette fin du v* siècle, et au commen-
cement du VI*, quelle était la situation politique de ces villes?
elles appartenaient à un chef indigène que nous connaissons,
que nous trouvons en 535 en relations avec le patrice Solo-
mon', à ce Masuna qui s'intitulait « roi des Maures et des
Romains » ^ et qui possédait en 508 Altava, Safar (Aïn-Temou-
chent), Castra Severiana, etqui sans doute étendait son autorité
jusqu'aux plateaux duSersou, jusqu'à Tiaret et Frenda'. Or,
sous ce prince^ les villes romaines, qui avaient accepté sa pro-
tection, continuèrent à dater comme autrefois les inscriptions
funéraires dont elles décoraient la tombe de leurs morts :
est-il nécessaire, parce que cet usage persiste à l'époque byzan-
tine, d'admettre pour l'expliquer une conquête des impériaux?
Le roi Masuna a eu des successeurs : on voit encore entre
Tiaret et Frenda des monuments qui sont sans doute les tom-
beaux de famille de cette dynastie indigène' : pourquoi, sous
ces princes berbères, à demi romanisés et chrétiens, les habi-
tudes antérieures se seraient-elles en rien modifiées? Sans
doute, il est remarquable de trouver, en pleine Maurétanie
Césarienne^ cet tlot de populations romaines, portant, comme
au temps du Haut-Empire, les noms de Julii , d'Aurelii,
de Yalerii, et professant la religion catholique. Mais ce n'est
point là un cas isolé. Ailleurs encore on trouve des chré-
tiens dans rintérieur de la Césarienne : au commencement
du vu® siècle, Labdia (Médéa), Oppidum Novum (Duperré
dans la vallée du Chélif), Timici, dont l'emplacement est
incertain» ont des évêques^ : en conclura-t- on que la con-
1. C. /. L., vin, 9713,9709.
2. W., 9734, 9735.
3. Bell. Vand,, p. 465.
4. C. /. L., VIII, 9835.
5. La Blanchère, Arch. des Missions, X, p. 96-97.
6. Ce 80Qt les Djedar (La Blancbère, l. c, p. 77-99). Sur la dynastie, ihid.
p. 97-99.
7. Byz. ZeiUchr., II, p. 26, 31. Sur l'ideutiOcatioa des noms, Cat, /. c,
p. 188-189; 197-198; 201.
L*OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 265
quête byzantine s'est étendue daus ces difficiles et monta-
gneuses régions? Je ne nie point que la propagande reli-
gieuse de Byzance n'ait exercé son action dans la Maurétanie
Césarienne*, j'admets volontiers que les bonnes relations
inaugurées entre Solomon et le roi Masuna, et attestées par
Procope, ont pu amener cette dynastie indigène et chrétienne
à accepter de la part des Grecs une sorte de protectorat, sem-
blable à celui que la diplomatie byzantine, nous le verrons
plus lard, s'efforça d'établir sur tous les grands États berbères;
je veux même que ces rapports nouveaux aient contribué
pour leur part à conserver plus solide l'autonomie des villes
romaines soumises à ces princes; mais il est impossible de
conclure davantage. Au xv siècle, rapporte El-Bekri', une
population chrétienne assez importante existait encore à
Tlemcen : le pays en était-il moins soumis aux musulmans?
Cette discussion fait déjà pressentir la solution que nous
donnerons à la prét€^ndue occupation de Tiaret par les Byzan*
tins. Les historiens arabes rapportent que Sidi Okba, dans sa
grande expédition, trouva devant Tiaret les forces grecques
unies aux Berbères, et qu'il infligea aux deux armées une san-
glante défaite. On s*est longuement demandé comment une
garnison byzantine occupait ce point si éloigné, on s'est ef-
forcé d'expliquer qu'il ne pouvait s'agir que de troupes auxi-
liaires, envoyées par les gouverneurs impériaux pour soute-
nir les indigènes'. C'est, je crois, prendre là beaucoup de peine
inutilement : comme Tlemcen, Tiaret appartenait, ce semble,
aux États de la dynastie indigène dont nous parlions plus
haut; comme Altava, comme Tlemcen, c'était une ville ro-
maine^ ayant gardé sans doute dans l'État berbère quelque
autonomie. A l'approche de l'invasion arabe, les Romains de
la cité appelèrent leurs alliés à leur aide et de concert tentè-
rent de défendre leur citadelle : cette hypothèse suffît, je
1. Jean de Biclar, ann. 569, p. 212 (éd. Mommsen).
2. Cat., /. c, p. 275.
3. Fournel, /. c, I,p. 168-169. Il y a un plan de Tiaret dans Gagnât, p. 651.
266 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
pense, à expliquer comment les historiens musulmans ont pu
parler des Roums qui occupaient Tiaret *. Voilà pour le vu" siè-
cle. Mais, sur un monument voisin de Tiaret, sur l'une des
pyramides des Djedar, une inscription fameuse, rapportée par
Ibn Khaldoun, portait le nom du patrice Solomon ' : en faul-il
conclure, comme on Ta fait, que le général byzantin poussa
jusque-là sa marche victorieuse? La chose est peu probable,
pour toutes les raisons énumérées plus haut, et il serait bien
étonnant dans ce cas que ce grand bâtisseur n'eût assuré par
nulle citadelle la possession du pays si merveilleusement recon-
quis. Aussi bien nous ignorons totalement le contenu de Tins-
cription, le texte dlbnKhaldounnesignifiantabsolumentrien :
et si vraiment elle contenait le nom du patrice, alors même
elle ne prouverait pas nécessairement sa présence. Nous sa-
vons par Procope qu'il fut eu relations avec les chefs de cette
partie de la Maurétanie : quelque allié indigène, quelque of-
ficier en mission peut donc fort bien, comme on l'ajustement
observé, en avoir été Tauteur s.
VI
Les postes de la Maurétanie Tingitane.
Ainsi, quelques postes échelonnés le long du littoral cons-
tituaient àTépoque byzantine toute la Maurétanie Césarienne :
de même, par quelques places fortes, les Grecs conservaient
un pied en Tingitane. Sur cette côte, ils occupaient peut-être
à l'ouest de la Mlouia, la ville de Rusaddir, où Ton trouve^ au
commencement du vii« siècle, une population chrétienne ^ :
mais surtout ils tenaient solidement le promontoire qui do-
1. Cf. La Blancbërc, / c, p. 93-94, note.
2. C. /. L., VllI, 9738. Cf. la discussion de La Blanchère, /. c„ p. 89-91.
3. La Blaochère, /. c , p. 90.
4. Byz. Zeilchr,, U, p. 26, 32. Sur l*endroit, Itinéraire dAnlonin, 11, 4 ; 11 3.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 267
mine au sud le détroit de Gadës. Là, ils avaient pris posses-
sion de Tadmirable position de Septum (Ceula) * : l'empereur
avait fait sur ce point construire une formidable citadelle ;
une garnison y était cantonnée, commandée par un officier
choisi; et dans son port s'abritait une escadre de bâtiments de
guerre y chargée de surveiller cet important passage *. Au
delà de Septum, Tingi (Tanger) fut peut-être momentané-
ment occupée ; du moins on y signale au commencement du
Yii* siècle une population chrétienne^. Enfin les vaisseaux
grecs, dépassant les colonnes d'Hercule, semblent même avoir
repris quelques-uns des postes romains établis sur la côte de
TAtlantique. Au commencement du vii'^ siècle % Lixus avait
un évèque, et on y signale des restes de fortifications byzan-
tines : on a même cru retrouver des monuments byzantins
bien plus au sud encore, à Agadir^. Toutefois l'intérieur du
pays échappait complètement aux Grecs, et le mur byzantin
que M. de LaMartinière indique à Volubilis* appartient très
probablement aux derniers temps de Toccupation romaine.
Mais, en revanche, l'importance de Septum ne fit que grandir
au cours du vi* siècle : à Tépoque où Georges de Chypre ré-
digeait sa notice, cette place était la capitale de la Mauréta-
nie seconde^ : elle devait, à la fin du vu- siècle, devenir un
des boulevards de la domination grecque, et, par une bizar-
rerie assez curieuse, alors que du vaste empire rêvé par Jus-
tinien, il ne restait plus, de la Tripolitaine à la Sitifienne, un
pouce de terre aux Byzantins, ce fut cette ville lointaine, éga-
rée aux extrémités de l'Occident, qui, pendant quelques an-
nées, constitua, à elle seule, tout l'exarchat, et offrit aux der-
niers représentants de l'autorité impériale un suprême asile
sur la terre africaine.
i.Bell. Vand., p. 430.
2. Aed., p. 343; Cod. JusLj I, 27, 2, 2.
3. Byz, Zeitschr., II, p. 26, 32.
4. irf., p. 26-32; Bull. Corn,, 1890, p. 140-141, 144.
5. Comptes rendus de CAcad, des inscr., 189!, p. 347.
6. Bull, Corn, 1891, p. 136.
7. Georg. Cypr., p. 34.
DEUXIÈME SECTION
LES FORTERESSES DE L'iNTÉRIEUR
Telles étaient, vers le milieu du vi® siècle, les frontières de
TÂfrique grecque : telles elles demeurèrent, sans changements
très considérables, jusqu'au moment de Tinvasion arabe.
Mais, derrière cette première ligne de forteresses, l'intérieur
du pays, n'était pas moins solidement occupé : deux, parfois
même trois rangées de citadelles en assuraient la défense, et
dans les zones intermédiaires, bientôt le pays se hérissa de
fortins et de redoutes. Ce sont ces dispositions qu'il nous
reste à examiner.
I
L'occupation de la Byzacène et de la Proconsulaire,
i. La route du littoral.
Le long du littoral méditerranéen, une grande voie d'inva-
sion montait de Gabès à Carlhage : soigneusement elle avait
été jalonnée de forteresses, et ces postes avaient été établis
de préférence aux points où, sur cette grande artère de com-
munication, d'autres routes s'embranchaient^ menant dans
l'intérieur du pays. D'abord on rencontrait la forte place de
Junca, l'un des rares ports qu'offrait cette côte peu hospita-
lière, et pour cette raison, d'autant plus importante à défen-
dre^ : c'était à l'époque de Justinien la première forteresse
!. Tissot,]!, p. 192.
L'OGCUPATIOiN MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 269
que Ton trouvait au nord de Gabfes' ; un peu plus tard, sous
le règne de Justin II, elle fut renforcée par la citadelle toute
voisine de Macomades Minores'; les deux villes avaient
d'ailleurs une haute valeur stratégique, placées comme elles
Tétaient à la tête de la grande route qui par Madarsuma
menait à Sufetula*. Au nord de cette position, une ville for-
tifiée avait été fondée par Justinien, au promontoire de Caput
Vada où avait en 533 débarqué Bélisaire : c'était la florissante
cité de Justinianopolis^. Puis venaient SuUectum (Selekta),
où l'on voit encore un castrum rectangulaire mesurant plus
de deux cents pas sur chaque face^; Thapsus (Ras Dimas),
dont la vieille enceinte fut réparée èi l'époque byzantine*;
Leptis Minor (Lamta) où Ton trouve les ruines d'une forteresse
grecque, et qui semble au vi* siècle avoir été prospère' : sur
ces trois points aboutissaient au littoral, par trois chemins
qui se réunissaient à Thysdrus (El-Djem), la route importante
qui, de ce dernier point gagnait Aquae Regiae et de là, à
travers toute la Tunisie centrale, rejoignait à Althiburos (Me-
deina) la voie de Théveste à Carthage^ Enfin venait la grande
ville d'Hadrumète (Sousse) décorée, en l'honneur de l'empe-
reur, du surnom de Justiniana; c'était une des positions les
plus considérables de la Byzacène^ De là par Aquae Regiae,
une route gagnait Sufetula*^; une autre, remontant au nord-
est, longeait les abords orientaux du massif central tunisien,
et par Thuburbo Majus, se reliait, dans la vallée de la Me-
djerda, à la voie de Théveste à Carthage'^ Aussi Justinien en
1. Joh., VII, 111, 136, 393.
2. C. /. I., Vin, 10498.
3. TisBot, 11, p. 644.
4. Aed., p. 341-342; Tiâsot, 11, p. 181-182.
5. Tissol, II, p. 179.
6. /d., p. 173.
7. /d., p. 170-171; Saladiû, I, p. 11.
8. Tissot, 11, p. 567.
9. Aed., p. «0; Bell. Vand., p. 310-311; Tissot, 11, p. 131).
10. Tissot, 11, p. 607.
11. /d., p. 339.
272 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
de Sufelulaà Thévesle; et ainsi, derrière les postes de pre-
mière ligne échelonnas entre Théleple et Théveste, elle barrait
le passage aux envahisseurs du sud et fermait la trouée peut-
être demeurée ouverte entre Aïn-bou-Dris et Tébessa. Aussi
Juslinien y avait-il établi une garnison solide*, et c'était,
comme le prouvent ses pittoresques ruines, une des plus con-
sidérables parmi les citadelles de TAfrique byzantine.
Au nord d*Haïdra, entre ce point et Thala, on signale à
Henchir-Kokech une redoute byzantine', et au delà, quelques
fortins encore, mais qui ne paraissent point avoir une desti-
nation proprement militaire^. C'est plus loin, mais déjà en
Proconsulaire, que se trouvent les véritables forteresses char-
gées de défendre la route : c'est le ksar de Djezza (Aubuzza),
simple redoute carrée de vingt mètres de côté*; c'est surtout
la ville forte de Laribus, dominant la plaine où coule l'Oued-
Lorbeus*. Sur ce point, où la grande voie d'Aquae Regiae à
Assuras (Zanfour) rejoignait celle de Théveste à Carthage,
Justinien avait construit, en arrière de Tébessa et d'Haïdra,
une place de seconde ligne fort importante, et qui jouait dans
Touest de la province, à peu près le même rôle que Junca et
surtout Hadrumcte remplissaient dans Test. Au milieu des
forêts qui l'environnaient au vi® siècle, elle comptait parmi les
meilleures citadelles de l'Afrique byzantine^ et c'est à l'abri
de ses murailles que le patrice Jean, battu sur la frontière, vien-
dra en S47 reconstituer son armée. Aujourd'hui encore, ses
ruines considérables attestent son importance passée et les
vues qui s'ouvrent du haut de ses tours disent assez sa valeur
stratégique. Surveillant vers l'est la route de la Tunisie
centrale, du côté de l'ouest elle est à portée de la grande place
du Kef (Sicca Veneria) et de la voie de Cirta à Carthage : au
1. Aed., p. 342.
2. C. /. I., VllI, p. 73.
3. Gagnât, Arch. des Missions, XII, p. 243; Saladiu, 1, p. 190-20$.
4. Saiadin, 1, p. 201.
5. Tissot, II, p 455.
6. Jok., VII, 143-146; Bell. Vand., p. 508.
i
f]
272 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
de Sufetulaà Théveste; et ainsi, derrière les postes de pre-
mière ligne échelonnas entre Théleple et Théveste, elle barrait
le passage aux envahisseurs du sud et fermait la trouée peut-
être demeurée ouverte entre Aïn-bou-Dris et Tébessa. Aussi
Justinien y avait-il établi une garnison solide*, et c'était,
comme le prouvent ses pittoresques ruines, une des plus con-
sidérables parmi les citadelles de TAfrique byzantine.
Au nord d'Haïdra, entre ce point et Thala, on signale à
Henchir-Kokech une redoute byzanline', et au delà, quelques
fortins encore, mais qui ne paraissent point avoir une desti-
nation proprement militaire^. C'est plus loin, mais déjà en
Proconsulaire, que se trouvent les véritables forteresses char-
gées de défendre la route : c'est le ksar de Djezza (Aubuzza)^
simple redoute carrée de vingt mètres de côté*; c'est surtout
la ville forte de Laribus, dominant la plaine où coule TOued-
Lorbeus*. Sur ce point, où la grande voie d'Aquae Regiae à
Assuras (Zanfour) rejoignait celle de Théveste à Carthage,
Justinien avait construit, en arrière de Tébessa et d'Haïdra,
une place de seconde ligne fort importante, et qui jouait dans
Touest de la province, à peu près le même rôle que Junca et
surtout Hadrumète remplissaient dans Test. Au milieu des
forêts qui Tenvironnaient au vi® siècle, elle comptait parmi les
meilleures citadelles de l'Afrique byzantine*, et c'est à Tabri
de sesmurailles que le patrice Jean, battu sur la frontière, vien-
dra en 547 reconstituer son armée. Aujourd'hui encore, ses
ruines considérables attestent son importance passée et les
vues qui s'ouvrent du haut de ses tours disent assez sa valeur
stratégique. Surveillant vers Test la route de la Tunisie
centrale, du côté de Touest elle est à portée de la grande place
du Kef (Sicca Veneria) et de la voie de Cirta à Carthage : au
1. Aed., p. 342.
2. C. /. L., VIII, p. 73.
3. Gagnât, Arch, des Missions, XII, p. 243; Saladiu, I, p. 190-20 i.
4. Saladin, I, p. 201.
5. Tiasot, n, p 455.
6. Jok., VU, 143-146; Bell. Vand., p. 508.
I
272 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
de Sufelula à Thévesle ; et ainsi, derrière les postes de pre-
mière ligne échelonnas entre Théleple et Théveste, elle barrait
le passage aux envahisseurs du sud et fermait la trouée peut-
être demeurée ouverte entre Aïn-bou-Dris et Tébessa. Aussi
Justinien y avait-il établi une garnison solide ^ et c'était,
comme le prouvent ses pittoresques ruines, une des plus con-
sidérables parmi les citadelles de l'Afrique byzantine.
Au nord d'Haïdra, entre ce point et Thala, on signale à
Henchir-Kokech une redoute byzantine % et au delà, quelques
fortins encore, mais qui ne paraissent point avoir une desti-
nation proprement militaire^. C'est plus loin, mais déjà en
Proconsulaire, que se trouvent les véritables forteresses char-
gées de défendre la route : c'est le ksar de Djezza (Aubuzza),
simple redoute carrée de vingt mètres de côté*; c'est surtout
la ville forte de Laribus, dominant la plaine où coule l'Oued-
Lorbeus*. Sur ce point, où la grande voie d'Aquae Regiae à
Assuras (Zanfour) rejoignait celle de Théveste à Carthage,
Justinien avait construit, en arrière de Tébessa et d'Haïdra,
une place de seconde ligne fort importante, et qui jouait dans
Touest de la province, à peu près le même rôle que Junca et
surtout Hadrumète remplissaient dans Test. Au milieu des
forêts qui Tenvironnaient au \i^ siècle, elle comptait parmi les
meilleures citadelles de l'Afrique byzantine^ et c'est à l'abri
de ses murailles que le patrice Jean, battu sur la frontière, vien-
dra en 547 reconstituer son armée. Aujourd'hui encore, ses
ruines considérables attestent son importance passée et les
vues qui s'ouvrent du haut de ses tours disentassez sa valeur
stratégique. Surveillant vers l'est la route de la Tunisie
centrale, du côté de l'ouest elle est à portée de la grande place
du Kef (Sicca Veneria) et de la voie de Cirta à Carthage : au
i. Aed., p. 342.
2. C. /. L., Vm, p. 73.
3. Gagnât, Arch. des Missions, XII, p. 243; Saladiu, 1, p. 190-20).
4. Saladin, 1, p. 201.
5. Tissot, II, p 455.
6. Joh., VII, 143-146; Bell. Vand., p. 508.
I
210 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
avait fait reconstruire puissammeQt les murailles et y avait
établi une forte garnison : et il semble que, dès avant la fin
de son règne, elle était devenue, par un dédoublement admi-
nistratif, la résidence d'un duc^
Au delà d'Hadrumète, la grande route du littoral ne tardait
pas à passer dans la Proconsulaire : nous croyons utile pour-
tant, quoique quelques-unes des forteresses qui nous restent
à mentionner, soient sans doute d'une date postérieure au
règne de Justinien, d'en suivre dès maintenant le tracé jus-
qu'à Carthage. Tout d'abord, et encore en Byzacène, on
signale à Hergla (Horrea Caelia) des restes de fortifications*;
puis à Uppenna (Henchir-Fragha) s'élève « un fort byzantin,
flanqué de quatre bastions aux angles^ de belles dimensions et
assez bien conservé '. » A Aphrodisium (Henchir-Sidi-Khalifa)
une enceinte rectangulaire occupant une colline semble un tem-
ple antique transformé en citadelle*; mais c'est surtout dans
la portion de route comprise entre Hammamet et Hammamlif
et oîi la voie coupe à sa base la presqu'île du cap Bon, que
les constructions militaires apparaissent assez nombreuses.
C'est qu'en effet, au vi* siècle encore, la région qui se trouve
à Test de la route était occupée par des populations berbères
remuantes et souvent insoumises : on conçoit que contre leurs
attaques quelques précautions aient semblé nécessaires. Dans
la contrée voisine de la route, on signale plusieurs redoutes
byzantines; il y en a une à Hammamet, une à Kasr-EUous*,
une autre à Aîn-Tebernouk (Tubernuc)* ; un peu plus au nord,
à HenchirKelbia (Cilibia) on voit un château carré flanqué de
quatre tours d'angle''; un autre fortin du même type, et mesu-
rant cent pas sur cinquante, s'élève à Kasr-Medjer, au nord-
1. Joh., VI, 49.
2. Baladin, I, p. 3.
3. Gagnai, Arch. des Missions, XI, p. 19-20.
4. W., XI, p. 14-16; Tlssot, 11, p. 163.
5. C. /. L., VIII, p. 121.
6. Id , VIII, 949.
7. Gaériu, Voyage en Tunisie, U, p. 203.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 271
ouest de Groumbalia'. Pour l'une au moins de ces citadelles^
nous possédons une date précise : le poste d*ÂïnTebernouk fut
fortifié à la fin du vi* siècle, sous le règne de Tibère II, et il
est probable que beaucoup de ces ouvrages établis dans un
pays^ où rinvasion pénélra plus rarement au temps de Jus-
tinien, sont également d'une date un peu postérieure à cet
empereur. Seule, dans cette partie de l'Afrique, Carthage
avait élé, dès le début, certainement entourée de remparts :
avec ses murailles reconstruiteâ et protégées par un fossé,
avec sa citadelle du Mandrakion qui la couvrait du côté de la
mer, elle était capable de résistera toutes les attaques de vive
force*; et en fait, malgré les armées ennemies qui plus d'une
fois parurent sous ses murs, dans les troubles du vi* siècle,
elle demeura imprenable jusqu'aux temps de la conquête
arabe.
2. La route de Théveste à Carthage.
A l'autre extrémité de la Byzacène, une autre grande voie
d'invasion s'ouvrait aux indigènes : c'est la route qui, des fron-
tières méridionales de la province, se dirigeait vers la vallée
de la Medjerda et reliait Théveste à Carthage. Elle aussi,
comme le chemin du littoral, élait jalonnée de forteresses.
C'était d'abord, après la redoute de Ksar-Gouraî, barrant le
défilé du Khanguet-Mazouch', la superbe citadelle d'Ammae-
dera(Haïdra)^ : elle aussi occupait une position de haute im-
portance. Non seulement elle commandait la large vallée où
passe la route de Tébessa; mais, vers le sud, au delà de la
rivière qui coule, en formant des cascades^ au pied de ses
remparts, elle surveillait la plaine accidentée où une route va
rejoindre la région du Fouçana et les deux voies qui mènent
1. Ci. L., VIII, p. 119. Cr. Guérin, II, 202, qui appelle ce point Heochir-
Semmacher.
2. Aed., p. 339; Tissot, I, p. 662-663.
3. Rec. de ConsL, 1866, p. 219; 1876, p. 421.
4. Saladio, I, p. 170-175 ; Tissot, II, p. 460-461.
/
212 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
de Sufelulaà Thé veste; et ainsi^ derrière les postes de pre-
mière ligne échelonnas entre Thélepte et Théveste, elle barrait
le passage aux envahisseurs du sud et fermait la trouée peut-
être demeurée ouverte entre Aïn-bou-Dris et Tébessa. Aussi
Juslinien y avait-il établi une garnison solide \ et c'était,
comme le prouvent ses pittoresques ruines, une des plus con-
sidérables parmi les citadelles de TAfrique byzantine.
Au nord d'Baïdra, entre ce point et Thala, on signale à
Henchir-Kokech une redoute byzantine ^ et au delà, quelques
fortins encore, mais qui ne paraissent point avoir une desti-
nation proprement militaire^. C'est plus loin, mais déjà en
Proconsulaire, que se trouvent les véritables forteresses char-
gées de défendre la route : c'est le ksar de Djezza (Aubuzza),
simple redoute carrée de vingt mètres de côté*; c'est surtout
la ville forte de Laribus, dominant la plaine où coule l'Oued-
Lorbeus^ Sur ce point, où la grande voie d'Aquae Regiae à
Assuras (Zanfour) rejoignait celle de Théveste à Carthage,
Justinien avait construit, en arrière de Tébessa et d'Haïdra,
une place de seconde ligne fort importante, et qui jouait dans
Touest de la province, à peu près le même rôle que Junca et
surtout Hadrumète remplissaient dans Test. Au milieu des
forêts qui l'environnaient au vx^ siècle, elle comptait parmi les
meilleures citadelles de l'Afrique byzantine % et c'est à l'abri
de sesmurailles que le patrice Jean, battu sur la frontière, vien-
dra en 547 reconstituer son armée. Aujourd'hui encore, ses
ruines considérables attestent son importance passée et les
vues qui s'ouvrent du haut de ses tours disentassez sa valeur
stratégique. Surveillant vers Test la route de la Tunisie
centrale, du côté de l'ouest elle est à portée de la grande place
du Kef (Sicca Veneria) et de la voie de Cirta à Carthage : au
i. Aed,, p. 342.
2. C. 7. L., Vni, p. 73.
3. Cagoat, Arch. des Missions, XII, p. 243; Saladiu, I, p. 190-20).
4. Saladin, I, p. 201.
5. Tisaot, ll.p 455.
6. Joh., VII, 143-146; BelL Vand., p. 508.
I
i
L'Oa:UPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE
273
midi elle commande les vastes plaines d'Ëbba et de Ksour^ et
(plus d'aae fois ses murailles arrêtèrent avec succès les enva-
hisseurs venus du sud.
Fig. 58. — Laribus. Plan de la citadelle byzantine.
Plus loin, à Drusiliana, la route de Cirta rejoignait celle de
Théveste, et par un tracé commun toutes deux se rappro-
chaient de la Medjerda. Il était indispensable de surveiller par
1. 18
274 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
quelques ouvrages une voie où les Berbères de la Numidie
pouvaient faire leur jonction avec les envahisseurs venus du
sud. Aussi, Justinion déjà avait établi à Tucca (Dougga) un
Fig. 59. — Aïn-Hedja. Forteresse byzantine.
castellum surveillant la plaine et dont Thorizon s*étend au
loin dans la direction du Kef*. Plus lard, comme sur la roule
1. Aed., p. 340; Tissot, U, p. 346; Saladin, II, p. 450, 491-92, 504, 529; Car-
ton, Découvertes archéologiques et épigraphiques faites en Tunisie, p. 153
(avec un plan).
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYiiANTlNE 215
de Carlhage, il parut nécessaire de renforcer ces défenses.
Dans la vallée même, au point où elle se rétrécit en un défilé
que traverse TOued-Khalled, deux redoutes barrèrent le pas-
sage : vers Touest, ce fut le poste d'Henchir-Kern-el-Kebch
(Aunobaris)* ; vers l'est, la citadelle d' Ain-Hedja (Agbia), carré
de trente-cinq mètres environ sur quarante, flanqué de quatre
tours, et qui est aujourd'hui encore fort curieusement conser-
PUJ4 .TuBOUi^SOUK
Fig. 60. — Plan de Teboursouk. (Dessin de M. Saladin.)
vée*. Puis, sur une hauteur dominant la vallée et la route et
surveillant tout le pays accidenté par où rOued-Eballed s'é-
coule vers la Medjerda, la ville forte de Teboursouk (Thu-
bursicum Bure) dressait son enceinte pentagonale'; plus loin,
au-dessus de la vallée de TOucd-Khalled, un fort avec de
grosses tours carrées s'élevait à Bir-Tersas * ; à Tendroit où la
. 1. Carton, l. c, p. 201.
2. Bull. Ant. afr., 1885, p. 98; Tissot,;!!) p. 342. Diehl, Rapport, p. 145-149.
3. BulL Ant. afr., 1885^ p. 22; Tissot, H, p. 344; Saladin, II, p. 442-445.
4. Carton, /. c, p. lU.
216 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
voie antique traverse le massif montagneux qui sépare Tebour-
souk de Testour, et un peu au delà du col par où l'on passe du
bassin de l'Oued- Khalled dans celui de la Siliana, la forteresse
considérable de Thignica (Aïn-Tounga) fermait le passage : au-
jourd'hui encore, avec les cinq hautes tours qui flanquent son
AiN^TOUMM PLAN auCtTAKUX lYIANTlNI
B # ■ if ' *ktrv
Fig. 61. — Aïn-Touoga. Plan delà citadelle byzantine.
(Dessin de M. Saladtn.)
enceinte^ avec ses murailles dont la masse demeurée intacte
étincelle d*un éclat doré, ce château fort est un des plus pit-
toresques parmi les constructions byzantines de la Tunisie ^
1. BulL Anl. afr., J8S4, p. 136; 1885, p. 21; Tissol, H, p. 338; Saladln, II,
p. 542-547; Diehl, Rapport, p. 140-142.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 277
Enfin, près du point où la vallée de la Siliana débouche dans
celle de la Medjerda, une citadelle était établie à Coreva (Hen-
chir-Dermoulya) \ Ici encore, un document précis nous permet
de dater l'un au moin» de ces ouvrages : les remparts de
Teboursouk furent élevés sous le règne de Justin II *, et il est
probable, d'après les procédés employés, qu*Aïn-IIedja et
Aïn-Tounga appartiennent à la même époque.
3. La défense do massif central.
Mais, entre Junca et Hadrumèle à l'est, Ammaedera et La-
ribus à Touest, un grand espace demeurait ouvert : c'étaient
d*abord, en arrière de Capsa et de Théleple, les hauts pla-
teaux où s'élevaient Cillium (Kasrin), Sufelula(Sbéitla) et Ma-
darsuma' et qui se prolongent, le long de l'Oued-el-Hatob et
de rOued-Zeroud, jusqu'à la grande plaine de Kairouan;
c'était, au nord de cette région, le massif qui couvre la Tu-
nisie centrale, pays accidenté, difficile, que de fortes barrières
de montagnes séparent des régions voisines. Vers l'est, au-
dessus des grandes plaines de Kairouan et de Djebibina, c^est
la longue ligne, interrompue seulement par la coupure de
rOued-Merguellil, que forment le Trozza, TOusselet et ses
prolongements septentrionaux ; et derrière cette première
barrière, au-dessus de la vallée de TOued-Mahrouf, c'est l'obs-
tacle qu'opposent le massif de la Kessera, le Bellota, le Serdj,
et plus loin le Bargou. Au sud, c'est la Kessera et les plateaux
de Maklar, et plus loin les hauts sommets de la chaîne des
Ouled-Ayar; au sud-ouest et à Touest, ce sont les monta-
gnes qui enveloppent et dominent la vaste plaine du Sers ; et
ainsi, entre les deux grandes voies militaires de l'est et de
l'ouest, s'épanouissait au centre du pays une citadelle natu-
j 1. Carton, /. c, p. 9-10.
2. C. /. L.y Vni, 1434.
3. Georg. Cypr., p. 33; Tissot, II, p. 646. On consultera ntilement sur cette
région la carte de H. Poinssot (Bull, AnL afr., 1883).
278
HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
relie, dessinant vers le midi une longue ligne courbe» à la-
quelle pouvait s'appuyer tout un système de défense. D'ail-
leurs, dans rintérieur de ces montagnes, de larges plaines, de
grandes vallées fluviales offraient un sol extrêmement fertile,
et une population très dense s'y groupait en une multitude de
; . <,
-Ti\ . t2
'"K-^
^/%\-;
Fig. 62. — Sbéitla. Plan général. (D'après le levé de M. Saladin.)
petites villes, dont les ruines aujourd'hui encore se rencon-
trent à chaque pas dans cette région. Pour couvrir ce riche
pays, une sérieuse occupation militaire s'imposait : tout na-
turellement la seconde ligne de défense de la Byzacène s*a-
dossa au revers méridional du massif central.
En avant de cette ligne pourtant, une autre position sem-
L OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 219
blait marquée tout d'abord pour servir d'emplacement à une
grande citadelle. Dans la plaine de Sufetula, les routes con-
vergeaient de toutes paris, venant, au sud-est, de Junca et de
Thenae, sur le littoral ; au sud, de Gafsa par la grande cou-
pure qui rejoint le cours de rOued-Fekka; au sud-ouest, de
Théleple par Cillium ; à Touest, de Théveste par le Fouçana :
d'autre part cette position couvrait la route qui au nord-est
mène à Aquae Regiae et à Hadrumëte, et surtout la voie qui
vers le nord pénètre dans le massif central par Sbiba (Sufes)
et Assuras (Zanfour)'. Pourtant il ne semble point qu'au
temps de Justinien on ait jugé nécessaire d'occuper ce poste
d'une si haute valeur stratégique : tout au plus on se con-
tenta d'en couvrir les approches. A Henchir-Maizra, au point
où la route de Gafsa remonte la vallée de TOued-Fekka, on
signale une grande redoute'; à l'ouest, le fort d'Henchir-el-
Hammam, que nous avons déjà mentionné, barrait la vallée
de rOued-el-Hatob. Probablement Madarsuma, que Ton
nomme parmi les villes importantes de la Byzacène, couvrait
la région du côté du sud-est'. A Sufetula même, on n'établit
une citadelle qu'à la fin du vi« siècle*; mais à partir de ce
moment, la place allait prendre une importance croissante :
on verra quel rôle elle jouera au moment de la première in-
vasion arabe.
On se contenta donc de couvrir la ligne du massif central. Du
côté de l'ouest, Laribus en défendait les approches et au sud-est
de cette ville, un château carré assez important — il mesure
quatre-vingts pas sur soixante-dix — et flanqué de quatre tours
l.Tissot, n, p. 643-644, 630-635, 607, 617.
2. Saladin, 1, p. 96.
3. On croit retroaver Madarsuma à Henchir-bou-Doukhan, où s'élève, dans
une belle position stratégique, un castellum importaat (BuU, Com., 1893,
p. 178). Aa nord-est de ce point, deux autres forts se trouvent à Ksar-bou-
Dinar et à Aîn-Goubrar, dominant le Bled-Rgab et fermant les passages de
montagne qui, de la région côlière, mènent vers Sbeitla (ibid.y p. 179). En
avant de Sbeitla, entre la ville et le Djebel-Hamra, un fortin s'élevait sur une
éminence à Rsar-Djerjtr [ibid.f p. 174}.
4. Georg. Cypr., p. 33.
280
HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFlllQUE
d'angle, s'élevait à Henchir-Dougga (TuccaTerebinlhina), sur-
veillant la plaine de Ksour V Mais au sud une grande voie de
pénétration donnait accès dans la montagne, la route qui de
Echelle de o.ooi p. 2
i i /* IS 9» U %
Fig. 63. — Sbiba. Plan de TenceiDie byzantine.
Sbeitla, c'est-à-dire de tous les points de la frontière méridio-
nale, se dirige vers Maktar et Assuras*. Pour barrer ce passage,
une citadelle fut construite à Sufes (Sbiba)', sur un mamelon
1. Guérin, L c, I, p. 394.
2. Tissot, U, p. 617.
3. C. /. L., Vlll, 259.
yOCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 28i
dominant la plaine et la vallée de TOued-Rohia, et d'où Ton
commande également la large coupure qui s'ouvre vers le sud,
les plaleaux qui s'étendent vers l'est jusqu'au pied du Djebel
Mrilah, et vers Touest le col où passe un chemin qui vient de
Thala. Sur lamème ligne, enlreSbibaetTemplacement actuel de
Kairouan, et sans doute dans la région que parcourt l'Oued -
Zeroud entre le Mrilah et le Trozza, la place forte de Mamma,
occupée par une forte garnison, compléta de ce côté la dé-
fense \ Enfin vers Test, où les grandes plaines ouvertes per-
mettaient un facile passage aux Berbères de la Tripolitaine,
une double ligne de citadelles ferma Taccès du massif. Au
bord de la plaine de Kairouan, la redoute d'Henchir-Oghab
barra la voie, d'ailleurs difficile, qui suit la vallée de TOued-
Merguellil ' ; la forte place de Djaloula, qui est peut-être Kou-
loulis ', défendit la route fréquentée qui, à travers les pro-
longements de rOusselet, mène dans la plaine de TOued-Mab-
rouf* ; peut-être même, quoique la chose me semble assez
douteuse, la redoute d'Henchir-Kachoun (Muzuc), au con- ,
fluent de TOued-Mahrouf et de l'Oued- Bargou*, surveilla dès
ce moment leFoum-el Guefel etles défilés de TOued-Nebhane.
Mais c'est surtout au delà de la vallée de l'Oued-Mahrouf que
la défense fut solidement organisée. Au point où passe la
route qui met les plateaux de Maktar en communication avec
le sud, dans une position stratégique incomparable, une cita-
delle fut construite au bord du plateau de la Kessera*. Entre
le Bellota et le Djebel-Serdj, à l'endroit où la route d'Althibu-
ros (Medeina) au littoral par Assuras, Zama et Uzappa débou-
che dans la plaine, à l'entrée du défilé de Foum-el-Afrit, une
redoute s'élevait à Sidi-Amara (peut-être Aggar)';plus au
1. i4ed.,p. 342.
2. Bull. Ant. afr,, 1884, p. 156.
3. Atd,y^. 342. Cr. sur l'identification, Dichl, Rapporly p. 118-119.
4. Guérin, il, p. 339.
5. Tissot, II, p. 603.
6. C. /. L., VUI, 700; BulL AnL afr.y 1884, p. 225.
7. Tiasot, H, p. 577 ; BulL Ant. afr., 1884, p. 92-94 ; BvU. Corn., 1886, p. 207 ;
Cagnat, Arch. des Mission», XIV, p. 31.
282
HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
nord enfin, là où la vallée de l'Oued-Bargou laisse passer les
routes qui mènent dans la riche région de la Siliana, le châ-
teau fort de Lemsa barrait le défilé \
Ainsi un vaste demi-cercle de places fortes, adossé au mas-
sif central^ surveillant toutes les routes importantes^ occu-
pant tous les passages, défendait la région contre les attaques
des nomades et formait à travers la Byzacène une seconde
► I
Echelle de o.ooi p vicCre
Fig. 64. — Kessera. Forteresse byzantine.
ligne de défense. Elle se complétait du côté de Test par quel-
ques forteresses encore. Entre les dernières pentes de la mon-
tagne et le littoral, un passage demeurait ouvert à travers les
grandes plaines de Kairouan et de Djebibina, et une route y
était tracée qui d'Hadrumète gagnait Zaghouan, et de là à
travers le Fahs rejoignait la Medjerda : il était indispensable
t. Bull.Ant. a/V.,1884, p. 80-82; Gagnât, i4rc/i. des Missions., XIV, p. 19.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 283
de fermer celte trouée. Pour cela, au nord-ouest de Sousse,
dans les vastes plaines qui séparent le lacKelbiade la Sebkha-
el-Djerida, une petite redoute se trouvait à Cebar, près de Me-
uephese*; dans la vallée de TOued-Nebhane, tout près du
pont antique où la roule romaine franchit la rivière, un autre
fortin gardait le passage à Ksar-el-Amar*. En arrière, dans
ini
Fig. 65. — Henchir-Sguidan. Forteresse byzantine.
(D'après le plan de M. de la Blanchëre.)
la plaine de Djebibina, la grande forteresse d'Henchir-Sguîdan,
dont l'enceinte flanquée de huit tours est fort bien ^conservée
encore, dominait toute la région»; enfin plus au nord encore,
à Henchir-Batria, un fortin protégeait la route de Zaghouan^ ;
un autre, défendu par quatre tours d'angle, fermait à Ain-
Djoukar l'entrée de la plaine du Fahs^ De cette sorte, la ligne
1. Bell. Vand., p. 509 ; Joh. IV, 41 ; Tissot, II, p. 160-162.
2. Bull. Corn,, 1886, p. 200.
3. Id., 1888, p. 467; Gagnât, Arch. des Missions, W, p. 34.
4. Tissot, n, p. 558-559.
5. Gaérin, II, p. 345-346.
284 HfSTOlRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
de défense était complète, et le massif central ne pouvait pas
être tourné par le nord.
4. La vallée de la Medjerda.
Si de cette sorte^ la Proconsulaire semblait garantie contre
les attaques venant du sud, pourtant Carthage restait expo-
sée du côté de Touest. La route de Carthage à Hippone par
Bulla Begia et la rive gauche de la Medjerda % celle de Car-
thage à Grta par Sicca Veneria (le Kef) et la rive droite du
fleuve' étaient des lignes d'invasion ouvertes aux populations
de la Numidie. L'une et l'autre furent donc solidement occu-
pées dès le temps de Justinien. Au nord du Bagradas, Yaga
(Béja) qui, en l'honneur de l'impératrice prit le surnom de
Théodoriade, fut entourée d'une vaste enceinte fortifiée; et
elle dut à la fois protéger le pays fertile qui Tenvironne et te-
nir en respect les tribus des montagnes qui s*étendent entre
elle et la mer*. Bulla Regia (Hammam-Darradji) qui com-
mandait le riche et vaste territoire delaDakhladesOuled-bou-
Salem, eut également une citadelle^; et à l'issue du défilé assez
resserré par où la Medjerda pénètre dans les Grandes Plaines,
dans une importante position stratégique, couvrant la route
et le fleuve, la forteresse de Bordj-Hallal barra le passage et
protégea les colons de la contrée avoisinante^; plus loin à
Thuburnica (Henchir-Sidi-Ali-Bel-Kassem), on signale parmi
les ruines une grande citadelle encore ; mais il ne me parait
pas pleinement certain qu'elle date de l'époque byzantine*.
Sur la route de la rive droite, le groupe de places que nous
1. TisBot, II, p. 243.
2. /d., p. 312.
3. Aed., p. 339-340 ; C. /. £., VIU, 14399 ; Tissot, II, p. 304 ; Cagnat, Arch. du
Missions, XIV, p. 107-108.
4. Tissot, n, p. 261; BuU. Anl, afr., 111, p. 112.
3. C. /. JL., Vin, 1259 et 14547; TisBot, H, p. 266-267, 308; Saladin, H, p. 427-
429; Diehl, Rapport, p. 136- 139.
6. Bu//.^Com., 1891, p. 161-192.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 285
avons déjà mentionnées précédemment, Coreva, Tbignica,
Bir-Tersas, Thubursicum Bure, Agbia, Tueca, protégeaient
les approches de la Medjerda autant contre les attaques de
l'ouest que contre celles du sud. Plus loin, des redoutes étaient
établies, au voisinage de la route de Garlbage à Cirta, à Uci
Majus (Henchir-Douamis) et à Sidi-Bellaoui ^ Enfin, au
delà du point où la route de Thévestè se sépare de celle
de Girta. l'importante position de Sicca Veneria (Le Kef)
était assurément occupée par 'les Byzantins '. « Assise sur
un des premiers ressauts d'un massif qui peut être consi-
déré comme une citadelle naturelle, la ville domine les grandes
plaines du Sers, de Zanfour, de Lorbeus et de TOued-Mellè-
gue, en même temps qu'elle commande une des principales
voies de communication conduisant de Tunis en Algéries. » II
ne subsiste actuellement aucune portion de l'enceinte byzan-
tine, mais on ne peut douter qu'elle ne fût une ville forte. Pla-
cée aux extrémités occidentales delà Proconsulaire et presque
sur les frontières de la Numidie,elle ne se bornait point à sur-
veiller les routes venant de Touest, elle faisait encore face du
c6té du sud, et elle rattachait Laribus et la seconde ligne
des forteresses de Byzacôneàla seconde ligne, qui nous reste
à étudier, des citadelles de Numidie.
II
L'occupation de la Numidie,
I. La lig^e septentrionale des hanta plateaux.
Nous avons indiqué déjà comment, vers l'année 535, alors
que les limites de laNumidie ne dépassaient pas la lisière septen-
trionale des hauts plateaux, le patrice Solomon fit construire,
1. Carton, /. c, p. 256 el 278.
2. Proc, Aed, (passage inédit).
3. Tissot, II, p. 378.
286 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
sur les pentes méridioQales du Tell, une série de forteresses
chargées de défendre cette frontière. Lorsque, quelques an-
nées plus tard, les progrès de la conquête eurent porté jus-
qu'aux pieds de TAurès la domination byzantine, les places
primitivement occupées ne perdirent point toute raison d'être ;
elles formèrent une seconde ligne de citadelles, fort utiles pour
arrêter les courses des nomades, si la barrière qui bordait
l'Aurès venait à être forcée; et elles parurent même alors con-
server assez d'importance pour qu'on renforçât de quelques
constructions nouvelles ce système défensif^ De cette sorte,
sur un tracé à peu près parallèle à la grande route de Garthage
à Cirta et fort voisin de cette voie de communication, des
postes fortifiés s'échelonnèrent depuis la vallée de l'Oued-
Mellègue et les environs du Kef jusqu'à la coupure par où
l'Oued-bou-Merzoug se dirige vers Conslanline.
A l'extrémité orientale de cette ligne se trouvait, près du
bordj actuel d'Aïn-Guettar, la forteresse de Tagoura' et non
loin de là, le castellum de Tamatmat'; puis à l'endroit où,
venant du sud, la grande voie de Théveste à Hippone et au
littoral allait couper la route do Garthage à Cirta^, le château
fort de Madaure, élevé parmi les ruines de l'antique ville de
ce nom, barrait le passage ^ Plus loin, sur les dernières pentes
du massif montagneux qui longe et domine au nord la vaste
plaine de Tifech, au flanc d'une colline escarpée dont un ravin
abrupt défend partiellement l'accès, était assise la grande for-
teresse de Tipasa; elle occupait, au-dessus de l'immense ré-
gion fertile, où coulent vers Touestun affluent de la Seybouse,
et vers l'est les premiers tributaires de la Medjerda, une ad-
mirable position militaire et stratégique* : surveillant en eflet
1. C. /. L., VIII, 4799; Aed., p. 343;Be//. Vand., p. 463.
2. C. i. L., VIII, 16851; TUsot, II, p. 383;Bu/Z. Corr, afr.A, p. 317-319;
Lcwal, Taouraet ses inscriptions (Revue a fr.^ 1859, p. 23).
S.Tissot, II, p. 383.
4. /d.,p. 417.
6. C. /. L., Vin, 4677.
6. Tissot, II, p. 417, 387; i?ec. de Const.. 1866, p. UH sq.; Bull. Corr. afr., I,
p. 302-303 ; Diehl, Rapport^ p. 67-72.
L'OCCUPATION MIUTAIUE DE LAFRIQIjE BYZANTINE 287
la graade voie qui passait à ses pieds, clic fermait eu outre
l'étroite gorge par où s'ouvre un chemin vers Khamissa (Thu-
bursicum Numidarum) et Bône. A l'ouest de Tipasa, le poste
de Guelaa-Sidi-Yahia gardait le point de jonction des routes
qui se dirigeaient vers Bône parZatlaraet vers Cirta par Thi-
bilis'; puis c'étaient Gadiaufala (Ksar-Sbehi), à la tète d'une
voie qui par la vallée de TOued-Cherf menait à Thibilis et
à Guelma', le poste de Centuriae (KsvTO'jptai de Procope)' et
rimportante place de Tigisis (Aïn-el-Bordj)*. Bâtie à l'extré-
mité orientale de la ce longue plaine » (Bahiret-et-Touila) qui
s'ouvre à Test de Sigus, elle surveillait ce large cirque encer-
clé de montagnes, et occupait Tun des rares points d'eau qui
se rencontraient dans la région; surtout elle barrait absolu-
ment la profonde coupure du Foum-el-Hallik, par où la route
antique de Théveste à Cirta pénétrait sans doute dans la
plaine^; et à Tissue de ce défilé, que traverse aujourd'hui
encore un chemin menant à Aïn-Beida, elle constituait, selon
l'expression byzantine, une véritable clisure. Dans la ligne de
défense de la Numidie du nord, cette place très forte — Pro-
cope la nomme ^à-ztiyK^rzo^ — paraît avoir eu une importance con-
sidérable ; elle figure à la fin du vi* siècle parmi les grandes vil-
les de la province*, et elle semble même au milieu du vu» avoir
été le siège d'un commandement militaire \ Enfin près de la
gorge de Fedj-Sila, vers l'endroit où la vallée du Bou-Merzoug
ouvre un chemin vers Constantine, on signale le château byzan-
tin de Sila'; et vers l'ouest des redoutes établies à Sadjar (Sub-
1. Hec, de Const,, 189ii, p. 63-64; Vigueral, Ruines du cercle de GMc/ma,p. 35-
36 (ayec an plan).
2. C. /. L., VIII, 4799 : Tissot, II, p. 418.
3. Bell. Vand., p. 463; Tissot, U, p. 424.
4. Bell. Vand., p. 463; Tissot, H, p. 420-423; Hec. de Const., 486!, p. 262-,
1878, p. 374; 1882, p. 222-231.
5. Tissot, II, p. 476.
6. Georg. Cypr., p. 34 ; Gregorii Magoi Episi. XII, 28-29.
7. C. L L., VUl, 2389.
8. C. /. L., VIII, p. 564; Rec. de ConsL, 1868, p* 412-418.
288 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
zuar)* et à ÂïQ-Mechira' fermaient des passages conduisaDt à
la vallée du Rummei et à la grande route de Girta à Sétif.
8. Le Tell de la province de Gonstantine.
Au nord de cette ligne de forteresses, s'étend une région
accidentée et fertile, où des ruines nombreuses de villages et
d'exploitations rurales attestent une grande prospérité agri*
cole'; des villes importantes s y élevaient^ Thagaste (Soukar-
rhas), Thubursicum Numidarum (Khamissa), Thibilis (An-
nouna). Calama (Guelma), Constantine : des routes nom*
breuses la sillonnaient en tous sens, allantde Tipasa à B6ne par
Khamissa et Kef-Bezioun (Zattara) * ou à Constantine par An-
nouna (Thibilis); de Gadiaufala par la vallée de TOued-Cherf
et Thibilis, soit à Constantine, soit à Guelma'; enfin de Sigus
vers Constantine, cette dernière prolongeant vers le nord les
voies qui viennent de Théveste et de Lambëse*. Aussi,
malgré la ligne de défense que formaient sur la lisière septen-
trionale des hauts plateaux, les citadelles précédemment
énumérées, des mesures de précaution avaient paru néces-
saires, autant pour assurer les communications à travers
cette région montagneuse que pour fournir un refuge aux
habitants contre les attaques subites des envahisseurs. C'est
pour cela qu*à Thubursicum Numidarum, une série de
redoutes détachées, qui d'ailleurs n'ont point une destination
proprement militaire, protégeait la cité ^ ; pour cela, qu'à
Zattara (Kef-Bezioun), sur un immense escarpement, domi-
nant à pic rOued-bou-Mouia, les Byzantins avaient construit
1. C. /. L., Vm, p. 571.
2. Id., p. 707; Gsell et Graillot, /. c, p. 94.
3. Rec. de Const., 1892, p. 54-113 (ayec uae carte intéressante).
4. Cosneau, De romanis viis in Numidia^ p. 65-66; Tissot, H, p. 387-392.
5. Ck>sneaa, td., p. 69; Tissot, II, p. 429-430.
6. Tissot, II, p. 415, 418-424; Cosneau, /. c, p. 53-54, 67-68.
7. Tissot, II, p. 390-391; Diehl, Rapport, p. 81-82.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 289
une vaste enceinte fortifiée*. C'est pour cela surtout que dans
la forte position de Thibilis, au point où se croisaient la route
de Garthage à Cirta, par Tipasa et Capraria, celle de Cirta,
à Guelma et à Bône, celle qui, de Gadiaufala, mène vers le
nord de la province, sur un plateau très escarpé et difficile-
ment abordable, une citadelle avait été établie. De là, dans
toutes les directions, s'ouvraient des vues très étendues : vers
Test et le nord-est, c'est la plaine largement ouverte où coule
rOued-Cherf; vers le nord-ouest, c'est une succession de
montagnes accidentées, où s'engageait la route de Guelma à
Constanline ; partout c'est un horizon immense. « On avait
l'avantage de voir de Thibilis les mouvements qui pouvaient
se produire au loin sur la Mahouna, sur le Djebel-Debar dans^
le haut de la vallée de la Seybouse, sur les montagnes du
Fedjouz et d'El-Aouara et plus loin encore, sur celles des Béni
Salah, dont les sommets se fondent dans la brume*. »
Mais c'était surtout au débouché de ces trois grandes routes
que d'importantes forteresses avaient été placées pour sou-
tenir à distance les postes qui couvraient sur les versants
méridionaux du Tell, le pays byzantin. Presque dans le pro-
longement de la série de places fortes qui bordait en Procon*
sulaire la vallée de la Medjerda, et formant avec elles, en
arrière des citadelles de seconde ligne, comme une troisième
barrière, on rencontrait une succession de villes fortes. C'était
d'abord vers l'est, Calama (Guelma) qui comptait à la fin du
vi* siècle parmi les grandes villes de la Numidie et que le
patrice Solomon avait entourée d'une inexpugnable enceinte,
malheureusement presque détruite aujourd'hui'. Vers l'ouest,
c'était Constanline, où Ton voit encore à l'extrémité de la
pointe de Sidi-Rached, au-dessus du ravin du Rummel, quel-
ques pans de la muraille byzantine : c'était, au moins au début
1. Rec. de Const,^ 1892, p. 79-80 ; Vlgneral, Ruines romaines du cercle de
Guelma, p. 27-28 (avec un plan) ; Bull. Com.f 1892, p. 512.
2. Rec, de ConsL, 1890-1891, p. 331.
3. C, l. L., VIII, 5352, 5353.
I. 19
290 HISTOIRE DE L\ DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
de roccupation, la résidence du duc de Numidie^ Plus loin,
le long" de la roule romaine qui conduit de Cirla à Sitifis*,
Mileu (Mila) el Cuicul (Djemila) étaient, comme nous l'avons
déjà indiqué, occupées par les Byzantins et reliaient cette
chaîne de citadelles à la grande forteresse de Sétif qui for-
mait ainsi, à la fois, du côté du sud, un poste important dans
la troisième ligne de défense de l'Afrique byzantine, et vers
Touest, une des places frontières de la province reconquise par
Justinien.
1. Cod. Jusl.y I, 27, 2, 1 ; Georg. Cypr., p. 34. Sur le pays entre Guelma et
CoQstantme, cf. Bull. Comité^ 1885, p. 550-568; sur la régioQ entre Cons-
tantine et Soukarrhas, id., 1888, p. 101-126. On trouvera, dans les Additions
placées à la un du volume, des renseignements intéressants, qoe je dois à
l'obligeance de M. Gsell, sur plusieurs des citadelles byzantines de la Numi-
die. Les uns se rapportent à des forteresses impériales de la ilgne septen-
trionale des hauts plateaux, telles que Taoura (Tagoura), Gnelaa-Sidi-Yabia,
Ksar-Sbehi (Gadiaufala) ; les autres concernent les places de refuge de la
région du Tell, comme Khamissa, Kef-Bezionn, Rsar-Atman, Kef-Kherraz,
Guelaat-bou-Atfan .
2. Tissot, II, p. 404.
TROISIÈME SECTION
LA DÉFENSE DU PLAT PAYS
Ainsi, trois grandes rangées de forteresses à peu près paral-
lèles Tune à Tautre s'échelonnaient à partir de la frontière
pour constituer le système défensif. C'étaient d'abord les postes
du limes, Gabès, Capsa, Théveste, Ammaedera, Mascula, Ba-
gai, Thamugadi, Guessès, Lambèse, Tubunae, Zabi Justi-
niana, Tbamalla, Sétif; c'était la seconde ligne qui, partant du
littoral s'appuyait aux revers méridionaux du massif central
tunisien, et par Laribus et Sicca Veneria allait rejoindre les
postes échelonnés sur la lisière septentrionale du haut plateau
numide ; c'était enfin la série des places qui occupaient les
vallées de la Medjerda, de la Seybouse et du Rummel, depuis
Carthage jusqu'à Sétif : et on a vu comment ces ouvrages
militaires étaient merveilleusement disposés pour barrer tous
les passages de la frontière et fermer vers l'intérieur les gran-
des voies d'invasion. Mais entre ces différentes lignes, les
zones intermédiaires ne demeuraient pas entièrement dépour-
vues de protection : à la vérité, on ne rencontrait plus dans
ces régions de grandes forteresses impériales^ occupées d'une
façon permanente par les troupes byzantines, mais de sim-
pies ouvrages de fortification, construits pour les besoins et le
plus souvent par l'initiative des populations. 11 est vrai aussi
que beaucoup de ces réduits datent incontestablement d'une
époque postérieure au milieu du vi"" siècle. Quand, avec la dé-
^-
292 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
cadence de l'autorité byzantine, les citadelles de Justiniea
devinrent insuffisantes à protéger le pays, quand à travers
leur réseau trop lâche passèrent les razzias des tribus berbères
et plus tard les courses des conquérants arabes, les popula-
tions durent elles-mêmes songer à leur sécurité. Alors elles
élevèrent, sans aucune entente des dispositions stratégiques,
ces fortins que Ton rencontre auprès de chaque groupe
de ruines; chaque ville, chaque village, chaque centre d'ex-
ploitation agricole eut ainsi son ksar destiné à servir de
refuge. Énumérer tous ces ouvrages serait nommer presque
tous les centres de population de T Afrique byzantine : et la
tâche risquerait d'être aussi fastidieuse qu'inutile, puisque,
sauf quelques rares exceptions, ces redoutes ne jouent aucun
rôle dans le système général de la défense. Il suffira doac«
par un certain nombre d'indications, qui ne prétendent nulle-
ment à être complètes, de faire sentir la masse vraiment
incroyable des travaux de cette sorte, et la manière dont ils
se répartissent à travers toute la région : ce tableau achèvera
l'étude de Toccupation territoriale de l'Afrique à l'époque by-
zantine.
Dans la région des hauts plateaux intermédiaires entre le
limes et la seconde ligne de défense, dans ce pays où les
grandes villes sont assez rares, mais où apparaissent à chaque
pas les traces d'une remarquable colonisation agricole*, cha-
que ruine montre à peu près un fortin construit à la hâte.
Voici, à Test de Thélepte, un kasr à Henchir-Khamor*, et
plus loin, accolée à la petite ville si intéressante de Haoach-
Khima-mta-Darrouia, une grande redoute curieusement con-
servée»; un peu plus loin, au sud de TOued-el-Hatob, voici
un fortin à Henchir-Mzira*, et en continuant vers Test, sur la
rive droite de l'Oued-Fekka, en voici d'autres à Henchir-
1. Cagoat, Arch. des Missions^ XU, p. 107-108; Saladin, 1, p. 219-220.
2. Saladin, 1, p. 135.
3. Id., p. 136-139; Gagnât, Arch. des Miss., XU, p. 153-154.
4. Saladio, I, p. 141.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE
293
Maizhra, à Sidi-Khalif, àHenchir-el-Baroiid, àKsar-Debdeba*,
tous construits sur le même type et de la même manière, « en
gros matériaux, pierres de taille, montants de pressoirs, mon-
tants de portes, provenant d'édifices détruits*. » A l'ouest de
Sbéitla» toute la riche plaine du Fouçana en est remplie, sur
les deux rives de TOued-el-Hatob", et de même tout le pla-
teau qui s'étend entre Kasrin et Sbéitla*, et toute la contrée
entre Haïdra et Laribus*. Quant aux rares villes de la région,
Madarsuma, Cillium, Sufetula, elles sont défendues à peu
EcKelle de o,ooz p.Tn.
O 133 45 JO ZO
Fig. 66. — Sbéitla. Fortin byzantin.
près de même : à Kasrin (Cillium) une redoute protège la
ville au point où la route venant de la plaine monte au pla-
teau où s'élève la cité, et deux autres fortins détachés occu-
pent des promontoires escarpés dominant la rivière*. A Sbéi-
tla, en avant de Tenceinte des temples transformé en castrum,
cinq réduits fortifiés couvrent au sud-est et au sud les appro-
1. Saladin, 1, p. 36-38, 48, 51, 06.
2. Id., p. 220.
3. /d., p. 122-123, 167-168.
4. Diehl, Rapport, p. 126-121 ; Cagnat, Atch. des Misslom, Xl[, p. 146-141.
5! Saladin, I, p. 191-192, 199; Cagnat, /. c, XU, p. 243.
tt, Saladin, i, p. 160. Cf. le pian, p. 156.
/
294 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
cbes de la place, et les détails de leurs dispositions attestent
la rapidité de leur construction*.
Remontons maintenant plus au nord, au delà de la seconde
ligne de défense, dans la région si peuplée du massif central
tunisien. Chacune des nombreuses petites villes qui y sont
accumulées a sa petite citadelle. Dans la vallée de FOued-
Mahrouf, on en signale à Mansourah', à Henchir-Besra', à
Henchir-Kachoun (Muzuc)*; dans la vallée de la Siliana, on en
trouve à Kobber-el-Ghoul, à Aïn-Zouza% à Ksar-Medoudja, à
HenchirBez ( Vazis Sarra)*, àflencbir-Seheli près du Bargou *,
à Djama* (Zama major); d'autres sont établies à Maktar, à Kasr-
bou-Fatha% à Hammam-Zoukra (Thigibba)*^ à Ellez", àZan-
four (Assuras) *^. Sur le revers méridional du massif, voici,
avec son fortin, rétablissement assez important d'Henchir-
Kouki*^ ; vers le nord, voici dans laplaine du Fahs des redoutes
à Bir-el-Heusch **, à Bou-Djelida^^,à Henchir-bou-Ftis ( Avitta
Bibba)*® ; dans la vallée deTOued-Melian, c*est Henchir-Kasbat
(Thuburbo majus) ". Vers Test, des redoutes protègent Hen-
chir-Oum-el-Abouab(Seressi)*®, et Henchir-Zakloun(Thaca)",
l.Saladin, I, p. 66-69.
2. BulL Comité, 1886, p. 212.
3. Tissot, II, p. 605.
4. Id.y p. 603.
5. Bull.Anl. afr., 1884, p. 238.
6. /rf., 1884, p. 244.
7. /d., 1884, p. 249.
8. Gagnât, Arch^ des Missions, XIV, p. 79; Tissot, 11, p. 573, note.
9. Tissot, II, p. 625; Guérin, 1, p. 404; et pour Maktar, Diehl, Rapport,
p. 113-H4.
10. Bull. Ant. afr., 1884, p. 2."Î6.
11. /d.,p. 254.
12. W., p. 250-252; Guérin, 11, p. 93.
13. Gagnât, Arch, des Missions, XII, p. 130.
14. Bull. Ant. afr.y 1885, p. 92.
15. /rf., 1883, p. 293.
16. /d.. 1883, p. 306.
17. Guérin, II, p. 368; BuU. Com/7^, 1893, p. 218.
18. W., p. 356.
49. Bull. Comité, 1886, p. 197.
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 295
et Aïn-Mdeker (Mediccera) *, et Hammam-Zeriba* ; et peut-être
même quelques-uns des postes nommés plus haut, comme Aïn-
Djoukar (Zucchara), Henchir-Batria (Botria), Henchir-Sidi-
Khalifa (Aphrodisium), sont-ils simplement des fortins du
même genre. Vers l'ouest, dans la région deDougga, des éta-
blissements fortifiés se rencontrent à Ilenchir-Khadem, à
Henchir-Khatteb, à Aïn-Taki sur TOued-Khalled, à Henchir-
bou-Aouia et à Sidi-Khalifat dans la plaine'du Krib, à Henchir-
Kouchbalia (Thimidum Bure)*; entre Teboursouk et la Med-
jerda, un fort byzantin se trouve à Henchir-Maatria (Numlulis) *,
un autre au delà du fleuve à Henchir-el-Ksour, près de Chem-
tou*. Et la même énumération pourrait à l'infini se poursuivre
en Algérie comme en Tunisie. Voici par exemple, entre le
limes et le Tell, les fortins d flenchir-el-Hammam, d'Henchir-
Ouled-Hassan, d'Henchir-Tagount, d'Henchir-Kraker % le
kasr d'El-Mader (Casae), la redoute d'Aïn-el-Ksar (Tadulti),
celle de Ksar Kalaba (Gibba), celle de Seriana (Lamiggiga),
toutes voisines l'une de Tautre dans la région au nord de
Batna ' ; voilà, au sud-est d'Aïn-Beida, le fort d'Henchir-Chera-
grag' et, au nord de la même ville, celui d'Henchir-Kesreia^
J'ai signalé déjà quelques-unes des fortifications qui se trou-
vent entre la seconde et la troisième ligne de défense, Kha-
missa (Thubursicum Numidarum) et sans doute Zattara'(Kef-
Bezioun) : j'y pourrais joindre la civitas Nattabutum (Oum
Guerrichech)*®, entre Gadiaufala et Thibilis, le centre agricole
1. Bull. Comité, 1886, p. 198.
2. W., 1886, p. 197.
3. Carton, Découvertes épigraphiques et archéologiques, p. 40, 45, 72, 64, 63,
417.
4. Bull. Comité^ 1893, p. 79; Carton, /. c, p. 298.
5. Saladin, II, p. 427.
6. Gsell et Graillot, l. c, p. 111, 110, 108, 106 et plasieurs autres, p. 12o,
127, 115.
7. Rec.de Const., 1862, p. 128, etDiehl, Rapport,^. 12-15; Gsell et Graillot.
/. c, p. 144, 150, 152.
8. Bull. Cor7\ afr., I, p. 315.
9. Rec, de Const., 1882, p. 305.
10. W., 1892, p. 83-84; Revueafric, 1867, p. 6\;Bull. Corn., 1892, p. 513-514.
/
296 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
d'IIenchir-el-Hammam, protégé par un fortin carré dont un
mausolée antique a formé le noyau ^, la redoute d*Henchir-
Zouabi', d'autres encore, montrant comment^ dans toute
TAfrique byzantine, les habitants ont dû par eux-mêmes veiller
à leur sécurité.
Enfin, au delà de la troisième ligne de défense, entre les ci-
tadelles qui la formaient et le littoral de l'Afrique septentrionale,
on rencontre un certain nombre de postes fortifiés. Dans la
région montagneuse qui s'étend au nord de la vallée de la
Medjerda, dans le massif de l'Edough voisin de Bône, sur-
tout dans le pays accidenté et difficile qui s'étend enlre Cons-
tantine et Sétif au sud, Philippeville et Djidjelli sur la côte,
habitaient des populations mal soumises, qu'une surveillance
exacte pouvait seule maintenir dans le devoir. Aussi le gou-
vernement byzantin semble avoir adopté dans cette contrée
un système assez analogue à celui que le Haut-Empire appli-
quait en Maurétanie '. A côté de la troisième ligne de défense
qui contenait par le sud les montagnards, une ligne d'occupa-
tion suivait la côte, et entre elles, des redoutes jalonnaient les
voies de pénétration des principaux massifs, les isolant les
uns des autres et réprimant les soulèvements qui pouvaient
éclater.
Sur la côte, Tabarca était occupé à l'époque byzantine* ; Hip-
pone était une ville forte ' dont le castelliim voisin de Fossala
complétait le système défensif*; une citadelle s'élevait sans
doute également à Rusicade (Philippeville) : vers l'ouest, j'ai
déjà signalé Tucca à l'embouchure de l'Oued-el-Kebir, Igil-
gilis (Djidjelli), Choba et Saldae (Bougie). D'autre part, sur la
route antique qui mène de Béjà à Mateur, on trouve à Henchir-
1. Hecde Const., 1S92, p. 90-92 ; Reruelle, Ruines romaines d^Benchir-el-
Hammam (Revue afric.^ 1892, p. 342).
2. Rec. de Const., 1892, p. 101.
3. Gagnât, Armée romaine, p. GOl.
4. Bull, Ant, afr., 1884, p. 122-134; 1885, p. 7-U.
5. BelL Vand., p. 427.
6. Proc.,>4«d.*(pa88ageriDédit).
L'OCCUPATION MILITAIRE DE L'AFRIQUE BYZANTINE 297
Negachia uq castrum datant du temps de Justinien^ entre
Béja et Tabarca, une redoute assez bien conservée et soigneu-
sement construite s*élëve à Henchir-Zaga '• Sur la route de
Carthage à Bône, entre ce dernier point et Ghardimaou, on
signale à Benchir-bou-Larès (Onellaba) un fortin d'époque
byzantine ^ Sur la voie de GuelmaàBône, dans la vallée de la
Seybouse, il y a à Ksar-el-Achour un ouvrage militaire inté-
ressant*; au nord-ouest de Constantine, dans la vallée de
rOued-el-Kebir, un fortin est construit sur l'emplacement de
Tantique Tiddis\ et Ton a vu déjà comment Mileu et Cuicul
isolaient du côté du sud le massif des Babor, qui, de cette sorte,
était gardé de trois côtés par des postes échelonnés de dis-
tance en distance et peut-être même complètement cerné. Le
même système avait été appliqué pour maintenir en paix les
remuantes tribus qui peuplaient la presqu'île du cap Bon. On
a expliqué comment, à la base de ce promontoire, une série de
redoutes coupait cette région du reste de la province; sur plu-
sieurs points de la côte, d'autres forteresses complétaient cette
sorte d'investissement. On signale au nord de Curubis(Kourba)
un fort byzantin à Lebna^, et plus loin, à Clypea(Klibia), une
citadelle flanquée de quatre tours ^; d'ailleurs El-Bekri affirme
que ce point fut une des dernières villes que les Grecs conser-
vèrent en Afrique. Sur le golfe de Carthage, se trouvait Mis-
sua" qui, selon toute vraisemblance, était également fortifiée.
J'ai à peine besoin de faire remarquer que les ouvrages si-
gnalés en dernier lieu ont un caractère militaire qui les dis-
tingue des nombreux fortins énumérés plus haut. Leur cons-
truction même, généralement assez soignée, atteste l'origine
i. C. /. !.. VUI, 14439.
2. Cagnatf Arch. des Missions f XI, p. 141.
3. BulL du Comité, 1887, p. 468.
4. C. /. L., VIII, p. 520; D^lamare, Exploration de t Algérie., pi. 188, fig. 1-
5. Ree. ConsL, 1876, p. 324.
6. Guérin, II, p. 239.
7. W., p. 230.
8. BelL Vand,, p. 474.
298 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
et la destination de ces redoutes; elles ont été élevées dès le
vie siècle pour contribuer à l'occupation militaire de la pro-
vince; et si insuffisantes que soient encore les informations qui
les concernent, elles en complètent utilement le tableau ; elles
sont un élément nécessaire de ces mesures protectrices par
lesquelles Justinien essaya de défendre l'Afrique reconquise
tout autant contre les attaques du dehors que contre les soulè-
vements du dedans.
TROISIÈME PARTIE
LE GOUYERNEMENT BYZANTIN ET LES POPULATIONS INDIGÈNES
Tout autour du pays byzantin, et jusque dans Tintérieur du
territoire soumis à Tempire, vivaient, en face des populations
romanisées^ de nombreuses tribus indigènes dont les inces^
santés révoltes ont formé le plus sérieux obstacle que la domi-
nation grecque ait, avant l'invasion arabe, rencontré en Afri-
que. Jadis, la main puissante de Rome avait réussi, non sans
peine, à les tenir en quelque respect : parmi les peuples éta-
blis au sud des provinces d'Afrique et de Numidie, « les uns
avaient été refoulés dans le désert, les autres s'étaient soumis
aux Romains; d'autres enfin avaient été transportés de gré ou
de force au milieu des possessions de l'empire, où ils for-
maient des enclaves sous la surveillance des autorités romaines,
fournissant à la fois des bras à la culture et des auxiliaires à
la légion »^ En Maurétanie même, malgré les fréquents sou-
lèvements qui, depuis le iii« siècle, portèrent tant de fois
le trouble sur la frontière et jusque dans Tintérieur du pays',
malgré les difficultés de toutes sortes qu'offrait cette remuante
et montagneuse région, néanmoins l'œuvre de la pacification
avait fait des progrès considérables; et quoique « pendant
i. Gagnât, VArmée romaine d' Afrique, i^. 41.
2, Ibid., p. 53-62, 70-87.
300 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
plus de quatre siècles que Rome a occupé les provinces
africaines^ jamais elle n^ait pu complètement déposer les
armes » *, cependant elle était parvenue à imposer son autorité
à la plupart des tribus, à leur donner une manière d'organisa-
tion, à les astreindre à des obligations précises, à employer
leurs contingents irréguliers — nous dirions leurs goums —
pour renforcer Tarmée d'occupation'; et le développement
rapide que le christianisme prit en Afrique avait encore con-
tribué à répandre parmi les tribus Tinfluence de la civilisation
romaine. A la faveur deTanarchie vandale, cet édifice si labo-
rieusement construit s'était écroulé de toutes parts; partout
de grands états indigènes s'étaient constitués en pleine indé-
pendance, et devant leurs razzias incessantes, leurs ravages
laissés impunis, lentement la vie romaine cédait la place et
disparaissait. On a vu quelle était au lendemain delà conquête
byzantine la puissance des grands chefs berbères, l'étendue de
leur domination; on a montré par quelles longues guerres,
par quels patients efforts les généraux impériaux avaient réussi
à leur imposer une soumission momentanée; on a expliqué
par quelles mesures défensivesles officiers de Justinien avaient
tâché de prémunir l'Afrique contre les attaques futures de
leurs adversaires. Mais un perpétuel pied de guerre ne saurait
constituer un état durable ; la paix une fois établie, si courte
qu'elle dût être, la diplomatie byzantine devait chercher à
inaugurer un mode de relations nouvelles ; sur ce point comme
sur tant d'autres, elle devait lâcher de relever les antiques
traditions de Rome et, complétant l'œuvre des armes, s'appli-
quer à faire accepter aux tribus la suzeraineté de Tempire.
C'est ce modus vivendiy dont l'effet fut d'étendre bien au delà
des limites de la province l'inQuence de l'autorité grecque, que
nous tenterons de mettre en lumière, après avoir, au préa*
lable, rapidement fait connaître la distribution géographique
et le caractère des peuples auxquels il s'appliqua.
1. Gagnât, U Armée romaine d'Afrique^ p. 90.
2. Ibid., p. 325-333.
LE GOUVERNEMENT BYZ4NTrN ET LES POPULATIONS TNDfGÈNES 301
I
Sur les confias de la Tripolilaîne étaient établis de nom-
breuses et redoutables tribus : c*étaient, d'après Ténumération
de Corippus et le précieux commentaire dont Partsch l'a accom-
pagnée*, d'abord les Barcéens, qui occupaient, en dehors des
limites propres de l'Afrique byzantine, une partie du plateau
de Cyrénaïque'; puis, en allant de l'est à Touest, c'étaient les
peuplades de pêcheurs qui habitent les rivages de la Grande
Syrte', et celles qui, entre les confins de la Cyrénaïque et le
fleuve Be, occupaient autour du centre indigène de Digdiga,
les territoires où la Table de Peutinger place la grande tribu
des Seli* ; près de Leptis Magna, vivaient les Gadabitani '^; les
Muctuniani tenaient les montagnes désertes situées au sud de
Tripoli®, enfin entre Leptis Magna et les frontières de la Byza-
cène, s'étendaient trois puissantes tribus, fractions détachées
peut-être du grand peuple des Nasamons : c'étaient les Ifuraces^
fantassins redoutables, et que, pour cette raison, Tissot re-
garde justement comme des montagnards^; les Auslures,
cavaliers rapides, habitués à vivre de vol et de pillage et qui
étaient cantonnés dans le voisinage d'Oeaet de Leptis Magna * ;
lesllaguas enfin, ou, pour leur donner le nom sous lequel les
désigne Procope, les Levathes (Louata)^ C'était de toutes les
1. Partsch, préf. à Corippus (éd. des Monumental p. viri-xiv). Cf. Beilr, zur
Erklarung und Knlik d. Johannis {Hermès, IX, p. 293-298).
2. Joh., H, 123.
3. W., 11, 120-122.
4. /rf., U, 118, 119; cf. Tah. Peutinger., VII, E., F. et Tissot, II, p. 241-
242.
5. Joh., II, 117-118; Aed., p. 337.
6. Jo/i., Il, 116-117.
7. Joh., n, 113115; Tissot, I, p. 470.
S,Joh., n, 89 seq. Cf. Ammiea Marc, 26, 4, 3; 2S, 6, 2; Gagnât, loc. cit,,
p. 69.
9. BelL Vand., p. 302; Jok,, II, SI. et sur l'identiQcation, Partsch, p. zii.
302 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
tribus la plus considérable et la plus belliqueuse; établie à ce
qu'il semble, aux confins occidentaux de laTripolitaine*, mais
étendant peut-être ses territoires de parcours, en tout cas ses
ravages, jusqu'aux portes de Leptis Magna, elle devait durant
bien des années commencer et guider toutes les attaques entre-
prises contre le pays byzantin. Affranchie de Tautorité van-
dale bien avant l'expédition de 533, elle avait plus d'une fois
tenté de mettre à profit le désarroi profond de la province*, et
plus tard donné fort à faire aux premiers ducs impériaux de
Tripolitaine'; bientôt elle allait, à la tête d'une coalition for-
midable, déchaîner sur l'A^frique de plus grands périls encore.
Peuple terrible, dit Corippus, redoutable en guerriers et rendu
audacieux par d'innombrables triomphes :
Horrida gens et dura viris audaxque triumphis
Innumeiis *,
les Levalhes semblent avoir exercé sur les tribus voisines
une sorte de prééminence : dans le grand soulèvement de 546,
c'est lerna, leur chef, qui est placé comme généralissime à la
tête de toutes les tribus de la Tripolitaine*. Et derrière cette pre-
mière ligne de peuples, au sud de la zone du littoral, d'autres
populations habitaient la région des premières oasis saha-
riennes® : c'étaient, du côté de l'est les Nasamons, dont les
territoires s'étendaient jusqu'à l'oasis d'Augila';au centre les
Garamantes, dont les tribus nombreuses occupaient le Fezzau
actuel; vers l'ouest, les indigènes établis à Ghadamès'^, puis-
sante et redoutable réserve, toujours prête à soutenir les atta-
ques que leurs voisins tentaient contre le pays byzantin.
Sur le rivage de la Petite Syrte, aux confins mêmes de la
Tripolitaine et de la Byzacène, d'autres tribus étaient canton-
1. Joh,, VI, 224; Bell. Vand., p. 533.
2. Aed., p. 336.
3. Joh., 111, 294.
4. /d., 11, 102-103.
5. /d., 11, 109; IV, 631, 1013.
6. Id,, II, VI, 195 sqq. ; Partsch, p. xxx.
7. Tissot, I, p. 440.
8. Aed., p. 335.
F.E GOUVERNEMENT BYZANTIN ET LES POPULATIONS INDIGENES 303
nées entre le littoral et les chotls. C'étaient, entre le lac Triton
et la mer, les Mecales ou Imaclas \ et près d^eux la nombreuse
et puissante peuplade des Aslrices, dont le territoire^ assez
proche de la côte, s'étendait sans doute aux environs des postes
actuels de Médenine et de Metanieur*. Dans la même région,
Corippus place les Celiani, les Anacutasur ', les Urceliani * ; et
les principaux centres indigènes qu'il nomme dans leur voisi-
nage suffisent à indiquer approximativement l'emplacement
de ces peuples : c'est Zersilis, peut-être Gergis, sur le littoral
de la Petite Syrte; c'est Talalati (auj. Ras-el-Aïn, près de Tlalet)
et Tillibaris, jadis stations de la route de Tacapae à Leptis
Magna, et chefs-lieux de territoires militaires; c'est Gallica et
Marta(ouMarel), au sud-est de Gabès^ Plus loin, au nord des
chotts, dans l'intérieur même du pays byzantin^ d'autres tribus
occupaient tout le sud de la Byzacène^ ; les unes habitaient les
régions montagneuses qui avoisinent Gafsa, si du moins l'on
doit, avecTissot, reconnaître dans le haut sommet de TAgalum-
nuslecôneduDjebel-Arbet,etdanslasoIidechaîneduMacubius
le massif puissant du Djebel-Younès^ ; d'autres, et plus impor-
tantes, étaient cantonnées dans les steppes et les hautes plaines
qui forment le sud de la Tunisie. Parmi elles, la plus considé-
rable était celle des Frexes, dont le nom à peine modifié se
retrouve sous celui des Frechich et dont les territoires de
parcours s'étendaient sans doute, jadis comme aujourd'hui,
depuis Feriana (Thélepte) jusqu'à Thala et à Tébessa *. C'était,
i.Joh.Alf 75; m, 410. Cf. les Machlyea (Hérod., 4, 178; PtoL, 4, 3, 26).
2. Joh., II, 73; VI, 391 sqq. Cf. les •A(TTapouxs; (Ptol. 4, 3, 27). Tissot, IT,
p. 469, les place fort à tort dans « les régions les plus orientales de la Tripo-
litaine ».
3. JoA., II, 75.
4. Joh,, VI, 390. Cf. Veget., 3, 23.
5. Joh., II, 76-81. Cf. Gagnât, /. c, p. 749-752; Tissot, II, p. 692-693; Partsch,
p. XXXII-XZXIII.
6. Cf.JoA.,11, 344-347. Tandis que les Tripolitains s'éloigneront noslris ûb
oriSj dit ce passage, Ântalas se soumettra à Tempire. Gela indique qu'il est
établi dans le pays byzantin.
7. Joh., II, 69-72; Tissot, 1, p. 40-4!.
8. Id., II, 42 sqq.; Tissot, I,p. 470.
304 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
à Tépoque byzantine, Tune des plus redoutables entre les po-
pulations indigènes de cette région; sous son grand chef An-
talas, elle avait plus d'une fois tenu en échec les armées des
rois vandales, et, par le prestige de ses forces autant que par
le nom de son roi, elle exerçait sur les tribus voisines une au-
torité'incontestée. C'étaient les Silvacae et les Silcadenit, dont
la situation géographique nous est inconnue *, mais qui ap-
partiennent incontestablement au même groupe que les Frexes ;
c'étaient les Naffur, qui semblent établis dans le sud-est de la
Byzacène et que Ton trouve constamment associés aux entre-
prises d'Antalas '. Enfin^ plus au nord encore, et jusque dans
rintérieur de la province proconsulaire, les régions monta-
gneuses abritaient des tribus remuantes et mal soumises. Où
se trouvaient exactement établis les Silvaizan et les Macares
montagnards et nomades? on ne saurait le dire '. En tous cas
Partsch a démontré qu'on les rangerait à tort parmi les peu-
ples de la lointaine Maurétanie \ Du moins peut-on fixer avec
plus de précision l'emplacement de quelques autres popula-
tions. Les Cannes et les Silzactae occupaient la haute vallée
du Bagradas, vers le point où le fleuve s'échappe des monta-
gnes pour entrer dans la plaine % et sans doute ils couvraient
la contrée accidentée et difficile qui s'étend entre Khamissa
(Thubursicum Numidarum) et Soukarrhas à l'ouest, Chemtou
et le Kef à l'est. De même, dans la presqu'île du cap Bon,
dans le pays montagneux et boisé qui s'étendait depuis Curu*
bis (Kourba) jusqu'au promontoire de Mercure, des tribus
pillardes et mal sûres gardaient une demi-indépendance depuis
l'époque vandale % et laissaient ainsi, au milieu même du pays
byzantin, subsister de dangereux îlots de populations peu sou-
mises, toujours prêtes à soutenir de leurs soulèvements les at-
1. Joh., Il, 52-53.
2. Id,, II, 52; cf. PartBch, p. ix.
3. Joh., H, 62-64.
4. Parlsch, p. iz-x.
5. Joh,, II, 65-68; Tissot, I, p. 469-470.
6. /o/i., II, 56-61.
LE GOUVERNEMENT BYZANTIN ET LES POPULATIONS INDIGÈNES 305
taques tentées sur la frontière, et qu'il était d'autant plus né-
cessaire de pacifier complètement.
En Numidie, le massif montagneux deTAurès était devenu
le centre d'un état redoutable, capable de mettre en ligne de
nombreux cavaliers ; et la remuante ambition d'Iabdas, le
grand chef des tribus aurasiennes, aspirait à étendre en tout
sens la domination qu'il avait fondée ^ Un moment il avait
réussi à prendre possession des plaines fertiles qui bordent le
massif à l'est et à l'ouest S et en même temps qu'il poussait
des incursions jusqu'à la lisière du Tell, il s'efforçait de s'agran-
dir du côté du Hodna. Les succès du patrice Solomon avaient
momentanément arrêté le cours de ses succès et refoulé dans
leurs montagnes les tribus de TAurès. Néanmoins le prestige
d'Iabdas restait considérable, et son influence semble s'être
étendue au loin sur les populations sahariennes voisines des
versants méridionau^du massif; là en effet, autour du centre
de Badis, et dans toute la région qui s'étend vers l'est au sud
de la Byzacène*, vivaient des peuples nombreux qui semblent
avoir suivi la fortune du grand chef numide ; ils formaient sur
les confins du désert l'inépuisable réserve de toutes les inva-
sions et le refuge toujours prêt à recevoir tous les révoltés. —
Au nord des possessions d'Iabdas, d'autres tribus occupaient
dans l'intérieur du pays byzantin des portions du haut plateau.
C'étaient les peuplades qui obéissaient à Coutsina; jadis can-
tonnées en Byzacène, et chassées de leurs territoires à la suite
des événements de 535, elles étaient allées demander un re-
fuge et des terres au grand roi de l'Aurès»; et elles étaient
établies, à ce qu'il semble, sur les* versants septentrionaux de
la montagne. Partsch suppose qu'elles occupaient la.contrée
quiavoisine Lambèse ou Timgad*; peut-être les chercherait-
\.Bea. Vand., p. 463-466.
2. /rf., p. 466.
3. Joh., II, 140-149; 156-158; BelL Vand., p. 495.
4. Sur rArzugitaoa, cf. Partscb, p. xiv; Cagaat, p. 746: Tissot, l, p. 466.
5. BelL Vand., p. 448, 462.
6. Partsch, p. xtiii; Joh.^ Ui, 408 les appelle Masiracianae vires,
h 20
306 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
on avec plus de vraisemblance sur les limites mêmes de la
Byzacëne et de la Numidie, aux alentours ou à l'ouest de Thé -
veste. C'est près de cette ville, en effet que Solomon en
544 porta son quartier géoéral, précisément pour rallier les
contingents alliés de Goutsina * ; c'est dans la même région,
proche de la frontière des deux provinces, que Jean Troglita
vint s'établir en 517 ^ lorsqu'il voulut appeler à lui les troupes
des princes numides ^ Ea tout cas, et quelle que soit Texacle
situation de ces tribus, elles étaient cantonnées en Numidie'
et assez considérables pour pouvoir fournir jusqu'à 30,000 ca-
valiers. A côté d'elles, d'autres peuples obéissaient à un autre
roi indigène, Ifisdaias *; et dans les régions montagneuses de
la Numidie septentrionale, par exemple dans les ravins du
mont Pappua, subsistaient d'autres populations insoumises.
Ainsi il en allait en Numidie comme en Tripolitaine et en
Byzacëne : tandis que sur la frontière campaient des adver-
saires redoutables, prompts à saisir toute occasion d'attaque
ou de pillage, dans l'intérieur du' pays même se rencontraient
des confédérations ou des états indigènes assez importants
pour qu'il fallût compter avec eux et s'appliquer à assurer
leur soumission.
Nous connaissons beaucoup moins sûrement les tribus qui,
à répoi]ue byzantine peuplaient les Maurélanies, et on se fonde
à tort sur quelques similitudes de noms assez hasardeuses*
pour localiser dans cette région de l'Afrique plusieurs des peu-
ples nommés par Gorippus. Tout ce que nous savons, c'est
1. BelL Vand., p. 504; Partsch, p. zix.
2. Joh,, VllI. 143-149.
3. Bell. Vand., p. 515.
4. Joh., IV, 545-549. H éUit voisin de Coatsioa (Id,, VII, 244). Cf. ParUcb*
p. XXFIII.
5. On se trompe gravemeot en particulier, lorsque dans les Masaces du
poète on croit retrouver une des grandes peuplades de la Maurétanie (Cat,
Maurétanie Césarienne, p. '74-75). PourTauteur de l^Johannide, ie mot Mazeuc
comme celui de Massylus (cf. Joh., VI, 167, 450; IV, 137, 150; VI, 267, 517),
n'est autre chose qu'un terme général désignaot Tensemble des popalations
berbères. Cf. Partsch, p. ix-x, et Schirmer, De nomine et génère popuhntm
qui Berberi vuigo dicunluTy p. 42-46.
LE GOUVERNEMENT BYZANTIN ET LES POPULATIONS INDIGÈNES 307
que dans ces contrées presque entièrement soustraites àl*au^
forité impériale, de grands chefs indigènes s'étaient, depuis
la fin du V* siècle, taillé de vastes principautés. Dans le sud
de la Sitifîenne, dans cette région du Hodna .qu'occupaient
au IIP siècle les Babari Transtagnenses \ commandait au vi«
siècle un prince du nom d'Orthaias ', et Ton admettra sans
peine que, dans le massif du Babor, subsistaient toujours ces
indomptables montagnards, dont Rome avait si difficilement
réprimé les révoltes et si soigneusement surveillé le pays '. La
plus grande partie de la Maurétanie Césarienne appartenait au
roi Mastigas, dont les possessions semblent avoir touché à
celles d'Orthaias*; de lui dépendaient peut-être aussi ces tribus
de la Grande Kabylie, qui sans nul doute vivaient dans leurs
montagnes au vi* comme au iv* siècle, ces Masinissenses, ces
Isaflmsesy dont le souvenir s'est conservé dans les noms mo- •
dernes des Msisna et des Flissa, toutes ces peuplades jadis
formées en confédération sous le nom de Quinquegentanei^ et
qui avaient donné tant à faire aux armées romaines'. Plus
loin, à Touest de Césarée, tout le pays jusqu'à Gadès était
soumis aux Berbères* : c'est là, dans le sud du Tell oranais,
^r les plateaux qui séparent la Tafna du Chélif, que s'éten-
dait ce curieux royaume moitié indigène, moitié civilisé, que
gouvernait au vi" siècle, avec le titre de « roi des Maures et
des Romains », un chef du nom de Masuna, et qui paraît avoir
subsisté jusqu'au moment de Tinvasion arabe '. Les états de
ce prince, qui semblent fort étendus, confinaient-ils, comme
on Ta cru, du côté de l'est, à ceux d'Iabdas *? On ne saurait
le dire. En tout cas, comme les autres grands chefs que nous
1. Cat, /. c, p. 71; Tissot, I, p. 460.
2. Bell Fand.,p. 466.
3. Cat, /.c, p. 71.
4. Bell. Vand., p. 465, 501.
5. Cagoat, /. c, p. 55-56.
6. Bell. Vand., p. 451.
7. Id., p. 465; C. /. L., VIII, 9835: La Blanch^re, Voyage d'études dans la Mau-
rétanie Césarienne (Areh. des Miss., X, p. 90-99) et Musée d^Oran, p. 17-19.
8. La Blanchëre, Voyage, p. 92.
308 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
venons d'énumérer, Massonas s'est trouvé en relations avec
Byzance, et la diplomatie grecque parait avoir étendu le cercle
de son influence jusque dans les régions lointaines où il
commandait *.
Depuis la Tripolitaine jusqu'à la Tin gitane, toutes ces tribus,
de même race et de même langue, avaient un caractère et des
mœurs à peu près semblables. Assurément, suivant la nature
du pays qu'elles habitaient, suivant le contact plus ou moins
prolongé qu'elles avaient pris avec la civilisation romaine, des
différences se remarquaient dans leur état social. Tandis que
dansles régions montagneuses et dans les plaines fertiles, vi-
vaient des populations sédentaires qui cultivaient la terre, sur la
limite du désert, au contraire, ou dans les vastes steppes propres
au pâturage^ la vie nomade persistait*. Dans les solitudes qui
s'étendent au sud de la Tripolitaine, dans les grands espaces
découverts du haut plateau numide, sans cesse les indigènes
se déplacent, poussant devant eux leurs troupeaux de moutons,
de chèvres et de bêtes à cornes, traînant à leur suite leurs
femmes, leurs enfants, leurs richesses, menant au vi*" siècle
encore l'existence décrite jadis par Salluste, a errant sans
autre demeure que la place où la nuit les contraignait de
s'arrêter' ». Pour porter leurs personnes et leurs modestes
bagages, ils ont le cheval, le mulet, et en Tripolitaine le cha-
meau. Celui-ci est employé tout à lafoisconmebétede charge,
comme monture et comme animal de combat ^ et Corippus a
dessiné en des vers expressifs le pittoresque tableau du pesant
animal portant sur son dos la fortune du nomade, le berceau
des enfants, les ustensiles domestiques^ et, juchée au sommet,
la femme indigène avec ses nourrissons entre ses bras'. Dans
1. C. /. L., 9738. Sur ce texte, cf. La Blanchère, Voyage, p. 89-91.
2. Joh., 11,62, 156-161.
3. Sallaste, Jug., 17; Joh. IV, 598, 685, 613-618; 1074-1076; 1125-1126; Vil,
68-69, BelL Vand,, p. 453, 457-458.
4. Joh., VI, 194-195 ; II, 92-96; Bell, Vand., p. 348-349, 453. Cf. Tissot, 1,
p. 349-354.
5. /oA., IV, 1074-1077, VI, 82-86.
LE GOUVERNEMENT BYZANTIN ET LES POPULATIONS INDIGÈNES 309
les hautes vallées de TAurès au contraire, dans les plaines
fertiles qui bordent au nord le massif et jusque dans la région
aujourd'hui déserte qui avoisine la montagne par le sud,
ailleurs encore, des populations mieux fixées font produire au
sol africain des moissons abondantes^ et s*étahlissent à demeure
autour de centres permanents d'habitation.. Mais malgré cette
différence essentielle, par bien des côtés ces gens se ressem-
blent; tous mènent également cette vie rude et misérable que
Procope a décrite dans un passage célèbre : « Les Maures,
dit rhistorien^ habitent été comme hiver dans des huttes où
Ton respire à peine. Ni la neige, ni les chaleurs, ni aucune
autre nécessiténeleur font abandonner ces misérables retraites.
Ils couchent par terre ; seuls les plus riches d'entre eux s'éten-
dent parfois sur une peau de bête. Ils ne changent pas de
vêtement selon les saisons; en tout temps ils ne sont vêtus
que d*une tunique grossière et d'un manteau de rude étoffe.
Ils n'ont ni pain, ni vin, ni aucune des choses qui rendent la
vie agréable. Le blé, Tépeautre, l'orge leur servent de nour-
riture; mais ils ne savent ni moudre les grains, ni les faire
cuire : ils les mangent tout crus à la façon des animaux » *.
S'il y a quelque exagération dans ce dernier trait, que Procope
lui-même s'est chargé de réfuter', pourtant le reste du tableau
est si vrai qu'aujourd'hui encore tous les détails s'en retrou-
vent, « depuis la masure enfumée qui ne défend le Kabyle ni
du chaud, ni du froid et que rien ne peut lui faire abandonner,
jusqu'au burnous et à la gandoura déchiquetés et rapiécés
qu'on se lègue de génération en génération » \
Dans leurs gourbis [mapalia) couverts de feuillages, abrités
à l'ombre des roches ou au creux des vallées % l'existence est
pour les indigènes étrangement dure et difficile. Mais entre
les divers membres de la famille, les occupations se répartis-
1. Bell, Vand., p. 495-496, 502; JoA., II, 15';-157.
2. Bell, Vand., p. 435.
3. Id., p. 438.
4. Tissot, I, p. 486. Cf. Cat, /. c, p. 63.
5. JoA., II, 63.
310 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
sent avec ime singulière inégalité. Tandis qne rhomme
s'adonne aux exercices violents et s'habitue dès Tenfance au
métier des armes, tandis que, cavalier infatigable, il est tou-
jours prêt à partir en razzia ou en guerre, la femme vaque aux
rudes travaux domestiques : c'est elle qui écrase le blé sous
la lourde meule de pierre et qui fait cuire sous la cendre la
galette dont vivra la famille; c'est elle qui élève la hutte,
soigne les chevaux et les bêtes de somme, elle qui fourbit les
armes, afin d'épargner à l'homme toute autre fatigue que celle
des combats*. En fait, dans la société berbère du vi*» siècle,
la femme^ sauf quelques exceptions, n'est guère autre chose
qu'une servante, et la polygamie contribue à entretenir cet
état d'infériorité. Sur ce point, en effet, ni la civilisation ro-
maine, ni le christianisme ne semblent avoir rien changé aux
vieilles habitudes des Berbères '. C'est ce qu'atteste entre
plusieurs textes un curieux passage deProcope. En 534, Solo*
mon reprochait aux indigènes d'exposer par leur soulèvement
la vie de leurs enfants que le gouvernement impérial retenait
comme otages : « Vous autres, lui répondirent les Maures,
pouvez avoir souci de la vie de vos enfants, puisqu'il ne vous
est permis d'épouser qu'une seule femme; pour nous, qui en
prenons jusqu'à cinquante, si l'occasion s'en trouve, les en-
fants ne nous manqueront jamais* » ; et, en effet, les chefs
indigènes, grands ou petits, les Medisinissa comme les labdas,
entretiennent tous un véritable sérail* : sur ce point, pas plus
que pour les habitudes de la vie nomade, l'invasion musulmane
n'a rien innové en Afrique.
Par la physionomie extérieure comme par la nature morale,
tous ces indigènes se ressemblent étrangement. Les pieds
nus, les bras nus, ils se drapent dans un grand burnous de
toile, qui parfois est teint d'une éclatante couleur rouge^ et
1. Bell. Vand., p. 438 ; Joh,, IV, 1076-1077; Bell. Vand., p. 453.
2. Cf. Gat, /. c, p. 66.
8. Bell. Vand., p. 449.
4. Id,, p. 452, 500.
LE GOUVERNEMENT BYZANTIN ET LES POPULATIONS INDIGÈNES 311
autour de leur tête ils enroulent un ample morceau d'étoffe*;
comme armes, ils ont un petit bouclier de cuir» une large et
courte épée, deux solides javelots* ; comme monture ces che-
vaux infatigables et rapides qu'ils montent souvent à cru et
dirigent avec une simple baguette*. Cavaliers merveilleux,
fantassins adroits et souples, ils sont, on l'a vu, adnîirable-
ment organisés pour la lutte, et savent unir la plus brillante
valeur militaire à toutes les habiletés de la guerre de surpri-
ses et d'embuscades. Au moral, ils sont enclins à l'enthou-
siasme, crédules aux excitations de leiirs chefs, prompts à
reprendre courage au lendemain même des plus grandes
défaites. Fort superstitieux, ils écoutent religieusement tous
ceux qui se flattent de prédire l'avenir : ils ont dans leurs
prophétesses une aveugle confiance, et sur les affaires les plus
graves ils ne se décident que d'après leurs oracles*. Avec
cela froidement cruels '^ sans pitié pour l'ennemi vaincu ou
sans défense, ils se plaisent au pillage, à l'incendie, au mas-
sacre; ils sont avides de butin, de captifs et dW. Enfin leur
perfidie est proverbiale : pour leur esprit naturellement chan-
geant et mobile^ les promesses les plus solennelles, les enga-
gements les plus sacrés sont chose vaine. « Chez les Maures,
dit Procope, il n'y a ni crainte de la divinité ni respect des
hommes. Ils ne s'inquiètent ni des serments prêtés ni des
otages livrés, quand bien même ce sont les enfants ou les
frères de leurs chefs ; il ne peut y avoir de paix avec eux que
s'ils sont tenus en respect par la crainte de l'ennemi »•. Co-
rippus s'exprime de même, et si les vers sont médiocres, la
pensée en revanche trouve une justification éclatante dans
l'histoire tout entière de l'Afrique byzantine :
Si Victor Romanus erity famulantur, adorant,
1. Joh., U, 130-13T; VIH, 189-192.
2. W., II, 114-115; 150155.
3. Tissot, I, p. 334-359.
4. BeU. Vand., p. 443; Joh,, III, 87-88; VI, 153-155.
5. Bell. Vand., p. 449.
6. Id., p. 443.
312 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Et sola hos faciet victrix fortum fidèles
Conceptusque timor^.
Toujours prêts à la trahison, sans scrupule ils changent de
parti et font défection jusque sur le champ de bataille. « Les
Maures, dit encore Procope, n'offrent, absolument aucune
sûreté» (àôéSatst ^ravxdhtadtv ovts^)' : incapables de demeurer
fidèles à personne, ils se défient de tout le monde, même
des gens de leur propre race; et en fait, les rivalités de famille
à famille, les haines de chef à chef, les guerres privées de
tribu à tribu se rënoontrent à chaque page de l'histoire do
vi" siècle. Par là encore, à Tépoque byzantine, les indigènes
d'Afrique ont gardé tous les caractères qui distinguaient leurs
ancêtres, tous ceux que l'on retrouve chez les Berbères d'au-
jourd'hui*.
La physionomie des grands chefs est plus instructive, plus
significative encore. Parmi les princes indigènes que nous
voyons en relations avec le gouvernement impérial, plusieurs
nous sont assez bien connus, pour qu'on puisse, durant trente
ou quarante ans de suite, saisir les traits de leur caractère et
les vicissitudes de leur destinée. Voici Antalas, 1-un des prin-
cipaux rois de la Byzacènc ; rien ne montre mieux que son
histoire ce qu'est alors une vie africaine. Au moment où il
naquit, vers Tannée 500 sans doute, son père, Guenfan, était
le chef de la tribu des Frexes*, faible encore et peu puis-
sante*, et probablement soumise à Tautorilé des rois van-
dales. Dès ses premières années, les prophétesses maures pré-
disaient à l'enfant ses grandes destinées futures; le jeune
homme allait bientôt se charger de réaliser ces oracles. A
dix-sept ans, il débute par ces vols de bestiaux qui ont été
1. Joh., IV, 449-452.
2. Be/l. y and,, p. 519. Cf. p. 517.
3. Cat, /. c, p. 65-66. Cf. Hanoteau et Letourncux, La KabyHt et lescoutumes
kabyles, II, p. 11-20, surtout 12.
4. Joh., lU, 66-67. Sur la date, cf. Partsch, p. vi.
5.70/1,111,153.
/
I
I
LE GOUVERNEMENT BYZANTIN ET LES POPUUTIONS INDIGÈNES 3i3
de tout temps le jeu ordinaire des indigènes d'Afrique, et par
son habileté, son audace, il se fait une manière de répu-
tation*. Il attire à lui quelques compagnons et> devenu chef
de bande, il étend le cercle de ses pillages et accroît l'im-
portance de ses razzias*. Pour le mettre à la raison, le gou-
vernement dirige contre lui quelques détachements: il ose
les attendre, les met en déroute, et son prestige augmente
d'autant'. Le voilà chef des Frexes, et à la tête des cavaliers
de sa tribu, il se risque à tenir la campagne, non plus en bri-
gand^ mais en révolté : il enrichit les siens par d'heureux
ravages, et bientôt^ attirés par l'app&t de ces succès faciles,
éblouis par la gloire du jeune chef, d'autres tribus, celle des
Naffur en particulier^ viennent s'associer aux entreprises
d'Antalas, et un grand état indigène commence à naître dans
le sud*. La faiblesse d'Hildéric achève de fortifier Fautorité
du prince berbère. Les troupes vandales envoyées contre lui,
surprises et cernées au milieu des bois, dans un défilé res-
serré et abrupt, épuisées par la chaleur et la soif, incapables,
dans un terrain difficile, d'employer utilement leur cavalerie,
subissent une sanglante défaite % et dans la Byzacène ouverte,
les Maures d'Antalas se répandent jusqu'au littoral, rava-
geant tout sur leur passage'. Ainsi, à trente ans à peine,
l'obscur prince des Frexes s'était fait le chef d'une vaste et
puissante confédération. Avide de parvenir^ ambitieux sans
scrupule, tout moyen lui sera bon désormais pour accroître
Ja puissance qu'il a conquise. Quand les troupes impériales
débarquent en Afrique, sans hésiter il se soumet à Bélisaire,
pour faire reconnaître sa royauté par le général byzantin ^ ;
quand en 834 une partie des tribus se soulève, il se garde de
1. Jo., m, 159-160.
2. W., ni, 173-176.
3. /d., m, 178-179.
4. W., m, 184-197.
5. /d., m, 198-261; BsU. Vand., p. 349.
6. Aed., p. 340; Vie de S. Fuigence, c. 65(MigDe, Pair, laL, t. 65, 150).
7. BelL Vand., p. 507, 406.
314 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
. faire cause commune avec les insurgés; la défense de Tindé-
pendance nationale est pour lui un mot vide de sens, et dans
la guerre qui éclate il trouve double avantage : celui d*ètre
vengé de voisins quMl déteste, sans doute parce qu'ils ont
. refusé d'accepter sa suzeraineté^ celui de s'agrandir à leurs
dépens par la grâce du gouvernement impérial. En effets
après la victoire, il est investi en Byzacène d'une autorité su-
prême sur toutes les tribus maures^, et pendant dix ans il est
l'ami des ducs, des magistrimilitum byzantins; il s'empresse
à toute réquisition de mettre ses contingents sous leurs ordres ;
il combat avec eux et s'enorgueillit de leurs victoires*. Mais
cette fidélité intéressée ne saurait avoir des racines bien pro-
fondes : il prétend qu'on le paie grassement, qu'on le comble
d'égards et d'honneurs; le jour où un gouverneur osera le
traiter en sujet et lui infliger une punition^ aussitôt sous le
prince romanisé reparaît le chef indigène, et contre ses com-
pagnons d'armes de la veille, il fomente une formidable insur-
rection. Violent, cruel, avide de sang et de pillage, d'ailleurs
d'une bravoure réelle, bien qu'un peu théâtrale, il conduit
une guerre implacable contre celui qui Ta offensé. Mais au
moment où il paraît le plus acharné à la lutte, toujours le
souple et rusé Berbère garde les caractères distinctifs de sa
race. Il a beau, dans son vaniteux orgueil, affecter de traiter
l'empereur en égal, au fond il est prêt à se soumettre, pourvu
qu'on accorde à son ambition et à ses haines les satisfactions
auxquelles il croit avoir droit' ; il négocie avec tous les partis,
prêt sans scrupule à se vendre au plus offrant, et tour à tour
il passe, selon qu'il espère y trouver avantage, du parti de la
révolte à celui de l'empire, pour retourner ensuite au camp
des insurgés^. Ce sont les causes accessoires qui déterminent
son esprit changeant et mobile; il suffit le plus souvent que
Coulsina, son vieil ennemi, soit d'un côté, pour que tout
1. Bell, Vand,, p. 462, 504.
2. JoA., II, 29-30, 34-35; IV, 362-364, 369-371.
3. Bell. Vand., p. 506-507.
4. id., p. 509, 517, 523, 533.
LE GOUVERNEMENT [BYZANTIN ET LES POPULATIONS INDIGENES 315
aussitôt il se jette de Tautre; il suffit que son ambition déçue
s'irrite, qu'il se croie joué par quelqu'un, pour que sans tar-
der il change d'attitude et d*alliance. Au vrai, il se préoccupe
fort peu de chasser les Byzantins de l'Afrique : qu'on lui
assure la possession de la Byzacène, un fort subside, Tappui
d'un détachement régulier qui fera de lui le plus puissant des
rois berbères, il n'en demande pas davantage ^ Il se conten*
tera à moins encore; une défaite sérieuse brise son énergie,
et il sera trop heureux, pour finir, de redevenir le vassal fidèle
et dévoué de Justinien^
Voici Coutsina maintenant. Gelui-Ià n*est qu'un demi-Ber-
bère, fils d'un chef indigène et d'une femme romaine', et
quoique soulevé un moment contre Tautorité byzantine^, il
a pour souci principal, après la sévère leçon qu'il a reçue, de
faire au plus tôt sa paix avec l'empire. Bien qu'on Tait chassé
de ses possessions de Byzacène et contraint à chercher en
Numidie de nouveaux territoires, il est bien vite devenu l'ami
fidèle de ce Solomon qui Ta vaincu*. C'est que d'une part
* Coutsina déteste Antalas autant qu'Antalas hait Coutsina, et
le soulèvement de Tun entraîne nécessairement le dévoue-
ment de l'autre. C'est que d'autre part le prestige de l'empire
agit puissamment sur ce grand chef. Il est fier d'être un demi-
Romain, « aux mœurs civilisées, à la gravité toute latine »*.
II rappelle volontiers sa naissance qui le fait « presque Ro-
main par le sang et tout à fait par le cœur^ ». Plus que des
30,000 cavaliers indigènes qu'il conduit au combat, il s'enor-
gueillit du titre demaçister militum que lui a décerné l'empe-
reur*; il éprouve une joie d'enfant à commander un détache-
1. Bell. Vand., p. 516.
2. Bell. Goth., p. 549-550.
3. /oA., iV, 511-512, 1095-1096 ; VIU, 271.
4. BeU. Vand,, p. 448.
5. JofL, ni, 406-407.
6. Id.j IV, 512. « Moribas ornatus placidis, gravitate latina ».
7. Id., IV, 511. « Animo Romanus erat, nec sanguiDe longe n.
8. id., VI, 267; VU, 268; Vill, 270.
316 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
ment de troupes régulières*, et tout son brillant courage
s'emploie à achever la ruine des gens de sa raceV II se pique,
dans les circonstances graves, dans le désarroi d'une défaite
ou le trouble d'une sédition, de rester, comme un civilisé
qu'il prétend être, fidèle à sa parole et à ses alliances*.
Parfois sans doute le Berbère l'emporte; vienne une belle
occasion de piller, la tentation de faire du butin sera la plus
forte, et sans grand scrupule il se jettera dans l'insurrection;
parfois aussi, entre les partis en présence, il exécutera une
série de brusques et déconcertantes volte-faces, au double
gré de ses haines et de ses intérêts ; mais au fond il est tou-
jours prêt à revenir à Tempire, dût-il pour cela trahir sur le
champ de bataille ses confédérés berbères^. Lui aussi, comme
Ântalas, s'inquiète peu de l'indépendance nationale ; comme
lui, il s*accommode sans peine d'être « l'esclave de la majesté
impériale » ; et malgré quelques défections passagères, il res-
tera jusqu'à sa mort Tun des meilleurs soutiens de l'autorité
byzantine en Afrique.
Voici labdas encore. Celui-là c'est un grand et redoutable
ambitieux, à qui rien ne coûte pour agrandir son pouvoir : il
fait assassiner Méphanias son beau-père; il s'entend avec un
de ses voisins pour en dépouiller un autre dont il convoite le
territoire ', et à la tête de sa nombreuse cavalerie il pousse
en tous sens ses courses de pillage. D'une haute taille, d'im
courage éprouvé^ il a parmi les siens un prestige sans égal*;
son habileté ne le cède point à sa vaillance, et à l'abri de ses
inaccessibles montagnes, il sait épuiser ses adversaires par
une longue guerre d'embuscades^. Il semble inflexible dans
son opiniâtre résistance; plutôt que de céder il se laissera
1. /o., vu, 268-271.
2. Jd., vin, 268-269.
3. id., VI, 268; VIII, 121-129.
4. BeH. Vand., p. 517.
5. Id., p. 465.
6. Id,, p. 464.
7. Id.y p. 466467.
LE GOUVERNEMEiNT BYZANTIN ET LES POPULATIONS INDIGÈNES 317
chasser de ses états ^ Mais au foad ce vaillant, cet habile
manque du saag-froid nécessaire aux vrais politiques; il se
décourage et perd la tète quand il faudrait persister ; il laisse
passer le moment quand il faudrait agir. EnS37, alors qu'il
dépend de lui d'écraser Tarmée byzantine, il reste neutre, puis
il négocie avec le patrice Germanos * ; en 546, il paraît en
vainqueur devant Carthage, et puis tout à coup il abandonne
ses alliés et se contente d'observer les événements; il finira
même, bon gré mal gré, par envoyer ses contingents grossir
les forces impériales et il contribuera ainsi à Técrasement final
de la grande révolte de 548 '. C'est que lui aussi, malgré ses ap-
parences plus farouches et plus rudes, n'est qu'un Berbère
impressionnable et mobile, incapable d*un dessein longuement
suivi, d'une idée qui dépasse le cercle de ses intérêts particu-
liers. C'est que ses antipathies et ses haines guident trop sou-
vent ses résolutions ; et ainsi il finira lui aussi, quoique plus
tardivement, par céder comme les autres, et comme eux il
acceptera la suzeraineté de l'empereur.
C'est qu'au vrai ni les tribus ni les chefs qui les commanden t
n'éprouvent aucune répugnance à recevoir les ordres de Jus-
tinien. Comme tous les barbares, ils ont gardé un respect pro-
fond pour le souvenir et le nom de Rome ; et leur premier
soin après les succès de Bélisaire, fut de solliciter du général
impérial la confirmation de leurs souverainetés : « C'est, dit
Procope, un usage chez les Maures qu'aucun de leurs chefs
ne se considère comme tel tant que l'empereur des Ro-
mains ne lui a point donné les insignes du pouvoir ; or, comme
ces princes avaient reçu leur investiture des Vandales, ils ne
considéraient point leur autorité comme sûrement établie^ ».
J'ai signalé déjà la lettre si caractéristique adressée à Justinien
par Antalas révolté : elle met pleinement en lumière les senti-
i. Beti. Vand,, p. 500.
2. W., p. 487.
3. Joh., vil, 277-280.
4. BeU, Vand.y p. 406.
318 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
ments qui animent tous les rois indigènes ^ : s'il s'est soulevé,
ce n'est point par amour de Tindépendance nationale ; c'est
uniquement pour venger la mort de son frère» et Tinjure
qu'on lui a faite à lui-même ; s'il s'insurge, ce n'est point
contre Terapereur, mais contre le gourverneur, qui s'est mon-
tré son ennemi personnel ; il est tout prêt à déposer ces armes
qu'il n'a prises qu'à contre-cœur, pourvu qu'on donne satis-
faction à sa haine et qu*on répare Tinjustice dont il a été vic-
time, et hautement il proclame qu'il veut être le vassal,
'd'esclave de la majesté impériales, d En fait, tous ces princes
sont fiers de servir sous les drapeaux de Byzance ; ils aspirent
à prendre rang dans sa hiérarchie militaire, à frayer avec ses
ducs et ses patrices, à mériter les titres sonores qu'elle décerne
à ses dignitaires. A cet égard, la prétention d'Antalas, deman-
dant qu'en échange de son contours on mette sous ses ordres
1,500 soldats romains, est singulièrement significative \ et ce
qu'Antalas réclame, Coutsina l'obtient ; autour de lui, il a
comme garde un détachement de troupes byzantines, et il ne
se tient pas d'aise de les commandera Voyez Màssonas encore;
avant même la venue des Grecs, il s'intitule « roi des Maures
et des Romains », tant il sent, pour assurer son autorité sur
les cités maurétaniennes, le besoin et l'importance d'un titre
qui le rattache à l'Empire. El dès la seconde année delà domi-
nation byzantine, nous le voyons offrir ses services à Solomon
et rechercher son alliance^. Dansées conditions, des relations
régulières devaient nécessairement s'établir bien vite entre
les gouverneurs d'Afrique et les grands chefs berbères; et
malgré les soulèvements fréquents qui devaient troubler le
bon accord des deux parties, un système régulier de rapports
1. Èell. Vand., p. 506-507.
2. Sar cette dette du sang, qui aujourd'hui s'appelle la rekba, cf. Uaooteao
et Letourneux, /. c, i. III, p. 60-70.
3. Beil. Vand.^ p. 506 : SoOXoç tt); arjc ^ao-iXeiac.
4. W., p. 516.
5. /oA., Vil, 268-271.
6. Bell. Vand,, p. 465.
LE GOUVERNEMENT BYZANTIN ET LES POPULATIONS INDIGÈNES 319
poliliques(^ militaires et religieuxallait rapidement se fonder.
Sans doute ce ne fut jamais, même pour les tribud canton-
nées dans l'intérieur du territoire, une annexion véritable, sou-
mettant les indigènes à l'administration impériale ; mais en
les plaçant dans une sorte de vassalité, la diplomatie byzan-
tine réussit à étendre bien au delà même des frontières de la
province Tinfluence de TEmpire et le respect de Rome.
II
En général, lorsqu'une tribu indigène consentait à faire sa
soumission au gouvernement impérial, une convention for-
melle et précise réglait les rapports futurs des deux parties*.
Corippus fournit un exemple intéressant des négociations qui
accompagnaient ces traités d'alliance*. Pendant la campagne
de 547, Tarmée byzantine avait pénétré sur le territoire des
Aslrices. Pleins d'épouvante, les Berbères envoient une am-
bassade au général grec, chargée de demander la paix et de
prêter entre ses mains hommage à Justinien. Et il faut voir
en quels termes, mêlés de flatterie et d'humilité, les envoyés
s'adressent au maghter militum; certes l'auteur de la Johan-'
nide n'a ici rien inventé, tant les sentiments et le style s'ac-
cordent avec ce que nous connaissons des indigènes. « Le
bruit de la réputation du patrice, disent-ils, de sa loyauté, de
son courage, est parvenu jusqu'à eux et les a attirés vers lui;
ils sont heureux de recevoir ses ordres; ils sollicitent son
alliance et d'avance acceptent ses conditions ; ils sont, pourvu
qu'on les épargne, prêts à lui obéir aveuglément. » Prudem-
ment, comme gage de ces belles promesses, le général exige
qu'on lui livre des otages, et il jure, si la tribu veut observer
la paix, qu'elle vivra tranquille et florissante sous l'autorité
du prince. Puis, pour sceller l'alliance, il comble de présents
1. BelL Vand., p. 504, 506-507.
2.Joh., Vï, 391-407, 425-433.
320 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
les députés; ceux-ci de leur côté s'engagent à servir Tempire
romain. Les préliminaires de la convention sont arrêtés, et
Justinien peut s'enorgueillir de compter en Afrique quelques
vassaux de plus.
Ce n'est pas tout : un traité formel est signé par écrit; les
chefs de la tribu prêtent hommage et font serment d'être pour
le basileus de fidèles et dévoués serviteurs^; comme garants
de leur foi, ils remettent entre les mains du gouverneur leurs
parents les plus proches, leurs enfants, leurs frères*; enfin,
comme signe de la suzeraineté byzantine, ils reçoivent une
véritable investiture de leur commandement. Procope nous a
conservé, dans un curieux passage, la liste des insignes de
souveraineté qui leur sont remis au nom du prince' : c'est
un b&ton d'argent incrusté d'or, un diadème d'argent, un
manteau blanc, — nous dirions un burnous de commande-
ment, — qui s'attache sur Tépaule par une fibule d'or, une
tunique blanche ornée de broderies, enfin des chaussures
relevées d'ornements d'or. Des cadeaux somptueux accompa-
gnent l'envoi de ces insignes; et à ce prix les chefs indigènes
se déclarent les vassaux, les « esclaves de la majesté impé-
riale ». Pour récompenser leurs services ultérieurs, le gouver-
nement lient en réserve des faveurs de toute sorte : à ceux qui
se montreront loyaux et fidèles, une place sera faite dans la
hiérarchie des dignitaires byzantins ; ils recevront le titre de
magister militum ou de patrice ^ ; ils auront l'honneur de
commander quelques détachements de troupes régulières ; ils
auront même parfois, attachée à leur personne, une façon de
garde formée de soldats grecs *, utile précaution qui, sous
une flatteuse apparence, dissimule un moyen efficace de sur-
veiller leur attitude et d'assurer leur fidélité.
1. BelL Vand,, p 451.
2. /(2., p. 45;, 452, 406. .
3. id., p. 406-407. Cf. p. 502 : ^iS{^oXa toc vofuC&tuya.
4. Joh., VI, 267; VII, 268; VIII, 270. Cf. des eiemples analogues en Sjrrie
(Théophaae, p. 240, édlt. de Boor).
S.JoA., VU, 268-271.
LK GOUVERNEMENT BYZANTIN ET LES POPULATIONS INDIGÈNES 321
En outre — et c'est le point essenliel du traité — l'empe-
reur s'engage à payer à ces chefs un subside annuel dont le
chiffre est formellement déterminé, et qu'on appelle Vannona*,
£n échange de cette pension, le prince berbère s'engage avant
toute chose à rendre des services militaires dont nous déter-
minerons tout à l'heure la forme; de plus il se charge, en
échange de l'autorité qui lui est conférée, de maintenir dans
son district la paix parmi les tribus. C'est tout à fait ce qu'en
notre siècle on a nommé « la politique des grands chefs ». Pour
assurer la tranquillité en Byzacène, Solomon ne trouve rien
de mieux que de placer Antalas à la tète de toutes les tribus
de la région; ce chef s*est un des premiers déclaré le vassal
de Byzance ; il semble devoir garder une fidélité plus cons-
tante et plus sûre que ses voisins ; on augmente donc sou
autorité, et à ce prix il sera, vis-à-vis du gouvernement, res-
ponsable de la tranquillité et du bon ordre dans toute 1 étendue
de son commandement'.
Toutefois un contrôle est nécessaire. 11 est évident que ce les
f/entes ne pouvaient pas être laissées à elles-mêmes; leurs
chefs indigènes devaient avoir besoin do la même surveil-
lance que nos caïds ou nos cheiks'. » Pour les maintenir dans
le devoir, pour s'assurer aussi que la tribu remplit les obliga-
tions qui lui sont imposées, des pouvoirs fort étendus sont con-
h.BeU, Vand.y^, 504, 507 ; Malalas, p. 495. Cf. Mommsea {Hermès^ xxiv, p. 220)
et Gagnât,/: c.,p. 745. Oo trouTe d'autres exemples daos Ménandre^p. 286-287
(Avares), 292, 377 (Syrie).
2 Bell. Vand.y p. 503-504. Aotalas est uo vrai vassal de Tempire {Joh., II, 346-
347). Les écrivains arabes — à la vérité d'époque fort postérieure — men-
Uonnent une autre obligation encore imposée aux tribus. « Les Zenata et les
Berbères qui habitaient les campagnes témoignaient aux Francs un certain
degré d'obéissance : ils payaient Timpd/ aux époques fixées » (Ibn Khaldoun,
Hiêt. des Berbères, ni,p. 191): et ailleurs le même bistorien parle des Berbères
« qui avaient précédemment, payé l'impôt à Uéraciius, roi de Constantinople »
{ibid., I, p. 208). La chose n a rien d'invraisemblable, et on peut remarquer, en
faveur de cette affirmation, qn'Ibn Khaldoun a fort exactement défini les autres
obligations imposées aux indigènes : toatelois les textes contemporains ne
laissent rien entrevoir de semblable.
3. Gagnât, /. c, p. 330-331.
I. 21
322 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
fiés au gouverneur général et aux ducs de chaque province.
C'est à eux que les indigènes sont tenus de venir présenter
les réclamations qu^ils ont à formuler'; c'est de leur main,
dans la capitale de chaque duché, que les chefs viennent rece-
voir les subsides qui leur sont alloués'. Sans cesse le duc
surveille les mouvements des tribus et leur altitude'; il règle
les relations de commerce qu'elles entretiendront avec le pays
romain ou avec les peuplades indigènes demeurées indépen-
dantes*; il donne les autorisations nécessaires pour franchir
le lim€s^\ parfois même il assigne aux tribus les cantonnements
qu'elles devront cultiver*. Viennent-elles à manquer à leurs
engagements, le gouverneur punit leurs chefs en supprimant
de sa propre autorité la pension qui leur est accordée "^ ; et si
quelque trouble se produit dans leur district, il peut les en
rendre responsables, les faire arrêter et même les condamner
à mort*. Parfois aussi, pour châtier une tribu, on lui coupe les
vivres' ou, par une exécution plus radicale encore, on va sac-
cagerses moissons'^; en tout cas, l'autorité byzantine intervient
sans cesse dans les affaires intérieures des Berbères; elle se
constitue arbitre des querelles intestines deschefs**; peut-être
même, en Afrique comme en Syrie, s'occupe-t-elle, à la mort
d\m des vassaux, de désigner parmi ses héritiers le successeur
qui lui agrée davantage *'. En fait elle considère les tribus,
1. Bell. Vand.y p. 502.
2. Id, p. 502; Malalas, p. 495.
3. Jo., VI, 221 sq.
4. Édil d'Anastase, n» 11.
5. /6rd.,noil.
6. Grégoire le Grand, Epist. {éd. des Monumenta)^ I, 73, parle des daliciorum
habitatores : ce sont les tribus soumises, que Tautorité byzantine déplace à vo-
lonté. Cr. pour une autre interprétation de ce passage : Mommsen, Die Beicirlh-
schaftung der KircfiengUter unler Papst Gregor /. {Zeilschr, f. Social- und
Wirlhschaftsgesc., I, p. 49, note 25).
7. BelL Vand., p. 504, 507.
8. /d., p. 504, 507. Joh., II, 28 ; IV, 365-366.
9. BelL Vand., p. 452.
10. Id., p. 502.
M.Joh.y Vil, 212-261.
12. Théophane, p. 2i0.
LE GOUVERNEMENT BYZANTIN ET LES POPULATIONS INDIGÈNES 323
celles du moins qui sont cantonnées sur son territoire, comme
de véritables sujettes; viennent-elles à se révolter en effet, ce
n'est point la paix qu'elle leur offre, c*est une véritable amnis-
tie^ après laquelle elles viendront replacer humblement leur
tête sous le joug accoutumé de l'empereur*.
Ce sont surtout les relations militaires que règle soigneu-
sement la convention. Les Byzantins savent bien, en effet,
quels admirables soldats peuvent leur fournir les tribus' ; ils
connaissent le courage des indigènes, les qualités de leurs
adroits fantassins, de leurs légers et infatigables cavaliers,
les ressources infinies de cette tactique berbère, si admira-
blement appropriée au pays; ils tiennent donc à les incor-
porer dans leurs armées, et, lorsque ces peuplades sont can-
tonnées dans le voisinage de la frontière, à les employer,
concurremment avec les limitanei à la défense des confins
militaires'. Aussi tous les traités renferment-ils une clause
par laquelle les tribus s'engagent à fournir leurs contingents
de troupes irrégulières*; et, en effet, à la première réquisition
du gouverneur général', les foederati ou gentiles^^ pour em-
ployer l'expression usitée dans les Codes, — les goumSy pour
me servir du terme moderne correspondant — rejoignent au
rendez-vous assigné les régiments de l'armée régulière. Lors-
qu'ils appartiennent à des populations fixées sur la frontière,
ils servent, de même qu'à Tépoque romaine \ et ainsi qu'il
est naturel d'ailleurs, sous les ordres du duc provincial chargé
de la garde du limes*. Dans les autres cas ils forment, en gé-
1. Beli. Kanrf.,p. 504;yo/i., 11,346-347.
2. Joh,, VI, 30-33.
3. Cf. Théophane, p. 335; Cagoat, p. 744-145.
4. JoA., VU, 63-65, ii8-l49. « Le» Zeaata et les Berbères qui babitaieut les
campagnes... prenaient part aax expéditions militaires des Francs (Ibn Khal-
doun, III, p. 191) et ailleurs : « Les Djeraoua prêtaient aux Francs Tappui de
leurs armes à chaque réquisition » (ibid.j III, p. 192).
3. /oA., m, 404; IV, 363.
6. léL, III, 410.
7. Gagnât, p. 745-746,
8. /oA.,m, 405.
324 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
néral sous le commandement direct de leur chef ou de ses
délégués^ des corps d'armée distincts des troupes régulières'.
Antalas, Goutsina, Ifisdaias sont eux-mêmes à la tête de leurs
contingents ; les cavaliers d'Iabdas sont conduits par son fils
et un officier auquel Corippus donne le titre de praefecitts*.
En apparence, aucune solde n est allouée aux fédérés; ce sont
leurs rois ou leurs chefs qui les paient, mais au moyen de
Vannona que leur verse le gouvernement'; souvent aussi,
pour stimuler leur zële, les généraux byzantins font distri-
buer aux alliés de larges gratifications \ En fait, et quoiqu'on
ne fasse pas toujours appel à leur concours, quoiqu'on se
borne parfois à mobiliser une portion seulement des con-
tingents indigènes^, les gentiles sont organisés comme de
véritables soldats de Tempire, et, comme à l'époque romaine %
il n'est point rare, au vi* siècle encore, de les voir envoyés
hors d'Afrique en expédition. Des auxiliaires maures servent
en Italie avec Bélisaire, et se rencontrent à Byzance parmi
les hommes de sa garde*; d'autres combattent en Orient,
dans les campagnes de Perse', comme jadis leurs ancêtres
combattaient en Syrie ou en Dacie.
Enfin des rapports religieux venaient compléter le système
inauguré par Byzance. Au moment où les armées impériales
reparurent en Afrique, ie christianisme avait, à ce qu'il semble,
perdu la plus grande part des conquêtes qu'il avait pu faire
jadis parmi les populations berbères. En Tripolitaine, toutes
les tribus professaient le paganisme^; s'il en faut croire Pro-
l./oA., IV, 509-514, 544-549; VU, 266, 280.
2. /d., Vn, 279.
3. Cf. Gagnât, p. 7i5.
4. Bell. Vand., p. 466.
3. Ed 547 Coutsina sert seul ; mais d'autres tribus restent fidèles^ et non
employées (Joh,, VH, 63-63, 148.149).
6. Cf. Gagnât, p. 333.
7. Bell. Golh., p. 26, 281.
8. Be/l. Pers., p. 244 ; Théophane, p. 220. Sous le règne d'Héraclius, des con-
tingents indigènes figurent dans Tarmée qni renversa Phocas (Nicéphore
patr., p. 3 (édit. de Boor) ; Jean de Nikiou (édit. Zotenberg), p. 541, 551.
9. Bell. Vand., p. 347.
LE GOUVERNEMENT BYZANTIN ET LES POPULATIONS INDIGÈNES 325
cope, l'oasis d'Augila était au vi* siècle encore le centre d'un
culte très ancien, célèbre parmi les tribus africaines^ où l'on
venait de toutes parts chercher des révélations prophétiques ^
(]orippus montre également les peuplades de cette région,
ayant pour principale divinité un dieu appelé Gurzil, dont
lerna, roi des Levathes, est le prêtre*, dont le nom sert dans
les batailles de cri de guerre à ses adorateurs, et dont Tidole,
emportée comme un fétiche au milieu des combats, est, à la
veille de la lutte, arrosée du sang des sacrifices'. En Byzacène
également, la plupart des tribus sont païennes ; on ne saurait
dire, à la vérité, si les dieux Sinifere, qu'on identifie à Mars,
et Mastiman, où l'on reconnaît un Jupiter infernal avide de
victimes humaines, appartiennent aux populations de cette
région ou à celles de la Tripolitaine*; mais en tout cas ni
Antalas ni son père ne pratiquent le christianisme. Guenfan
va demander à l'oracle d'Ammon le secret des futures desti-
nées de son fils^ ; et dans toute l'Afrique indigène, on écoute
pieusement les prédictions des prophétesses, auxquelles des
rites mystérieux viennent communiquer l'esprit divin •. L'ex-
tension de la polygamie ne prouve pas moins combien avait
été passagère l'influence du christianisme. De telles dissi-
dences devaient choquer gravement un empereur pieux, dévot
même, tel qu'était Justinien, « désireux, dit un historien, d'as-
surer non seulement la sûreté des corps, mais encore de
veiller au salut des âmes »\ Aussi, dès Tannée 533, proscri-
vit-il les païens au même titre que les ariens, les donatistes
et les juifs'; mais comprenant en outre que la conquête la
4. Aed. p. 333; Joh., III, 81 sqq.; VI, 145 éqq.
2. Joh.,U, 109; IV, 667.
3. W., IV, 683; VIII, 304; IV, 1138, 1146; VI, 116. Cf. El-Bekri(/. asial,, 185H,
p. 443-444), qui parle de« l'idole de pierre appelée Guerza » â laquelle u jusqu'à
nos jours, dit l'écrivain du xt« siècle, les tribus berbères des environs ofîreut
des sacrifices ».
4. Joh., IV, 681-682; VUI, 305-309. Cf. Partsch., p. xi-xii.
3. /oA., iil, 81 sqq.
6. /d.,UI, 86-101; VI, ir,3-15."i; BelL Vand., p. 413.
7. Aed., p. 333.
8. iVot;. 37, 8. ■ r -
326 HI.'^TOIHE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
plus efficace est celle qui fait accepter aux vaincus les mœurs
et les institutions du vainqueur^, il s'efforça, parmi les tribus
vassales de TEmpire, de répandre le christianisme. Aussi
bien la propagande religieuse fut-elle en tout temps une des
formes favorites de l'expansion byzantine. « L'Empire trou-
vait dans la religion Tunité qu'il ne trouvait ni dans la langue
ni dans la race. L'orthodoxie lui tenait lieu de nationalité'. »
Il se trouva qu'en Afrique la tâche fut relativement assez
facile. Les tribus berbères paraissent avoir professé un respect
instinctif pour le culte du (Christ, et, malgré de fréquents actes
de violence commis sur les édifices religieux et même sur les
personnes, une certaine vénération pour le clergé qui en était
le représentante En tout cas, Tœuvre delà conversion entre-
prise en Afrique par l'ordre impérial semble avoir été cou-
ronnée de succès, et avoir porté bien au delà des frontières
de la province Tinfluence de la diplomatie byzantine. Au sud
de la Tripolitaine, le christianisme pénétra jusque dans la ré-
gion lointaine des premières oasis sahariennes ; dans Toasis
d'Auglla,où jusqu'alors le culte d'Ammon avait subsisté avec
ses hiérodules, ses propbétesses et ses sacrifices, la popula-
tion entière se convertit, et une église fut bâtie en Thonneur
de la Théotokos '* ; la tribu des Gadabitani^ voisine de Leptis
Magna, et demeurée jusque-là païenne, accepta la foi ortho-
doxe^; les habitants de Ghadamès reçurent également la
foi chrétienne, et se soumirent en même temps, par un traité
formel, à la suzeraineté byzantine ^. Il est probable que cette
1. Nov, 21, praef,
2. Rambftud, VEmpire gree^ p. 272. Cf. Gasquet, Études byzanUneê, p. 73-Sl ;
Ducbesne, Les missions chrétiennes au sud de Vempire romain (MéL de tU^mt.
1896, p. 79-122).
3. BeU, Vand., p. 347, 504; Jo/i., Vil, 484-488.
4. Aed., p. 333-334.
5. id., p. 337.
6. îd,, p. 333. Cf. MorcelU, Africa christiana^ III, 303, qui place le (ait itn
348. On trouvera des détails fort intéressants sur la fai^n dont étaient con-
duites ces conversions dans Thistoire de Jean d*Éphëse. Il raconte, en effet,
de quelle manière furent amenées au christianisme, sous Justinien et ses suc-
LE GOUVERNEMENT BYZANTIN ET LES POPULATIONS INDIGÈNES 327
propagande religieuse, si efficace dans des contrées qui sem-
blent pour la plupart soustraites à Taction militaire des Grecs,
obtint chez les tribus cantonnées dans l'intérieur du terri-
toire dessuccespIuseclatantsencore.il est certain que sous les
successeurs de Justinien, Tœuvre continua avec le même bon-
heur. En 569, les Garamantes du Fezzan concluaient un traité
de paix avec TEmpire et se convertissaient au christianisme*;
au vu* siècle, les tribus établies aux alentours de Sabrata
avaient également renoncé au paganisme ^ Et ces triomphes de
la foi ne se limitaient pas à la seule Tripolitaine ; jusque dans
les Maurétanies l'orthodoxie faisait chaque jour des conquêtes.
An vrai, dans ce pays, où en 484 encore on ne comptait pas
moins de quarante-quatre sièges épiscopaux pour la SitiGenne
et cent vingt- trois pour la Césarienne', il est de toute évidence
que la propagande chrétienne devait trouver des apôtres ar-
dents et dévoués; et, en effet, non seulement dans les villes
de la côte on rencontre des évêques au commencement du
va*" siècle ; mais, à cette date, des communautés chrétiennes
subsistent dans l'intérieur du pays, à Labdia(Médéa),à Oppi-
dum Novum (Duperré dans la vallée du Chélif), à Timici '\
à Pomarium (TIemcen), à Altava (Lamoricière)*, dont l'in-
tluence s'est incontestablement fait sentir parmi les Berbè-
res d'alentour. Aussi voit-on vers 569 la tribu des Maccu-
ritae se convertir au christianisme •, et vers 573 envoyer à
Conslantinople une ambassade solennelle, chargée d'offrir à
l'empereur, comme gage d'amitié et d'alliance, des défenses
cesseurSfles populaUons de la Nubie, Nabadéens (royaume de Napata) et AIo -
déens (v. Jean d'Éphèse, édit. Schôafelder, IV, 8, 7, 8 (p. 141-145). 49 (p. 180-
181), 51, 52, 53 (p. 183-188).
1. Jean de Biclar, a. 569, édit. Moturnsea, p. 212.
2. Fourael, Le« Berbère t 1, 22, uote.
3. Nolilia episcoporum (dans l'édit. de Victor de Vit, donoéedaoâ les Monu-
menla),
4. By^anL Zeilsch,^ il, 26, 31-32, 34, et sur les idenUficatioas, Cat, /• c.
p. 188-189, 197, 198-202.
3. C. /. L., VIU, 9925, 9926, etc., jusqu'à 9968, 9869-9870, 9899.
6. Jean de Biclar, a. 569.
328 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
d'éléphants et une girafe vivante' ; or dans cette population^
il faut reconnaître sans doute les Maxxot}pat nommés par
Plolémée, qui habitaient au pied du massif montagneux de
^Ouarnsenis^ De même, entre Tiaret et Frenda, les curieuses
pyramides des Djedar attestent, par les emblèmes chrétiens
qui en décorent les salles, l'existence d'une dynastie indigène
catholique, puissante vers le vi* siècle dans cette portion du
Tell oranais*. Ainsi, sous le couvert de la religion, s'étendait
au loin l'influence byzantine ; et les officiers impériaux le
comprenaient si bien que dans leur pensée l'œuvre de la con-
version était inséparable de la conquête militaire^. Dans une
lettre significative, saint Grégoire félicite l'exarque Genna-
dius de faire la guerre « non point pour le plaisir déverser le
sang, mais dans le désir d'étendre les limites du pays chré-
tien, afin que, par la prédication de la foi, le nom du Christ se
répande en tout sens parmi les tribus soumises » ^. Sans
doute, sur quelques points particuliers, cette propagande si
active échoua ; les dissidents ariens, donatistes et juifs, bru-
talement expulsés par les édits de Justinien, allèrent cher-
cher un asile chez les tribus berbères, et plus d'une fois ils y
arrêtèrent le progrès de la foi orthodoxe. Ce fut le cas en
particulier dans la Numidie méridionale, où le donatisme
1. Jean de Biclar, a. 573.
2. Moniin8en,édii.desAf.G.£r.,p. 212;Cat,/.c.. p. 75-76. Jean d'Ephèseiiomme
en Nubie les Makoura païens (IV, 51, 53) ; mais ces populationit, en 580, ne
sont pas conyerties encore. U ne faut donc point se laisser induire en erreur
par une similitude de noms. Cf. Duchesnc, /. c, p. 87. On notera an contraire
que Jean de Biclar a déjà parlé, à une date antérieure, de la conversion des
Makourites : Maccuritarum gens his temporibus Christi fidem recepit (a. 569) (éd
Mommseu, p. 212). On ne saurait donc confondre ce peuple avec les Makoura.
de Nubie.
3. La Bianchëre, Voyage d'étude, p. 86-87, 98-99. Sur la date des Djedar, Mtuét
d'Oran, p. 25-26.
4. Cf. Greg. Magoi EpisL, 4, 25. De même les guerres deJeanTroglita eut
les allures d'une Téritable croisade (Joh., 1, 151, 268-270, 295 ; IV, 269-284, 686).
5. Greg., SpisLf 1, 73. Sur les moyens employés pour la conversion, et où la
persuasion se môle étrangement aux rigueurs administratives, cf. Greg., 8, ! ;
4, 26; 9, 204. Ces textes s'appliquent à la Sardaigne, mais on peut ciboire que
les mêmes principes gouvernèrent le reste de l'exarchat d'Afrique.
LE GOUVERNEMENT BYZANTIN ET LES POPULATIONS INDIGENES 329
gardait à la fin du vu siècle de nombreux partisans^; ce fut
le cas aussi dans TÂurès, où l'on signale au vu* siècle un
certain nombre de tribus juives, et dans les ksour du Sa-
hara, où des peuplades nombreuses semblent avoir professé
la religion d'Israël'; pourtant d'une façon générale, le catho-
licisme se maintint ou s'étendit sous la domination grecque
dans une grande partie de l'Afrique; et plus d'une fois la re-
ligion cimenta les liens de vassalité établis entre les tribus
indigènes et le gouvernement byzantin.
Dans la nomenclature officielle, les populations indigènes
qui étaient entrées, dans les formes que nous venons d'expli-
quer, en relations politiques, militaires et religieuses avec
l'Empire, étaient désignées par le terme de Mauri pacifici
ou IlaxaToc (pacati)^. Malheureusement avec beaucoup d'en-
tre elles, les conventions les plus solennelles étaient impuis-
santes à maintenir une paix durable ; et, malgré quelques
rares exemples de fidélité, en général on n'employait point
sans quelque crainte ces auxiliaires changeants et perfides.
On savait que pour eux les serments les plus sacrés étaient
sans valeur, que les meilleurs traitements, les gratifications
les plus libérales étaient impuissants à assurer leur fidélité,
que la force seule était capable de les retenir dans le devoir,
que de leur part il fallait toujours attendre quelque révolte,
quelque défection ou quelque trahison^. Et, en effet, l'histoire
de l'Afrique au vi* siècle est pleine d'épisodes de cette sorte,
et Ton comprendrait avec peine comment l'autorité impériale
y put résister, si le caractère même des Berbères n'avait fourni
d'autre part à la diplomatie grecque les moyens de réparer
les désastres et de rétablir l'édifice menacé. Grâce à l'absence
de concert qui marqua toujours tous les efforts des indigènes,
grâce aux haines irréconciliables qui empêchèrent toujours
«. fireg.,A>w^, 1, 12-73; 2, 46; 4, 32; 5,3.
2. Foarnel,/. c, p. 211 ; iiep. de ConsL, 1861,p.llM21;lbnKlialdouzi, l,p.208-
209.
3. Joh,, IV, 999; VI, 596; Aed., p. 335; Jordaues, Homana, p. 52.
4. Bell. Fani;{., p. 443, 461, 511, 319; Joh., IV, 441-451; lU, 412; VI, 389-390.
330 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINK EN AFRIQUE
au moment décisif les grands chefs de s'entendre contre l'en-
nemi commun S la diplomatie impériale put sans peine semer
la division parmi ses adversaires et trouver parmi eux des
alliés inespérés ; avec de l*argcnt distribué à propos, de belles
promesses que souvent elle se réservait de ne pas tenir*, elle
rompit les coalitions les plus redoutables, brisa les plus for-
midables insurrections. Par cette habile politique, dix ans
après Tarrivée des Byzantins en Afrique, Solomon avait
réussi à placer successivement dans une réelle vassalité tous
les grands États berbères; à la date de 540, les principales
tribus de la Tripolitaine, Levathes, Ifuraces, Mecales^ accep-
taient la suzeraineté de TËmpire'; en Byzacène, Antalas ré-
pondait de la fidélité des populations berbères ^; en Numidie,
Coutsina était un allié dévoué', et labdas était, sinon soumis
encore, en tout cas réduit à l'impuissance ; les princes mêmes
de la Maurétanie sollicitaient l'investi ture byzantine; Orthaias
et Massonas étaient en relations amicales avec Solomon*; et,
comme le dit Corippus, « les chefs des Maures, tremblant
devant les armes et les succès de Rome, accouraient se placer
spontanément sous le joug et les lois de Tempercur »\ Sans
doute une crise terrible allait, dans les années suivantes,
ébranler profondément Tédifice si péniblement construit;
mais bien vite les rois indigènes devaient accepter de nouveau
leur condition passée, et revenir, vaincus^ se prosterner aux
pieds de Tempereur '. Dès les premières années de la conquête
byzantine, les bases étaient fixées qui, jusqu'à la fin du règne
de Justinien, jusqu'aux derniers jours mêmes de l'Afrique
grecque, devaient régler les rapports entre les États berbères
vassaux et le gouvernement impérial.
1. Beil. Vand., p. 517; Joh., VII, 244-246, etc. Cf. Hanoteau et Letouraeux,
l. n, p. 1-5.
2. BelL Vand,, p. 516; Joh., IV, 359; Partsch, p. xxiu.
3. Bell. Vand., p. 502; Joh., 111, 410-412.
4. BelL Vand., p. 5U3-504.
5. Joh., ni, 406-407.
6. Bell. Vand., p. 406, 465.
7. Joh., ni, 287-289.
8. Id., 1, 17-22.
LIVRE 111
L'AFRIQUE BYZANTINE VERS LE MILIEU
DU VI- SIÈaE
LIVRE III
L'AFRIQUE BYZANTINE VERS LE MILIEU DU VI» SIÈCLE
PREMIÈRE PARTIE
LA FIN DU RÈGNE DE JUSTINIEN (544-505)
CHAPITRE PREMIER
LA CRISE DES ANNÉES 545-546
Les mesares prises par Justinien pour réorganiser et dé-
fendre l'Afrique byzantine semblaient devoir assurer à la pro-
vince une longue sécurité. Sous le gouvernement tutélaire de
Solomon, le pays reprenait baleine et réparait lentement ses
forces « ; àTabri des garnisons et des forteresses de la frontière,
la contrée retrouvait cette richesse agricole qui jadis avait
fait d'elle Tun des greniers du monde romain; grâce aux heu-
reux efforts de la diplomatie grecque^ les tribus indigènes
elles-mêmes semblaient pacifiées; et dès 541, les délégués
africains envoyés à Constantinople pouvaient déclarer à Tem-
pereur que, sous sa bienfaisante autorité, leur patrie avait déjà
recouvré son ancienne prospérité*. Malheureusement les appa-
1. Joh., III, 342.
2. MorceUi, Africa chrisL, UI, p. 293. Noveiles (éd. Schoell), App, H.
334 HlSTOiKfi DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
rences étaient plus brillantes que la réalité : bientôt de nou-
veaux malheurs allaient fondre sur TAfrique, et l'on peut dé-
mêler sans trop de peine quelques-unes des raisons qui allaient
momentanément ébranler la grande œuvre de reconstitution
entreprise par Justinien.
Tout d'abord ces places fortes, qui couvraient d*un réseau
serré le pays tout entier, étaient peut-être trop nombreuses
pour assurer une défense vraiment efficace. Pour élever en
si peu d'années cette multitude de citadelles, il avait fallu plus
d'une fois sacrifier au désir de faire vite la solidité de la cons-
truction; aussi plusieurs de ces forteresses n'avaient-elles que
des remparts insuffisants S et quelques-unes d'entre elles de-
meuraient même inachevées. D'autre part, Tarmée d'occupa-
tion n était pas assez considérable pour tenir sérieusement
tous ces postes; beaucoup de places de seconde ligne pa-
raissent avoir été laissées sans garnison et simplement confiées
à la garde de leurs habitants '; et dans celles mêmes où étaient
établies les troupes impériales, souvent on ne rencontre que
des détachements très faibles, bons peut-être pour protéger
derrière des murailles la ville où ils étaient cantonnés, abso-
lument incapables de surveiller efficacement et de couvrir le
pays d'alentour^. Certes ces forteresses rendaient de réels
services en offrant aux populations des campagnes un asile
sûr et inexpugnable ^ ; certes leurs fortes murailles pouvaient
en général braver les attaques d*un adversaire maladroit à
l'art des sièges*; mais si, de cette sorte, elles assuraient aux
villes une relative sécurité Je plat pays restait ouvert à toutes
les attaques, exposé à toutes les razzias des Berbères. Au
pied de ces citadelles impuissantes, dont les défenseurs assis-
taient inactifs aux pillages et aux incendies, les légers cava-
i. Joh., 1, 406-408; Bell. Vand.y p. 509.
2. Bell, Vand., p. 508, 510.
3. /d., p. 463, 509-510.
4. /d., p. 512.
5. Id., p. 508. Cf.[8ur le mode d'attaqae nécessaire pour enlever une pUcc
bytantine, Aed,^ p. 211.
LA CRISE DES ANiNËES 54^-346 335
liers indigènes passaient sans s'arrêter, et plus d'une fois, ils
pousseront leurs pointes audacieuses jusque sous les murs de
Carthag^e*. Ainsi le système d'occupation, si savamment com-
biné en apparence, demeurait en réalité assez inefficace * ; mal-
gré ses dispositions si ingénieuses, si compliquées, en fait, les
frontières étaient insultées et forcées, le pays ravagé, les habi-
tants surpris et traînés en esclavage. Pour éviter ces misères,
pour obtenir de ces citadelles innombrables le résultat qu'on
en attendait, il eût fallu quelque chose de plus : une armée
très forte capable de tenir la campagne et de faire tête à l'en-
vahisseur, une diplomatie très habile, capable de prévenir les
desseins des Berbères, et de les maintenir en tranquillité. L'une
et Tautre chose malheureusement manquaient à la fois dans
l'Afrique byzantine.
Malgré les énergiques efforts du palrice Solomon, la décom-
position de Tarmée d'Afrique n'avait pas été arrêtée, et plus
que' jamais elle souffrait des maux qui l'avaient affaiblie na-
guère. L'administration militaire était plus que jamais pi-
toyable; malgré les sommesconsidérablesaccumulées au trésor
de Carthage^ constamment la solde était en retard*. Les corps
de limitanei mal organisés, mal payés, se disloquaient^; le
service des vivres et des convois, mal préparé, mal surveillé,
1. Bell, Vand., p. 513-516, 533.
2. Sar les inconréDients du système de i*occapation byzantine, je relève
ane remarque caractéristique faite par un écrivain militaire de ce temps, et
qui montrera combien en ce pays d'Afrique les choses ont peu changé :
« Le général de Lamoricière pensait que la soumission complète de T Algérie
n'était pas au-dessus de nos forces, mais que, pour Taccomplir, il fallait chan-
ger de fond en comble les vieux errements et passer résolument de la défen-
sive à C offensive-, qne pour cela il fallait plonger dans Tintérieur, non pas
au moyen de petites garnisons, sans puissance et sans action, retranchées der-
rière des murailles et submergées dans le flot indigène, mais au moyen de
fortes colonnes mobiles parcourant le pays eu tous sens, vivant sur lui, nour-
rissant la guerre par la guerre et frappant sans relAche dans leurs intérêts,
jusqu'à ce qu'elles demandassent grâce, ces populations dont nons n'avions
pu encore vaincre Thostilité. » (Général du Barail, Mes Souvenirs, 1, p. 110-lli),
3. Bell. Vand., p. 532.
4. Id., p. 520; Joh., VIII, 81.
0. Proc, Hist. arcana^ p. 135.
336 niSTOIHE DE LA* DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
faisait échouer toute expédition sérieuse '. L esprit des troupes
était détestable. Dans ces régiments presque uniquement com-
posés de mercenaires, on ne rencontrait nulle trace de patrio-
tisme, nul attachement au drapeau. Ne cherchant dans la
guerre que l'occasion de faire fortune, mécontent de tout ser-
vice un peu dur, lassé de tout effort un peu persévérant, le
soldat avait glissé à une indiscipline effrayante. Pour soutenir
son zèle, il lui fallait Tappàt du butin : comme le dit Corippus,
sans aucune intention ironique',
Virtutemque novat captae spes addita praedae.
Aussi, sur le champ de bataille même, le soldat réclamait
sa récompense^; et si l'énergie du général prétendait ajourner
le partage des dépouilles, Tarmée se répandait en menaces, et
au premier engagement se vengeait, en se battant mal, du
prétendu tort qu'on lui avait fait. S'agissait-il d'entreprendre
quelque expédition un peu difficile, aussitôt les troupes se
plaignaient des fatigues de la marche, de l'insuffisance des
vivres, des rigueurs du climat^ ; en présence même des dépu-
tés ennemis reçus au camp romain, elles exprimaient tout
haut leurs insolentes doléances*; et si le commandant en chef
montrait quelque velléité de résistance, une sédition écla-
tant dans le camp se chargeait de lui apprendre son devoir*.
Les ordres reçus demeurent lettre morte : à la veille de la
bataille, les soldats se dispersent; au jour du combat, ils
s'engagent sans attendre le signal, et sans scrupules aban-
donnent leurs officiers au milieu du périr. Aucun respect
de l'autorité : à chaque instant, on menace les chefs de
mort*, et parfois l'exécution suit la menace. Toujours prêtes
1. BeU. Vand., p. 467-468; Jofc., VI, 309-325.
2. Joh., VI, 7.
3. Bell, Vand,, p. 505.
4. Joà., VI, 309-365; VIII, 65-84. Et pourtant Corippus n'a que de« éloges
pour l'armée byzantine .
5. id., VI, 408-411.
6. /d., VI, 364, 365; VIII, 50-51.
7. Id., VI, 375-378, 498-504, 602-603, 697-700.
8. Id., VIII, 87-88; 102-104.
LA CRISE DES ANNÉES 545-5(6 337
à la trahison, les troupes n'hésitent pas même à passer au
parti de l'insurrection ; et les prisonniers faits dans une ba-
taille s'en vont tout naturellement grossir les rangs du vain-
queur*. Les officiers d'autre part, encouragés par le souvenir
d'un Slotzas, rêvent de faire fortune et de se proclamer
rois ; tout au moins, la plupart d'entre eux se jalousent et se
combattent, sans s'inquiéter si l'Afrique porte la peine de
leurs mésintelligences privées*. Pour faire pièce à un gé-
néral dont il croit avoir à se plaindre^ l'un refuse de se battre
et assiste impassible à la dévastation du pays^; pour causer
la défaite d'un rival détesté, l'autre s'abstient de marcher à
son aide et le laisse écraser \ Celui-ci négocie sous main avec
les chefs indigènes pour renverser le gouverneur^; celui-là,
tombé aux mains des Berbères, rachète sa vie par une trahi-
son*. Avec une armée de cette sorte, tout dépend donc de la
personne du général; s'il déplaît aux troupes, s'il paraît trop
exigeant ou trop sévère, on lui refuse l'obéissance, on l'aban-
donne sur le champ de bataille ; ou bien dans les camps, on
intrigue pour le jeter à bas, on s'entend contre lui avec les
indigènes, on suscite des séditions, des révolutions même; et
l'armée partagée en deux partis, déchirée par ses dissensions
intestines, s'affaiblit en luttes stériles, s*épuise en batailles
civiles, au plus grand détriment de la province confiée à sa
garde. Sans doute, si le chef réussit à conquérir l'affection de
ses soldais, il les tiendra dans sa main, et à sa suite il les
conduira où il voudra, jusqu'à la révolte même contre l'empe-
reur; c'est ainsi que nous verrons Iléraclius et Grégoire trouver
dans leurs troupes le plus fidèle appui de leurs soulèvements.
Mais au lieu de généraux capables d'exercer quelque influence
sur l'armée, de la dominer par une invincible énergie ou de
1. BelL Vand., p. 510-511, 513.
2. /d., p. 506, 513-514.
3. W.„p.506, 513.
4. W., p. 514.
5,1(1., p. 515-516.
6. Jd., p. 510.
1, 22
338 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
la gagner par une ferme bienveillance, Justinien semble,
comme à plaisir, avoir, après la mort de Solomon, confié le
gouvernement militaire d'Afrique aux plus médiocres de ses
lieutenants. Quand on voit l'attitude des troupes, officiers ou
soldats, à l'égard d'un Sergius ou d'un Aréobinde*, on com-
prend que les plus solides forteresses n'aient pas pu suffire à
défendre un pays laissé à l'abandon et trahi par ceux-là
mêmes qui avaient charge de le protéger.
Du moins, à défaut d'une armée disciplinée et solide, une
diplomatie quelque peu habile à l'égard des indigènes aurait
suffi peut-être à assurer la sécurité de la province. Rien
n'était plus aisé, on Ji'a vu, que de diviser les tribuis berbères;
aucun sentiment national n'existait chez elles, capable de
réunir longtemps leurs forces pour un commun et redoutable
effort; aucune enlenle ne rapprochait leurs chefs, dont cha-
cun poursuivait une politique personnelle, pour le bien de ses
intérêts particuliers. Tous les rois indigènes ne demandaient
qu*à entrer dans la clientèle romaine, qu'à devenir les vas-
saux de l'empereur, qu'à ranger sous les drapeaux de By-
zance leurs contingents de cavaliers. Pourvu qu'on mit le
prix à leurs services, qu'on leur laissât les apparences d'une
demi-indépendance, qu^on assurât à leurs tribus des terri-
toires de parcours suffisants pour vivre et qu'on leur garantit
à eux-mêmes de sérieux avantages en honneurs, en argent,
en considération, ils étaient prêts à promettre et même à
garder une absolue fidélité^ aussi longtemps du moins que
les armées impériales pourraient, au besoin par la force, im-
poser le respect des traités. Les Byzantins l'avaient compris
tout d'abord. Bélisaire, puis Solomon avaient, on l'a vu, pra-
tiqué non sans succès cette politique. Malheureusement la
diplomatie grecque ne sut point s'y tenir avec une assez habile
modération; par leurs imprudences, leurs caprices, leurs ma-
ladroites rigueurs, leur façon de traiter en sujets et en vaincus
les populations berbères, les gouverneurs d'Afrique finirent
1. Bell. Vand.y^. 506, o20.
L\ CRISE DES ANNÉES 545-5i6 339
par exaspérer les tribus, et ruinant en un jour Tœuvre si
laborieusement édifiée, ils suscitèrent une crise redoutable où
faillit sombrer la domination byzantine.
Eofin^ au moment même où toutes ces causes de faiblesse
et de troubles se réunissaient pour exposer la province à de
nouveaux dangers, une circonstance accessoire, affaiblissant
ses ressources défensives, rapprochait encore pour elle le
péril déjà si prochain. En Tannée 343, la grande peste qui
venait de ravager si cruellement TOrienl tout entier et la
capitale ^ s'abattit également sur l'Afrique et la dépeupla
lamentablement. L'armée en particulier fut fort éprouvée par
l'épidémie et ses effectifs s'affaiblirent d'une façon inquiétante* ;
en même temps, la population civile était non moins grave-
ment atteinte ^ Tandis que cette calamité attristait le pays
byzantin, la maladie au contraire épargnait les tribus indi-
•gènes*. L'occasion était favorable pour un soulèvement : le
système de défense créé par Justinien croulait de toutes parts.
Le moindre incident allait suffire à allumer l'insurrection.
II
L'habileté qu'avait montrée dans la réorganisation et l'ad-
ministration de l'Afrique le patrice Solomon lui avait — et
à juste titre — mérité la faveur de Justinien. Pour récom-
penser les services que rendait le glorieux général, Tempe-
reur combla sa famille d'honneurs et de dignités : en l'an-
née 543, ilnommadeuxdeses neveux gouverneurs deprovince*.
L'un, Cyrus, fut chargé d'administrer la Cyrénaïque, qui
dépendait du diocèse d'Egypte*; l'autre, Sergius, fut envoyé
1. Vict. TonQ., a. 342 (p. 201); Partsch., /. c, p. xvi-xvii.
2. Joh., 111, 387-388.
3. /d., 362.
4. /d., 388-389.
3. BelL Vand.,p, 501-502.
6. Hieroclès, Synecdemos, édit. Burckhardt, p. 47*
340 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
comme duc en Tripolitaine. Cétait là, au moins pour le second
de ces personnages, un choix assez malencontreux. Orgueil-
leux, débauché, avide, dissimulé, par surcroît peu courageux,
ce jeune homme réunissait en lui quelques-uns des pires
défauts des administrateurs byzantins*. Infatué de sa richesse,
de sa situation, de sa puissance, ne se croyant tenu à ména-
ger personne, il prodiguait à ses officicrset à ses subordonnés
les affronts et les insolences; par ses raffinements d'élégance,
par le luxe de sa table, par ses mœurs lâchées et molles, il
choquait et inquiétait tout ensemble; par sa vie privée, son
amour effréné des plaisirs, il scandalisait son entourage et
portait ombrage aux populations ; enfin son goût de Targcnt
promettait une administration détestable, et sa lâcheté dou-
blée de perfidie achevait d'indisposer les esprits contre lui.
Mais il était neveu du pacificateur de l'Afrique, il avait épousé
une nièce d'Antonine, la femme de Bélisairc et la favorite de*
Théodora, il se savait bien en cour ; et confiant dans sa for-
tune, il semble s'être mis tout aussitôt à traiter en pays con-
quis la province qui lui fut confiée.
Sur les frontières occidentales de la Tripolitaine était
établie la grande tribu des Levathes. Elle croyait avoir à ce
moment fort à se plaindre des Byzantins. Pour des raisons
qu'on ignore, les troupes grecques en effet avaient ravagé
son territoire, brûlé ses moissons, et à la suite de ces actes
d'hostilité, la paix menaçait d'être troublée*. Aussi dès l'ar-
rivée du nouveau gouverneur, les chefs berbères se présen-
tèrent à Leptis Magna, autant pour exposer au duc leurs
doléances, que pour renouveler entre ses mains, selon l'usage,
leur hommage el recevoir de lui l'investiture de leur comman-
dement^. Sergius consentit à entrer en pourparlers avec eux :
et confiants dans le serment solennel qu*il prêta sur l'Évangile
de n'attenter ni à leur vie ni à leur liberté, quatre-vingts dé-
1. BelL Vand., p. 506-507; Hist, arcana, p. 41-42; Joh., II, 36-39.
2. BelL Vand., p. 502.
3. M., p. 502.
LA CRISE DES ANNÉES 545-546 341
pulés, choisis parmi les principaux de la tribu, se rendirent à
rinvitation du gouverneur. Malheureusement Tinsolence de
Sergius provoqua un grave incident : comme il se levait pour
rompre Tentretien, sans vouloir accorder aucune des répara-
tions demandées, un des Maures s'avançant le retint par un
pan de son manteau, et les autres indigènes Tentouraient de
sollicitations tumultueuses^ lorsqu'un des gardes du gouver-
neur, tirant Tépée, abattit un Berbère à ses pieds. Ce fut le
signal d*un massacre général auquel un seul des chefs indi-
gènes parvint à échapper*. On eut beau, pour couvrir ce guet-
apens d'une excuse plausible, répandre le bruit que les
envoyés avaient formé le projet d'assassiner le duc : la per-
fidie, peut-être préméditée de Sergius, n'eut pas moins de
très graves conséquences. Furieux d'une si lâche trahison,
les Levathes se ruèrent sur Leplis Magna : en vain, dans un
brillant combat livré en avant de la ville, les Byzantins mirent
les indigènes en complète déroute ; à la nouvelle du massacre
de Leplis, toutes les tribus delà Tripolitaine se soulevaient,
et bientôt le péril fut assez pressant pour que, désespérant de
résister avec ses seules forces, Sergius crut devoir appeler à
son aide le gouverneur général de l'Afrique grecque *.
A ce moment, l'insurrection ne dépassait point encore les li-
mites de laTripolitaine. Malheureusement, vers le même temps,
h^oiomon venait de blesser cruellement le plus puissant des
chefs de la Byzacène, Antalas^. A la suite de quelques mo ve-
ments qui avaient troublé la province, le patrice avait fait
arrêter et mettre à mort Guarizila, le frère de ce roi; et sans
égards pour la longue fidélité que, depuis dix années, ce der-
nier gardait à l'alliance byzantine, il lui avait supprimé la
pension que lui servait le gouvernement impérial. Outré de
ces procédés d'une brutalité assurément bien impolitique.
1. Bell. Vand.j p. 502-503; Hisi, arcana, p. 41.
2. Bell. Vand., p. 503.
3 W., p. 503-504; /oA., il, 28; IV, 365-366.
342 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Antalasne respirait que vengeance*; aussi, quand il apprit le
soulèvement des Levathes, il n'hésita pas à prendre les armes :
appelant à lui les tribus insurgées, il leur montra Tarmée
grecque affaiblie, la province ouverte, le pillage facile, et joi-
gnant ses propres forces à celles des gens de la Tripolitaine,
il se mit à ravager cruellement tout le sud de la Byzacène*
(544).
Les circonstances devenaient graves : pour résister à cette
formidable invasion, Solomon rassembla en hâte toutes les
forces disponibles de la province. Outre Tarmée régulière, il
croyait pouvoir compter sur une partie des indigènes. En
Tripolilaine, deux grandes tribus avaient refusé de s'associer
à la révolte et mettaient leurs contingents à la disposition du
patrice^; dans le sud de la Numidie, Goutsina, qui avait ou-
blié ses défaites de 535 pour devenir Tallié dévoué des Ro-
mains, était d'autant plus empressé à amener ses trente mille
cavaliers, qu'il se sentait directement menacé par la haine
d'Antalas, depuis longtemps soa irréconciliable ennemi\
Pour faire plus rapidement sa jonction avec les Berbères de-
meurés fidèles, peut-être aussi pour dégager Goutsina déjà
attaqué% Solomon alla s'établir sur les frontières de la Nu-
midie et de la Byzacène, dans la forte position de Théveste :
il y trouva Tennemi en masse si considérable, que d'abord, se
défiant de ses troupes, il songea à négocier; et, pour éviter la
bataille, il fit offrir aux indigènes une amnistie pleine et en-
tière pour leur soulèvement*. Ge fut en vain : il fallut en venir
aux armes. Un premier engagement fut heureux; on reprit
aux rebelles une partie de leur butin, et l'effet de ce premier
succès fut assez considérable pour déterminer Anlalas abattre
1. Sur la rebka ou dette du sang, voir ïlanoteau et Letourneux, /. c, III,
p. 60-70.
2. Bell. Vand,, p. 503-504: /o/*., III, 393-400.
3. Joh., m, 409-412.
4. ;d., III, 405-408.
3. Parisch, /. c, xix.
6. BelL Fanf/.,p.504.
LA CUISE DES ANNÉES 54-J-ii46 343
en retraite vers le sud^ Solomon se mit à sa poursuite : une
seconde et plus importante bataille s'engagea dans la plaine
de CillJum» L'armée byzantine, mécontente de son général,
qui, quelques jours auparavant, lui avait refusé le partage des
dépouilles, saisit avec empressement Toccasion de montrer
son indiscipline; elle se battît mal, et bientôt, cédsoit à la
masse des assaillants, peut-être aux suggestions de quelques
traîtres ^, elle prit la fuite, abandonnant sur le terrain ses
armes, ses drapeaux et son chef* ; en même temps une partie des
contingents indigènes passaient à l'ennemi*. Vainement, avec
quelques hommes, Solomon essaya de résister; entraîné dans
la déroule, il dut à son tour prendre la fuite. Malheureusement,
sur le bord d'un profond ravin, son cheval buta et s'abattit :
remis en selle, mais trop cruellement contusionné pour pou-
voir poursuivre sa course, le patrice, cerné de toutes parts,
malgré l'héroïsme de ses gardes qui se firent tuer autour de
lui, succomba enfin sous les coups des Berbères, le premier
de cette longue série de gouverneurs militaires de l'Afrique
byzantine, glorieusement tombés [à l'ennemi pour la défense
de leur province (5t4).
III
Ce grand désastre eulpourTAfriquedeterriblesconséquen-
ces. Tandis que, aux extrémités de la Maurélanie, les Wisi-
goths, reprenant l'offensive, franchissaient le détroit de Gadès
et assiégeaient Septem •, les cavaliers berbères de leur côté
se répandaient à travers la Byzacène occidentale, incendiant
1. Bell. Vand., p. 503.
2. Vict. Tonn., p. 201 (a. 543). Cf. Partsch, p. xïx-xx.
3. Joh., m, 428-435; Bell. Vand., p. 305.
4. Bell. Vand., p. 505, 533.
3. Joh., III, 412-413.
6. Isidore de Séville, Hist. Golhorum (éd. Mommsen), p. 284. Cf., sur cette
intervention, Bell. Goth., p. 274, et sur la date, Dohn, Die Kônige der Germa-
neriy V, p. 121.
344 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
et pillant tout sur leur passage; et les contingents fidèles eux-
mêmes> déliés par la mort de Solomon de leurs engagements,
jugeaient le moment opportun pour se faire leur part de
butina Contre eux, Tarmée byzantine démoralisée par sa
défaite et la perte de son chef demeurait absolument impuis-
sante : seules, derrière leurs murailles, les villes fortes
firent quelque résistance *. Pourtant, si grave que fût la crise,
le mal n'était point irréparable. Antalas déclarait hautement
qu'il ne faisait pa§ la guerre à Tempereur^; les autres grands
chefs des tribus s'abstenaient de prendre parti dans la lutte;
les Levathes eux-mêmes, qui avaient donné le signal du
soulèvement et s'étaient montrés les plus acharnés au com-
bat, aspiraient à regagner leurs campements de Tripolitaine \
et après avoir poussé sur la route de Théveste à Carthage
jusqu'au pied des murailles de Laribus, ils s'arrêtaient au pre-
mier obstacle et s'en retournaient chez eux mettre en sûreté
leur butin. Enfin» l'armée des Wisigoths, cernée sous les mors
de Septem, subissait un grave désastre ^ Il n'était donc nulle-
ment impossible^ au moyen de quelques concessions habilement
faites, de désarmer l'insurrection. Au lieu de cela, une résolu-
tion généreuse mais imprudente de Justinien vint aggraver la
situation et fit éclater la crise. Pour honorer la mémoire du
général si vaillamment tombé à Cillium, l'empereur ne crut
pouvoir mieux faire que de lui donner pour successeur son
neveu Sergius*.
Cette nomination produisit dans toute l'Afrique un effet déplo-
rable \ Personne n'était plus mal fait que le nouveau patrice
pour réparer les maux qui accablaient la province. Par sa
lâcheté et ses habitudes de mollesse, il n'inspirait aucune con-
1. JoA., UI, 442, 454.
2. Bell. Vand,, p. 308. Cf. Joh., UI, 435-436.
3. Bell, Vand.y p. 506-507.
4. Id,, p. 508.
5. Isidore de Séville, l. c, p. 284.
6. Bell. Vand,, p. 506-507.
7. /d.,p. 506.
LA CRISE DES ANNÉES 545-546 345
fiance aux tronpes qu'il allait commander ; par son insuppor-
table arrogance, il allait s'aliéner bien vile les officiers qui
servaient sous ses ordres. Les populations civiles n'auguraient
pas mieus d'un débauché également avide d'argent et de plai*
sir : quant aux indigènes, ils avaient voué une irréconciliable
haine à l'auteur du guet-apens de Leptis. et ils déclaraient hau-
tement que jamais ils ne feraient la paix avec ce traître \ Aussi ^
à la nouvelle du choix impérial, l'insurrection prit de nouvel-
les forces : la plupart des tribus se jetèrent dans le soulève-
ment, et StotzaSy qui depuis sept ans suivait du fond de la
Maurétanie les événements et attendait son heure, crut le
moment venu de reparaître en Byzacène *. Avec les Vandales
demeurés fidèles à sa fortune et un gros de soldats romains
trop compromis jadis pour avoir pu se soumettre^, il vint re-
joindre Antalas. et mettre à la disposition du chef berbère son
indomptable énergie, ses connaissances tactiques et Tappui
de ses réguliers. Pendant ce temps, Sergius se brouillait avec
le meilleur des officiers de l'armée byzantine, Jean, fils de
Sisinniolus, qui semble avoir rempli les fonctions de magisler
peditum : outré de Taffront qui lui était fait, Jean refusa dé-
sormais d'accepter aucun commandement, et comme les trou-
pes hostiles à Sergius s'empressèrent de prendre parti pour
son adversaire, on eut le spectacle étonnant et jusque-là in-
connu d'une armée assistant, volontairement impassible, à la
complète dévastation du pays *.
On était au commencement de 545. Encouragés par cette
impunité inattendue, les tribus de Tripolilanie, les Maures
d'Antalas, les contingents de Stotzas poussèrent, incendiant
et pillant toutsur leur route, j usqu'aux environs d'IIadrumète *.
Ace moment, comprenant enfin la grandeur du péril, ému
surtout par les lamentations des populations civiles qui lui dc-
1. Bell. Vand., p 507.
2. W., p. 506.
3. W., p. 523.
4. /d., p. 506.
5. Id., p. 50^.
346 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
mandaient appui, Jean, (ils de Sisinnioliis, se décida — un
peu tard — à sortir de sa longue inaction. Prenant la roule
du sud, il envoya à Himerius, duc de Byzacène, Tordre de le
rejoindre avec toutes ses troupes 'dans la plaine de Mene-
phcse, à quelque distance d^Hadrumète, afin de marcher de
concert àrennemi\ Malheureusement il se trouva que, dans
l'endroit même assigné pour le rendez-vous, étaient campées
toutes les forces des révoltés. Himerius, qui Tignorait et qui
ne put être rejoint à temps par les courriers de Jean chargés
de lui porter contre-ordre, vint donner en plein, avec son fai-
ble détachement, au milieu de Tarmée indigène. Ce fut à peine
une bataille*. Abandonné de la plupart de ses troupes, toutes
prêtes à passer au parti de Stotzas, le duc, après un court com-
bat, essaya avec quelques officiers et un escadron de cavalerie
de battre en retraite et chercha un refuge dans la petite re-
doute de Cebar', construite sur une colline qui dominait la
plaine : il espérait sans doute y tenir assez longtemps pour
donner au magister Jean le temps d'accourir à son aide. Mais
bientôt, cerné de toutes parts, sentant ses soldats ébranlés par
les discours de Stotzas, il se rendit sous promesse de la vie^
C'était !a ruine de tous les projets de résistance; l'armée de
Byzacène n'existait plus, les hommes qui la composaient, ses
officiers même s'étaient empressés de se mettre au service du
vainqueur' ; peu après la capitale de la province tombait aux
mains des Berbères, le duc Himerius ayant, pour sauver sa
personne, consenti à se prêter à une ruse qui ouvrit aux re-
belles les portes d'Hadrumète^ : il ne restait à Jean qu'à battre
en retraite vers Carthage; et quoiqu'il y fût bientôt rejoint par
i. Bell. ran(/., p. 509. Corrippus prétend qu'une fausse dépêche futenToyée
à Himerius par Antalas, afin de Tattirer dans le gaet-apens (7oA.. IV, 11-27).
Sur la situation deMenephese, Tissot, U, p. 160-162.
2. BelL Yand., p. 509-510 ; Joh., IV, 27-48.
Z.Joh., IV, 41.
4. /d., IV, 49-59.
5. Bell. Kanrf., p.510.
6. W, p. 510; Joh,, IV, 61.
LA CRISE DES ANNÉES 545-546 :m
les débris des troupes défaites à Menephesc, et dont une por-
tion put sans grande peine s'échapper du camp des tribus*,
cependant si nombreuses étaient les défections, si faibles et si
mal sûres les forces byzantines disponibles, qu'on n'osa se ré-
soudre à tenir la campagne. D'ailleurs, de nouveau la discorde
régnait dans le haut commandement. Jean, de nouveau mé-
content de Sergius, refusait de combattre*, et c'est àTinitia-
tive ingénieuse et hardie d'un particulier — et même d'un
ecclésiastique — que fut du le seul succès de la campagne, la
reprise d'Hadrumète^. L'épisode est trop caractéristique du
désarroi qui régnait alors dans l'Afrique byzantine pour ne
point mériter d'être rapidement raconté.
Un prêtre de la ville nommé Paul, voyant la faiblesse de la
garnison laissée par les indigènes, s'entendit avec quelques-
uns des principaux de la cité pour la remettre sous l'aulorité
impériale. Une nuit donc, il se fit, à l'aide d'une corde, descen-
dre du haut des murailles, et se jetant dans une barque de
pêche qu'il trouva au rivage, il réussit à gagner Carlhage.
Admis en présence de Sergius, il lui révéla ses projets, l'assu-
rant que le moindre eiïort militaire suffirait à faire tomber la
ville. Tous ses arguments ne purent avoir raison de la molle
indifférence du patrice, qui prétendait avoir à sa disposition à
peine assez de troupes pour garder Carthage. Finalement, il
consenlitpourtantàcounerau prêtre un détachcmentde quatre-
vingts soldats. Paul suppléaparla ruse àTinsuffisance de ses for-
ces : rassemblant tous les vaisseaux et toutes les barques qu'il
put trouver, il fit revêtir aux matelots l'uniforme des troupes
régulières et avec cette escadre improvisée il mit à la voile.
Arrivé en vue d'Hadrumète, il fit dire sous main à ses amis
qu*un grand événement venait de se produire à Carthage. Ger~
raanos,le neveu de l'empereur, le vainqueur de Cellas Vatari,
venait d'y débarquer avec une puissante armée, et tout aus-
1. BelL Vand., p 511; Joh., IV, 65-74.
2. B«//. Vand.j p. 513. Cf. Joh., IV, 78-81.
3. Bell. Vand., p. 511-512; /o/i., IV, 75-77.
348 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
sitôt il avait mis en route ua corps de troupes pour délivrer
Hadrumëte. Tel était le prestige de Tancieu gouverneur géné-
ral que son nom seul parut un gagede salut : la nuit suivante,
une porte de la ville fut ouverte aux impériaux» la garnison
surprise fut massacrée sans peine, la ville était rendue aux
Byzantins. Le piquant de l'affaire, c'est que le faux bruit ré-
pandu par le prêtre Paul gagna de proche en proche : à cette
nouvelle, Ântalas et Stotzas battirent précipitamment en re-
traite*, et à Carthage mème^ où pourtant on aurait dû savoir
à quoi s'^n tenir, on crut un moment, à l'annonce du succès
d'Hadrumëte, que Germanos était vraiment revenu. Mais ces
joies furent de courte durée. Bien vite rassurés, les Berbères
revinrent à la charge, « et se répandant partout, dit Procope,
ils firent, sans même avoir d'égards pour l'âge, subir aux Afri-
cains les plus indignes traitements. Alors la plus grande par-
tie des campagnes se trouva vide d'habitants ; les populations
échappées au massacre se réfugièrent partie dans les villes,
partie en Sicile et dans les îles; la plupart des personnages
considérables allèrent chercher asile à Byzance ; et avec une
hardiesse croissante, comme personne ne leur faisait résis-
tance, les Maures ravageaient et pillaient tout »*.
Il n'y aurait en qu'un moyen de porter remède à ces mi-
sères, et Tépisode d'Hadrumète le fait aisément pressentir.
Il eût fallu résolument rappeler Tincapable et détesté Sergius
et mettre à sa place Jean, fils de Sisinniolus, le seul général
de l'armée d^Afrique qui inspirât quelque confiance aux
troupes et quelque crainte aux Berbères^. Justinien ne lit ni
l'un ni l'autre. Tout en comprenant que Sergius était au-
dessous de sa tâche, il ne put se résoudre à le destituer; il
se contenta de lui donner un collègue, et par une inspiration
des plus malencontreuses, il choisit pour cet emploi le séna-
teur Aréobinde,qui avait épousé Préjecta, nièce de l'empereur*.
1. Bell. Vand., p 312.
2. 7c/., p. 512.
3. W., p. 513.
4. /rf., p.5l3.
LA CUISE DES ANNÉES 5io-346 349
Le prince espérait-il que celle haute parenté donnerait à
Aréobinde quelque autorilé sur Sergius et que le jeune patrice
témoignerait une certaine déférence aux conseils de son impor-
tant collègue ?En tout cas, Juslinien ne se préoccupa nullement
de régler nettement les rapports des deux chefs. Tous deux
furent égaux en pouvoir et parfaitement indépendants l'un de
Tautre : entre eux, également on partagea les provinces et
l'armée; la seule précaution que prit le prince fut d'assigner
à Sergius le soin de conduire la guerre en Numidie ; les opé-
rations militaires en Byzacène furent réservées à Aréobinde,
nouveau venu dans le pays, et qui n'était point, comme Ser-
gius, irrémédiablement compromis aux yeux des indigènes*.
Il était convenu en outre qu'en cas de besoin, les deux géné-
raux se prêteraient un appui réciproque; mais, malgré cette
réserve, d'ailleurs fort peu suivie d'effet, c'était bien mal à
propos énerver les ressources de la défense que d'ajouter à
toutes les causes de faiblesse qui ruinaient l'Afrique un nou-
vel élément de discordes et de rivalités.
On s'en aperçut sans tarder. Sans doute^ à la nouvelle de
l'arrivée d'Aréobinde et des renforts qui l'accompagnaient, les
Levathes, pris de terreur, battirent d'abord en retraite*. Mais
bientôt la mésintelligence avérée des deux chefs rendit cou-
rage aux rebelles; et, poussant jusque dans la Proconsulaire,
les Berbères^ comme s'ils voulaient couper l'une de l'autre les
deux armées byzantines, vinrent camper aux approches de
Sicca Veneria^. L'occasion était favorable pour les prendre
entre deux adversaires. Aussi Aréobinde mit-il aussitôt en
route l'élite de ses troupes, sous les ordres de son meilleur
général, Jean, fils de Sisinniolus; en même temps, il priait
Sergius de combiner ses mouvements avec ceux du corps de
Byzacène. Mais le patrice, trop heureux de prendre sa revanche
sur un rival détesté, n'eut garde de bouger, et Jean, déjà trop
engagé, sévit, malgré l'infériorité de ses troupes, obligé d'ac-
1. BelL Vnnd., p. 513.
2. JoA., IV, 82-85.
3. Beli. Vand., p. 513; JoA., IV, 99-102.
350 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
cepter la bataille*. Elle se donna près de Thacia (Bordj-Mes-
saoudi), sur la roule de Sicca à CarthageV Malgré la faiblesse
de Tarmée byzantine, elle commençait heureusement, lorsque
Stotzas, avec ses réguliers, réussit à rétablir la lutte; en vain»
dans un combat singulier, Jean lui-même attaqua et blessa à
mort le vieux rebelle : la chute de leur chef ne fit qu'exciter
davantage la rage des insurgés, et cédant sous le nombre, la
cavalerie byzantine se laissa enfoncer. Jean, désespéré^ souhai-
tant mourir, essaya vainement de ramener ses soldats; entraîné
dans la déroute^ il périt comme Solomon était mort àCillium.
En voulant franchir un raviu, son cheval s'abattit : démonté,
cerné par Tennemi, il succomba avec ses officiers et les gardes
demeurés fidèles à sa fortune. Seules, à force d'audace^ quelques
troupes réussirent à se frayer passage; c'était pour Tarmée
byzantine un nouveau et complet désastre (fin de 545).
Cette fois les inconvénients du commandement partagé
n'avaient que trop clairement apparu : l'empereur se décida
enfin à rappeler Sergius, dont la coupable inaction avait été
d'ailleurs la cause principale de la défaite. On se contenta
cependant de faire passer le patrice à Tarmée dltalie, et, chose
prodigieuse en un pareil moment, alors que Tennemi victo-
rieux était à moins de cent milles de Carlhage, on diminua
encore les faibles effectifs de Tarrnée d'Afrique^ pour donner à
Sergius quelques troupes à conduire en Italie^ ; il est vrai qu'à
ce moment même (commencement de 546) S Totila était aux
portes de Rome. En Afrique, on comptait que la mort de Stotzas,
abattant le courage des insurgés, rendrait plus facile la tàcl^
d'Aréobinde, nommé par Justinien au gouvernement général
de la province.
1 Bell. Vand.i p. 514. Corippus parle d'uu premier engagement avaai la
bataille de Thacia (Jo A., IV, 103-106).
2. Vict. ToDD., p. 201 (anD. 545). Cf. Partsch, p. xxi. Sur remplacement, Tis-
sot, n, 354: sur la bataille, Bell. Vand,,p. 51i-51o ; Joh., IV, 103-203.
3. Bell. Vand., p. 515 ; Be/^ Go/A.,p.391.
4. Sur la chronologie des années 545-546, cf. Partsch, /. c, p. nnr-xxv.
LA GRI5E DES ANNÉES 545-546 351
IV
Malheureusement, le nouveau commandant en chef était,
moins encore que Sergius, capable de suffire aux lourdes res-
ponsabilités qui lui incombaient. Ne devant sa haute dignité
qu'à la proche parenté qui l'unissait àTempereur, il étaitpour
tout le reste parfaitement médiocre*. Ce général d'armée n'a-
vait jamais vu la guerre : quand il fallait revêtir le costume
militaire, il s'embarrassait au milieu de ses armes; il pâlis-
sait à la vue du sang^ et sa pusillanimité trop connue le dé-
considérait auK yeux des soldats. Avec cela sans fermeté
morale, sans décision^ sans expérience, il hésitait au lieu de
prendre parti, discutait au lieu d'agir, négociait au lieu de
sévir, et à la première difficulté, perdait courage; s' aban-
donnant lui-même, paralysé par la peur, il ne songeait qu'à
chercher son salut dans la fuite ou à assurer par des larmes
stériles sa sécurité et sa vie. Ce n'était guère l'homme qu'il
fallait pour combattre une insurrection générale et maintenir
quelque discipline dans une armée chaque jour plus démora-
lisée. Enfin le malheureux, incapable de rien résoudre par
lui-même, devenait la proie facile de tous les intrigants qui
s'agitaient autour de lui; et, dans son inexpérience des
hommes, il demandait naïvement conseil et faisait ses confi-
dences les plus secrètes à ceux-là mêmes qui n'épargnaient
rien pour le compromettre et le renverser*.
D'ailleurs la situation s'aggravait de jour en jour. Antalas
continuait à tenir la campagne; à la tête des bandes de Sto-
tzas, un autre chef avait remplacé le rebelle tué à Thacia' ;
pour surcroit de misère, l'insurrection gagnait la Numidie. Les
grands chefs de cette région, demeurés jusque-là indifférents
à la lutte ou même favorables à la cause byzantine, prenaient
maintenant les armes\ Coutsina et labdas, le grand roi de
1. Bell. Vand, p. 513, 518-519, 520.
2. /rf., p. 517-518.
3. MarcelliDUs com., ann. 545, p. 107*
4. Bell. Vand., p. 513.
352 inSTOIKE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
l'AurëSy réuaissaient leurs forces et faisaient leur joaction
avec les insurgés de Byzacène. En même temps, l'armée
grecque, mal payée, mécontente, se défiant d'un chef inca-
pable dont elle craignait d'être abandonnée, s'agitait sourde-
ment \ et dans le désarroi général, les officiers, désireux de
parvenir, croyaient le moment venu pour se tailler en Afrique
quelque principauté indépendante. Parmi eux, le plus redou-
table était Guntarith, le duc de Numidie. Ancien lieutenant
de Solomon, il avait en 539 pris part à l'expédition de TAurès';
plus récemment, à la bataille de Gillium,son attitude ambiguë
et sa fuite un peu prompte l'avaient fait, non sans raison^
soupçonner de quelque trahison'. Ambitieux sans scrupules,
capable de tout oser, mais assez habile d'autre part pour ne
point se compromettre trop ouvertement, depuis quelque
temps déjà il préparait les voies à sa fortune. Il avait profité
de son commandement en Numidie pour se mettre en relation
avec les grands chefs du pays, et c'était sur ses conseils
qulabdas et Coutsina s'étaient joints à Antalas pour marcher
surGarlhage\ Mais d'autre part, et malgré les négociations
qu'il conduisait sous main avec les Berbères, Guntarilh affec-
tait de demeurer fidèle à l'empire, et d'obéir avec empresse-
ment aux ordres d'Aréobinde'; fort habilement il s'insinuait
dans la confiance du patrice, conseillant sesdémarches, rece-
vant ses confidences et en tirant, selon le cas, le parti qui con-
venait le mieux à ses intérêts particuliers*. Le duc de Numidie
nourrissait en effet des desseins assez compliqués ; il voulait
arriver, mais sans le secours d'une révolution \ Il se conten-
tait donc de déchaîner la tempête, espérant bien qu'Aréobinde
ne saurait ni ne voudrait y résister; il n'épargnait rien pour
1. BelL Fa/id.,p. 320.
2. Id, p. 494.
3. Joh,, m, 428.
4. Bell. Vand., p. 515.
5. 7d.,p. 516.
6. 7d., p. 517-518.
7. Id., p. 518.
LA CRISE DES ANNÉES 545-546 353
la rendre menaçante, empêchant sous d*ingénieux prétextes
tout engagement décisif qui aurait pu être désastreux pour
les Maures*; il usait de son influence sur le patrice pour le
compromettre ou Tépouvanter; et, quand le moment serait
venu, quand le faible Aréobinde aurait vidé la place, lui-même
comptait apparaître comme le sauveur de l'Afrique et méri-
ter de la reconnaissance impériale le pouvoir qu'il convoitait*.
D'ailleurs, persuadé que deux sûretés valent mieux qu'une,
secrètement il concluait d'autre part un engagement particu-
lier avec Antalas'; il promettait au chef berbère de lui aban-
donner la Byzacène, de lui donner la moitié du trésor d'Aréo-
bindc^ de mettre à sa disposition i.SOO hommes de l'armée
régulière, qui feraient de lui le plus puissant des rois indi-
gènes; à lui-même il réservait Carthage, le reste de l'Afrique
et le titre de roi. Se croyant ainsi assuré des deuxcôtés^ il
laissa aller les événements.
A la nouvelle de l'insurrection générale, le malheureux
gouverneur perdit la tête. Partout il ordonna à ses troupes de
battre en retraite : la Numidie fut évacuée tout entière ; en
Byzacène, on se replia en toute hâte vers la côte, se conten-
tant de garder quelques places sur le littoral; abandonnant le
pays, toutes les troupes disponibles se concentrèrent sous les
murs de Carthage, où Aréobinde comptait tenter un suprême
effort*. Toutefois il n'était pas si oublieux des vieilles tradi-
tions de la diplomatie byzantine qu'il ne cherchât par ses in-
trigues à semer la division parmi ses ennemis. Goutsina, le
vieil allié de Solomon, détestait trop An talas pour n'être point
disposé à le trahir, et en effet, il accueillit bien les ouvertures
du patrice'. Malheureusement Aréobinde, entièrement tombé
sous l'influence de Guntarith, s'empressa de le mettre au
courant de la négociation : celui-ci se hâta d'avertir Antalas
i.Bell. Vand,, p. 517.
2. Id., p. 518.
3. /d., p. 516. Cf. sur Guntarith Joh., IV, 222-230.
4. Bell. Vand., p. 515, 523.
5. W., p. 517.
I. 33
354 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
et le projet ainsi éventé demeura sans résultat. Entre temps,
les Berbères apparaissaient sous les murailles de Carthage*.
Guntarith, rendu plus hardi par leur approche, résolut d'en
finir. Il détermina Aréobinde à risquer une grande bataille,
pensant que dans la mêlée il serait facile de faire disparaître
le commandant en chef^ ; mais le hasard ayant relardé la sor-
tie, le duc de Numidie se crut découvert et hardiment il leva
le masque.
Le lendemain, il ordonna d'ouvrir la porte dont il avait la
garde, comptant, par cette trahison déclarée, épouvanter assez
le gouverneur pour le décider à prendre la fuite : et en effet,
ajoute Procope, la manœuvre eût réussi, si une violente tem-
pête n'avait empêché Aréobinde de s'embarquer*. En même
temps, Guntarith soulevait les soldats, leur rappelant les
retards de la solde, la lâcheté du patrice, tout prêt, disait-il,
à les laisser sans ressources en présence de l'ennemi ; et comme
une partie des troupes Tacclamait, résolument il se proclama
leur chef. Cependant Aréobinde tenait conseil, hésitait, en-
voyait des émissaires pour bien s'assurer des intentions de
Guntarith. Lorsque enfin il se décida à marcher contre le
rebelle, il était déjà bien tard. Pourtant tout pouvait encore
se réparer; une grande partie de i'armée demeurait fidèle * : la
faiblesse d'Aréobinde acheva de tout perdre. Dès les premiers
coups portés, il s'affola, prit la fuite, alla chercher asile dans
le couvent fortifié qui dominait le Mandrakion. Alors Gunta-
rith, facilement victorieux d'un adversaire qui s'abandonnait,
prit possession du palais, fit occuper fortement les portes de
la ville et le port. La révolution était consommée.
Il restait à se débarrasser d' Aréobinde. Par l'intermédiaire
de Reparatus, l'évêque de Carthage, Guntarith lui fit pro-
mettre que, s'il voulait se rendre à discrétion, il aurait la yîe
sauve; que^ si au contraire il tentait la moindre résistance,
1. BelL Vand , p. 518.
2. /d, p. 518.
3. Id., p. 518-520.
4. Id., p. 520.
LA CRISE DES ANNÉES 545-346 :Joo
sa mort était assurée*. Pour préserver sa tète, le patrice pro-
mit tout ce qu'on voulut, et confiant dans la parole de l'évèque
qui s'engagea à lui par les serments les plus solennels, il vint
en suppliant se jeter aux genoux de Guntarith : dans son
épouvante, il avait poussé Toubli de sa dignité jusqu'à dépo-
ser le costume officiel^ insigne de son ancienne charge. Gun-
tarith le rassura, lui affirma que dès le lendemain il pourrait
s'embarquer avec sa femme et ses trésors, et l'invita à souper
avec lui. Mais le soir, il le retint au palais et le fit pendant la
nuit massacrer par ses soldats (mars 546)*.
Cette fois, l'Afrique semblait bien perdue pour Byzance.
Dans Carthage, Guntarith régnait en maître, et pour rehaus-
ser le prestige de son autorité, il songeait à épouser la veuve
d'Aréobinde, Préjecla, qui était, on le sait, nièce de Justi-
nien*. Autour de Tusurpateur, un parti assez nombreux, hos-
tile à la domination impériale, encourageait ses projets ^ et le
poussait à des rigueurs qui devaient rendre tout arrangement
impossible; aussi les exécutions se multipliaient par la ville";
quiconque paraissait suspect était condamné à mort, et déjà
Ton songeait, par mesure générale, à faire massacrer tout ce
qu'il y avait de Grecs à Carthage*. Bref, suivant l'expression
de Procope, tous les résultats des victoires de Bélisaire
« étaient aussi complètement anéantis que s'ils n'avaient ja-
mais existé »''. Toutefois une portion de l'armée était demeu-
1. Bell. Vand,, p. 521. Plus tard, en 551, l'évêque Reparatus fut accusé à
Constaatinople d*ayoir contribaé au meurtre d'Aréobinde (Hardouin, III,
p. 48).
2. Bell. Vand., p. 521-522.
3. Id., p. 523.
4. Id., p. 525.
3. /d., p. 527.
6. W., p. 527.
7. Id.. p. 524.
356 HISTOIRE DE LÀ DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
rée fidèle à la cause impériale : le duc de Byzacène, Marcen-
lios et les troupes qui formaient la garnison d'Hadrumëte,
refusaient ouvertement de se soumettre à Guntarith^; à Car-
thage même, beaucoup d*officiers et de soldats n'avaient qu*à
contre-cœur accepté le fait accompli '. Les régiments armé-
niens en particulier qui, presque seuls avaient combattu pour
le gouverneur, étaient mal disposés pour l'usurpateur; les
anciens lieutenants de Solomon, les anciens gardes du corps
d'Aréobinde ne lui étaient pas plus dévoués. Enfin Ântalas, à
qui Guntarith s'était contenté d'envoyer pour prix de ses
services la tète coupée du patrice, se défiait avec quelque
raison d'un allié si prompt à trahir ses promesses, et déçu
dans ses espérances^ il songeait à revenir au parti de Tempire '.
Pourgroupertousces mécontentements, il suffisait d'un chef:
il se trouva dans la personne d'Artabane^ le commandant d*un
des régiments arméniens.
C'était un homme de haute naissance, apparenté à la famille
royale des Arsacides; après avoir non sans éclat combattu
dans les rangs des Perses, il était venu ensuite avec un certain
nombre de ses compatriotes prendre service dans l'armée
byzantine, et en 545, il avait accompagné Aréobinde en
Afrique^. Beau garçon et brillant soldat^ d'bumeur généreuse
et d'esprit résolu, il était bien vite devenu populaire dans
toute l'armée : ses hommes en particulier l'adoraient et lui
étaient entièrement dévoués*. Fermement attaché au parti de
l'empire, il avait été un des derniers à faire sa soumission à
Guntarith % et déjà il rêvait au moyen de renverser l'usur-
pateur et de restaurer en Afrique l'autorité de Justinien\ £n
1. Bell. Vand,, p. 523.
2. Id., p. 520, 528, 531, 532.
3. Id., p. 523.
4. Sur ArUbane, Bell, Foncf., p. 524; B;^. Pers,, p. 162; Beli, Goth,^
p. 405-407,
5. Bell. Vand., p. 528.
6. Id., p. 523.
7. Id., p. 526.
LA CRISE DES ANNÉES 545 546 357
outre, il n^éiait point insensible au sort de Préjecta, soit qu'un
dévouement chevaleresque rattachât à cette princesse, soit
plutôt qu'il espérât tirer avantage des services quMI pour-
rait lui rendre ; enfin il était peut-être encouragé dans ses
desseins par le préfet du* prétoire^ Athanase, un fin et rusé
diplomate, qui avait réussi par ses flatteries et sa prompte
soumission à éviter le sort d'Aréobinde, mais qui demeurait
secrètement tout dévoué à Justinien*.
Artabane pourtant ne laissait pas d'être embarrassé. Antalas
venait de se déclarer contre l'usurpateur, et à son appel M ar-
centios, le duc de Byzacëne, était venu dans le camp berbère
seconder le roi de ses conseils. Fallait-il prendre ouvertement
parti et rejoindre à Hadrumëte Tarmée impériale? Valait-il'
mieux garder à Guntaritb une fidélité apparente, et se défaire
de lui au moment opportun par un assassinat? Artabane crut
qu'une conspiration le mènerait plus sûrement à son but, et
pour mieux donner le change, il accepta même le commande-
ment de l'expédition chargée de combattre Antalas'. Les troupes
de Guntarith s'étaient grossies des anciennes bandes de
Stotzas et des contingents berbères de Coutsina, définitive-
ment brouillé avec Antalas : à la tète de cette armée composite,
l'Arménien se miten route. Mais il eut grand soin, sousd'habiles
prétextes, de ne point trop presser les impériaux : en même
temps, il négociait sous main avec Antalas, et pour mieux
l'attacher au parti de Byzance, il lui renouvelait sans doute
les promesses jadis faites par l'usurpateur'. Puis alléguant
que ses forces étaient insuffisantes, il rentra à Garthage et
acheva de préparer, la conspiration. Peu de jours après, dans
un grand Joanquet qu'il offrait aux chefs de l'armée, Gunta-
rith tombait sous l'épée des conjurés; et à la nouvelle de sa
morty le parti impérial, relevant la tête, massacrait par la ville
1. Bell. Vand., p. 521; /oA., IV, 232-240, qui lui fait la part trop belle. Cf.
Partoch, /. c, p. xzu-xxiir.
2. BelL Vand,, p. 525-526.
3. Cf. Partich, /. c, p. xxin; Joh,, IV, 367-369.
358 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
OU arrêtait les principaux de ses partisans ^ Le règne du tyran
avait duré trente-six jours (mai 546).
L'administration byzantine se reconstitua tout aussitôt. Le
préfet du prétoire Athanase reprit la direction de son dépar-
tement. Le commandement militaire de la province fut attri-
bué avec empressement par la reconnaissance de Tempereur
à Tofficier dont le dévouement, Thabileté et le courage avaient
restauré à Carthage l'autorité de Justinien '. Tout réussissait
à la fois à Taudacieux Arménien. Préjecta, heureuse de voir
vengée la mort d*Aréobinde, plus heureuse encore d'échapper
à Guntarith^ ne savait comment marquer sa reconnaissance
à son libérateur; dès le lendemain de l'événement, elle l'avait
comblé de richesses ^ ; maintenant elle pensait à l'épouser, et
formellement lui promettait sa main ^. Artabane, grisé de sa
fortune, se voyant déjà parent de l'empereur, et presque sur
les marches du trône, oubliait dans son enivrement tout ce
qui pouvait faire obstacle à cette alliance, et eu particulier,
la femme, répudiée par lui, mais encore vivante, qu'il avait
épousée jadis en Arménie. Le roman eut d'ailleurs un dénoue-
ment assez singulier. Préjecta, après la chute de Guntarith,
retourna à Gonstantinople : dès lors^ Artabane ne voulut plus
rester à Carthage. Pour se rapprocher de sa fiancée, il de-
manda sous divers prétextes d'être relevé de son commande-
ment. Justinien y consentit avec bienveillance, et pour mieux
prouver à l'Arménien sa faveur, il le nomma aux hautes di-
gnités de magister militum praesentalis — l'emploi le plus
élevé de la hiérarchie militaire — et de cornes foederatorum^ ^ et
joignit à ces charges le titre de consul. Là s'arrêta pourtant
la fortune d' Artabane : Thostilité de Timpératrice Théodora
ruina son romanesque mariage ; bon gré, mal gré, il dut re-
1. Bell. Vand., p. 527-532.
2. Id., p. 533; Bell. Golh,, p. 406.
3. Bell. Vand., p. 533.
4. Bell, Goth., p. 405-406.
5. Id,, p. 406. Sur ces dignités, cf. MommseQ (Hermès, XXIV).
LA CRISE DES ANNÉES 545-546 359
prendre sa femme, pendant que Préjecla épousait un grand
personnage de la cour.
En Afrique cependant, la situation demeurait très grave.
Sans doute pour écarter de nouvelles causes de troubles,
Artabane avait fait déporter à Byzance les débris des ancien-
nes bandes de Stotzas et leur chef, tombé aux mains des im-
périaux dans la catastrophe de Guntarith*; sans doute, il
paraît même, par des négociations heureuses, avoir réussi à
regagner quelques-uns des grands chefs indigènes. La pro-
vince n'en demeurait pas moins dans un état lamentable.
Durant ces deux années de guerres presque constantes, la
contrée avait été épouvantablement ravagée*. Dans les cam-
pagnes désertes, les villages dévastés ou abandonnés, les
églises ruinées, les fermes incendiées, les moissons brûlées et
détruites attestaient éloquemment le passage des indigènes : et
non seulement l'intérieur du pays, mais la région du littoral
même avait cruellement souffert de l'invasion '. Une partie
des habitants avaient péri sous Tépée des Berbères; d'autres
plus nombreux encore, avaient été réduits en esclavage et
traînés captifs à la suite des tribus insurgées*; le reste, pour
échapper au massacre ou à la servitude, avait cherché un
refuge derrière les murailles des forteresses, ou bien s'expa-
triant était allé demander en Sicile ou jusqu'à Byzance, une
sécurité que la province semblait ne devoir jamais plus offrir ^
Suivant Ténergique expression de Corippus, « l'Afrique fu-
mante s'abîmait dans les flammes ». Les villes elles-mêmes,
menacées, bloquées par les indigènes', parfois surprises et
pillées, voyaient diminuer leur population dans des propor-
tions énormes, et l'Afrique, dépeuplée, appauvrie, épuisée',
semblait impuissante à réparer ses désastres.
1. Bell, Vand., p. 532; Marcell. coin., ann. 547, p. 108.
2. Cf. Joh., I, 28-47, 323-349.
3. /rf., II, 1.
4. Id., Il, 295-296, 331-332.
5. Bell. Vand., p. 512.
6. Joh., II, 3; 1, 408-412.
7. Bell. Vand.y p. 534.
360 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
L'armée affaiblie par de nombreuses défaites et bien plus
encore par ses luttes intestines était réduite à des effectifs fort
peu considérables; et elle paraissait à peu près incapable de
faire le grand effort nécessaire pour sauver le pays et proté-
ger les populations. Le départ d'Artabane la privait du seul
général de valeur qu'elle conservât encore, après les luttes
qui, en ces dernières années, lui avaient successivement en-
levé ses meilleurs chefs. En face d'elle, les tribus soulevées
continuaient à couvrir le pays. Antalas, un moment revenu
aux Byzantins, se plaignait maintenant de n'avoir obtenu au-
cun des avantages promis et d'avoir été trompé par Artabane,
comme il avait été déçu par GuntarithS et de nouveau il
tenait la campagne, poussant Taudace jusqu'à assiéger les
forteresses du littoral. Les tribus de la Tripolitaine n'avaient
point désarmé. labdas refusait tout accommodement'. 11 était
grand temps qu'un général énergique vint^ avec une armée
nouvelle, rendre la paix au pays, et rétablir par des succès
décisifs l'œuvre profondément compromise de Bélisaire et de
Solomon.
On se demandera même, en considérant cette situation
presque désespérée, en se rappelant les épisodes lamentables
qui remplissent l'histoire de ces deux années, comment la
crise que venait de traverser l'Afrique 'n*avait pas eu une
issue plus fatale encore. Tout conspirait à la ruine de la do-
mination byzantine, Timpéritie des gouverneurs, l'indiscipline
des troupes, la grandeur de Tinsurrection. Il semblait que le
moindre effort des indigènes eût dû suffire à renverser le
fragile et chancelant édifice de l'autorité impériale ; les Ber-
bères ne surent pas le faire, et peut-être même ne le voulu-
rent-ils pas. D'une part, les populations romaines gardèrent à
Byzance, malgré leurs misères, une rare et remarquable fidé-
lité'. D'autre part, les tribusinsurgéesne poursuivirent jamais
1. JoA., IV, 359-361.
2. Id., n, 28-161.
3. Beél. Vand., p. 511-512.
LA CRISE DES ANNÉES 543-546 361
avec quelque ténacité un but réfléchi et certain. Incapables
de tenir longtemps la campagne, elles se contentèrent en gé-
néral d'entreprendre chaque année des courses de pillage plus
ou moins désastreuses : mais aussitôt le butin fait, elles
n'eurent plus qu'un souci, celui de mettre en sûreté l'argent
obtenu, les captifs ramassés, toutes les dépouilles de la cam-
pagne, et évacuant le territoire, elles laissèrent aux Byzantins
le temps de reprendre haleine \ De plus, durant toute la
guerre, presque jamais les grands chefs ne parvinrent à s'en-
tendre pour un efTort commun. labdas, le puissant roi de l'Au-
rès^ s'abstint pendant deux années de prendre part à la lutte;
d'autres, comme Coutsina, n'hésitèrent pas même à combattre,
sous les ordresdes généraux de Justinien, leurs frères révoltés.
Lorsque enfin, les circonstances finirent par les réunir tous
dans un soulèvement général, leur entente dura quelques
jours à peine : divisés par d'anciennes et persistantes inimitiés,
se jalousant et se détestant à l'envi, tous ces princes se sur-
veillent, s'observent, se défient l'un de l'autre. Parmi les
chefs de l'armée indigène, il y en a toujours au moins un
sur le point de trahir ses confédérés : Coutsina négocie sous
main avec Aréobinde et promet de se jeter, au jour du com-
bat, sur les tribus de la Byzacène*; Antalas traite avec Gun-
tarith à l'insu de ses alliés et se préoccupe uniquement d'as-
surer ses intérêts particuliers^; et c'est, de la part des deux
adversaires, une succession constante et presque fastidieuse
de volte-faces et de trahisons. Bref, aucune politique suivie
ne dirige les résolutions des grands chefs. On chercherait à
tort dans leurs insurrections quelque trace d'un sentiment
national, quelque désir de sauvegarder l'indépendance de leur
peuple \ Ils vont où leur avantage les mène, sans scrupules,
sans hésitations; et si leur instabilité d'humeur fait d'eux des
1. Bell. Vand., p. 508.
2. M., p. 517.
3. !d,, p. 516-517.
4. Voir la lettre très caractéristique d'Antalas à Justinien, Bell. Vand.^ p. 506-
507.
362 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
alliés singuliëremeiit incertains et perfides^ pourtant c*est à
cette mobilité d'impressions même que TAfrique byzantine
dut son salut. Aux moments les plus désespérés, la diplomatie
grecque sut^ par des intrigues habiles, semer la division parmi
ses adversaires, et par là brider tous leurs efforts : c'est par
ces pratiques, autant que par les victoires de ses généraux^
qu'elle devait finalement conjurer le péril et rétablir la do-
mination impériale.
CHAPITRE II
LE GOUVERNEMENT DE JEAN TROGLITA
I
Vers la fin de Tannée 546, débarquait à Carthage, pour
prendre la conduite des opérations militaires, le successeur
d'Artabane, le magister militum Jean Troglita *. C'était un
ancien officier de l'armée d'Afrique; il avait pris pari à l'ex-
pédition de 533, et sous les ordres de Bélisaire, commandé
l'un des corps de fédérés ; plus tard, pendant le premier gou-
vernement de Solomon, il avait été, en qualité de duc, chargé
de défendre la frontière de Tripolitaine, et en plusieurs ren-
contres, il avait fait sentir aux Le vatbes la vigueur de son bras;
associé ensuite aux brillantes campagnes du patrice, il était
demeuré en Afrique après les événements de 536; à la jour-
née de Cellas Yatari, il commandait une porlion — la plus
importante — de l'aile droite ; en 538, il s'était distingué
au combat d'Autenti, probablement livré contre les tribus
de la Byzacène*. A la différence de tant de gouverneurs
envoyés avant lui dans la province, il connaissait donc par
une longue expérience le pays qu'il allait administrer, et les
ennemis qu'il devrait combattre *. Les récents services qu'il
venait de rendre en Orient augmentaient encore son prestige.
1. BelL Vand,, p. 533; Jordaoes» Romana (édit. Mommsen, p. 51).
2. Joh,, I, 380-381; BelL Vand., p. 359; Joà., I, 470-472; HI, 294-301; BelL
Vand,, p. 487; Joh., III, 318-319.
3. Joh., I, 349.
364 HISTOIRE DE LA DOMIN ATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Nommé duc de Mésopotamie, il avait pendant cinq années pris
part, sous les ordres de Bélisaire, aux événements de la se-
conde guerre perse *; en 541, il avait assisté, — avec un rôle
moins glorieux peut-être que ne le raconte son panégyriste
Corippus, — à la bataille de Nisibis; puis il avait eu la bonne
fortune, par un heureux coup d'audace, de sauver Théodosio-
polis vivement pressée parles armées de Chosroès, et sous les
murs de Dara, il avait réussi à battre et à faire prisonnier l'un
des meilleurs lieutenants du roi, Mermeroès '. La trêve
conclue en 546 entre l'empire et la monarchie des Sassanides
avait permis à Justinien d'employer en Occident les services
du victorieux général ; bientôt les événements allaient justi-
fier la confiance du prince, et montrer combien était heureux
pour l'Afrique le choix qu'il avait fait.
Il ne faut point en effet juger uniquement le nouveau gou-
verneur d'après le portrait un peu pâle qu'en a tracé Corippus.
En dépit des flatteuses intentions du poète, son personnage
est un peu trop dessiné selon le type ordinaire des héros
d'épopée : trop souvent il n'est qu'un décalque, et combien
affaibli, du pieux Énée ^, et comme son modèle, il apparaît
trop constamment sous la figure d*un infatigable et fatigant
discoureur, sentencieux % vertueux et grave, et parfaitement
ennuyeux. Ileureusement l'histoire même des campagnes qu'il
a conduites donne du général byzantin, une plus favorable
idée. Plus d'i^ne fois, Tancien lieutenant de Bélisaire se mon-
tra digne du chef dont il avait reçu les leçons. Rompu de
longue date à la tactique des indigènes, il sut déjouer tous leurs
pièges, éventer toutes leurs ruses; et son énergique audace
triompha avec un égal succès des obstacles de la nature et de
la résistance des hommes. Dans l'hiver de 546-547, malgré
les difficultés d'une saison froide et pluvieuse, il poursuivit la
campagne avec une rare ténacité; à deux reprises, en plein
1. Bell. Pers., p. 216, 230.
2. Joh., l, 58-110. Cf. Bell. Pers., p. 230-232.
3. Cf. Joh , I, 197-207, où la comparaison est faite tout au long.
4. Cf. Joh., VU, 38-50.
LE GOUVERNEMENT DE JEAN TROGLITA 365
été, malgré une chaleur torride, il organisa et diriga des ex-
péditions contre les Berbères, et sentant la valeur de Toffensive,
il osa pousser bien avant dans le Sud, dans des régions
désertes oti jamais encore les généraux byzantins ne s'étaient
aventurés. Sans doute, pasplusque ses devanciers, il n échappa
aux misères dont souffrait le chef de toute armée grecque : il
connut rindiscipline^ la lâcheté, les séditions des soldats; tou-
jours^ alors même que sa vie était en péril, il réussit par son
ferme sang-froid à reprendre le dessus ; la défaite même ne put
abattre son énergie, et après avoir dans la bataille, déployé
le plus brillant courage du soldat, il sut être dans la retraite
le plus prudent, le plus prévoyant, le plus habile des généraux.
Le diplomate chez lui valait l'homme de guerre; il sut main-
tenir constamment dans Talliance byzantine quelques-uns des
plus grands chefs indigènes et conquérir assez de prestige à
leurs yeux pour devenir l'arbitre écouté de leurs querelles;
il sut — et jamais avant lui nul gouverneur n'avait obtenu ce
succès — amener labdas, le grand roi de TAurès, à faire servir
ses contingents sous la bannière de l'empire; toujours il sut
garder fidèles à sa cause ces inconstants alliés, même après
un désastre bien propre à ébranler leur dévouement, et il
parait avoir acquis sur eux assez d'influence pour être, dans
des circonstances graves, plus sur d'eux que de ses propres
soldats. Certes, par sa bravoure, son énergie, son audace, par
son expérience du pays et des hommes, par les heureuses
inspirations de sa tactique comme par les habiles conseils de
sa diplomatie, le nouveau gouverneur militaire était plus que
tout autre capable de réaliser en Afrique les instructions de
Justinien, de sauver la province du pressant péril où elle
semblait prête à sombrer, de revendiquer enfin les droits
imprescriptibles de l'autorité impériale que le prince avait,
au moment du départ, recommandés à toute la sollicitude de
son lieutenant ^
La fin de la guerre perse, en même temps -qu'elle rendait
4. Jo^., 1,146-147.
366 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
disponible un général de valeur, permettait aussi de renforcer
sérieusement les forces militaires de l'Afrique byzantine. Jus-
tinien se résolut à envoyer en Occident un armement assez
considérable. Une flotte fut équipée, une armée nouvelle le-
vée*, et dans les derniers mois de Tannée 546, après une na-
vigation généralement heureuse, l'expédition entrait dans le
port de Carthage. Il était grandement temps de venir au se-
cours de l'Afrique : les tribus de la Tripolitaine, parmi les-
quelles il faut nommer au premier rang celles des Levalhes et
des Austures, continuaient à ravager cruellement la Byzacëne ;
Antalas tenait la campagne, et ses Berbères, rendus audacieux
par la profonde désorganisation de Tadministration grecque,
s'enhardissaient jusqu'à assiéger les villes du littoral ; labdas,
quoiqu'il semble avoir dès ce moment regagné prudemment
la Numidie, restait en armes ou du moins gardait une attitude
menaçante', et les débris de Tarmée byzantine, sous les ordres
de Marcentios, le duc de Byzacène, et de l'Arménien Grégoire,
un proche parent d'Artabane, étaient bloqués dans Carthage
et dans quelques autres places fortes. Pour porter remède à
cette périlleuse situation, de quelles ressources allait disposer
le nouveau général? Malgré les efforts de l'empereur, on
n'avait pu lui confier des troupes fort nombreuses : les événe-
ments d'Italie à ce moment même réclamaient une grande
partie des forces de la monarchie^ de sorte que, même en te-
nant compte des détachements que trouvait en Afrique le ma-
gister milittim, l'effectif total de l'armée byzantine demeurait
assez peu considérable : Corippus insiste à maintes reprises
sur la faiblesse numérique des soldats grecs^. Heureusement
la qualité des troupes compensait en quelque manière cette
infériorité. L'essentiel des forces byzantines d'Afrique semble
avoir été à cette date formé de cavalerie, et Ton sait que
c'était là, dans les armées du temps, l'élément le plus solide
1. JoA.,l, 125-128.
2. II figure dans réuumération faite, JoA., II, 140 -162, mais ne paraît poiat
dans la bataille du livre IV.
3. Jofu,l, 482; IV, 376-377, 661.
LE GOUVERNEMENT DE JE\N TROGLITA 367
et le plus vigoureux. Sur neuf corps rangés sous les ordres
de Jean Troglila, un seul était composé d'infanterie : le reste
comprenait des escadrons légers d'archers à cheval, et surtout
de puissants régiments de cuirassiers pesamment armés ^ :
dans la guerre qu'on allait entreprendre, nulle arme n^élait
mieux appropriée, ni ne devait rendre de meilleurs services.
Les troupes étaient d'ailleurs bien commandées, à ce qu'il
semble, par des officiers d'une bravoure éprouvée et capables
de quelque initiative : auprès de lui, pour conseiller et chef
d'état-major, Jean avait Recinarius, qui comme lui avait pris
part à la dernière guerre de Perse*. A la tète des différents
corps étaient placés des chefs, ducs, magistri miliium ou tri-
buns, dont plusieurs servaient depuis de longues années dans
l'armée africaine et avaient en plus d'une circonstance donné
la preuve de leurs talents militaires et diplomatiques'. Enfin
les forces impériales s'augmentaient de nombreux contingents
indigènes. Après bien des volte-faces, Coutsina était une nou-
velle fois revenu à l'alliance byzantine, et pendant de longues
années, sa fidélité n'allait plus se démentir; or le chef numide
pouvait amener avec lui jusqu'à 30,000 cavaliers. Un autre
prince indigène, dont le territoire semble avoir été voisin du
royaume de Coutsina, avait été également gagné au parti grec ;
c'était Ifisdaias, dont Corippus évalue — probablement avec
quelque exagération poétique — les forces à 100,000 hommes,
mais dont l'appui à coup sûr n'était point méprisable \ D'ail-
leurs, par cette double alliance, Jean s'assurait en outre la tran-
quillité de la Numidie. labdas, tenu sans doute en respect par
les princes ralliés au drapeau de l'empire, s'abstint, malgré sa
sympathie avouée pour les insurgés, de toute hostilité directe ;
il ne prit aucune part effective à la campagne de 546, et pen-
dant que s'accomplissaient les événements de Byzacène, le
calme ne semble point avoir été troublé en Numidie. C'était
1. Jo/i., IV, 553-554; I, 427-429, 440-443.
2. Cf. Bell.Pers.y p. 277.
3. Joh,, III, 47-51 ; IV, 06-74, 502-504, 487-488, 532-540 ; Bell. Vand., p. 523-524.
4. Cf. Partsch, L c, p. zxviii, et Joh., IV, 545-549.
308 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
un grave souci de moins au début de la guerre difficile qui
allait s'engager. Ainsi la diplomatie byzantine avait fort heu-
reusement préparé les voies au nouveau gouverneur et cher-
ché à assurer le succès de ses armes.
Néanmoins le péril était plus pressant que jamais : aussi,
à peine débarqué à Carthage, Jean, aprës avoir rapidement
réorganisé les régiments affaiblis et démoralisés qui y tenaient
garnison*, marcha à l'ennemi avec toutes ses forces, et sans
vouloir entrer en aucune négociation avec les rebelles, sans
répondre à Tinsolent cartel que lui fit adresser Antalas', ou-
bliant même, dans sa hâte d'agir, le caractère d'inviolabilité
que le .droit des gens confère à un ambassadeur, il déblaya
par une marche rapide la zone côtière des bandes de pillards
qui l'infestaient, et dégagea les villes du littoral assiégées par
les insurgés*. Devant cette offensive hardie^ les Berbères, sui-
vant leur tactique habituelle, battirent en retraite et se repliè-
rent vers les régions montagneuses et boisées qui occupent
l'intérieur de la Byzacène. Ils comptaient sur la saison déjà
avancée, sur l'hiver pluvieux qui commençait, pour arrêter
la poursuite de leurs adversaires*; ils espéraient surtout, si
les Byzantins s'aventuraient à les attaquer, trouver dans ce
pays accidenté et couvert un utile secours pour leur tactique
habituelle de ruses et d'embuscades. Aussi, à Tappel de leurs
chefs, toutes les tribus se concentrèrent pour la bataille déci-
sive; et traînant à leur suite leurs familles, leurs troupeaux,
le butin fait dans la précédente campagne, la multitude des
captifs enlevés dans les villages de la Byzacène, les indigènes
de la Tripolitaine, Levathes, Austures, Ifuraces, obéissant aux
ordres suprêmes d'Iema^ un de leurs grands chefs*, vinrent
1. Jo/i., 1, 422-424. Sur les campagoefl de Jean, cf. Farticle, d^aillears pleia
d'inexactitudes, de Tauxier, Notice sur Corippus el sur la Johannide (Bévue
afric.f 1876, p. 289).
2. Joh., h 460-493.
3. Joh,, II, 1-3.
4. Id,t H, 4-5; 18-22. Sur la date, Partsch, /. c, p. xxvi, n. 131
5. /oA., II, 85-137.
LE GOUVERNEMENT DE JEAN TROGLITA 369
rallier les Dombreux Berbères rassemblés sous la direction
d'Antalas^ L'armée byzantine, sous le chef énergique qui la
commandait, ne se laissa ni arrêter par les obstacles ni sur-
prendre aux pièges des rebelles : audacieusement, ses avant-
gardes de cavalerie prirent et gardèrent le contact des insurgés,
et bientôt Tarmée grecque tout entière se trouva campée au
pied des collines dont les indigènes occupaient la crête. Tou-
tefois, à la veille du combat suprême, soit qu'il se défiât de
la faiblesse de ses forces, soit qu'il craignît pour les captifs les
conséquences d'une lutte désespérée •, soit encore qu'en vrai
Byzantin, il espérât davantage de la diplomatie que des armes,
Jean, comme jadis Solomon en 544, jugea convenable d'es-
sayer une dernière fois l'effet des négociations. Il fit proposer
aux rebelles une amnistie pleine et entière pour leur soulève-
ment, sous condition que tous les prisonniers seraient remis
en liberté, que les tribus de Tripoli taine évacueraient le ter-
ritoire byzantin, qu'Antalas enfin se replacerait sous la suze-
raineté impériale'. Mais il eut beau accompagner ce message
de menaces formidables: son désir d'accommodement était
trop visible pour ne point enfler encore l'orgueil des indi-
gènes, déjà enhardis par un demi-succès remporté quelques
jours auparavant sur Tavant-garde byzantine, et où celle-ci
n'avait pas sans peine échappé à un désastre \ Ântalas refusa
insolemment de se prêter à tout arrangement et, pour mieux
marquer son intention de combattre, il fit descendre dans la
plaine la plupart de ses troupes et s'établit en face des Byzan-
' tins. Malheureusement, malgré le long récit épique que Corip-
pus a fait de la bataille, il est impossible de savoir au juste
où se donna l'engagement : on voit seulement par les vers du
poète que Tarmée grecque, partie de Cartbage, par la grande
route de Byzacène % s'était ensuite, pour atteindre les rebelles,
4. Joh., M 28-84.
2. /rf., II, 295-296, 331-332.
3. /d., II, 344-348.
4. Id,, U, 187-26$.
5. id., 1, 461.
1. 24
370 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
détournée vers l'intérieur du pays, après avoir fait, probable-
ment àHadrumète, sa jonction avec les troupes du duc Marcen-
tios; on voit que le combat se livra dans une vaste plaine entou-
rée de collines où les indigènes purent à Taise disposer leurs
chameaux en un vaste retranchement circulaire, où la cavalerie
byzantine, d'autre part, put se déployer et manœuvrer: c'est
donc, selon toute vraisemblance, au sud-ouest d'Hadrumëte,
dans la région qui s'étend à Test ou au sud de Sbeilla qu'il
faut essayer de retrouver l'emplacement de la bataille : quant
à la date, on doit la fixer sans doute tout au début de Tan-
née 547. Quoi qu'il en soit, la lutte fut longue, sanglante et
décisive ; nous en avons raconté ailleurs les épisodes les plus
significatifs*, Tardente mêlée de cavalerie par laquelle elle
commença, le furieux combat^ où d'abord, sous les charges
impétueuses d'Ântalas, les Byzantins plièrent, Tassant donné
au camp berbère et la défense farouche qui pendant quelque
temps brisa tous les efforts des troupes impériales, enfin la
déroute finale, le pillage, le massacre, et la fuite éperdue des
tribus. Le désastre était complet pour Antalas et ses alliés :
non seulement leur armée dispersée s'enfuyait sur les routes,
poursuivie jusqu'à la nuit et sabrée par les escadrons grecs *;
mais ses plus vaillants chefs étaient tombés dans la lutte, et
le principal d'entre eux, lerna, roi des Levatbes, en essayant
de sauver l'idole du dieu Gurzil, était atteint et massacré
par les cavaliers byzantins'. Non seulement un immense bu-
tin, que Jean Troglita n^essaya point de disputer à Tavidité de
ses soldats, était le fruit de la victoire \ mais une multitude
de captifs étaient rendus à la liberté ^, et dans le camp forcé,
on retrouvait, parmi les dépouilles, les drapeaux de Solomon,
tombés jadis à Cillium entre les mains des rebelles®. Les dé-
4. Cf. sur celte bataille Joh , IV, 457-1171.
2. /d., IV, 1147-1151.
3. /d., IV, 1136-1142, 1162.
4. ld,j VI, 118-119, 109-110.
5. W., IV, 1155.
6. W., IV, 1154-1155; Bell. Vand,, p 533.
LE GOUVERNEMENT DE JEAN TROGLITA 371
satires des deraières années étaient pleinement et glorieuse-
ment vengés : les tribus décimées regagnaient en toute hâte
la Tripolilaine, Ântalas épouvanté déposait les armes, et cette
décisive journée semblait d'un seul coup avoir pacifié l'Afrique.
Sans doute avec une sage prévoyance, dans les places réoc-
cupées de la frontière, le magtster militum réorganisait la
défense du territoire, et, appréciant plus justement que ses
prédécesseurs l'inflexible courage des adversaires qu'il venait
de combattre , il laissait aux ducs de Byzacëne le soin
d'achever par de constantes poursuites la soumission ou la
destruction des tribus ^ Mais la grande guerre paraissait ter-
minée, et tandis que les étendards reconquis, envoyés à
Constantinople , allaient annoncer à Tempereur l'éclatant
triomphe de ses armées', Jean Troglila faisait à Carthage,
au milieu des acclamations populaires, une entrée triom-
phale *, et la situation semblait si assurée qu'on crut pouvoir
sans péril dégarnir partiellement la province et diminuer
l'efiectif du corps expéditionnaire *. A ce moment en effet, en
Itsfiie, Totila venait de prendre Rome, et Bélisaire se trouvait
dans une position presque désespérée ; il est probable que le
détachement assez important, qui paraît avoir été fait en
Afrique, fut cette fois encore destiné à renforcer l'armée qui
luttait contre les Ostrogoths.
n
Par malheur, la paix tant souhaitée dura quelques mois à
peine'. A la voix d'un de leurs chefs, Carcasan, roi des Ifu-
races*^ les tribus delà Tripolitaine n'avaient pas tardé à repren-
1. Joh., VI, 30-52.
2. Bell. Vand., p. 533.
3. Joh,, Vï, 53-103.
4. Partscb, p. xxix-xxx.
5. Sur les dates, cf. Partsch, i, c, p. zxix.
6. yoA., IV, 639-641,
372 HISTOIRE DK LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
dre courage; excitées par les promesses de victoire que leur
prodiguaient leurs prophétesses, enhardies par Tappui qu'elles
trouvaient chez les grandes nations des Nasamons et des
Garamantes*, elles revinrent à la charge en une nouvelle et
plus formidable coalition, qui parait avoir compris toutes les
peuplades berbères, depuis les oasis voisines de la Grande
Syrte jusqu'au Sahara algérien*. La Tripolitaine byzantine
suppporta tout naturellement le premier choc des envahis-
seurs •; mais bientôt les insurgés se retournèrent vers la By-
zacène ^: et avant même que le duc de Leptis eût pu annoncer
au gouverneur général l'explosion du nouveau soulèvement,
déjà les rapides cavaliers indigènes touchaient aux frontières
de la province*.
La situation était grave. On était au fort de Tété et le climat
africain ne pouvait manquer de rendre fort pénible une expé-
dition entreprise en cette saison'. Les forces byzantines
étaient notablement diminuées, soit par les détachements faits
en Italie, soit par la défection d'une partie des alliés indigènes.
Ifisdaias^ dès ce moment sans doute brouillé avec Coutstaa
son voisin, refusait ses contingents, espérant peut-être profiter
de l'absence de son rival pour piller son territoire. A la vérité,
Ântalas, se souvenant de la récente leçon que lui avait infligée
le magister militum, restait provisoirement neutre, et atten-
dait, pour prendre partie des événements décisifs^; mais son
hostilité n'était point douteuse et son attitude suspecte com-
mandait quelques précautions. Seul, Goutsina demeurait
immuablement fidèle; mais tout son dévouement ne pouvait
suffire à compenser les insuffisances de Tarmée grecque»
i. Joh., VI j 195-200.
2. PartBch, /. c, p. xxt*
3. Joh,, VI, 225, 240-241*
4. Bell, Vand,, p. 533.
5./oA.,Vï, 279-280.
6. W., VI, 247, 256-257.
7. Procope se trompe {BelL Vand.^ p. 533) ea lui f&isaat prendre part au
début de la guerre. Cf. Partsch, p. xxx, n. 167.
LE GOUVERNEMENT DE JEAN TROGLITA 373
privée de quelques-uns de ses meilleurs chefs, el réduite de
neuf corps qu'elle comptait dans la précédente campagne k
six divisions seulement.
Heureusement les derniers succès avaient remonté le moral
des troupes*. Jean crut que leur enthousiasme lui permettrait
de prendre une offensive hardie. Avec une décision, une
audace que depuis longtemps ne connaissaient plus les géné-
raux byzantins, il se porta en hâte sur la frontière méridionale
de la Byzacène pour barrer le chemin à l'invasion et épargner à
la province épuisée les horreurs de nouveaux ravages'; et
malgré la chaleur croissante, il poussa jusqu'aux limites du
désert, désireux de rejeter Tennemi loin du pays byzantin et
de porter la guerre sur son propre territoire. Les tribus indi-
gènes, effrayées de cette fière attitude, n'attendirent point les
troupes grecques et battirent en retraite ; elles se jetèrent au
sud des Chotts, dans l'aride et sablonneuse région de TErg
oriental'; les Berbères espéraient bien que dans ces brûlantes
solitudes, jamais les Byzantins n'auraient le courage de les
suivre. Jean pourtant n'hésita point : plein de confiance dans
l'ardeur de ses troupes, bravant les difficultés de la route, il
s'engagea dans le désert : un convoi d'eau et de provisions
accompagnait la colonne*. Mais au bout de quelques jours de
marche, les soldats commencèrent à se plaindre ; malgré les
précautions prises, les vivres s'épuisaient; les fourrages man-
quaient pour les bêtes, Teau qu'il fallait rationner menaçait
d'être insuffisante, et la chaleur croissante brisait tous les
courages. Déjà on murmurait dans les camps, réclamant à
grands cris la retraite, lorsque, par surcroît d'infortune, une
épidémie subite, s'abattant sur les chevaux de l'armée, dé-
monta en quelques heures une bonne partie de la cavalerie ;
alors, parmi les troupes démoralisées, une véritable sédition
1. Joh., VI, 255-263.
2. W,,Vl, 242-251, 269-275.
3. W., VI, 285-287 ; Parlsch, p. xxxr.
4. /</., VI, 292-296.
374 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
éclata*. Il fallut remonter vers le nord, regagner la côte :
mais dans l'armée fatiguée, mécontente, de nouveau les
vieux ferments d'indiscipline se réveillaient : les chefs n'é-
taient plus écoutés et les hommes, uniquement préoccupés de
trouver de Teau et des vivres, quittaient le rang pour marau-
der, faisant de la colonne une cohue'. On s'arrêta pourtant
en atteignant le territoire des Astrices : et là, à portée des
villes byzantines de la côte, par lesquelles il espérait assurer
le ravitaillement de ses troupes', Jean s'établit à quelque dis-
tance au sud de Gabès, à l'entrée de l'étroit passage, ouvert
entre le plateau des Matmata et la mer : dans cette position,
il fermait aux tribus la seule voie d'invasion qui leur fût ou-
verte vers l'Afrique*. Entre temps, l'armée indigène, pressée
par la famine, remontait à son tour vers le nord, cherchant
à dérober sa marche aux reconnaissances byzantines et s'ef-
forçant de regagner ses campements de Tripoli taine*. Le ma-
gister militum, averti, jugea l'occasion favorable pour ache-
ver un ennemi qui semblait épuisé, et occupant en toute hâte
les points d'eau, qui sont, dans cette région du sud, les points
de passage nécessaires, il vint camper dans la plaine de
Gallica ou de Marta* : c'est, comme on sait, la station actuelle
de Maret, à 26 milles au sud-est de Gabès. C'est là que la ba-
taille se donna\ Mais l'indiscipline d'une portion des troupes
byzantines en compromit dès l'abord le succès : tandis que
Jean voulait remettre au lendemain l'attaque décisive^ quel-
ques soldats, malgré les ordres reçus, se mirent à escarmou-
cher avec les Berbères, et le combat s' étendant à mesure,
successivement l'armée tout entière dut se mêler à la lutte*.
l./oA., VI, 309-325, 354360, 364-365.
2. ïd., VI, 315-378.
3. /rf., VI, 384-389.
4. Cf. GagDat, V Armée romaine, p. 551.
5. Joh., VI, 446-448.
6. W., VI, 486; II, 80-83. Cf. Partsch, p. xxxii-xxxiii, et Tissot, H, p. 692-
693.
7. Cf. Joh., VI, 455-773.
8. /d., VI, 493-495, 528-542.
LE GOUVERNEMENT DE JEAN TROGLITA 375
L*affaire était mal engagée : elle fut plus mal soutenue encore;
tandis que les indigènes, profitant habilement des accidents
du terrain, opposaient, sous le couvert des bois, une sérieuse
résistance ^ les auxiliaires berbères de Tarmée byzantine,
saisis d'une panique subite, prenaient tout à coup la fuite,
bousculant et emportant dans leur déroute le reste des troupes
impériales* : en vain, avec ses principaux officiers, avec les
hommes d'armes liés à sa personne, Jean, se jetant dans la
mêlée, essaya de rétablir la bataille : écrasé sous le nombre,
il ne put, malgré des prodiges de valeur, que couvrir la re«
traite. Le désastre était complet. Le gros de Tarmée grecque,
désorganisée, dispersée, s'enfuit sans retourner la tête, bien au
delà de Gabès, et ne s'arrêta qu'à Tabri des murailles de lunca';
le magister militum^ avec son état-major et le faible détache-
ment qu'il avait pu rallier, se replia plus posément, faisant
tête à la poursuite de la cavalerie ennemie \ et d*abord essaya
de reformer ses régiments sous les remparts d'une petite place
forte assez voisine du champ de bataille^. Le désarroi était
trop grand pour qu'il y pût aisément réussir : il fallut donc
remonter vers le nord, aller rejoindre à lunca les troupes
qui y avaient cherché asile*; mais les pertes éprouvées à la
journée de Gallica avaient été trop cruelles % le moral des
soldats était trop mal raffermi pour qu'on put sans péril con-
tinuer à tenir la campagne. Pour se donner le temps de réor-
ganiser l'armée, de la renforcer en faisant appel aux alliés
indigènes demeurés fidèles, Jean se décida donc à battre en
retraite sur la seconde ligne de défense de la province^ et se
contentant de jeter quelques garnisons dans les principales
1. Joh., Vi, 570-512.
2. id., VI, 595-603.
3. Id, VII, 110-ill, 135.
4. W., VI, 692-696.
5. /d., VII, 1-3.
6. /(/., VII, 61. 136.
7. BelL Vand., p. 533.
316 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
forteresses de la frontière^, il alla avec le reste de ses forces
s'établir dans la puissante citadelle de Laribus*; dans cette
forte position stratégique, couverte par d'épaisses forêts, il
était à l'abri de toute attaque, et bien placé pour donner la
main aux contingents berbères de la Numidie. Malheureuse-
ment, à ce moment même la discorde éclatait entre les
alliés de Byzance ; Goutsina et Ifisdaias semblaient à la
veille d'en venir aux mains, menaçant, par leurs luttes intes-
tines, d'enlever à Tarmée grecque le puissant appui de leurs
nombreuses troupes'. De son côté, Antalas sortait de sa neu-
tralité et, enhardi par le désastre des impériaux, joignait ses
forces à celles des rebelles ^ ; enfin la Byzacëne était ouverte
à tous les ravages, et les cavaliers indigènes, pillant et mas-
sacrant tout sur leur route, poussaient audacieusement jus-
qu'aux portes mêmes de Carthage*. A la fin de l'année 547,
une fois encore, tout était à recommencer.
Malgré la grandeur du péril, Jean dut passer tout l'hiver
à reconstituer son armée*. Fendant qu'à Carthage, le préfet
du prétoire Athanase et le jeune fils du magister militum^ qui
avait accompagné l'expédition, s'occupaient d'organiser les
renforts et dirigeaient sur Laribus des convois importants
d'armes et d'approvisionnements', le général négociait avec
les Numides; ses agents remettaient d'accord Ifisdaias et
Goutsina ', et le roi de l'Aurès lui-même, labdas, entrainé ou
contraint par l'attitude des chefs, ses voisins, se décidait à
placer ses contingents sous les drapeaux de Byzance*. Au
printemps de 548, toutes les troupes des alliés indigènes
1. Joh., VII, 137-139.
2 Id , vil, 143-150.
3. Jd., VU, 245-248.
4. /d.. VII, 286-287.
5. Bell. Vand., p. 533.
6. Cf. Partsch, p. xxxv-xxxvr.
7. Joh., VU, 199-202, 236-239. Cf. sur le fils de Jeao, Pierre, id , VII, 209-
218 ; I, 197-203, 207.
8 Id., VI!, 242-261.
9. Id., Vil, 277-279.
LE GOUVERNEMENT DE JEAxN TROGLITA 377
étaient rassemblées dans la plaine d'Arsuris, sur les confins
de la Proconsulaire et de la Byzacëne^ ; Coutsina avait amené
30,000 hommes, Ifisdaias 100,000; labdas avait envoyé son
fils avec 12,000 cavaliers. Jean, avec les forces régulières qui
lui restaient, et qui formaient d'ailleurs la moindre partie de
son armée, vint rejoindre ses confédérés pour reprendre
TofTensive. La campagne suprême commençait.
Les révoltés , sous les ordres de Garcasan et d' Antalas, étaient
campés entre Sbiba et Kairouan, dans la grande plaine de
Mamma*. A l'approche de l'armée impériale qui débouchait
sans doute par la route d'Assuras à Sufetula, Garcasan, enor-
gueilli par le succès de Tannée précédente, proposait d'attendre
en bataille rangée le choc des troupes byzantines. Mais An-
talas, fidèle à la vieille tactique des indigènes, fit décider la
retraite: il montra quel auxiliaire les chaleurs commençantes
allaient fournir aux rebelles, quelles seraient pour les troupes
grecques les fatigues, les difficultés de la marche à travers un
pays totalement dévasté ; et connaissant de longue date le
point faible de ses adversaires, il pressentit qu'au bout de peu
de jours, Tarmée byzantine, épuisée, démoralisée, ou bien se
soulèverait contre ses chefs, ou bien se laisserait battre sans
résister'. Gonfiants dans ses conseils, les insurgés se re-
plièrent en toute hàte^ et par la route qui traverse Sbeitla,
Madarsuma, Tabalta, ils atteignirent en dix jours le littoral
et vinrent camper au pied des remparts de lunca^. Pendant
dix jours, malgré un violent coup de sirocco ', Jean poursuivit
les rebelles, sans d'ailleurs {parvenir à les joindre autrement
qu'en quelques rapides engagements d'arrière-garde ", et il
vint s'établir en face d'eux, près de la côte, comptant bien
leur livrer une bataille décisive. Mais encore une fois^ les
1. /(OA., vil, 273 ; Parlsch, p. xxxvr.
2. W., vil, 283-285.
3. M.. VII, 295-310.
4. W., Vn, 370-373, 391-396.
5. /d., VU, 323-333, 370-371.
6. Jrf., Vil, 361-363.
318 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
tribus se dérobèrent, et quittant la plaine, elles se jetèrent
dans les massifs montagneux de la Byzacène \ espérant attirer
les impériaux à leur suite dans ce pays peu fertile, accidenté
et difficile, où la famine et les embuscades berbères auraient
bien vite raison de leur résistance. Mais Jean ne se laissa point
prendre à leur ruse; il s'établit sur la côte, où le port voisin
de Lariscus * lui permettait de ravitailler aisément ses troupes,
et patiemment il pensait attendre que la disette fit sortir les
tribus de leur retraite. C'est à ce moment que se réalisèrent
les prévisions d'Antalas. Ne comprenant point la prudente
tactique de leur chef^ voyant seulement les fatigues subies, la
solde non payée, la fin de l'expédition inutilement retardée,
les soldats se soulevèrent en une formidable sédition '. Sans
écouter leurs officiers, ils se portèrent avec des cris de mort
vers la tente du général, et Jean n'eut que le temps de s'é-
chapper avec quelques hommes demeurés fidèles*. Fort heu-
reusement pour la cause impériale, les contingents indigènes
ne se laissèrent point entraîner dans la révolte * ; grâce à eux,
on put arrêter le tumulte et éviter l'effusion du sang; néan-
moins pour satisfaire les troupes, Jean consentit à marcher à
Tennemi. Il le trouva à l'endroit appelé les Champs de Caton^^
mais si fortement retranché qu'une attaque de vive force
parut périlleuse ; le magister militum jugea donc préférable
de bloquer la position, persuadé que la famine obligerait
bientôt les rebelles à descendre dans la plaine \ C'est en effet
ce qui arriva : contraints par le manque de vivres à offrir la
bataille, comptant d'ailleurs, à la faveur des offices divins
(c'était justement un dimanche), surprendre les soldats byzan-
tins sans ordre et sans armes", l'esprit monté encore par les
1. JoA., Vllï, 38-40; cf. ParUch, p. xxxvii, n. 209.
2. W., VIII, 46.
3.W., VUI, 50-31, 81-84.
4. M., VIII, 87-88, 102-104, 111.
5. /d., VUI, 127-129.
6. W ,Vni, 165-166.
7. W., VIII, 170-180; cf. VIII, 243-250.
8. Arf., Vin, 254.
LE GOUVERNEMENT DE JEAN TROGLCTA 379
sanglants sacrifices dont ils avaient pendant la nuit précé-
dente arrosé les autels de leurs dieux, les indigènes, se croyant
sûrs de la victoire, vinrent se jeter sur le camp des impériaux.
Sous cet assaut inattendu, la lutte demeura quelque temps
incertaine' : et déjà, malgré une énergique défense^ les troupes
de Goutsina et les régiments réguliers mêmes qui les enca-
draient pliaient sous le nombro, lorsque le magister milUum
qui, par une charge vigoureuse, avait dispersé les lignes
rangées en face de lui, vint fort à propos au secours de ses
lieutenants. Après une terrible mêlée, où succombèrent, avec
les principaux des chefs berbères, quelques-uns des meilleurs
officiers grecs, la victoire pourtant semblait assurée, lorsque
rassemblant ses dernièresforces. Car casan lui-même les lança
à une attaque suprême : mais dès le début de l'assaut, le roi
berbère tomba frappé de la main même de Jean Troglita*. Sa
mort fut pour les siens le signal de la déroute ; sans même
essayer de défendre leur camp, les Berbères s'enfuirent en
désordre ; beaucoup d'entre eux tombèrent sous Tépée des
cavaliers lancés à leur poursuite ; le reste évacua en toute
hâte la Byzacène '.
Le succès cette fois dépassait toutes les espérances* ; dix-
sept des principaux chefs berbères étaient restés parmi les
morts*, et parmi eux le plus terrible, Carcasan, dont la tête
coupée, plantée au botit d*une pique, allait orner la rentrée
triomphale du magister militumk Garthage ^. Après cette dure
leçon, les tribus de la Tripolitaine, épuisées, décimées, re-
nonçaient à la lutte et se réfugiaient au désert ; celles de la
Byzacène, livrées à la discrétion du vainqueur, n'avaient plus
de salut que dans une complète soumission ; Antalas s'y ré-
signa, et, suivant la forte expression de Procope, « il obéit à
\. Joh., VIII, 370-656.
2. W., VIII, 627-636.
3. BelL Vand., p. 534.
4. Id., p. 534; Bell. Go th., p. 549.
5. Jordanes, Romana, p. 51-52.
6. Joh , VI, 484-187.
380 HISTOIUE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Jean comme un esclave »^ La paix était donc rétablie en
Afrique ' ; après quatre années de désolations et d'invasions
presque ininterrompues, la province allait enfin goûter le repos
si impatiemment souhaité'. Sans doute, elle sortait presque
épuisée de cette longue série de catastrophes : le pays était
dépeuplé, appauvri ; des régions entières, jadis fertiles, étaient
changées en désert; et pendant longtemps encore les cam-
pagnes devaient rester presque abandonnées*. Gepeûdant,
dans toute TAfrique, la joie était entière, et la soumission
définitive des tribus semblait annoncer une ère nouvelle de
paix, de concorde, de justice \ « A partir de ce moment, dit
Procope, les Romains n'eurent en ce temps aucune guerre à
soutenir en Afrique » * ; et en effet pendant quatorze années —
jusqu'en 562 — les textes ne mentionnent aucun trouble dans
la province. On peut croire que sous l'administration de Jean
Troglita, élevé en récompense de ses victoires à la dignité de
patrice\ toutes les mesures nécessaires furent prises pour
réorganiser promptement la province : la défense de la fron-
tière, dont mieux que personne le gouverneur général con-
naissait les principes et comprenait la nécessité ', fut recons-
tituée sur le plan tracé jadis par Bélisaire et par Solomon ;
les relations de vassalité qui liaient à Byzance les chefs indi-
gènes furent rétablies et fortifiées ' ; même l'administration
civile semble avoir repris son cours : dii moins en 530 encore,
le préfet du prétoire Athanase apparaît à côté de Jean Tro-
glita. En tous cas, en 552, la province était assez paisible
pour que le patrice put concourir à la guerre ostrogothique,
et envoyer en Sardaigne et en Corse une expédition et une
i,Bell, Golh.y^. 549-550.
2. Joh., Praef., 2, 35; (, 9-10; Jordanes, L c.
3. Bell. Vand.,^, 534; Bell. Goth,, p. 550.
4. Bell, Vand., p. 534 ; Bell. Goth.y p. 550 ; Hisi. arcan., p. 106.
5. Joh,, 1, 9-13.
6. Bell, Goth.y p. 550.
7. C'est le titre qu*il porte dans Jordanes, /. c.
8. Cf. Joh., VI, 38-52.
9. Joh,, 1, n-22.
LE GOUVERNEMENT DE JEAN TROGLITA 381
flotte destinées à chasser de ces lies les troupes de Totila^
C^est peu après cetle date, selon toute vraisemblance, que
mourut le glorieux général : par sa bravoure, par ses talents
de diplomate et d'administrateur, il s'était montré en Afrique
le digne successeur de Solomon ; et il avait rendu au pays une
tranquillité qui, jusqu'aux derniers jours presque du règne de
Justinien^ ne fut troublée par aucun incident : entre 552 et
558,Âgathias ne mentionne pas un événement en Afrique.
i. Bell. Golh., p. 590-591.
DEUXIÈME PARTIE
LA GONDinOH DE L'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE DE JDSTllIIEN
CHAPITRE PREMIER
l'état MATÉRIEL DE l' AFRIQUE BYZANTINE
Dans un passage célèbre de V Histoire secrète, Procope a mar-
qué en traits déplorables les conséquences qu'eut pour TÂfri-
que la conquête byzantine. « L'Afrique, dit-il, qui s'étend sor
de si vastes espaces, fut si complètement ruinée que le voya-
geur, sur de longs parcours, s'étonne de rencontrer un homme.
Cependant les Vandales en état de porter les armes étaient
environ quatre-vingt mille, sans compter les femmes, les
enfants, les serviteurs ; les Africains qui habitaient dans les
villes, qui cultivaient la terre, qui faisaient le commerce de
mer, formaient, je Tai vu de mes yeux, une telle multitude
qu'à peine pouvait-on l'évaluer; plus nombreux encore étaient
les Maures, et tous ont péri avec leurs femmes et leurs
enfants. Le même pays a dévoré bien des soldats romains, et
beaucoup de ceux qui de Byzance avaient suivi Tarmée : en
sorte qu'en estimant à cinq millions d'hommes le nombre de
ceux qui sont morts en Afrique on demeurerait, je crois, encore
au-dessous de la réalité. C'est que Justinien, après la défaite
des Vandales ne s'inquiéta point d'assurer la solide possession
du pays ; il ne comprit point que la meilleure garantie de Tau-
L'ÉTAT MATÉRIEL DE L'AFRIQUE BYZANTINE 383
torité réside dans ta bonne volonté des sujets : mais il se hâta
de rappeler Bélisai re qu'il soupçonnait injustement d'raspire
à Tempire, et lui-même administrant T Afrique à distance, il
répuisa, la pilla à plaisir. Il envoya des agents pour estimer
les terres, il établit des impôts très lourds qui n'existaient
point auparavant, il s'adjugea la meilleure partie du sol, il
interdit aux ariens la célébration de leurs mystères, il différa
les envois de renforts et en toute circonstance se montra dur
au soldat : et de là naquirent des troubles qui aboutirent à de
grands désastres. L'empereur, en effet, ne sut jamais conserver
les choses en Tétat, mais il se plaisait naturellement à tout
remuer et à tout bouleverser '. »
Ainsi la province dépeuplée, le pays laissé sans défense, li-
vré en proie à une administration détestable, ruiné par les
exactions financières, l'intolérance religieuse, les soulèvements
militaires, tels furent, à en croire l'impitoyable réquisitoire
de Procope, les seuls résultats qu'eut pour TAfrique le règne
de Justinien. Et en effet, si sujettes à caution que soient d'or-
dinaire les assertions de \ Histoire secrète , ici pourtant il
faut admettre que ces sévères critiques renferment quelque
part de vérité. Dans ses ouvrages proprement historiques, Pro-
cope a également constaté^ en termes moins exagérés, mais
non moins significatifs, les conséquences des longues querelles
intestines et des perpétuelles incursions berbères : il a montré
les campagnes désertes, les populations rurales s'enf uyant dans
les villes, les riches quittant l'Afrique pour chercher asile en
Sicile ou à Byzance, les Maures pillant et massacrant tout, le
pays enfin presque vide d'hommes '. Gorippus, un témoin ocu-
laire, renchérit encore sur le récit de ces misères : il peint, lui
aussi, non sans quelque fatigante amplification poétique, les
Africains tombant sous le glaive des Berbères ou traînés à la
suite du vainqueur en longs troupeaux de captifs, les campagnes
mises au pillage, les moissons réduites en cendres, les églises
1. HUt. arc, p. 106-107.
2. Be/L Vand., p. 512, 534; Bell. Goth., p. 550.
384 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
ruinées et les prêtres esclaves, les indigènes courant librement
la Byzacène et venant jusqu'à la côte insulter les murailles
des cités, le pays si désolé enfin qu'il est devenu incapable de
rien produire, et, selon l'énergique expression du poète : « l'A-
frique fumante s'ablmant dans les flammes » \
Il est également incontestable que le premier soin de Justinien
fut de rétablir en Afrique les anciens impôts romains, etcomme
les rôles antiques avaient disparu, des commissaires furent char-
gés de procéder aune répartition nouvelle '.Qu'au coursdecelte
opération, plus d'une injustice ait été commise, il se peut : Pro-
cope parle du vif mécontentement que la mesure souleva dans
la province '. Que plus tard, malgré les précautions prises par
l'empereur, bien des exactions se soient produites dans la per-
ception des taxes et dans le traitement fait aux sujets, cela
encore est vraisemblable : Procope parle quelque part de la
fortune scandaleuse que fit un certain Théodose, familier de
Bélisaire et préposé à la garde des trésors trouvés au palais de
Garthage^; et les recommandations mêmes prodiguées par
Justinien à ses officiers civils et militaires^ le soin qu'il eut
d'augmenter leurs appointements, l'insistance qu'il mit à leur
prescrire une administration honnête et scrupuleuse ' permet-
tent de croire que ces fonctionnaires durent plus d'une fois
succomber à la tentation.
Est-ce à dire pourtant qu'il faille prendre à la lettre toutes
les accusations de Y Histoire secrète ? Sans relever même l'exa-
gération évidente de ce chiffre de cinq millions de morts, on
1. JoA., 1,28-47 ; H, 295-296, 331-332; IV, 277-279; I, 323-349; II, 1-3; VI,
248-249: surtout IV, 276-297 :
Jam nuUus arator
Arva colit ;
6t I, 47 :
Pumans périt Africa flammis.
2. Evagrius, Bist. eccL, IV, 18 (Pair, gr., LXXXVl, p. 2736); Betl. Vand,,
p. 444-145.
3. Bell. Yand., p. 445.
4. Cf. Bist. arc, p. 17, et sur le personnage nommé dans ce passage, Bell.
Golk,, p. 261.
5. Cod. Just,, l 27, 1 et 2.
L'ÉTAT MATERIEL DE L'AFRIQUE BYZANTINE 385
observera chez Fauteur des Anecdota une visible tendance à
généraliser des faits d'une portée beaucoup plus restreinte.
Les témoignages cités plus haut de Procope et de Corippus ne
se rapportent ni à l'ensemble de la province, ni à l'ensemble
du règne ; ils concernent presque exclusivement la seule Byza-
cène, ils visent expressément la crise des années 545 à 548,
qui fut en effet terrible pour l'Afrique, et dont elle fut long-
temps à se relever : elle s'en guérit pourtant, on le verra tout
& rheure, pendant les années de paix qui suivirent et Justinien
ne se désintéressa nullement de cette œuvre réparatrice. On
remarquera d'autre part que la reprise de TAfrique avait im-
posé à l'empire de lourds sacrifices pécuniaires*, et Ton com-
prendra qu'après l'effort demandé aux anciens sujets de la
monarchie, il ait paru légitime de faire peser sur la nouvelle
province l'entretien de Tarmée qui devait la défendre et des
fonctionnaires qui devaient l'administrer ' ; si Ton songe aux
graves conséquences qu'entraînait le moindre retard dans le
paiement de la solde, on concevra qu'il ait semblé nécessaire
d'exiger impitoyablement l'exacte rentrée des impôts*. Évi-
demment il est difficile d'apprécier le poids réel des charges
qui frappèrent la province ; on voit que Tadministration civile
coûtait au total, la Sardaigne mise à part, 17,423 sous d'or,
que les frais de l'administration militaire s'élevaient, la Sar-
daigne également déduite, à 9,026 sous d'or: de ce fait l'Afri-
que avait à payer 26,449 sous d'or, soit 459,196 francs de notre
monnaie \ «foignez à cela la solde de l'armée et les appointe-
ments du magister militiim, son chef, les frais de construction
des innombrables forteresses qui couvrirent le territoire^ certes
le total à fournir put sembler lourd parfois à un pays désolé
par la guerre : mais il fallait vivre, et en tout cas on doit
savoir gré à Justinien des efforts qu^il fit pour ne point se met-
1. Nov, 8, 10; 30, il.
2. Cod. Juat , I, 21, 2, 18.
3. Cf. Noo. 8, 10.
4. Cod. JusL, I, 27, 1 et 2.
1. 25
3S6 HISTOIRE DE Lk DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
tre, comme il le disait, « dans la nécessité d'écraser les contri-
buables de notre Afrique» *. Pour le reste, on avouera sans
peine qu'en matière de religion l'empereur pratiqua une into-
lérance, dont l'Église est d'ailleurs aussi responsable que lui,
et qui fut sans grandes conséquences au surplus pour la pros-
périté matérielle du pays ; on reconnaîtra que la mauvaise
administration de l'armée provoqua des troubles fréquents et
causa de grands désastres. Mais quand V Histoire secrète accuse
le prince de s'être approprié les meilleures terres, il y a exa-
gération évidente dans cette assertion que rien ne justifie ; et
lorsqu'elle blâme l'empereur d'avoir négligé d'assurer la solide
possession de sa conquête^ il y a véritable injustice à oublier
l'œuvre de défense que Justinien poursuivit avec tant de solli-
citude, les citadelles innombrables bâties avec une hâte presque
fébrile, de peur, dit ce basileus, que Procope accuse de coupables
lenteurs, «que le moindre retard ne nuise à nos provinces '. »
Aussi bien, et c'est ce qui achève de réduire à leur vraie va-
leur les affirmations de V Histoire secrète, malgré les guerres,
malgré les ravages des Berbères, malgré la dureté de l'admi-
nistration financière, l'Afrique goûta incontestablement, sous
le règne de Justinien, une fort réelle prospérité. Telle période
de son histoire qui nous parait pleine de désastres et de
troubles, ces années, par exemple, où les incursions des
Maures, l'indiscipline des troupes, la redoutable insurrection
de Stotzas mettaient la domination byzantine à deux doigts
de sa perte, semblent avoir été aux contemporains beaucoup
moins cruelles que nous ne croyons : Corippus s'en souvient
à peine, quand il vante « les dix pleines années de bon-
heur » que l'Afrique a connues de 534 à 544». Vers le
même temps, Justinien 'notait avec complaisance le témoi-
gnage rendu à son administration par les députés de la
1. Cod,JusL, 1,27, 1, 18.
2. Id., I, 27, 2, 15 : a ue aliqua protractio proviociis noceat. »
3. Joh„ III, 289-290 :
« Florens haec gaudia sensit
Nostra decem tellas plenos laxata per annos. •
L'ÉTAT MATÉRIEL DE L'AFRIQUE BYZANTINE 387
Byzacène, venant dire de quels bienfaits ils jouissaient sous
le régime impérial'. On peut croire que les blessures des
années suivantes, si terribles qu^elles nous paraissent, trou-
vèrent de même une assez prompte guérison : et d'ailleurs,
bien des indices précis attestent la prospérité des villes et
des campagnes africaines sous le règne do Justinien, autant
que la sollicitude témoignée par le prince à sa récente con-
quête.
II
« Justinien, dit Evagrius, releva en Afrique cent cinquante
villes; les unes, il les rebâtit complètement, les autres^ qui
étaient en grande partie ruinées, il les restaura avec plus de
magnificence. Dans toutes, il prodigua tous les genres de pa-
rure, les constructions publiques et privées, les ceintures de
murailles et les superbes édifices, qui font la splendeur des cités
en même temps qu'ils plaisent à Dieu. Il multiplia les travaux
d'eau autant pour Tagrément que pour Tulilité, créant les uns
de toutes pièces pour les villes qui n'en possédaient point aupa-
ravant, réparant les autres de manière à leur rendre leur
aspect d'autrefois*. »Ilne s'agit pas seulement ici, on le voit,
de ces innombrables citadelles, par lesquelles Tempereur vou-
lut assurer la défense de la province; l'œuvre de réparation
que décrit Evagrius eut une autre ampleur et une portée plus
baute. Elle atteste le désir qu'avait le prince d'effacer en Afri-
que les traces de la domination vandale^ de faire renaître la
prospérité qu'avait connue ce pays sous l'autorité de Rome;
elle s'accorde avec les mesures bienveillantes que Justinien
prescrivait à Tégard de ses. nouveaux sujets, avec les efforts
qu^il tentait pour étendre vers le sud le champ de la colonisa-
tion ; et si l'on songe que dans l'empire tout entier, un des
constants soucis du basileus fut d« fournir aux cités les cons-
1. Nov. (éd. Schoell), Âpp. U.
2. Evagrius, Hist, eccl,^ IV, 18.
388 HISTOIRE DE LA DOMINATEON BYZANTINE EN AFRIQUE
tructions d'utilité publique, thermes, aqueducs, fontaines, né-
cessaires à ralimentation et au bien-être des habitants', on
admettra, sans peine, qu'en Afrique plus qu'ailleurs, il a dû
multiplier les travaux pour l'améDagement de l'eau*. Aujour-
d'hui encore^ bien des indices épars, lambeaux de textes ou rui-
nes de monuments, permettent d'entrevoir l'exactitude des ren-
seignements fournis par l'historien. On verra plus loin de
quelle floraison d'églises le rétablissement de Torthodoxie
couvrit les provinces africaines : la sollicitude de Justinien ne
fut pas moindre pour la construction des édifices civils. On
peut croire que son orgueil se complut à laisser des marques
visibles de son règne dans ces villes qu'il décorait de son nom,
Justiniana Capsa, Hadrumetum Justiniana, Carthago Justi-
niana% et dont plusieurs, au reste, telles que Justiniana Zabi ou
Justinianopolis, furent de véritables créations de la volonté im-
périale*. OnsaitparProcope comment Leptis magna, trouvée
par les Byzantins à peu près en ruines et presque ensevelie sous
les sables, fut reconstruite par les ordres du prince et, selon
l'expression de l'écrivain, « reprit figure de ville »': sans parler
des églises nombreuses qui y furent élevées, Justinien y fil
réparer l'antique palais de Septime Sévère, il dota la cité de
bains publics et d'autres édifices somptueux*. Des travaux du
même genre embellirent Sabrata^. Sur la côte de Byzacène, &
ce promontoire de Caput Vada où avaient débarqué les trou-
pes de Bélisaire, une ville fut fondée sous le nom de Justiniano-
polis; et, malgré les difficultés naturelles de la situation^ réta-
blissement impérial semble avoir été prospère, grâce à Ja
sûreté du port qui y fut établi, grâce à l'activité des échanges
1. Cf. Aed., p. 312-313.
2. Voir un exemple cité par La Blanchère, Vaménagement de Veau dans
r Afrique ancienne^ p. 58-59.
3. Cl. L., Vill, 101, 102 (Capsa) ; Aed,, p. 340: Ubbe, V, p. 376 (Hadru-
mele); Aed,y p. 339; Joh., VI, 59; Nov. 37 (Carthage).
4. C. /. L., VUl, 8805 (Nova JusUniana Zabi); Aed,, p. 341-342.
5. Aed., p. 335-337.
6. M., p. 336-337.
7. /d.,p. 337.
L'ÉTAT MATÉRIEL DE L'AFRIQUE BYZANTINE 389
qui se firent sur l'important marché qui y fut ouvert *.l La
capitale de l'Afrique byzantine, Carthage, naturellement reçut
sa large part des bienfaits et des libéralités du souverain.
L'ancien palais des rois vandales, situé sur les hauteurs de
Byrsa, fut aménagé pour servir de résidence au gouverneur
général, et une église somptueuse y fut édifiée'. Pour aug-
menter le développement du commerce de mer, une des prin-
cipales sources de la prospérité de Carthage, le port fut pro-
tégé par d'importants travaux de fortification > ; et dans le
quartier marchand situé le long du rivage^la grande place
appelée le forum de mer fut encadrée d'une double rangée
de portiques'. Dans la ville, des thermes magnifiques furent
bàtis^ qui reçurent, en Thonneur de l'impératrice, le nom de
Thermes Théodoriens* et Tensemble des constructions ordon-
nées par l'empereur parut aux contemporains assez considé-
rable pour que Procope ait pu parler « de la nouvelle Carthage
créée par Justinien^ »
Mais l'exemple le plus caractéristique peut-être de ce que fut
l'œuvre de réparation entreprise en Afrique par le gouverne-
ment impérial est fourni par les récentes fouilles poursuivies à
Timgad par le Service des monuments historiques. Thamugadi,
on le sait, avait été trouvée par les troupes de Soiomon absolu-
ment ruinée et déserte ; située d'autre part à la frontière même
du territoire byzantin, elle n^offrait, ni par l'éclat d'un nom
jadis illustre, ni par une importance urbaine bien considérable,
des raisons d'attirer particulièrement l'attention des administra-
teurs grecs. Pourtant les lieutenants de Justinien ne se conten-
tèrent point, comme on Ta cru longtemps, d'élever sur cet em-
placement désert la grande forteresse qui se dresse au sud de
1. Aed., p. 341-342, et sur le port, Joh,, I, 372-373.
2. Aed., p. 339; Bell. Vand., p. 474, 523, 392-393.
3. Id., p. 339.
4. BelL Vand., p. 394 et 392.
5. Aed., p. 339.
6. /d., p. 339.
7. 7d., p. 339 : cit\ Kap*xv)86vo< ttj; véa;.
390 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
la ville; pour ramener la vie dans la cité abandonnée, ils s'ap-
pliquèrent à réparer les ravages causés par les Maures*. Les
maisons détruites par Tincendie furent reconstruites « au
moyen de fragments de colonnes ou d'autres débris enlevés
aux ruines d'alentour » ' : le marché fut remis en état, et de
nouveau servit aux échanges : les édifices religieux furent res-
taurés, en particulier la grande basilique à trois nefs située au
nord-ouest de Tare de Trajan, et où apparaissent les traces non
équivoques des remaniements accomplis au vi** siècle. Plusieurs
chapelles nouvelles furent construites; et, à Tabri de la cita-
delle qui la protégeait, Thamugadi recommença à vivre, et
jusque vers le milieu du vu*' siècle elle demeura un centre
d'habitation ^ On admettra sans peine que l'exemple de Timgad
n'est point un cas isolé, qu'en bien d'autres points de l'Afrique
l'administration impériale ne fut ni moins attentive ni moins
réparatrice que dans la ville assez obscure perdue au pied du
massif de l'Âurès; on l'admettra surtout, si l'on considère en
quelle harmonie les fouilles se trouvent ici avec les indications
des textes et par quel éclatant témoignage elles montrent réa-
lisées les intentions qu'exprimait Justinien, lorsque, derrière
les citadelles du lunes reconstruites, il ordonnait de pousser du
même pas l'agriculture et la colonisation *.
Ce n'est point en constructions seulement que se dépensait
l'activité impériale. Dans les grandes villes de l'Afrique by-
zantine, la civilisation romaine jette un dernier éclat. Le ré-
gime municipal gouverne les cités comme autrefois *, et Jus-
tinien semble s'être, entre autres exemples, préoccupé de le
réorganiser à Cartbage^ et de l'introduire dans ses nouvelles
fondations ^ Malgré les misères du temps, les arts de la paix
i. A. Ballu, Rapport sur les travaux de fouilles et de consolidation des ruine»
de Timgad, exécutés en 1895 par le Service des monuments historiques {Jour-
nal officiel du 4 juin 1896).
2. Ibid., p. 3122.
3. i6id., p. 3121-312 K
4. Cod. JusL, I. 27, 2, 8.
5. Cf. Daho. Die Kfinige der Germanen, I, p. 239-240.
6. Joh,, ni, 280; Aed., p. 342.
L'ÉTAT MATÉRIEL DE L'AFRIQUE BYZANTINE 391
fleurissent. Sur la côte, que les relations commerciales mettent
en de fréquents rapports avec TOrient, les formes arcbi tecto-
niques et le style décoratif s'inspirent de Fart de Byzance, et
plus d'un morceau d'architecture conservé à Sfax, à Lamla, à
Sousse ou àKairouan semble ètrel'œu vre d'artistes grecs * . Dans
l'intérieur, où persiste davantage la prédominance des tradi-
tions latines, un essai d'art original, bien que d'une rare gros-
sièreté, se manifeste dans ces curieux carreaux de terre cuile
employés au revêtement des basiliques '. Ailleurs, la sculpture
produit même de plus remarquables ouvrages : je citerai seu-
lement les deux beaux bas-reliefs, découverts à Cartbage parmi
les ruines de la basilique de Damous-el-Karita, et qui repré-
sentent V Adoration des mages et V Apparition de Fange aux ber-
gers ; malgré quelque maniérisme dans le style et quelque
maladresse dans les attitudes, les deux morceaux peuvent
compter parmi les meilleurs que nous ait laissés l'art byzantin
du vi^ siècle '. Mais c'est surtout la mosaïque, si répandue jadis
et si populaire dans les cités africaines, qui garde un rôle im-
portant dans la décoration des monuments. Si la mosaïque de
Gafsa, représentant les jeux du cirque, appartient, comme je
le crois, à l'époque que nous étudions, elle montre^ malgré
les insignes faiblesses de l'exécution, quel sentiment du pit-
toresque possédaient encore les artistes africains du temps de
Justinien * ; elle montre surtout que l'hippodrome excitait dans
les provinces les mêmes passions qu'à Constantinople, et elle
\. SaladiD, I, p. 4, iO, 21, 29-31, 224.
2. Bull, Conu, 1885, p. 327; Revue archéoU, 1888, p. 303-322; Comptes rendus
de r Académie des inscriptions, 1893, p. 219-221 ; iteoue archéoL, 1893, t. II, p. 213-
281.
3. Bull, Com,, 1885, p. 190; 1886, p. 220-223; Delattre, Archéologie chré-
tienne de Carthage, 1889-1893, p. 17 (extrait du Cosmos), Je n'ignore point que
de Rossi, qui d'ailleurs n*avait pas vu les originaux, attribue ces monuments
au IV* siècle. Après une étude attentive, Je snis frappé des analogies qu'ils
offrent avec les ouvrages byzantins du vi« siècle, par exemple avec Tambon
de Saloniqae. M. Gsell a exprimé sur cette question la même opinion que
moi.
4. Cf. P. Gauckler, Guide du visiteur au Musée du Bardo (Revue tunisienne,
4896, p. 315).
392 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
laisse entrevoir de quelle animation se remplissait, aux jours
de fête, le grand cirque que Carthage avait au vi® siècle *. A
ce double point de vue artistique et social, on trouvera plus
d'intérêt encore aux mosaïques découvertes dans les cimetières
chrétiens de Lamta et de Tabarka ' : non seulement elles mon-
trent, par cette application de la mosaïque à la décoration des
plaques tombales, à quel point s'était généralisé Teraploi de
ce mode d'ornementation ; elles fournissent en outre un en-
semble singulièrement instructif pour reconstituer Taspect de
la société africaine de l'époque. Hommes en longue dalmatique
verte ou blanche ornée de larges bandes de broderies, avec le
manteau triangulaire de laine brune enveloppant le buste, et
Vorarium passé autour du cou ; femmes en étroites robes col-
lantes brodées au cou et aux poignets, serrées à la taille par
une ceinture rouge et que recouvre une ample tunique aux
larges manches de couleur éclatante, avec les bijoux sur la
poitrine, Técharpe claire flottant sur les épaules et parfois en-
cadrant le visage; enfants en culottes collantes alternées de
jaune et de rouge, en courtes tuniques blanches à bandes de
couleur : ce sont autant de portraits authentiques qui mettent
sous nos yeux en de vivantes images les habitants de l'Afri-
que tels qu'ils étaient au temps de Justinien '.
Il n'est pas jusqu'aux lettres qui ne brillent d'une dernière
et fugitive lueur. Un des premiers soins de l'empereur, au
lendemain de la victoire, fut de réorganiser à Carthage une
sorte de haut enseignement*, et on a lieu de croire qu'à
1. Bell, Vand., p. 473, 492.
2. SaladiD, I, p. 11-20 ; Gagnât, Archives des Missions, Xtll, p. 113-1 14 ; Comptes
rendus de CAcad. des inscriptions , 1883, p. 189 sqq. (Lamta) ; Bu/^ Ant. Afr.,
1884, p. 121 8qq. ; 1885, p. 1 sqq.;Con.ptes rendus de VAcad. des inscriptions,
1890, p. 330*331; Bull.Com., 1892, p. 193-196 (Tabarka).
3. Cf. P. Gauckler, Guide du visiteur au Musée du Bardo, p. 315-316. Je
D*igDore point qu'une grande partie de ces mosaïques datent du v« siècle :
mais d*autres appartiennent sûrement au vi* siècle. Or, entre les premières
et les monuments d'époque plus récente (celles da second cimetière de Ta-
barka, par exemple), il n*y a pour les costumes nulle différence essentielle.
4. Cod. Just.j I, 27, 1, 42. Cf. Marquardt, Organisation financière des Ro-
mains, p. 133-134.
L'ÉTAT MATÉRIEL DE L'AFRIQUE BYZANTINE 393
l'exemple de la capitale, d'autres villes eurenl des écoles publi-
ques de grammaire et de rhétorique*. Un mouvement litté-
raire assez considérable avait marqué les règnes des derniers
souverains vandales ' : il ne cessa point entièrement après la
chute de Gélimer. L'Afrique byzantine eut dans Corippus un
poète, nourri des souvenirs et des procédés du classicisme
romain. L'Église, on le verra plus tard, produisit quelques
écrivains de valeur : et dans les couvents africains on parait
avoir gardé quelque souci des lettres. Tout au moins les bi-
bliothèques monastiques conservaient-elles au vi® siècle nom-
bre de manuscrits précieux : pour enrichir son monastère
Vivariense, Cassiodore faisait venir des livres de l'Afrique •;
et les moines n ignoraient point le prix de ces trésors. Lors-
que les menaces de la guerre les obligeaient à fuir, une de leurs
premières préoccupations fut souvent de sauver les manuscrits
de l'abbaye *.
Certes, si Ton compare ces débris de civilisation au brillant
tableau que présentait FAfrique romaine vers le temps de sa
pleine prospérité, on avouern sans peine que l'âge de la déca-
dence est commencé. Pourtant toute culture n'est point morte
dans les villes de l'époque byzantine; une vie régulièrement
organisée, un art, une littérature s'y rencontrent : et malgré
les désastres et les tristesses du temps, malgré le fracas de
guerre qui remplit incessamment l'Afrique, la sollicitude im-
périale ne s'est point, autant qu'on le pourrait croire, désin-
téressée des arts de la paix.
III
Au point de vue de la répartition des terres et du régime
1. JuDiliuâ, Depariibus divinae legis, praef, {Pair, lat.^ LXVllI, p. 15).
2. Maoitius, Gesch. der christlich lateinischen Poésie^ p. 327-344.
3 Cassiodore, De Inst, divinarum liUerarum, 8, 29 {Pair, lat. j LXX, p. ii20,
1144).
4. HildefODSUS, De Viris iUuslHbus, 4 (Pair, lat., XGVI, p. 200).
394 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
de la propriélé, la domination vandale avait apporté de graves
changements en Afrique. Beaucoup de propriétaires romains,
ceux là surtout qui possédaient les meilleures portions du sol,
avaient été spoliés au profit des vainqueurs et souvent réduits,
sur leurs propres domaines, à la condition de colons. L'Église
orthodoxe n'avait pas été moins durement traitée : elle s'était
vue dépouiller de ses biens et chasser de ses basiliques au bé-
néfice de ses adversaires ariens. Enfin les rois vandales s'étaient
fait la part belle dans la conquête : sur les domaines de Taris-
tocratie romaine, Genséric avait constitué pour ses fils de
vastes apanages ; et s*il est inexact de croire que tout ce qui
ne fut point distribué aux soldats fut uniformément trans-
formé en terre royale, en tout cas il est indéniable que les
possessores d'Afrique avaient lourdement pàti de Tavidité do
vainqueur \ Aussi le premier soin de Justinien fut-il, on Ta
vu^ de réparer du mieux qu'il put les désastres de l'époque
vandale et de faciliter aux anciens propriétaires romains la
reprise des terres qu'ils avaient perdues *. II se peut qu'au
cours des opérations assez comp^quées auxquelles ces reven-
dications donnèrent lieu^ l'empereur n'ait point oublié les in-
térêts de l'État et du domaine privé. On voit dans Procope
que beaucoup de propriétés enlevées aux soldats vandales, au
lieu d'être restituées à leurs anciens détenteurs, furent attri-
buées, sans doute en l'absence de titres légitimes, au trésor
public ou à la res privata ' ; il est probable aussi que Tempe-
reur se porta héritier de toutes les terres qui avaient consti-
tué jadis le domaine des rois germains. Pourtant on ne sau-
rait admettre qu'il y ait eu, comme le veut V Histoire secrètBj
une véritable spoliation des propriétaires africains au béné-
fice de Justinien : c*est un but absolument contraire que se
proposent les Novelles impériales, et il y a tout lieu de croire
que les intentions du prince furent en grande partie réalisées.
1. Bell. Vand,^ p. 333-334; Dahn, Die Kônige der Gemianen^ I, p. 240-243,
247-248.
2. Nov. 36-37.
3 Bell. Vand., p. 470.
L'ÉTAT MATÉRIEL DE L'AFRIQUE BYZANTINE 395
Les textes attestent en effet pour l'Afrique Texistence d'un
régime rural absolument identique à celui qu'on trouve vers
le même temps dans ]es autres provinces de la monarchie '.
On y rencontre, et en assez grand nombre encore^ des paysans
libres vivant sur leurs terres * et groupés en communes agri-
coles; on y rencontre plus fréquemment de grands domaines,
dont les uns appartiennent à l'Église ^, les autres à de riches
possessores*, La façon dont ces terres sont mises en valeur ne
diffère pas non plus de la pratique générale : diverses catégo-
ries de personnes y sont établies, coloni, adscriptitii, servi
rustici. Différents par le degré de liberté et la capacité de pos-
séder dont ils jouissent ', pour le reste ces cultivateurs se dis-
tinguent peu les uns des autres : étroitement attachés au sol
qu'ils mettent en valeur, incapables de quitter la terre où ils
sont nés, ils y demeurent établis à titre héréditaire, et la loi
y fixe leurs enfants * ; cultivant pour le compte du maître, ils
lui paient une redevance déterminée^ ils lui fournissent cer-
taines prestations coutumières \ Dans TAfrique byzantine
comme dans le reste de Tempîre, le régime du colonat tend de
plus en plus à devenir la règle de l'exploitation agricole ^
Mais Justinien ne se contenta point de rétablir dans leurs
anciens droits les possessores d'Afrique : pour favoriser sur
ces domaines le développement de la prospérité agricole, il
prit un certain nombre démesures qui méritent d'être signalées.
Une des raisons quiinspirèrentlaconstructiondeces forteresses
dont il couvrit le pays fut le désir de protéger les cultivateurs
4. Zachariae voA Lingenthal, Gesch. des griechisch-riimiscfien Rechts, 3o éd.,
p. 218-228.
2. Nov. 36.
3. Nov. 37; 7, 1.
4. Nov. (éd. Schoell), App.W et IX.
5. Sur la différence entre les coloni et les adscriptitii, Nov. 162, 2, et Za-
chariae, /. c, p. 221-226. Sur la différence entre les adscriptUii et les se7'vi
rustici, Cod. JusL, XI, 48, 21 et Zachariae, /. c, p. 226-227.
6. Zachariae, Jus graeco-romanum, t. III, Coll. I, Nov. 6.
7. làid., Nov. 13.
8. Zachariae, Gesch. desgr.-rôm. Bechts, p. 223-224.
396 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
et de leur fournir des refuges contre les incursions berbères^ ;
un des motifs qui déterminèrent la création des corps de itmi-
tanei fut Tespoir de remettre en valeur, par une exploitation
régulière, la zone frontière laissée à l'abandon et d'attirer les
colons dans ces régions devenues stériles '. Une question plus
délicate était celle de la réglementation du colonat. La vieille
loi romaine attachait d'une façon absolue Vadscriptiiitis à
la terre ; elle permettait au maître de réclamer en toute cir-
constance et de ramener de force le serf qui s'était échappé.
Or, à la faveur de la désorganisation qui avait accompagné
l'époque vandale, beaucoup de colons et de servi rustici ayaieni
quitté le domaine du maître et vécu en hommes libres; d'au-
tres étaient entrés dans les ordres : maintenant, sur tous ces
fugitifs, les possessores réclamaient leurs droits, et préten-
daient ramener à la terre, non seulement les serfs, mais en-
core les enfants de ces serfs nés postérieurement à leur fuite.
Par une mesure infiniment libérale, Justinien ne voulut point
que la conquête byzantine marquât pour cette catégorie de
personnes une nouvelle ère de servitude; par des disposi-
tions spéciales, il fit fléchir en Afrique la rigueur des lois gé-
nérales, et décida que tous ceux, colons ou servi rustici, qui
auraient quitté leur terre « antérieurement à l'arrivée de la
très heureuse armée impériale », conserveraient leur liberté
reconquise ; de même il interdit de rechercher les colons qui,
antérieurement à une date donnée, étaient entrés dans !*£•
glise '. Toutefois l'empereur prescrivit que le colon qui s*é-
tait réfugié sur la terre d'un autre maître serait restitué à son
possessor primitif * : et pour ne pas exciter trop gravement le
mécontentement des grands propriétaires, il établit en outre
que, pour tout serf échappé postérieurement à la conquête by-
zantine, la loi antique serait appliquée dans toute sa rigueur'.
\. Cod. JusL.l, 27,2,4.
2. id., 8.
3. Nov, (éd. Schoell), App: VI et IX.
4. ^o»., App. VI.
5. Nov., App. IX.
L'ÉTAT MATÉRIEL DE L'AFRIQUE BYZANTINE 397
Si Ton voulait en effet entretenir la prospérité agricole,
il fallait maintenir à tout prix la règle qui attachait le colon à
la terre. Les propriétaires africains le comprenaient bien, et
ils insistaient à Constantinople pour qu'on empêchât par tous
les moyens les cultivateurs de quitter le domaine ^ Toutefois,
sur ce point aussi, Justinien ne leur donna qu'une satisfaction
partielle. Dans les premières années de son règne, il avait,
en S33, réglée par une mesure fort libérale^ la condition des
enfants nés d*un adscriptitius et d'une femme libre, et, réfor-
mant la loi antique, il avait décidé que Tenfant issu d'un tel
mariage serait considéré comme étant de naissance libre ^
Les inconvénients de cette disposition ne tardèrent pas à ap-
paraître : beaucoup de colons purent ainsi quitter le domaine
du maître, et ces désertions devinrent d'autant plus graves
qu'on tenta de donner à la loi nouvelle un efTet rétroactif'.
Sur les réclamations des j9o^5^55or^s, Justinien comprit les dan-
gers que la mesure entraînait pour l'agriculture; et cherchant
un biais, il détermina que, dans le cas cité, l'enfant, tout en
restant de condition libre, ce qui le distinguait de ïadscripti-
tins, demeurait, comme le colonus^ attaché à la terre où son
père vivait *. Ainsi l'empereur espérait à la fois sauver les
principes et satisfaire aux légitimes exigences de l'agriculture.
Toutefois, même alors, il se contenta d'abroger pour l'Illyri-
Cum la loi de 533 : en Afrique, soit que les circonstances aient
été un peu différentes, soit que les réclamations des possessores
aient été moins pressantes, soit que le prince ait trouvé in-
térêt à pratiquer une politique plus libérale, le fils d'un ad-
scriptitius et d'une femme libre conserva son entière liberté *.
C'est plus tard seulement, sous le règne des successeurs de
Justinien, que les protestations énergiques des propriétaires,
l'abandon croissant des terres, la diminution des rentrées du
1. Zachariae, Jtu graeco-romanum^i. III, Coll, L Sov. 6 et 13.
2. Cod. Just., XI, 48, 24. Cf. Nov. 22, 17 et 54, 1.
3. NoD. 54, praef., eïApp, I.
4. Nov, 162, 2.
5. Zachariae, Jus graeco-romanw% t. 111, Coll. 1, Nov, 6.
398 UISTOIHE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
fisc déterminèrent le retour aux dispositions de laloi ancienne.
En 570, Justin II étendit à l'Afrique le règlement pris en 540
pour riUyricum ^, et en 582, Tibère confirma la constitution de
son prédécesseur, « afin, dit le texte, que les terres demeurent
en culture » *.
En tout cas, Justinien s'appliqua, en Afrique comme ailleurs,
à protéger l'intégrité du domaine rural appartenant à l'Église.
Défense fut faite d'aliéner, par vente, donation ou échange,
aucune portion des biens ecclésiastiques, meubles ou immeu-
bles, choses ou personnes '. De même, la loi ordonna de ra-
mener sans merci sur la terre les servi rustici et les colons de
l'Église qui se laissaient attirer sur les domaines des particu-
liers \ Justinien espérait ainsi protéger les propriétés des
clercs contre les usurpations trop fréquentes des grands sei-
gneurs laïques.
Un point est digne d'attention dans les actes que nous ve-
nons d^analyser. Nulle part il n'y est fait mention des troubles
qui agitaient si gravement l'Afrique. Pourtant ces documents
sont postérieurs aux tristes événements qui désolèrent le pays
vers le milieu du vi» siècle : l'un est de 552, Tautre de 558.
Assurément on peut croire que les guerres ne furent point
étrangères à la fuite des colons, non plus qu'à l'àpreté des
propriétaires à réclamer leurs serfs échappés ; il n'en est pas
moins remarquable que, parmi les motifs énumérés pour ex-
pliquer l'intervention impériale, aucune allusion même ne soit
faite aux incursions et aux ravages berbères. Certes il ressort
clairement de ces textes que l'agriculture africaine traversait
h, ce moment une crise assez sérieuse : mais il est incontes-
table aussi que la sollicitude impériale ne fit point défaut pour
réparer du mieux possible les désastres subis.
Aussi bien, malgré les misères de ces cruelles années, mal-
1. Zachariae, l. c, iVot*. 6.
2. Ibid.y Noo. 13 : a at cuit ara terrarum permaneat ».
3. Nov. 7, i.
A. Cf. Greg. Magni Episi., 9, 203.
L'ÉTAT MATÉRIEL DE L'AFRIQUE BYZANTINE 399
gré les incursions berbères, malgré la dépopulation des cam-
pagnes, malgré les troubles de toute sorte qui compromettaient
la prospérité agricole, l'Afrique paraît avoir assez prompte-
ment guéri ses blessures. On a, je crois, quelque peu exagéré
la décadence de la province à Tépoque byzantine^ : ici encore,
comme à l'époque romaine, il convient, pour apprécier exac-
tement les choses, de « limiter sévèrement, et dans le temps
et dans l'espace, le témoignage des documents'. » Or, au
vi' siècle, comme à toutes les époques, la nature du sol et du
climat déterminait en Afrique des régions d'étendue, de ferti-
lité et de culture diverses' : Tune au nord, et qui correspond
à peu près à la Zeugitane, pays de montagnes plus boisées, de
pluies plus abondantes, de terres bien arrosées et bien irri-
guées, où les céréales, la vigne, les cultures maraîchères pros-
pèrent admirablement; l'autre au sud, et qui correspond à peu
près à la Byzacène, pays de hauts plateaux et de plaines qua-
ternaires, où le sol plus léger et plus pauvre, les pluies plus
inégales et plus rares imposèrent généralement les cultures
de terre sèche, celle de l'olivier en particulier, où la fertilité
dépendit plus étroitement des soins apportés à l'aménagement
de l'eau; enfin, la région du désert, où seules les oasis bien
arrosées se prêtent à la culture. Dans ces zones différentes,
au VI* siècle comme aux époques antérieures, la diversité des
cultures a donné au pays la diversité des aspects et des con-
ditions d'existence : tandis que, dans la Zeugitane^ les agglo-
mérations urbaines sont innombrables, et que cette région a
été <c par excellence le théâtre de la vie municipale »\ dans la
Byzacène, au contraire, les grandes villes sont rares, mais la
campagne est toute couverte de bourgades, de hameaux, de
1. Tissot, I, p. 253; La Blanchëre, V aménagement de Veau dam l'Afrique
ancienne^ p. 30.
2. La BlaDchëre, /. c, p. 5.
3. Sur ces différentes régions, cf. P. Bourde, Rapport sur les cultures frui-
lières, p. 29; La Blanchëre, Z. c, p. 22-23, 31; Toutain, Les cités romaines de
la Tunisie^ p. 31-45.
4. Toutain, /• c.,p. 33.
400 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
fermes isolées; la population reste éparse au milieu des
champs, « la vie rurale est plus active que la vie munici-
pale ^ » Tandis qu'au nord enfin se rencontre un pays de
moyenne et de petite propriété, où une population libre fort
dense s'agglomère, au sud, au contraire, c'est une région de
grands domaines, où les maîtres du sol sont peu nombreux,
où la terre est surtout mise en valeur par des colons et par des
esclaves" .
Sil faut tenir grand compte de cette première distinction^
et ne point imprudemment conclure d'une contrée à une autre,
on doit être plus réservé encore en ce qui touche la date des
documents. On parle volontiers de l'appauvrissement de la
Byzacëne à partir du v* siècle, de sa ruine presque complète
à l'époque byzantine : a le littoral, dit-on, est redevenu un dé-
sert; tout le pays est dévasté par la guerre depuis vingt ans;
l'abandon le fait redescendre à une pire condition que celle
d'où l'avait tiré la culture. On meurt de soif, on meurt de faim
dans ces plaines toutes jonchées d'anciens établissements
détruits ^ » C'est prêter là, à mon sens, une confiance trop
aveugle aux déclamations de V Histoire secrète^ c'est généraliser
un peu imprudemment des témoignages qui, dans l'ouvrage
de Gorippus, se limitent à une période de trois ou quatre
années. Certes, je ne conteste point qu'à l'époque byzantine,
la Byzacène ait plus durement pàti que le reste de l'Afrique,
et j'en donnerai tout à l'heure des preuves : il est essentiel
pourtant, sous le bénéfice des observations faites plus haut,
d'examiner plus attentivement qu'on n'a fait ce que nous ap-
prennent les documents.
Un fait est incontestable^ c'est qu'au moment de la conquête
byzantine, l'Afrique, prise dans son ensemble, passait encore
pour un pays d'une remarquable fertilité. Procope dit expres-
sément que c'est « une région riche entre toutes, et qui produit
1. ToutaiD, /. c, p. 36.
2. Ibid., p. 41-42.
3. La Blancbëre, l, c, p. 30.
L'ÉTAT MATÉRIEL DE L'AFRIQUE BYZANTINE 401
à profusion tous les fruits nécessaires à la vie »Set ce témoin
oculaire parle de la masse des gens qui peuplent lescampagnes
et mettent en valeur les terres". Les témoignages particuliers
confirment celte déclaration générale. Entre le promontoire
de Caput Yada et Carthage, sur tout le littoral de la Byzacène
et de la Zeugitane, le pays est bien cultivé, fertile, tout cou-
vert d*arbnfs fruitiers et d'ombrages*. « L'armée, dit Corippus,
cheminait dans Tombre que multipliaient les arbres épais, et
les torrides ardeurs du soleil ne fatiguaient point le soldat*. »
On connaît la description enchanteresse que Procope a faite
de la région entre Hadrumète et Garthage, et de ce vaste do-
maine de Grasse (près de Sidi-Khalifa), où se trouvaient « les
plus magnifiques vergers que nous eussions jamais vus », où,
sous Tombrage desarbres, les sources coulaient en abondance,
où la fertilité était telle que « les soldats purent se rassasier
de fruits, sans que la récolte en parût sensiblement dimi-
nuée*. » Pour l'inlérieur du pays, d'autres témoignages pres-
que contemporains attestent la richesse de la région de Sicca
Veneriaet de certains cantons de la Byzacène \ Enfin, dans
les différentes zones de TAfrique, la culture des céréales, de
la vigne, de l'olivier paraissent avoir atteint une prodigieuse
prospérité'.
Tel était l'état de la province, au moment où elle tomba au
pouvoir de Justinien. II y a lieu de croire que, sous son gou-
vernement, cette prospérité diminua beaucoup moins qu'on ne
Ta affirmé. Examinons la Byzacène, celle de toutes les régions
africaines qui incontestablement souffrit le plus cruellement
des guerres et de la dépopulation. A certains moments elle ap-
paraît transformée en une véritable solitude ; et cela se conçoit.
l.BeZZ. Vand.y p. 423.
2. HisL arcan.^ p. 106.
3. Bell. Vand., p. 3*78, 380, 382-383.
4. Joh.Jll 23-27.
5. Bell, Vand., p. 382-383. Cf. TIssol, II, p. 116.
6. Vila Fulgentii, chap. 17 et 28.
7. Joh., m, 29-34; 11, 201-203.
I. 26
402 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
dans un pays où les villes plus rares n'offraient point aux ha-
bitants du plat pays d'assez nombreux refuges, où le régime
de la grande propriété retenait plus difficilement le colon sur
une terre qui ne lui appartenait pas*. Un signe manifeste
de cette dépopulation apparaît, on le verra plus loin, dans la
diminution significative du nombre des sièges épiscopaux.
Est-ce à dire pourtant que la Byzacëne n'ait point en grande
partie réparé ses pertes? Au vu* siècle, l'intérieur de cette
province, en dépit de deux siècles de troubles, était assez peu-
plé encore, assez prospère, pour que le patrice Grégoire y cher-
chât Tappui de sa révolte et le siège de son éphémère capitale*.
On connaît d'autre part l'anecdote classique rapportée par Iba
Abd-el-Hakem, et qui montre combien, vers le même temps,
la culture de Tolivier était répandue en Byzacène et quelles
sources de richesse en tirait la province^. Enfin les histo-
riens arabes sont unanimes à s'émerveiller de la verdure qui
couvrait le pays, du verger continu parsemé d'habitations, qui,
disent-ils, s'étendait depuis Tripoli jusqu'à Tanger*. Les mo-
numents confirment de façon remarquable ces témoignages
des historiens. Tous ceux qui ont parcouru la Tunisie du
centre et du sud ont vu les vestiges de cette prospérité an-
cienne, débris épars de l'immense forêt d'oliviers qui couvrit
jadis cette terre, restes innombrables des huileries où ses fruits
étaient transformés ^ Or^ tous ces établissements agricoles,
bourgadeset fermes isolées, n'étaient nullement abandonnés
vers le milieu du vi^ siècle. Outre que Corippus parle sans
cesse des grands bois d'oliviers qui de son temps s'étendaient
sur le sol de TAfrique, une autre question s'impose : à quoi
1. ToutaiD, /. c, p. 35-36, 41-42.
2. P. Bourde, /. c, p. 21.
3. IbQ Abd-el-Hakem (dans ibn Khaldoua, trad. de Slane, I, p. 306). Cf.
Bourde, /. c, p. 22-23.
4. P. Bourde, /. c, p. 21 ; Toutaia, /. c, p. 40-41.
5. P. Bourde, /. c, p. 17-19; La Blanchère, /. c, p. 105. Cf. au reste les ré-
serves très justes que La Blanchëre exprime (/. c, p. 106-107) sur la théorie
trop exclusive de M. Bourde.
L'ÉTAT MATÉRIEL DE L'AFRIQUE BYZANTINE 403
eussent servi, si le pays était devenu désert, ces fortins in-
nombrables qui hérissent la contrée et qui protègent, on Ta
vu, tous les centres d'habitation? Évidemment la construc-
tion de ces refuges indique un élat singulièrement troublé;
mais ne prouve-t-elle pas, bien plus encore, avec quelle téna-
cité les cultivateurs africains s'attachèrent au sol, comment
ils y revinrent toujours, malgré les misères du temps? La
plupart de ces citadelles datent de Tépoque qui nous occupe',
et ainsi elles montrent nettement les conditions d'existence
qui lui étaient imposées. Mais on doit croire aussi que leur
protection ne fut point inefficace, et qu'elle permit au pays de
réparer ses désastres. C'est à la fin du vu" siècle seulement
que Tolivette de la Byzacène commença à disparaître; et sa
ruine complète date d'une époque plus basse encore, du
moment où s'abattit sur l'Afrique la grande invasion hila-
lienne*.
Si donc la Byzacène, malgré les misères qui l'accablèrent,
a pu redevenir et demeurer prospère, à plus forte raison les
autres régions de l'Afrique byzantine ont-elles dû conserver
beaucoup de leur richesse passée. Lorsque Corippus parle de
la fertilité de son pays natal, des moissons abondantes et des
vignobles qui le couvrent», on peut sans hésiter appliquer
ces témoignages au Sahel de Sousse et à la. Zeugitane, dont
les grandes plaines conviennent à merveille à ce genre de cul-
tures*. Je ne sais point, malgré le témoignage de Procope',
quelle pouvait être en Tripolitaine l'importance de la culture
des céréales ; mais en tout cas les hauts plateaux de la Nu-
midie et toute la région de l'Aurès étaient extrêmement fer-
tiles au VI* siècle. « On y trouve, dit Procope, des plateaux,
1. Cf. par exemple rétablissement byzantin d*Had]eb-el-Aioun (Bull, Com.,
1894, p. 286-294) où l'on a trouvé des monnaies byzantines allant jusqu'au temps
de Tibère Constantin.
2. Bourde, /. c, p. 23, 25-26.
S.Joh., m, 31-34, 324-331.
4. Cr. Toutain, /. c, p 38, 43-41; La Blanchère, L c, p. 1 et 107.
5. Bell, Vand,, p. 502.
404 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
des sources nombreuses donnant naissance à des fleuves, el
des vergers merveilleux; le blé qui pousse dans cette région
et les arbres fruitiers atteignent une hauteur deux fois plus
grande que dans tout le reste de l'Afrique *. » A Touest de
TAurès, le Hodna n'était pas moins fertile*, et jusque sur les
limites du Sahara la culture des céréales était prospère dans
les oasis qui bordent le flanc méridional du massif aurasique'.
Un seul changement important parait s'être accompli à
l'époque byzantine dans Téconomie rurale de l'Afrique. A
côté des cultivateurs, on voit réapparaître, surtout en Byzacène,
une population indigène pastorale; à côté des plantations
d'oliviers, les prairies, les terres de parcours, de pâture ovine
et chevaline, tiennent une place assez importante*. Comme
on l'ajustement remarqué, il est probable que la route des
marchés qui exportaient l'huile fut plus d'une fois coupée
par les troubles qui agitèrent le pays, et que les cultivateurs
cherchèrent des compensations du côté de l'élevage*. Toute-
fois, même alors, l'exploitation agricole du pays demeura la
chose essentielle : je n'en veux pour preuve que la place qu'oc-
cupent encore dans TAfrique byzantine deux des facteurs es-
sentiels de la prospérité rurale, l'aménagement des eaux et
la végétation forestière.
On sait de quel ingénieux système de travaux hydrauliques
les Romains couvrirent toute l'Afrique ancienne, pour as-
surer l'alimentation en eau des cités et la mise en valeur des
campagnes^ On a vu avec quel soin l'administration byzan-
tine se préoccupa d'entretenir les premiers de ces ouvrages ;
on peut croire que les seconds, plus nécessaires encore pour
compenser les inconvénients du climat, ne furent pas l'objet
1. BelL Vand., p. 465-466. Cf. p. 495.
2. id., p. 466.
3. Joh., \l 156.
4. Bourde, /. c, p. 23; La Biauciière. /. c, p. 107.
5. Bourde, /. c, p. 23.
6. La Blanchère, L'aménagement de Ceau dans C Afrique ancienne^ surtoQi
p. 93; P. Gauckler, L'archéologie de la Tunisie^ p. 16-27.
L'ÉTAT MATÉRIEL DE L'AFRIQUE RYZANTÏNE 405
d'une moindre sollicitude. Si l'Afrique resta cultivée, c'est que
les barrages et canaux indispensables à sa prospérité furent
attentivement réparés ou tenus en état : et eu effets on trouve
en maint endroit la trace de ces restaurations'. Les textes
laissent entrevoir également l'existence de ces ouvrages au
vi« siècle. Procope par exemple a minutieusement expliqué la
façon dont des canaux de dérivation distribuaient les eaux de
TAbigas à travers la fertile plaine de Bagai*; Corippus, qui
emprunte volontiers ses comparaisons au pays où il est né, a
décrit, en homme qui les a vus, les barrages de retenue qui dis-
ciplinent la fougue des torrents et les conduites qui répartissent
utilement l'eau tenue en réserve ". Certes le texte de Procope
montre également comment périrent plus d'une fois ces ou-
vrages au cours des guerres qui désolaient le pays : pourtant,
jusqu'à la conquête arabe,' ils subsistèrent au moins partiel-
lement.
D'autre part, il semble bien certain que l'Afrique byzantine
était plus boisée que la Tunisie actuelle. Certes, on a, je crois,
fort exagéré les choses en attribuant la stérilité présente du
pays au déboisement et aux modifications qui en résultèrent
dans le régime des eaux courantes : des études récentes faites
sur le sol lui-même ont fait en grande partie justice de ce pré-
jugée Toutefois les forêts dont parle si souvent Corippus
n'étaient point toutes, même en Byzacène, des bois d'oliviers ;
et dans la région proprement forestière^, les peuplements pa-
raissent avoir été beaucoup plus abondants qu'aujourd'hui.
Tout le centre de la Tunisie était alors plus boisé que de nos
jours"; de grands arbres couvraient les crêtes, et la végéta-
lion forestière était assez .dense pour que des villes comme
1. La Blanchëre, /. c, p. 58-59.
2. Bell. Vand,, p. 494.
3. Joh., m, 145-151.
4. Cf. Bourde, /. c, p. 6-7; La Blanchère, /.c, p. 103; Toutaio, /. c, p. 39-
40 ; Carton, Climatologie et agriculture de V Afrique andenne.
5. Cf. La Blanchëre, l. c, p. 21.
6. Joh,y 11, 5, 9-10, 424.
406 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Laribus fussent presque cachées au milieu des boisV Nous ne
savons point où il faut localiser le domaine montagneux et
boisé où vivaient les tribus des Silcadenit, des Macares, des
Silvaizan";maistoulelapresqu'ileducap Bon était couverte de
forêts^, et de même le littoral de la Proconsulaire*. Enfin, bien
plus au sud, dans la partie montagneuse de la Byzacëne com-
prise entre Fériana et Tébessa — là même où s'étend au-
jourd'hui la forêt de Bou-Chebka — Corippus signale de grands
bois* ; et jusque dans le sud^ une végétation forestière paraît
avoir couvert les plateaux aujourd'hui dénudés qui dominent
le rivage des Syrtes*. A la vérité, les mêmes textes nous appren-
nentaussicommentcesforêts périssent, détruites parles incen-
dies périodiques allumés par les envahisseurs berbères : toute-
fois, ici encore, c'est surtout au moment de l'invasion arabe que
disparurent les richesses forestières de la province'. Durant
les deux siècles de la domination byzantine, l'Afrique garda
assez abondante sa parure de forêts et conserva assez bien en-
tretenu son système de travaux hydrauliques : grâce à ces
facteurs, elle put demeurer fertile et prospère, et réparer,
sans trop de peine, les désastres que la guerre lui infligea.
Le commerce parait avoir été un autre élément de la pros*
périlé de l'Afrique byzantine vers le milieu du vi^ siècle. Dès
avant l'expédition de Bélisaire, les négociants orientaux
entretenaient d'importantes relations avec Carthage'; ces
rapports ne purent que devenir plus intimes encore sous la
domination de Justinien. Corippus signale les objets que l'A-
frique exportait à Constantinopïe % et Procope parle de l'acli-
{. Joh,, vu, 143.
2. W., U, 53, 62.
3. Id., Il, 37.
4. Id., m, 23-24.
5. W., m, 419.
6. W., VIII, 173.
7. Cf. Tissot, I, p. 278.
8. BelL Vand., p. 392.
9. In laudem Justini, 111, 90.
L'ÉTAT MATÉRIEL DE L'AFRIQUE BYZANTINE 407
vite du commerce de mer qui se faisait entre la capitale et
rOccident*. D'autres indices encore laissent entrevoir la fré-
quence de ces relations : à partir du vi* siècle en effet, on voit
se multiplier en Afrique le culte rendu aux saints d'Orient et
à leurs reliques. C'est ainsi que de Syrie vient la dévotion à
saint Julien d'Antioche', en l'honneur duquel une église est
élevée à Carthage' et celle de saint Romain d'Antioche;
rÉgypte, avec laquelle l'Afrique entretient par Alexandrie des
rapports très étroits, y introduit le culte et les reliques des
trois jeunes Hébreux, et celui de saint Isidore de Ghio^. Un
autre saint d'Orient, saint Léontius, a une église à Tripoli*.
Ainsi la civilisation orientale pénètre insensiblement l'Afrique;
la langue grecque même commence à s'y répandre"; jusque
dans les détails de la vie courante, dans la façon de compter
par exemple, les habitudes se modèlent sur celles de Byzance •.
Certes ce sont là de faibles indices : pourtant ils suffisent à
laisser entrevoir que le règne de Justinien n'a point été sté-
rile, et qu'en Afrique comme partout, il a marqué d'une em-
preinte durable les provinces rentrées au sein de l'unité im-
périale.
1. Hist. arcan.f p. 139-140.
2. BulL Com., 1889, p. 137.
3. Vila Gregorii Agrigeni,y chap. 10 {Pair, gr., t. XC'VIII, p. 563).
4. BulL de VAcad. d'Hippone, 1893, p. zxxii; Dachesoe, dons le BulL des
Antiquaires, 1893, p. 238-241.
5. Vita Gregorii AgHgenL, chap. 11 (Pair, gr., t. XCVIII, p. 566).
6. Martini papae EpisL {Patr. laL, t. LXXXVlI,p. 114). Cf. Bède, HisL eccL,
IV, 1.
7. On trouve la mention des indictions à Carthage, Thysdrus, Sullectum,
Haïdra, Thélepte, Tliéveste, Constanline, Guelma, Bône (C. /. L., VIII, index).
CHAPITRE II
L ÉGLISE d'aFRIQITE SOUS LE RÈGNE DE JUSTINIEN
Au moment où Tempire byzantin reprenait possession de
l'Afrique, l'Église catholique s'y trouvait dans une situation
'assez précaire. Sans doute la tolérance d'Hildéric avait mis
fin aux rigueurs de la persécution ; sans doute des conciles
assez fréquents réunissaient de nouveau les évêques ^ et les
prélats s'y félicitaient de la' liberté rendue aux fidèles ' ; cepen-
dant, à côté de l'arianisme qui restait la religion officielle de
l'État vandale, à côté du donatisme dont la domination bar*
bare avait favorisé les progrès, la condition des catholiques
demeurait assez incertaine. Au point de vue matériel^ l'Église
n'avait recouvré ni les domaines, ni les édifices, ni les objets
du culte dont elle avait été dépouillée au temps de la persé-
cution', et elle voyait avec horreur quelques-uns de ses plus
illustres sanctuaires profanés par Taccomplissement des céré-
monies ariennes^.Au point de vue moral, elle était désorgani-
sée et par surcroît profondément divisée ; beaucoup de commu-
nautés étaient privées de pasteurs, leurs prêtres s'étant enfuis
par delà les mers en s'excusant sur la violence des temps »*;
1. En 524, conciles de luaca et de Safes ( Vila Fulgentiij 60 ; Patr. /a/., t. LXV) ;
Labbe, Concilia, éd. de Paris, 1671, IV, 1627-1628); eD52o, à Carihage (Labbe,
IV, 1628 seq.).
2. Labbe, IV, 1629, 1630.
3. Nov, 37, 1, 3.
4. Bell. Vand., p. 397, 398.
5 Labbe, IV, 1756 (lettre du concile de 534).
L'ÉGLISE D'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE DE JUSTINIEN 409
beaucoup de diocèses étaient sans évèques ; en 525 la Procon-
sulaire envoyait quarante-huit prélats seulement au concile de
Carthage ', alors qu'on compte dans cette province jusqu'à
cent quatre-vingts sièges épiscopaux • ; encore près du tiers
de ces personnages était fourni par une seule région, celle de
la presqu'île du cap Bon et de ses environs immédiats ; dans
le reste du pays, beaucoup de chrétientés importantes étaient
sans chefs et sans représentants. En outre, des querelles intes-
tines occupaient plus que de raison le clergé africain; de
mesquines disputes de préséance, des dissensions suscitées
par d'injustes usurpations de pouvoir formaient la matière
principale des délibérations conciliaires ' ; la hiérarchie, pro-
fondément troublée par la persécution, se rétablissait avec
peine; l'organisation, l'unité d'où naît la force, manquaient
trop souvent à l'Église * ; enfin la religion catholique, simple-
ment tolérée, restait toujours exposée à de nouvelles rigueurs :
on le vit bien quand Gélimer renversa le faible et indulgent
flildéric. Assurément la réaction n'eut pas le temps d'être bien
cruelle ; cependant on conçoit la joie profonde avec laquelle
les évêques accueillirent la restauration byzantine. Parmi les
motifs qui avaient déterminé les résolutions de Justinien, la
religion avait fourni les plus décisifs ; la victoire des armes
impériales devait donc entraîner, comme une inévitable con-
séquence, le triomphe de l'Église; le premier soin du prince
allait être d'effacer les effets et jusqu'au souvenir de « la vio-
lente captivité de cent années • » dont avaient souffert les ca-
tholiques ; et sous sa protection efficace et constante TÉglise
d'Afrique, on pouvait le croire, allait briller d'un éclat nou-
veau.
1. Ubbe, IV, 1640, 1641.
2. Toulotle, Géoffr, de V Afrique chrétienne', Mas-Latrie, Anciens éiêchés de
V Afrique septentrionale (Bull. Corr. afr., 1886, p. 85-89).'
3. Vila Fulgentii, 60; Ubbe, IV, 1630-1632, 1642, 1644.
4. Labbe, IV, 1643-1645.
5. Id,, IV, 1755.
4i0 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
1
Pour apprécier avec exactitude la prospérité du catholicisme
africain à l'époque byzantine, il serait intéressant de détermi-
ner avec précision l'étendue du pays chrétien durant cette
période et de constater ainsi les progrès successifs on les re-
culs de la religion. Malheureusement les textes trop peu nom-
breux ne perQiettent point de faire cette étude avec le détail
nécessaire. Si, en effet, pour la Proconsulaire, les listes des
évèques présents aux assemblées de 525 et de 646 * donnent
matière à une instructive comparaison, pour les autres pro-
vinces ecclésiastiques, les documents font presque défaut. La
Byzacène n'ayant point été représentée au concile de Garthage
de 525', nous ne connaissons les diocèses qu'elle comprenait
à Tépoque byzantine que par la seule liste de 646', qui date,
on le voit, des tout derniers temps de la domination impériale.
De la Numidie nous retrouvons quelques évèques à peine,
venus comme représentants de leurs collègues aux conciles
de 525 ou de 553*; la Tripolitaine fournit deux noms seule-
ment, ceux des évèques délégués par leurs frères à la réunion
de 525 ^ ; quant aux Maurétanies Sitifienne et Césarienne, elles
échappent plus complètement encore à tout examen. Sans
doute, au grand concile tenu en 534 à Garthage prirent part
deux cent vingt évèques^; malheureusement nous n'avons
plus les actes de cette assemblée, qui nous eussent fait exacte-
ment connaître l'état de l'Afrique chrétienne au lendemain de
la restauration byzantine. Sans doute on a tout récemment
publié les fragments d'une liste conciliaire qui parait apparte-
1. Labbe, IV, 1640-1641 ; VI, 147 148.
2. W., IV, 1633.
3. Id„ VI, 135-136.
4. W., IV, 1640; V, 417-418, 581-583.
5. W., IV, 1640-1641.
6. W., IV, 1755.
L'ÉGLISE D'AFRIQUE SOUS LE RÉGNE DE JUSTINIBN 414
nir aux premières années du vu' siècle * ; mais ces débris mu-
tilés ne fournissent que des informations incomplètes. Enfin,
si les di^couvertes épigraphiques des dernières années ont per-
mis d'identifier une portion des noms géographiques inscrits
dans les listes conciliaires, la plus grande partie des villes
énumérées dans ces textes nous est encore inconnue '. Dans
cette incertitude, il y aurait quelque imprudence à vouloir trop
préciser les choses ; on se contentera donc de quelques indi-
cations générales sur l'organisation et les divisions religieuses
de l'Afrique au temps de Justinien.
Depuis le iv* siècle jusqu'au commencement du vr, T Afrique
semble avoir été partagée en six provinces ecclésiastiques :
Tripolitaine, Byzacène, Proconsulaire, Numidie, Maurétanie
Sitifienne et Maurétanie Césarienne *. Quant à la Maurétanie
Tingitane, elle paraît avoir très rarement pris part aux con-
ciles africains ; en tout cas ses évëques ne figurent point dans
la Notitia de 484 % et ils ne se firent point représenter en 525
à Carthage. Chacune de ces provinces avait à sa tête un pri-
mat; on désignait ainsi, non point Tévèque du siège métropo-
litain — en Afrique en effet, Carthage seule avait le rang de
métropole — mais le plus ancien parmi les prélats de la région;
c'est ce qui explique comment des évèques de villes peu im-
portantes se trouvent parfois chargés de réunir et de présider
les conciles*. Dans la Proconsulaire seulement, une autre
règle était appliquée : l'évèque de Carthage, investi de la dignité
et des privilèges de métropolitain, était en tout temps le
chef spirituel de la province, et la dignité de son siège, en
lui assurant la préséance non seulement sur les évêques de
la Proconsulaire^ mais sur ceux mêmes des autres régions,
\. ByzanL Zeitschr,, H, p. 26, 31-32 et sur la date, p. 34.
2. Cf. Mas-Latrie, /. c.
3. Morcelli, I, p. 33. Oa les trouve encore au concile de 525 (Labbe, IV,
1640-1611 et 1633).
4. Éd. des Monumenta (à la suite de Victor de Vit).
5. Morcelli, 1, p. 33 ; Toulotte, /. c, t. 1, p. 58.
412 HISTOIRE DE LA DOMINATrON BYZANTINE EN AFRIQUE
faisait de lui Je chef hiérarchique et comme la tête de TÉglise
africaine*. »
Dans ses traits généraux, cette organisation paraît avoir
subsisté à l'époque de Justinien '. Dès le lendemain de la con-
quête, le pape et l'empereur s'empressèrent de restaurer et de
confirmer les privilèges du siège métropolitain de Carthage';
et à côté de Tévèque de la capitale africaine, les textes men-
tionnent fréquemment les primats de Byzacène et de Numidie\
Quant aux divisions ecclésiastiques, il semble qu'au début
elles soient demeurées, au moins d'une manière théorique^
les mêmes qu'autrefois ; un seul changement y fut peut-être
apporté : la Tingitane, que Ton trouve au commencement du
viT« siècle représentée à un concile de Carthage ', fut peut-être
dès ce moment rattachée à l'Afrique au point de vue ecclé-
siastique, comme elle le fut au point de vue administratif*.
Toutefois, en fait, l'étendue du pays chrétien diminue sensi-
blement; les deux cent vingt évêques qui, en 534, vinrent siéger
au concile de Carthage, paraissent avoir appartenu aux trois
seules provinces de Proconsulaire, Byzacène etNumidie'; et
on conçoit en effet qu'à cette date, comme d'ailleurs durant
les guerres qui si longtemps troublèrent au vi® siècle l'Afrique
byzantine, les prélats des régions où ne parvenait point la do-
mination grecque aient pu malaisément quitter leurs diocèses
pour se rendre à Carthage. Certes on peut admettre, comme
une hypothèse très vraisemblable^ que le clergé de la Tripo-
litaine, où le nombre des sièges épiscopaux était peu con-
sidérable, s'est réuni en général à celui de la province voisine
de Byzacène * ; les évêques de la côte des Syrtes siègent en
1. Labbe, IV, 1629-1630.
2. Morcelli, I, p. 43.
3. P. L., LXVl, p. 45; Nov. 37, 9.
4. Victor Tonn. a. 551 (p. 202), A. 552 (p. 202-203).
5. Byz. Zeitschr., L c,
6. Ibid., p. 33-34.
1. Du moins les primats de ces trois provinces sont seuls nommés dans
rintitulé de la lettre an pape.
8. Cest l'hypothèse de Morceili, 1, p. 44-45; cf. Toulotte, /. c, p. 61-62.
L'ÉGLISE D'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE DE JUSTINIEN 413
effet à Carthage au commencement du vfi* siècle encore * ;
mais pour les Maurétanies on ne saurait se contenter d'une
telle explication. Sous le règne de Justinien, pas une mention
n'est faite du clergé de ces provinces; elles ne figurent point
aux assemblées de 534 ni de 550; elles ne sont point repré-
sentées au concile œcuménique de 553, Tempereur ne semble
pas même se douter de leur existence*. Assurément des com-
munautés chrétiennes subsistaient dans ces contrées, soit dans
les villes de la côte soumises aux Byzantins, soit même dans
rintérieurdu pays'; mais probablement ellesétaient d'une part
beaucoup moins nombreuses maintenant qu'au temps peu
éloigné encore où, en 484, la Silifienne comptait quarante-
quatre sièges épiscopaux et la Césarienne cent vingt-six*.
D'autre part» dès 525 « la dure nécessité de la guerre » les
empêchait d'envoyer au concile de Carthage plus d'un repré-
sentant*; à plus forte raison doivent-elles, pendant le règne
de Justinien, avoir vécu fort repliées Bur elles-mêmes ; en tout
cas nous n'avons pour cette époque gardé nul souvenir de re-
lations entretenues par elles avec l'Église africaine. En fait,
l'Afrique chrétienne que nous connaissons à ce moment se
limite aux trois provinces de Proconsulaire, Numidie et Byza-
cène, cette dernière probablement s' accroissant de la Tripo-
litaine. A la vérité, vers le milieu du vi"" siècle, ce domaine
parait s'être un peu étendu, et la propagande chrétienne a at-
teint les oasis situées au sud de la région des Syrtes®; sans
doute aussi, un peu plus tard, la Césarienne a été entamée ^ ;
des conversions importantes y ont rétabli ou accru le prestige
de l'Église^ et^ au commencement du vu* siècle, les évêques
1. Byz. Zeitschr.^ Le.
2. Dans le rescrit de 542, il ne parle que des trois provinces de Procoosa-
laire, ByzacëDe, Numidie. JVov. (éd. Schoell), App. Ul.
3. Byz, Zeitschr., Le.
4. Solitia episcoporum^ L c.
5. Labbe, IV, 1633.
6. Aed., p. 333, 334, 335, 337.
1. Jean de Biclar, a. 569, 513.
414 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
des trois Maurétanies sonl revenus prendre place aux conciles
de Carlhage*. Néanmoins dans ces régions lointaines les cir-
constances ont fini par modifier les divisions ecclésiastiques;
en 646, il n y a plus qu'une province unique de Maurétanie^
ayant, suivant les anciennes traditions de TÉglise africaine,
le plus ancien de ses évèques pour chef et pour primat '.
Quoi qu'il en soit, sous le règne de Justinien, TÉglise afri-
caine semble avoir compris les provinces suivantes :
1^ La Tripolitaine, où nous nous trouvons, comme en 484,
cinq sièges épiscopaux seulement: Leptis Magna, Oea, Sa-
brata, Girba (dans l'île de Djerba) et Tacapae*.
2^ La Byzacëne qui, en 484, avait cent quinze sièges épi-
scopaux, paraît en avoir beaucoup perdu àFépoque byzantine;
du moins quarante-trois prélats seulement assistèrent au con-
cile de 646 ^ Il est aisé de comprendre les causes de cette
diminution : dans cette province particulièrement exposée
aux invasions berbères, les ravages des indigènes avaient
plus que partout ailleurs dépeuplé le pays. Malheureusement
il est impossible de dire dans quelle proportion cette décrois-
sance doit être attribuée à Tépoque de Justinien; il est évi-
dent que dès ce moment la guerre qui n'épargna, on le sait,
pas plus le clergé que la population civile, a dû faire dispa-
raître un certain nombre de sièges épiscopaux; toutefois
durant tout le cours duvi® siècle, la vie religieuse paraît avoir
gardé assez d'activité en Byzacène ^ pour qu'on soit autorisé
à croire que beaucoup de diocèses disparurent seulement plus
tard. Quoi qu'il en soit, nous trouvons au temps de Justinien
des évèques dans les villes suivantes : sur la côte à lunca^.
i.Byz. Zeilschr,, l. c.
2. Labbe,VI,133.
3. Labbe, IV, 1627, 1640-1641 ; Byz. Zeilschr., p. 26, 31.
4. Labbe, VI, 135-136.
5. Conciles de 541 (Barouius, ad a. 541) de 550 (Vict. Touu. a. 550 et ibid.y a.
532) ; Nov, de Justin 11 (568), Zachariae, Jus.gr. rom., UI, p. 9-10.
6. Vict. ToDD., a. 552.
L'ÉGLISE D'AFRIQUE SOUS LE RÉGNE DE JUSTINIEN 415
Thenae*, Ruspae*, SuUectums, Leplis Minor*, Hadrumète»;
dans l'intérieur du pays, à Hermiane, à Maktar, à Sufetula, à
Thélepte •; on renconlre également, sans pouvoir préciser d'ail-
leurs remplacement de leur siège, les évoques de Bagava-
liana\ Cebarsussa', Gratiana', Maximiana^^ Victoriana**,
enfin, s'il faut vraiment admettre Tidentification proposée
pour Vepiscopus Tamallumensis^^y un siège épiscopal aurait
subsisté à Telmin, au sud des Chotts. Il va de soi que la By-
zacène comptait bien d'autres diocèses que les seize que
nous venons d'énumérer ; sur les deux cent vingt évèques
présents à Carthage en 534, on peut admettre sans invrai-
semblance que la province en avait fourni au moins quatre-
vingt-dix ou cent *^. Malheureureusement la plupart des noms
inscrits sur la liste de 646 appartiennent à des villes obscures
ou parfaitement inconnues; j'y note seulement, sur la côte,
Leptis, Acholla(El-Alia, au sud de Thapsus), Ruspae, Thenae^
HorreaCoelia(Hergla, aunorddeSousse), Usilla(Inchilla, en
face des îles Eerkenna), et dans Tintérieur, Autenti (à Test
de Sbeitla), Mazaranae (à l'ouest de Kairouan), Thysdrus (El-
Djem)", Hermiane et Thélepte. Sans doute on peut raisonna-
blement admettre que dans, les villes de la Byzacène solide-
ment occupées parles impériaux se conservaient, au temps de
1. Vita Falgentii, 66 (P. L., t. LXV, 150).
2. Ibid., 1 (P, L., LXV, 117); Labbe, IV, 1785.
3. Bell, Vand,, p. 380.
4. Labbe, IV, 1646.
5. Vict. Tonn., a. 552; Ubbe, V, 376.
6. Byz. ZettocAr.,26,31.
7. Labbe, IV, 1647.
8. Vict. ToDD., a. 555.
9. Labbe, IV, 1644.
10. /d., IV, 1646. Cf. IV, 1627.
11. Labbe, V, 416, 581.
12. Mas-Latrie, l, c, p. 84.
13. La Numidie, qui en 484 avait 125 évêques, a dû, comme ea 525, être re-
présentée par un petit nombre de détégués. Toute la Proconsuiaire qui, en
525, a 48 évoques, n'a guère pu eu fournir plus de 70 à 80.
14. Labbe, Vï, 129, et Mas-L^trie, p. 82-85.
416 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Justinien, les évêchés qu'on y trouvait en 484 ; c'était le cas
assurément à Capsa, à Gillium, àSufes, à Kouloulis, et sur la
côte à Tbapsus ' ; un fait néanmoins demeure, c'est qu'à l'époque
byzantine, le christianisme a en Byzacëne perdu finalement
une partie du terrain gagné par lui au iv« et au v* siècle.
3^ La Proconsulaire au contraire paraît avoir augmenté le
nombre de ses diocèses '. En 525, quarante-huit évèques
seulement étaient rassemblés à Carthage; en 646, au con-
traire, soixante-dix y sont réunis. Et comme dans les deux
listes, vingt et un noms seulement sont communs, nous pou-
vons sans invraisemblance ajouter à Ténumération de 646
quelques-uns des vingt-sept autres sièges connus par celle de
525. Il y aurait peu d'intérêt, je pense, à dresser la longue
liste de ces villes épiscopales, dont beaucoup ne sont que de
simples bourgades; il suffira d'indiquer les principales ré-
gions où elles sont réparties. En 525, comme en 646, un
grand nombre d'évèchés étaient établis sur les côtes de la
presqu'île du cap Bon, à Pupput, Neapolis, Curubi, Clypea,
Garpi, et dans les villes situées sur la côte au nord de Car-
thage, telles qu'U tique et Hippone-Diarrbyte. Dans l'inté-
rieur du pays, au contraire^ le nombre des communautés
s'était augmenté; dans la vsJlée delà Medjerda, en 525, on ne
citait que Yallis, Membressa, Âbitina, Tichilla, Thubursîcum
Bure et BullaRegia'; voici en outre en 646 Thuburbo^ Thisi-
duo, Tuccabor, Vaga, Numlulis, Simitthu et Thuburnica;
dans la région de la Tunisie centrale, la liste de 525 donnait
seulement Simingi, Aptungi, Furni, Uzappa; en 646 on y
trouve Zama, Sua, Giuf, Abbir Major, Bisica. Dans la vallée
1. Toutes ont des évèques dans la NotiHa de 484.
2. Cf. les deux listes de 526 (Labbe, IV, 1640-1641) et 646 (x6td., VI. 135-
136) ; Mas-Latrie, /. c, p. 85-89 et Toulotte, l, c, avec la carte annexée au
volume.
3. On y peut joindre Viens Haterianus, que les listes épiscopales appellent
Viens Aterieusis et attribuent à tort à la Byzacène : la ville se tronvail dans
la plaine du Fahs {BulL Corn., 1893, p. 235-236).
4 Hyz. Zeitschr., 11, p. 26, 31.
L'EGLISE D'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE DE JUSTINIEN 417
de rOued Tessa et dé TOued Mellègue, on ne mentionnait en
525 que Thacia^Lares etNaraggara; en 626, voici Musti,Tbim-
bure, Uci Majus,Ucubi, Sicca, Obba*, Althiburos, Assuras*.
Dans celte province plus voisine de Carthage, mieux abritée
que toute autre contre les invasions, le catholicisme sous la
protection du gouvernement byzantin avait donc repris sans
peine possession des diocèses qu'il occupait jadis, et ce fait
seul suffirait à attester quelle sollicitude Tautorité impériale
apporta en Afrique à favoriser les intérêts de l'Église.
4® De la quatrième province ecclésiastique de l'Afrique by-
zantine nous savons fort peu de chose. Nous trouvons en Nu-
midie, sous le règne de Justioien, les diocèses de Zattara,
Tipasa, Cuicul et Mileu' ; vers la fin du vi« siècle ou au com-
mencement du vii«, on nomme les évêques de Tigisis*, d'A-
quae Thibilitanae, de Calama, de Casae Nigrae, de Thagaste,
de Cirla^; sur la côte on cite ceux d'flippone et de Fossala';
dans le sud du pays, celui de Lamiggiga''. Jadis en 484, la
Numidie comptait cent vingt-cinq sièges, et quoique les ren-
seignements précis nous fassent absolument défaut, cepen-
dant on peut affirmer sans hésiter qu'ici comme en Byzacène,
une partie des diocèses numides disparut à Tépoque byzan-
tine, principalement dans les parties méridionales du pays,
où à la fin du vi® siècle les douatistes donnaient fort à faire
aux évêques de la région.
5"" Enfin, dans les Maurétanies, on signale quelques sièges
épiscopaux peu nombreux; pour les raisons indiquées plus
haut, il n'y a point lieu, je pense, de tenir compte^ àTépoque
de Justinien, de ceux de la Césarienne et de la Tingitane ;
mais il faut admettre les diocèses mentionnés en Sitifienne.
i. Labbe, V, 417, 582.
2. Byz. Zeitschr., II, p. 26, 3i.
3. Labbe, V, 417-418, 582-S83.
4. Gregorii Epist,, 12, 28, 29.
5. Byz. ZeiUchr., II, 26,3!.
6. Ibid.
7. Greg. EpisL, 1, 82.
1. ' 27
418 mSTOlKE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Ce sont ceux de Sélif^ et de Tucca; avec d'autres que nous
ignorons, ils formaient peut-être la province ecclésiastique de
Maurélanie et préparaient ainsi la circonscription nouvelle où
viendront se ranger plus tard tous les évôchés des trois pro-
vinces de TAfrique occidentale.
11
Dans les limites que nous venons de définir approximative-
ment, rÉglise africaine, sous le règne de Justinien, brilla d'un
assez vif éclat. Au lendemain même de l'occupation, la bien-
veillance impériale, on le sait, lui avait restitué ses biens et
ses temples^ restauré ses anciens privilèges en les augmentant
de tous ceux que le code venait récemment de conférer aux
évêques, mis à son service toutes les forces de l'autorité pu-
blique pour la protéger contre les hérétiques^ les juifs et les
païens*. La politique ainsi inaugurée ne se démentit point
durant tout le cours du règne ; de même qu'il voulait en ma-
tière civile reconstituer l'Afrique telle que Rome l'avait faite,
ainsi Justinien eut pour constant souci d'y rétablir au point
de vue ecclésiastique l'élat qu'elle avait autrefois connu :
« Nous voulons être, écrivait-il en 512 au primat de Byzacène,
les tuteurs et défenseurs des antiques traditions*. » Et, dans
ce but, de même qu'il avait en 534 fait droit à toutes les de-
mandes de l'assemblée de Garthage, ainsi Tempereur accueil-
lait avec complaisance les sollicitations que lui adressait en
541 le concile de Byzacène. Préoccupé de réorganiser de ma-
nière solide et définitive l'Église d*Afrique, il réglait en termes
exprès la situation et les rapports hiérarchiques de ses diffé-
rents chefs, confirmant à l'évèque de Garthage les privilèges
que comportait sa dignité métropolitaine, assurant aux pri-
1. Byz, Zeilsckr., U, 26, 31; cf. Labbe, IV, 1633.
2. Nov. 37»
3. Zachariae^ Jusliniani Novellae, ^'ov, 140 (II, p. 209).
L'ÉGLISE D'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE DE JUSTINIEN 419
mats de Numidie et de Byzacëne le rang et les droits qui leur
appartenaient * ; et en même temps que dans chaque province
il subordonnait exactement les prélals de la région à leur pri-
mat, il affranchissait d'autre part celui-ci de Tautorîté trop
stricte du métropolitain de Carthage^ et il autorisait en parti-
culier Tévèque-doyen de la Byzacëne à porter directement au
pied du trône ses plaintes et ses conseils'. Fort libéralement
il accordait aux clercs le privilège d'être, en matière religieuse,
uniquement justiciables des tribunaux ecclésiastiques^etdéfen^
dait à tous « juges civils et militaires » d'intervenir en ces dé«
licates matières '. Et ainsi, soit qu'il renouvelât contre les hé-
rétiques les interdictions qui les écartaient des fonctions
publiques, poussant même la rigueur jusqu'à leur en imposer
parfois les charges en leur refusant les privilèges correspon-
dants \ soit qu'il confirmât solennellement les droits métropo-
litains de Tévèque de Carthage ^, constamment il prouvait sa
ferme volonté de proléger l'Église africaine, son désir d'y faire
renaître « la fleur de son ancienne prospérité » ^
Aussi les conciles recommencent à se réunir à de fréquents
intervalles. Des 534, toutes les Églises d'Afrique envoient leurs
représentants à Carthage et viennent y renouer avec joie les
antiques traditions interrompues \ En 541, la Byzacëne tient
son concile provincial; en 550, les trois provinces se rassem-
blent pour discuter en de solennelles assises la question des
trois chapitres; en 554, un concile se tient en Proconsulaire;
en 555 un autre est convoqué en Numidie \ Grâce à la protec-
tion impériale, des églises s'élèvent sur tous les points du pays
1. Zachariae, Jastiniani Novellae^ Nov. 132 et 140.
2. Zachariae, Jus gr. rom., Ul, p. 10 {Nov. de Justin condrinant uu acte
de Justiaien).
3. Ibid., p. 9-10.
4. Nov. 45.
5. Nov, 131, 4.
6. Zachariae, Justiniani Novellae^ Nov, 132.
7. Ubbe, IV, 1755, 1784-1785,
8. Vict. Tonn., a. 550, 551, 555.
420 HISTOIRE DE LA DOMINATON BYZANTINE EN AFRIQUE
byzantin^ ; et la munificence du prince rivalise pour bâtir ces
édifices avecTinitiative des particuliers. Dès le premier tiers
du vi"* siècle, la fin de la persécution vandale avait amené en
Afrique un grand mouvement de constructions religieuses':
la conquête byzantine donna à ce mouvement un nouvel essor.
ÂGarthage, Justinien fait construire une basilique sous le vo-
cable de sainte Prime, qui était, d'après Procope, tout parti-
culièrement vénérée en Afrique*; dans l'ancien palais des rois
vandales, devenu la résidence du patrice byzantin, il consacre
àla Théotokos un vaste et somptueux sanctuaire * ; et aujourd'b ui
encore la grande basilique chrétienne de Damous-el-Karita
porte la trace visible des remaniements et des embellissements
datant de Tépoque byzantine ^ A Leptis Magna en Tripolitaine,
cinq églises furent, au rapport de Procope, élevées par les
soins de Justinien, dont Tune, la plus magnifique, était dédiée
à la Théotokos * ; à Sabrata également, une belle basilique fut
construite^ et la sollicitudederempereur,6'étendant jusqu'aux
extrémités occidentales de l'Afrique, dota la lointaine Septem
d'un sanctuaire consacré à la Vierge'. Aujourd'hui encore, des
ruines nombreuses attestent le développement prospère que
prit à l'époque byzantine l'architecture religieuse. Dans les
villes de lac4te orientale en particulier, « plus facilement ac-
cessibles aux artisans de Constantinople », àSfax, àMahedia,
à Lamta, à Monastir, surtout à Sousso, on rencontre à chaque
pas, employées dans les constructions arabes^ des colonnes
1. Evagriu», Uùt. EccL, IV, 18 (P. G., t. LXXXVl).
2. De Aossi, La capsella argentea africafia, p. 12, 13-14,32. Cf. C. /. L., VIII,
10706, 17609 ; Bull. arch. crût., 1878, p. 12^ U sqq.
3. Aed,, p. 339.
4. id., p. 339; Bell. Vand., p. 474.
5. Bull. Corn., 1886, p. 224-237. Delattre ; i4rc^o%ie chrétienne de Carlhige
(extrait du Cosmos), p. 15-16; P. Gauck 1er, L'arc Aéo/b^te delà Tunisie, p. 48-49.
Sur les bas-reliefs, qui datent peut-ôtre du vi* siècle, BuU. Corn., )8V6, p. 2i0-
223, et BuU. arch. crist.j sér. 4, ana. 3, p. 49-52.
6. Aed., p. 336.
7. id., p. 337.
8. Id., p. 343.
L*Ë(>LIS£ D*AFRIQUE SOUS LE RÉGNE DE JUSTINIEN 421
de marbre, des consoles, des chapiteaux d*un pur style byzan-
tin, d'un travail et d'une conservation admirables, qui pro-
viennent sans nul doute des édifices chrétiens du vi« siècle *.
Parfois même, dans quelque mosquée, dans quelque bâtisse
musulmane, se cachent les restes mieux conservés encore de
quelque ancienne église; à Sousse, au milieu des souks, on
voit ainsi une petite chapelle couverte d'une coupole à côtes
creuses portée sur plan carré; quatre niches en cul-de-four
occupent les angles, et l'ensemble paraît bien dater de l'époque
grecque. Dans l'inlérieurdupays, les ruines des grandes villes
Fig. 67. — Chapiteaux byzantins à la grande mosquée de Kairouan.
(Dessin de M. Saladin.)
nous ont également conservé quelques monuments de cette
période. A Thélepte, j'ai relevé un curieux ]inteau de style
byzantin, où des paons affrontés viennent boire dans un grand
vase, et dans l'angle sud-ouest de la citadelle^ une église, dé-
corée de colonnes cannelées et de riches revêtements de mar-
bre, semble contemporaine de la construction de la forteresse*.
A Kasrin, on voit les restes d'une église datant probablement
de Tépoque de Justinien et dont « les portes ont leurs tympans
circulaires décorés de sculptures très grossières représentant
des paons buvant dans un vase*. » A l'intérieur de la citadelle
d'Haïdra, une petite église assez bien conservée s'appuie contre
les murailles de la courtine ouest^ et sa construction aussi
bien que les inscriptions qui la décoraient prouvent qu'elle
4. Saladin, 1, p. 4, i 0,21, 29-34, 224; /ns/ri/c/iVmscfw Comilé.p. 460-162.
2. Diebl. Bapport. p. 342-343.
3. Saladin, I, p. 460.
422 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
date de la période byzantine *. Au Kef, Téglise de Dar-el-Kous
offre certaines dispositions « absolument analogues à celles
de certaines petites églises de Constantinople V » A Bordj-Mes-
saoudi (Thacia), un chapiteau et de beaux fragments de sculp-
ture ont été retrouvés, appartenant évidemment à un monu-
ment religieux de Tépoque byzantine' ; de même à la Eessera\
à Hadjeb-el-Aioun au sud-ouest de Kairouan, à Bou-Ficha, à
Lorbeus*, à Henchir-Maatria^ à Sidi-Abdallah-Mellili\ à
Tabarka', des inscriptions ou des ruines attestent la construc-
tion d'édifices sacrés datant du temps de Justinien. En Numi-
die, Thibilis (Announa) a une curieuse église ' ; à Timgad, une
chapelle s'élève au milieu de Tenceinte de la forteresse byzan-
tine ^^; Bagai conserve les débris d'une église et des fragments
de sculptures appartenant au vi' siècle ^^ Ailleurs, à £1-Hassi
près d'Aïn-Beida, à Guelma, à Testour, des édifices religieux
s'élèvent pour abriter les reliques des martyrs " ; et jusque
dans les villages perdus dans les déchirures du plateau des
Nememchas, à Aïn-Ghorab, à Aïn-Seggar, à Aïn-Sultan ", ail-
leurs encore **,des inscriptions ou des monuments nous prou-
vent Tardeur qu'apportèrent les fidèles à restaurer ou à bâtir
les sanctuaires de leur religion. Le même zèle se retrouve dans
1. Baladin, I, p. 174-115.
2. Id,, I, p. 207; P. Gauckler, /. c, p. 49 50, où Tédifice est attribué au
début du v^ siècle. Cf. sur une autre basilique du Kef, contemporaine de
réglisede Dar-el<Kou8, Bull, Com., 1893, p. 144.
3. Saladin, I, 211-212; II, 552-553.
4. C. /. L., VIII, 706; Duchesne {Mu8ée Alaoui, I, liy. 4).
5. BulL Corn,, 188(, p. 160.
6. Arch, des Missiona, XIV, p. 97.
7. Carton, /. c, p. 281-284.
8. Arch. des Missions j IX, 162, 167.
9. BulL Corn,, 1892, p. 521; Dielil, Rapport, p. 368-370.
10. Â. Ballu, Rapport cité, p. 3123.
11. Diehl, Rapport, p. 322-323.
12. C, LL., VIH, 18656, 14902; Duchesne, Bull, de la Société des Antiquaires.
1893, p. 238-241. Cf. de Rossi, La capsella argentea, p. 16 et Si, et BuU.
Corn., 1889, p. 136-137.
13. Rossi, Bull. arch. crisl., 1878, p. 19-20, 22-24, 117
14.f.Duchesne, /. c; C. /. L., VIII, 10642.
L'ÉGLISE D'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE DE JUSTINIEN
423
les rares cités que Byzance occupait sur les côtes de la Mau-
rétanie Césarienne; la basilique de Sainte-Salsa à Tipasa
paraît avoir été reconstruite à Tépoque de la domination
grecque*.
Veut-on savoir suivant quels principes d'architecture
Fig. 68. — Plan du Dar-el-Kous, au Kef. (D'après M. Saladin.)
furent élevés ces édifices? Il faut, pour s'en rendre compte,
examiner les deux églises qui nous sont parvenues le plus
intactes : celle de Haïdra et celle do Dar-el-Kous au Kef*.
1. Comptes rendus de VAcad, des inscriptions, 1892, p. 246-247; Gsell, Re-
cherches archéologiques en Algérie, p. 66-72.
2. SaladÎD, I, p. 174-115, 205-206; II, p. 556-558; P. Gauckler, /. c, p. 49-50.
424 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Dans toutes deux, le plan général est tout latin encore : der-
rière un narthex ouvert par trois portes s'étend l'église, formée
d'une nef principale entre deux bas-côtés; des suites d'arcades
portées sur des colonnes séparent la grand nef des travées la-
térales ; une abside demi-circulaire s'ouvre au fond du vais-
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Fig. 69. — Le Dal-el-Kous, au Kef. (Essai de restttutioQ de M. Saladio.)
seau médian, derrière un arc triomphal soutenu par deux
colonnes. La nef est couverte en charpente, le narthex et les
bas-côtés voûtés en voûtes d'arête. Mais à côté de ces dispo-
sitions toutes latines, certains partis dénotent une inQuence
orientale : l'abside est décorée d'une série de niches demi-
circulaires accostées par des colonnes; « ces niches ne sont
pas arrêtées dans leur partie supérieure par une arcade et une
voûte en cul-de-four, mais la voûte demi-sphérique qui forme
L'ÉGLISE D'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE DE JUSTINIEN
425
Tabside, au lieu d'être uae surface continue, est une coupole
à côtes creuses dont chaque côte, à la naissance de la coupole,
a pour section le plan de la niche... Cette disposition d'abside
Fig. 70. — Façade restituée de l'église de Dar-el-Kous i.
(Dessin de M. SaladiD.)
1. Les figures 70 et 71, ainsi que la planche II, m*OQt été fort obligeamment
fournies par MM. Hachette etC'«, qui non seulement ont bien voulu m'auto-
risera employer ces dessins primitivement publiés dans le Tour du Monde ^
426 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
est absolument analogue aux voûtes de certaines petites églises
de Constantinople, voûtes en coupoles k côtes reposant sur un
tambour à côtes. Ici, c'est une semblable disposition ; mais
au lieu de voir un tambour à côtes et une coupole soutenus
sur des pendentifs, nous avons la moitié seulement de ce mo-
tif appliqué à une abside » ^ En outre, tous les détails de la
décoration architecturale, lorsque les pièces n'en sont point
empruntées à des monuments plus anciens, sont de style pure-
ment oriental ; dans les sculptures rapportées qui décorent le
tympan des portes d'entrée, dans les beaux chapiteaux de
marbre qui surmontent les colonnes, dans les fragments de
clôture dont peut-être quelques débris se conservent au mim-
ber de la grande mosquée de Kairouan *, on trouve les formes
habituelles, les motifs ordinaires, le caractère coutumier de
Fart byzantin. Et dans cette combinaison d'éléments divers,
l'école indigène elle-même est en quelque manière représentée
par ces curieux carreaux de terre cuite employés à revêtir les
parois intérieures des édifices, et dont les fouilles d'Hadjeb-el-
Aioun, de Bou-Ficha et de Kasrin ont fourni de si intéressants
exemplaires*. Sans doute, dans ces derniers ouvrages, pro-
duits d'un art en décadence, on trouve une rare grossièreté
d'exécution, comme d'autre part on remarque souvent dans
les motifs décoratifs une assez grande pauvreté d'imagination;
néanmoins par leur nombre, comme par les réelles qualités
techniques qu'on constate encore dans leur architecture*, les
églises byzantines d'Afrique méritent quelque attention ; elles
prouvent à tout le moins la vie et l'activité qui se conservaient
encore au vi* siècle dans cette partie de l'empire.
mais en ont encore fort gracieusement mis les clichés à ma disposition. Je
tiens à leur exprimer ici toute ma reconnaissance.
1. Saladin, I, p. 206-207. On trouve môme à Sidt-Abdallah-Mdlliti un curieux
exemple de coupole sur pendeutifs (Carton, /. c, p. 281-284).
2. Saladin, 1, p. 31-32.
3. Bull. Corn,, 1885, p. 327; Revue archéol . , 1888, p. 303-322; Comptes t-endus
de VAcad. des inscriptions^ 1893, p. 219-221 ; Revue archéoL, 1893, p. 273-281.
4. Saladio, II, p. 557.
L'ÉGLISE D'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE DE JUSTINÏEN 427
A côté des églises, les couvents tiennent une grande place
parmi les constructions religieuses de l'époque. Les établisse-
ments monastiques, en effet, paraissent avoir été, dans l'Afri-
que byzantine, nombreux et florissants; pour voir avec quelle
prodigieuse rapidité ils se multipliaient, avec quel zèle on les
fondait, avec quelle facilité ils recrutaient leur population de
cénobites, il suffit de lire la Vie de saint Fulgence, dont l'œuvre
est de quelques années à peine antérieure à l'expédition de
Bélisaire. On y voit le pieux évêque établir dans un court
espace de temps plusieurs monastères en Byzacène : Tun dans
les montagnes de la Tunisie centrale, à Mididi, au nord de
Sufes, un autre, également situé dans la province, dans une
région ferlile et protégée contre les invasions ; un troisième
dans la ville de Ruspae, un quatrième dans l'îlot deChilmi qui
fait partie du groupe des Kerkenna*. Vers le même temps on
mentionne, à la date de 525, plusieurs autres monastères,
celui de Precisu (Ad Praecisum), au diocèse de Leptis minor,
le monasterium Baccense au diocèse de Maximiana, le grand
couvent d'Hadrumète, un autre également établi en Byzacène,
et que les textes désignent seulement sous le nom de monastère
de l'abbéPierre *, un autre encore bâti sur Tllol rocbeux d'El-
Kenéis, à peu près en face de Iunca',un monastère de femmes
établi en Byzacène *. On peut affirmer quelaplupartde ces fon-
dations subsistaientàrépoquebyzantine; la cbose est certaine
pour deux au moins d'entre elles : le couvent de Saint-Fulgence
à Ruspae, et le monastère de l'abbé Pierre ^ ; et le document
qui prouve leur existence atteste qu^à côté d'eux^ bien d'autres
abbayes, cetera monasieria, s'élevaient dans l'Afrique chré-
tienne *•
1. Vita Fulgentii, 23 (P. L., LXV, p. 128), 28 (p. 131), 39 (p. 137), 62 (p. 148);
cf. Tissot, II, p. 189.
2. Labbe, IV, 1646.
3. Vila Fulgentii, 29 (p. 132) ; Tissot, U, p. 189-190.
4. Ubbe, IV, 1647-1648.
' 5. W., IV, 1785.
6. Cf. Hildefonaus, De vir. ilL, 4 (Patr. lat., XGVI, p. 200); Greg. Episf., 7,
32, et Patr, gr,, XCI, p. 464-466.
428 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
De grands établissements religieux se rencontraient jusque
dans l'intérieur du pays; on en trouve, à Sbéilla, à Haïdra, à
Tébessa, les ruines considérables encore* ; et quoique la plu-
Fig. 71. — Restitution d'une des étilises de Haïdra.
(Dessin et composition de M. Saladln).
part de ces fondations paraissent être du v° siècle, on peut
croire qu'elles demeuraient intactes et florissantes au vie,
1. Saladin, I, p. 179-181, 91-92; Diebl, Rapport, p. 331-332, 333-335; Ballu
{V Architecture, 21 oct. 1893), p. 461-463.
L'EGLISE D'AFRIQUE SOUS LE RÉGNE DE JUSTINIEN 429
Le gouvernement impérial d'ailleurs favorisait la création de
ces pieuses maisons ; à Carthage, près de la mer, le patrice
Solomon construisait, peut-être sous le vocable de saint Sa-
bas, le couvent fortifié du Mandrakion^ En Byzacène, un mo-
nastère s'élevait sous le vocable de saint Etienne, dont le
culte était, on le sait, fort répandu dans la province d'Afrique,
et l'empereur en confirmait solennellement les privilèges*.
Vers le même temps, les textes citent le monasterium Gillita-
num, qu'une séduisante hypothèse propose de placer à Easrin
(Cillium)* ; une autre abbaye était sans doute établieàRuspina,
àlaquelle les Arabes ont donnéle nom significatif de Monastir*.
Rien n*était épargné au reste pour que, suivant une expres-
sion de Tépoque, «aucun souci des choses séculières ne trou-
blât le repos de ceux qui cherchent le règne de Dieu »*; par
d'abondantes donations, les citoyens riches s'efforcent d'assu-
rer la vie matérielle des moines' ; par de prudentes mesures,
les conciles s'appliquent à leur garantir l'indépendance spiri-
tuelle et la tranquillité morale. Ils se préoccupent enparticulier
de les soustraire à l'autorité trop tyrannique des évêques;dans
l'intérieur de son monastère, l'abbé sera seul maître; nulle
obligation d'ordre ecclésiastique, nulle redevance pécuniaire
ne pourra être par Tévêque imposée à la communauté; aucune
intervention étrangère n'est tolérée dans les affaires du cou-
vent. L'abbé vient-il à mourir, seuls les moines ont qualité
pour choisir son successeur; seuls, les supérieurs d'autres
couvents peuvent, en cas de difficultés, être appelés à trancher
les différends ; sauf pour y ordonner des prêtres ou y consacrer
des oratoires, l'évèque ne pourra en aucun cas rien préten-
1. Aed , p. 339; BelL Vand,, p. 521; Vict. Toqu., a. 555. Cf. Morcelli, UI,
p. 292, qui croit que ce couvent fut consacré sous le vocable de saint Sabas (cf.
Labbc, VI, H7).
2. Diehl, Une charte lapidaire du m* siècle {Comptes rendus de CAcad, des
inscriptions, 1834, p. 383-393).
3. VicL Tonn., a. 553, 557 et la note de Mommsen; P. L., LXIX, p. 43.
4. Tissot, H, p. 165-166.
5. Vita Fulgentiiy 28 (p. 131).
6. Id., 28 (p. 131), 39 (p. 136-137).
430 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
dre dans les abbayes ^ ; constamment les conciles parlent de
« la liberté des monastères » qui doit assurer leur tranquillité.
Aussi de toutes parts les religieux affluent dans ces couvents;
et ce n'est point T Afrique seulement qui leur fournit des cé-
nobites; des pays d'outre-mer même^ on y vient chercher le
repos et la paix».
Si Ton veut prendre quelque idée de ce qu'étaient au vt* siècle
ces couvents fortifiés si fréquemment établis par Justinien, il
faut examiner les ruines du beau monastère qui s'élevait aux
portes de ïébessa'. Là se rencontrait dès le v siècle un vaste
ensemble de monuments religieux; au centre, c'était une
grande basilique à trois nefs précédée d'un bel atrium carré,
où se voit encore la fontaine destinée aux ablutions, et à la-
quelle on accédait par les hauts degrés d'un perron monumen-
tal; la splendeur de la décoration, Télégant dallage de mossû-
ques qui couvre tout le sol de l'église, les corbeaux richement
sculptés qui portaient l'étage supérieur, tout atteste l'impor-
tance et le renom du sanctuaire. Tout autour de Tédifice, une
série d'autres constructions étaient disposées : ici un petit
baptistère, avec sa cuve encore intacte ; plus loin un bel édi-
fice trèfle, pavé de riches mosaïques, dont les murailles étaient
somptueusement décorées de marbres et de mosaïques de
verre; en avant de la basilique, c'était une grande cour en-
tourée de portiques, et plus loin un curieux bâtiment renfer-
mant des écuries et des logements, sans doute une hôtellerie
ecclésiastique destinée à recevoir des pèlerins, et fort sembla-
ble aux monuments de cette sorte qu*on trouve, dans la Syrie
centrale, auprès des églises ou des couvents célèbres^. Plus
tard, autour de cette basilique importante, qui semble avoir
été le but de fréquents pèlerinages, une abbaye se construisit,
1. Labbe, IV, 1783. Cf. le concile de 525 {id., IV, 1642-1649) et Greg., 7, 32;
cf. aussi Diehl, Une charte lapidaire du vi* sièclCf p. 386-387.
2. Labbe, IV, 1646.
3. Rec. de ConsL, 1860, p. 209-216; Lenoir, Architecture monastique, II,
p. 481-488, 491-492 (avec plan); Ballu, /. c.
4. VogQô, Syrie centrale, p. 128 et 138, pl. 114, 130 131.
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^ .•->'^
La basilique et le monastère bjuo^
PL. XL
MCNUr^NTB Ht5TaP,iDUE5 TEBE5SA
tllÎKES au MONASTEBE r^SAtJTlîi [V SIÈGLEI
fébessa {diaprés le dessin de M. A. Ballu).
L'ÉGLISE D'AFRIQUE SOUS LE RÉGNE DE JUSTINIEN 431
dont les cellules, accolées aux flaacs et au chevet de l'église,
sont de date évidemment postérieure à l'essentiel du monu-
menl ; et pour protéger cet établissement religieux, demeuré
en dehors de Tenceinte de Solomon, une muraille flanquée de
tours enveloppa l'ensemble des constructions, laissant une
vaste cour tout autour des bâtiments du monastère. Or la dis-
position de ces remparts, la nature des matériaux employés,
la technique delabâtisse, la manière dont le chemin de ronde
est porté sur une série d'éperons épaulant la courtine, tout
prouve que cette fortification date de l'époque byzantine. Au
même temps appartient le petit oratoire, adossé comme à
Haïdra à Tintérieur de la muraille, et tout proche des cellules
du couvent. Il est donc certain qu'au vi" siècle, on remania
profondément les édifices groupés autour de la basilique de
Tébessa * ; et tout porte à croire qu'elle devint à ce moment le
centre d*un vaste couvent fortifié, fort analogue aux établis-
sements religieux de même date qu'on rencontre dans la Syrie
centrale*. Aujourd'hui encore ses ruines, soigneusement dé-
blayées par le Service des Monuments historiques, constituent
l'un des monuments les plus remarquables de l'Afrique by-
zantine.
Mais ce n'est point uniquement par l'activité de la vie reli-
gieuse, par le nombre et la splendeur des constructions sacrées,
qu'apparaît la prospérité de l'Église africaine. Parmi les pré-
lats qu'elle comptait sous le règne de Justinien, plusieurs
tiennent une place plus qu'honorable parmi les écrivains de
leur temps. Primasius, l'évêque d'Hadrumète, n'est point seu-
lement un courageux défenseur de l'orthodoxie, capable de
braver, pour garder sa foi, les rigueurs de l'autorité impé-
riale; c'est un théologien savant^ auteur d'amples commen-
taires sur les Épîtres de saint Paul et sur Y Apocalypse, assez
curieux pour désirer connaître, et assez instruit pour com-
prendre les écrivains grecs renommés, « pour l'étude et Tin-
1. Cf. Diehl, Rapport, p. 331-332.
2. VogQé, /. c, p. 141-153 et pL 139-150 (couvent de SaiQt-Syméon).
432 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
telligence des livres saints*. » Verecundus, évêque de lunca,
a les mêmes qualités que son collègue, et un témoignage con-
temporain nous apprend que tous deux étaient « remarqua-
bles par la sainteté de leur vie et leur science des Écritures*. »>
Voici Facundus, le fougueux évêque d'Hermiane, auteur d'un
vaste traité en douze livres sur la question des Trois Chapitres,
et de plusieurs pamphlets où une rare violence de langage se
mêle à une sûre connaissance des écrits de la théologie orien-
tale*. Voici Ferrand, le diacre de Carlhage, l'élève chéri de
saint Fulgence de Ruspae, le docteur le plus savant et le plus
respecté de TEglise africaine, l'oracle de la science et de la
tradition*. A côté d'eux, c'est Libératus, également diacre de
Carthage, savant, diplomate, historien dont le Breviarium
raconte les origines de la querelle des Trois Chapitres'; c'est
Victor de Tonnenna, qui nous a laissé une Chronique singu-
lièrement curieuse, dans les portions qui se rapportent au
VI siècle, par le ton passionné du récit et la préoccupation
presque exclusive des événements de l'histoire religieuse ;
c'est encore Félicien, évêque de Ruspae, à qui fut dédiée la Vie
do saint Fulgence^, et sans doute bien d'autres, tous prélats
instruits, ayant, chose déjà rare dans l'Occident au vi* siècle,
une connaissance assez approfondie du grec, et qui joignent
à ces mérites littéraires, d'autres qualités — plus rares encore
dans une partie de l'Église du temps, — une fermeté de ca-
1. Œuvres daas P. L., LXVIII. Oa trouve dans le même volume (LXVIII,
p. 15) un traité dédié à Primasius par Tévêque Junilius, mais le personnage
ne semble pas être africain. On y voit qu*à Constantinople, Primasius voulut
connaître « Graecos qui diviuarum librorum studio intelligentiaque flagra>
rent. » Cf. Cassiodore, De InsL div, litt., 9 {P. L., LXX, p. 1122) et Uidore de
Séville, De vir. ilL,22 {P, L.,i, LXXXIU).
2. P, L., LXIX, p. 116; Isidore de Séville, De vir. ilL, 1. Sur les œuvres poé-
tiques de Verecundus, cf. Manitius, Gesch. der chrisilich laieinischen Poésie,
p. 403-407.
3. P./.., t. LXVIl; Isidore, /. c, 32.
4. P. L., t. LXVII; Isidore, /. c, 12.
5. P. L., t. LXVIII. En 534 il fut envoyé à Rome par le concile de Carthage
(P. L , LXVI, p. 44).
6. P. L., LXV, p. 117; Labbe, IV, 1785.
L'ÉGLISE D'AFRIQUE SOUS LE RÉGNE DE JUSTINIEN 433
ractère, une inflexibilité de doctrine, un courage digne d'es-
time à résister aux volontés de l'empereur.
C'est là, en effet, la contre-partie de cette protection si
bienveillante dont Justinien couvrit l'Église d'Afrique, et
comme le revers de cette prospérité. Depuis le temps de Cons-
tantin, on le sait, le souverain byzantin s'arroge en matière
de religion une autorité presque absolue : suivant l'expres-
sion d'un théologien de Constantinople a il est pour les Égli-
ses le suprême maître des croyances*. » C'est lui qui convo-
que et préside les conciles, qui sanctionne par des édits les
décisions des Pères, et se charge, au besoin par la force, d'en
assurer l'exécution ; il peut au gré de ses caprices intervenir
dans la mêlée des disputes théologiques, rédiger des formu-
laires de foi, dont sa signature suffit à faire des actes de foi,*
imposer d'autorité les nouveautés dogmatiques qu'il propose ;
c'est lui qui fait le dogme et qui fait la discipline, et son auto-
rité absolue sur les personnes ecclésiastiques lui permet de
les traiter à sa volonté*. Pas plus que ses prédécesseurs, Jus-
tinien ne devait épargner aux évêques les manifestations de
l'arbitraire impérial; et TÉglise d'Afrique en particulier allait
s'apercevoir combien le prince exigeait d'obéissance en échange
de ses faveurs. Pendant dix ans, l'histoire ecclésiastique de la
province est remplie d'épisodes violents : évêques illégale-
ment déposés, prélats installés par la force etcontre les vœux
des fidèles, les résistances vaincues par les menaces ou flé-
chies par la corruption, les dissidents obligés de fuir s'ils
veulent échapper à la prison ou à l'exil, les prêtres incarcérés
ou relégués sur des plages lointaines, les pouvoirs publics
intervenant dans les disputes religieuses, et le sang même
versé pour faire triompher la doctrine approuvée par le basi-
letiSj voilà ce qu'apporta à l'Afrique la part qu'elle prit à la
querelle des Trois Chapitres, et de quel prix elle acheta l'hon-
1. Leunclavius, Jtis gr. rom., 1. V, rosp. 2.
2. Diehl, Exarchat de Revenne, p. 380-383. Cf. Gasquel, De VaulorUé impé-
riale en matière du religion.
I. 2S
m HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZ4NTINE EN AFRIQUE
neur d'être mêlée à ce grand débat. Certes, lorsqu'en 534 les
Pères du concile de Carthage se félicitaient de voir enfin res-
taurées les antiques et vénérables traditions de l'Église, et de
pouvoir de nouveau, après une captivité de cent années, ren-
trer dans la communion de leurs frères \ ils ne se doutaient
guère qu'ils devraient un jour expier chèrement ces joies
éphémères, et, en reprenant leur place dans l'Église univer-
selle, attirer sur eux les conséquences d'une des plus arden-
tes parmi les luttes religieuses du temps.
m
Lorsque vers Tannée 544', sur les conseils de Tévèque de
Césarée, Théodore Askidas, l'empereur Justinien promulgua
un édit condamnant trois des textes, ecclésiastiques jadis ap-
prouvés au concile de Ghalcédoine ', l'émotion fut vive dans
tout l'Occident. « En Afrique, bien qu'on n'y eût pris qu'une
part indirecte aux controverses sur l'Incarnation, dans toute
l'Italie, en Gaule, en Espagne, l'œuvre de Ghalcédoine était
considérée comme sacrée^. » Aussi lorsque l'édit impérial
parvint à Garthage, on fit médiocre accueil aux nouveautés
théologiques qui venaient de Byzance. Sans doute, dans l'é-
tat troublé où se trouvait à cette date (545) la province, on ne
put réunir un concile chargé de formuler solennellement Ta-
vis commun des Églises africaines*; mais dès ce moment, un
certain nombre de manifestations particulières ne laissèrent
aucun doute sur les sentiments qui les animaient. Dans ane
lettre que l'évêque Pontianus adressa à Justinien^, tout en
1. Ubbe, IV, 1755.
2. Sur la date, Hefele, Hist. des conciles^ III, p. 420.
3. Sur ces événements, cf. Duchesne, Vigile et Pelage {Revue des Quest. hisi.
1884, l. II. p. 392-393).
4. Duchesne, /. c, p. 377.
5. Ferrandus, Epist. (P. L., LXVII, p. 922).
6. P, L.y LXVII, p. 996.11 est question d'un PonUanus, évoque de Thenae, dans
la Vila Fulgentii, 66. C'est peut-être notre évèque.
L'ÉGLiSE D'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE DE JUSTINIEN 435
louant d'une manière générale Torthodoxie du prince, ce per-
sonnage insinuait sagement qu'il convenait de laisser les
morts en paix ; et, avec un remarquable esprit de prévoyance,
il exprimait la crainte « qu'en voulant condamner les morts,
on ne fût amené à faire périr bien des vivants *. » De son côté,
l'un des plus savants docteurs et des plus respectés de l'É-
glise africaine, l'élève favori du pieux évêque Fulgence de
Ruspae, Ferrand, diacre de Carthage, prenait vers le même
temps position dans le débat. «Ferrand était un saint homme
et un théologien consommé; il avait en particulier beaucoup
médité sur le problème de llncamation, si souvent agité de-*
puis deux siècles; on le consultait de tous côtés comme l'ora-
cle de la science et de la tradition '. » On conçoit de quel poids
devaient peser les déclarations d'un tel homme, si on pouvait
l'amener à se prononcer. Aussi les diacres qui, en Tabsence
du pape Vigile, dirigeaient à Rome lesaiïaires ecclésiastiques,
désireux d'assurer cet appui à Torthodoxie, demandèrent à
Ferrand de rédiger, d'accord avec l'évoque Reparatus de Car-
thage et quelques autres docteurs, une consultation motivée
sur la matière*. Ferrand, non sans quelque hésitation, se dé-
cida à répondre, et tout en protestant qu'il ne parlait qu'en
son nom personnel, il montra nettement le danger qu'il y avait
à toucher à Tœuvre de Chalcédoine et à troubler par des con-
damnations posthumes la paix de l'Église^. Toute l'Afrique
au reste pensait comme Ferrand ; pendant le séjour assez long
que le pape Vigile fit en Sicile durant Thiver de 545-546, de
toutes parts Tépiscopat africain le supplia de ne point se prê-
ter à la condamnation des Trois Chapitres*^; et à Constanti-
nople même, les sentiments de la province se manifestaient
clairement.
Dans la capitale de l'empire se trouvaient en séjour, au
1. p. L., LXVn, p. 998.
2. Duchesne, /. c, p. 398. Cf. P. L., LXV, 378, 392-394.
3. Facundus, Defensio, IV, 3 (P. L., LXVH. p. 624).
4. P.L., LXVU,p. 921 sqq.
3. Facnndos, Defensio^ IV, 3.
436 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
moment où s'engageait la lutte S plusieurs prélats d'Afrique,
parmi lesquels Facundus, évèque d'Hermiane en Byzacëne ;
c'était un fort savant homme, d'une redoutable érudition
théologique ; il connaissait assez le grec pour saisir tous les
détails du problème qui se posait, et il était assez intelligent
pour en comprendre toute la portée. Il avait vu par quelles
surprises et sous quelle pression les patriarches orientaux
avaient été amenés à mettre leurs noms au bas de Tédit im-
périal', et sa foi intransigeante s'indignait de leur faiblesse.
Défenseur passionné de la tradition catholique, il n'admettait
point qu'on touchât^ si peu que ce fût, au concile de Chalcé-
doine, et son inquiète ardeur, sa violence presque fanatique
ne pouvaient excuser une transaction ni en admettre l'utilité.
Pamphlétaire hardi, vigoureux, habile, sans crainte pour lui-
même et sans ménagements pour ses adversaires, il n'hésita
pas à se jeter dans la lutte ; et comme il connaissait admirable-
ment tous les côtés^ grands ou petits, religieux ou politiques,
de l'affaire, il se mit à préparer à l'intention de Justinien uo
traité considérable en douze livres, où il devait défendre les
Trois Chapitres incriminés et venger l'œuvre de Ghalcédoine
de ses impies blasphémateurs '; et, en attendant, pour bien
marquer son attitude, il rompit toute relation avec le pa-
triarche Menas et les autres partisans de Tédit impérial\
Lorsque le 25 janvier 547, Vigile débarqua à Constantinople,
Facundus était tout prêt à soutenir énergiquement les résis-
tances du pape; et quoiqu'il n'eût point encore achevé son
grand ouvrage, il était trop versé dans la question pour n être
point d'utile conseil.
On sait comment Vigile, cédant aux obsessions de Tempe-
reur, se flatta pourtant de condamner les Trois Chapitres sans
compromettre Tautoritédu concile deChalcédoine'. En vain,
1. FacuDdus, Defensio.pmef. (P. L., LXVII, 527).
2. Id., Defensio, IV, 4.
3. Id., Defensio.praef. (P. L., LXVII, S27).
4. Id., Adv, Mocianum (P. L., LXVII 859).
5. Duchti9ue, /. c, p. 400-405.
L'ÉGLISE D'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE DE JUSTINIEN 437
dans les conférences préliminaires réunies pour examiner les
textes en litige, les représentants de l'épiscopat africain
firent une énergique et habile résistance ; en vain Facundus,
portant du premier coup le débat sur son terrain véritable^
montra que condamner les Trois Chapitres c'était ruiner irré-
missiblement le concile * ; Vigile, trop engagé avec la cour
pour laisser se développer une argumentation qui semblait faire
impression sur les assistants, fit fermer brutalement la bouche
à l'orateur, et au lieu de la discussion projetée, on se contenta
de prier les évoques de donner par écrit leur avis. Facundus
protestait, offrait de défendre les Trois Chapitres'; on lui
laissa sept jours seulement pour rédiger son apologie. C'était
trop peu pour terminer son grand ouvrage: il dut se résigner
à en faire présenter à l'empereur un bref sommaire renfer-
mant les passages les plus décisifs. Il est à peine besoin de
dire que tous ces efforts demeurèrent inutiles ; la veille de
Pâques de Tan 548, le Judicatum de Vigile donnait satisfac-
tion à Justinien.
L'Église d'Afrique avait trop nettement pris parti pour ne
point s'indigner des faiblesses de Vigile. Quand on reçut à
Carthage les exemplaires du Judicatum, accompagnés par les
diacres de l'entourage pontifical des commentaires les plus
flatteurs ', l'émotion fut générale dans les trois provinces; et
malgré les ordres impériaux enjoignant d'adhérer à la con-
damnation des Trois Chapitres^, on se prépara à une énergique
résistance. Sans même attendre les décisions du concile, que
la paix, maintenant rétablie dans !a province, allait permettre
de réunir sans délai, des moines fanatiques se transportèrent
à Constantin ople pour y défendre la foi menacée. L'un des
plus ardents^ parmi eux, était un certain Félix, abbé d'un
monastère appelé Gillitanum ou Gillense, dont l'emplacement
1. Adv, Mocianum (P. /.., LXVTI, 859-861) ; Defensio, praef. (P. L., LXVIÏ, 527-
328J.
2. Adv, Mocianum (P. L., LXVU, 860).
3. P. L., LXIX, 44-45.
4. Vict. Tonn., a. 548 (p. 202).
438 fflSTOlRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
exact est d'ailleurs inconnu * ; abandonnant, dans le zële de
sa foi^ la communauté qu'il dirigeait, sans tarder, il partit
pour Byzance. Il y trouva Facundus et ses amis, qui, dès le
lendemain de la promulgation du Judicatum^ avaient rompu
tout rapport avec le pape; comme eux, il refusa d'entrer en
relation avec le souverain pontife, et avec Tardeur d^un fana-
tisme intransigeant, il se mit à fomenter contre Vigile une
redoutable opposition '. Il lia partie avec les diacres Ruslicus
et Sébastien, dont le premier était le propre neveu du pape ;
il souleva contre le pontife une bonne partie de son entou-
rage ; et, exploitant fort habilement les liens qui attachaient
ces personnages à l'Église romaine, il fit répandre par eux
dans rOccident chrétien mille calomnies contre Vigile '• La
brusque évolution que le pape avait accomplie n'était que
trop bien faite pour justifier les bruits les plus offensants; on
rappelait en outre les débuts de son pontificat, et comment,
par ambition ou par vénalité, il s'était fait l'Ame damnée de
Tempereur; on raillait les prétendues violences dont il affir-
mait avoir été victime à Byzance; on déclarait qu'il avait
promulgué le Judicatutriy « le néfaste Judtcatum » *, pour
complaire à Justinien et tenir ses promesses de jadis ; et tout
cela trouvait créance en Occident. En vain le pape opposait
anathème à anathème; en vain, il déposait de leurs fonctions
Rusticus, Sébastien et les autres conjurés, excommuniait
l'abbé Félix et tous ses adhérents"; le déchaînement était
universel. Les évêques d'Afrique, réunis en 550 en concile
général, se proclamaient défenseurs des Trois Chapitres, ex-
cluaient Vigile de la communion catholique et faisaient re-
mettre aux mains de Justinien une protestation solennelle
1. Vict. Tonn., a. 553 (p. 203), 557 (p. 204). MommseD pense à lire: CiliemHs.
CillHanum. Sur le personnage, cf. P. L., I^XIX, 50.
2. P. L., LXIX, 47-48, 50; Édit de Justinien (id.y p. 34).
3. P. L., LXIX, 48. Cf. sur ces calomnies, Adv. Modanum^ p. 861, 863, et ]>o>
cbesne, p. 373.
4. Adv, Mocianum, p. 868 : « Nefandum judicatam ».
5. P. L., LXIX, 50.
L'ÉGLISE D'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE DE JUSTINIEN 439
contre la condamnation *. Facundus, de Aon côté, publiait son
grand traité qu'il avait eu le loisir d'achever *, et ce livre
hardi et décisif faisait dans le monde chrétien un bruit prodi-
gieux. L'évêque dllermiane ne craignait point d'y prendre à
partie Justinien lui-même, et distinguant nettement les cas où
le souverain doit « employer les pouvoirs du prince », et
ceux où il doit « montrer l'obéissance du chrétien », il décla-
rait que l'empereur doit ce exécuter les canons de TÉglise,
non point les fixer ou les transgresser » '. Tout l'Occident
n'avait que mépris pour '< ces évoques grecs titulaires de
riches et opulentes églises, incapables de supporter une sus-
pension de deux mois, et toujours prêts, en conséquence, à
obéir à toutes les volontés du prince, à accorder sans résister
tout ce qu'on leur demandait » ^. La Dalmatie, rillyricum
protestaient comme l'Afrique; en Orient, les patriarches
d'Alexandrie et de Jérusalem se prononçaient contre Vigile,
et à Constantinopie, malgré Texcommunication, Tabbé Félix
continuait à s'agiter'. « Il devenait clair que la prétendue
pacification n'avait rien pacifié du tout; qu'au lieu de rame-
ner les acéphales, on avait froissé les catholiques et jeté d'il-
lustres églises dans les voies du schisme. C'était un beau
résultat ^ »
L'empereur ne désespéra point pourtant de venir à bout de
ces résistances, de même qu'il avait triomphé de celles de Vi-
gile; et comme le pape, effrayé, demandait maintenant la
convocation d'un concile œcuménique, Justinien profita de ce
biais pour mander à Constantinopie les chefs de l'épiscopat
africain : Reparatus, évoque de Carthage; Firmus, évêque de
1. Vict. ToDD., a. 550. Lettre des clercs italiens {Mon. Germ. hisL^ Epist, Hf,
p. 438-442).
2. Vict. ToDD., a. 550.
3. Defensio, XII, 3 (P. L., LXVII, 838) : <« ecclesiasticorum canonum exsecntor...
DOQ conditor, non exactor».
4. P. L., LXIX, U6.
5. Adv, Mocianum, p. 855, où ToQ voit qu'en 551 au moins il était encore à
Constantinopie.
6. Duchesne, /. c, p. 408
440 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Tipasa en Numidie, et primat de cette province ; Primasius,
évêque d'Hadrumète, et Verecundus, évêque de lunca, repré-
sentant tous deux le clergé de la Byzacène à la place duprinoat
Boethus, trop vieux pour entreprendre ce long voyage, s'em-
barquèrent pour la capitale *. Ils y arrivèrent vers le milieu
de Tannée 551, et tout aussitôt on s'efforça de leur arracher
une adhésion à la condamnation des Trois Chapitres. Les
prélats semblent s'être trouvés dans la ville impériale quelque
peu embarrassés de leurs personnes ' : néanmoins ils résistè-
rent avec fermeté aussi bien aux caresses qu'aux menaces '.
Alors la cour trouva un autre moyen de les faire céder : ce
fut d'intenter à l'un d'entre eux, Reparatus, un de ces procès
politiques dont les Bjrzantins étaient experts à trouver la ma-
tière*. L'évêque de Carthage, on le sait, avait en 546 été
mêlé fort directement aux négociations qui avaient précédé
et causé l'assassinat d'Âréobinde; on accusa le prélat de s'être
fait le complice de Guntarith, et d'avoir tramé, de concert
avec lui, l'intrigue où s'était perdu le malheureux gou-
verneur * ; et comme la victime était, on s'en souvient, appa-
rentée à la famille impériale, on n'eut point de peine à obtenir
des juges la condamnation de Reparatus. L*évêque de Car-
thage fut déposé et envoyé en exil à Euchaîta, dans le Pont.
Devant ces rigueurs menaçantes, quelques-uns des Africains
prirent peur et cédèrent^; Firmus de Tipasa se laissa cor-
rompre et donna sa signature ^ : Facundus lui-même, très
compromis déjà, s'effraya, et quittant Constantinople, alla se
réfugier dans une retraite connue de quelques amis seule-
1. Vict. Tonn , a. 551 ; P. L., LXIX, 115.
2. JuDilius, Praef. (P. L., LXVIII, 15).
3. P. L., LXIX, 116.
4. Cf. des exemples analogues pour le pape Martin, Tabbé Maxime (Diehl,
Exarckaty p. 397-398).
o. P. L., LXIX, 116; Vict. Tonn., a. 552.
6. Adv. Mocianum, p. 863. Je ne sais qui est Sorcius ou Porcius nomnié
dans ce passage; cf. P. L., LXVII, p. 873-874.
7. Vict. Tonn., a. 552.
L'ÉGUSE D'AFRTQUE SOUS LE RÉGNE DE JUSTINIEN 441
ment*. Quant à Primasîus d'Hadrumète et à Verecundus de
lunca, ils restèrent dans la capitale, et comme entre temps,
les rapports devenaient chaque jour plus tendus entre le pape
et Tempereur, comme le moment semblait proche où Justi-
nien tenterait de triompher par la violence des résistances
nouvelles et plus énergiques de Vigile, courageusement ils
se rapprochèrent du pape redevenu le défenseur de la foi ca-
tholique. Tous deux participèrent à la sentence de déposition
prononcée contre Théodore Askidas, à l'excommunication
lancée contre le patriarche Menas et ses partisans ; et quand,
à la fin de 551, Vigile s'enfuit à Ghalcédoine, tous deux,
quoique Verecundus fût malade, presque mourant, allèrent
partager le sort misérable du pontife dans la basilique de
Sainte-Euphémie. Verecundus devait y mourir peu de temps
après*.
L'Église d'Afrique, ainsi privée de ses principaux chefs,
semblait devoir céder facilement aux injonctions impériales.
Pour mieux préparer sa soumission, on avait commencé par
remplacer Reparatus sur le siège de Carthage. Un des diacres
qui l'avaient accompagné à Byzance, Primosus, avait consenti
à se faire en Afrique l'exécuteur des décrets de Justinien : et,
malgré le clergé, malgré le peuple, contrairement à toutes les
règles canoniques, il avait pris possession de sa ville épisco-
pale •. A la vérité, pour rendre possible cette installation, il
avait fallu l'énergique intervention de l'autorité civile, et
comme la foule résistait, le sang avait coulé dans Téglise ^
(551). Mais on espérait que cet exemple calmerait l'ardeur de
l'opposition; et, en même temps, on intriguait de mille
façons pour la fléchir. Des agents impériaux travaillaient
activement les églises africaines; et le pamphlet de Facundus
contre le scholastique Mocianus montre fort nettement par
quels arguments. Aux uns on esssayait de démontrer que la
i. Adv. Moàanum, p. 853-855.
2. P. L., LXIX, 62, 69, 116; Vict. Tonn., a. 552.
3. Vict. Tonn., a. 552.
4. P. L., LXIX, 116.
442 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
condamnation des Trois Chapitres étail juste, et le Judicaium
de Vigile légitime * ; aux autres, on représentait combien
était profondément regrettable Tattitude des conciles d'Afri-
que, qui, en rompant la communion avec les advetsaires de
Chalcédoine, avaient provoqué un schisme véritable et placé
leurs provinces en dehors de TÉglise universelle*. Pour déci-
der les ignorants, les faibles, à cesser leur opposition, on leur
vantait les avantages que trouverait la religion au rétablisse-
ment de la paix, on leur concédait même qu'on avait eu tort
peut-être de toucher à Tœuvre de Chalcédoine ; mais, au nom
de la concorde, on les suppliait de ne point s*obstiner, et on
leur citait les textes de saint Augustin, disant : « La paix-est
bonne, recherchez la paix ; Tunité est bonne, aimez l'unité,
ne rompez point Tunité '. » Â ces sollicitations on joignait les
menaces; on affirmait que les adversaires de Vigile expie-
raient sûrement dans cette vie et dans l'autre leur incompré-
hensible résistance \ Quant aux prélats qu'on jugeait acces-
sibles aux séductions terrestres, on y mettait moins de façons
encore : par des promesses d'avancement ou d'argent, on se
flattait d'acheter leur adhésion ^. Le scholastique Mocianus,
en particulier, semble avoir été en Afrique l'un des serviteurs
de cette politique; personnage assez peu recommandable, du
reste, jadis arien au temps des rois vandales, puis fervent
catholique au lendemain de la conquête byzantine, il avait su
se pousser à Constantinople dans l'amitié de Théodore Aski-
das et la faveur de Justinien * ; il semble, vers S51 , au moment
oiïi prenait consistance le projet d'un concile œcuménique,
avoir été envoyé à Carthage pour y trouver des représentants
complaisants ou dociles de i'épiscopat latin ^; et comme le
1. Adv. Mocianum, p. 855, 865-868.
2. Id., p. 854-856.
3. Adv, Mocianum,p. 854-855, 868. Cr. Episl. fidei [ibid., p. 877).
4. Adv. Mocianum, p. 867.
5. Id , p. 868.
6. /d., p. 867-868,875.
7. On peut essayer de fixer la date du traité Adversus Mociamtm. Il est
L'ÉGLISE D'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE DE JUSTINIEN 443
pouvoir civil, cette fois encore, paraît avoir prêté à ses efforts
un vigoureux concours, la missiou de Mocianus eut un sem-
blant de succès. Pour combattre cette dangereuse interven-
tion, Facundus, sollicité par ses amis, lançait, du fond de sa
retraite, une violente invective où il dénonçait les moyens
scandaleux dont se servait la politique impériale, et quoique
la terreur fût si grande en Afrique que Tévèque n'osait, en
tête de son livre, inscrire le nom de ses correspondants, crai-
gnant que leurs relations avec un fugitif ne fussent pour eux
une cause de persécution \ pourtant les fermes et courageuses
déclarations du prélat' paraissent avoir rencontré quelque
édio dans la province. Sans doute le préfet d'Afrique trouva
des évêques prêts à faire tout ce quon voudrait; mais ils
furent en petit nombre et, au vrai, ce n*était pas la fleur du
clergé africain '. On choisit, en effet, les âmes simples et
ignorantes; plus volontiers encore, on s'adressa à ceux que
Ton pouvait prendre par les intérêts temporels, surtout aux
hommes trop tarés et compromis pour se permettre aucune
résistance. Contre les dissidents on multiplia d'autre part les
certainemeDt postérieur anx conciles africains de 550 (p. 854, 863, 864); on y
parie aassi de prélats africains mandés à Coustantiuople et qui ont consenti
à condamner les Trois Chapitres (p. 863), ce qui indique ane date poUérieure
au milieu de 551. D'autre part, il n'y est point question du secoud édit impé-
rial ; surtout Vigile y est fort maltraité, ce qui s'expliquerait mal après les
violences commises à la fin de 551 à l'égard du pontife. Enfin, il y a une
grande analogie entre les faits cités (surtout p. 868), et ceux que rapporte la
lettre des clercs italiens (P. L,, LXIX, IIC). Que Mocianus ait été en Afrique au
moment de l'affaire, cela ressort du contenu de la p. 855. Cf. Herele, [II,
p. 436-437.
1. Adv, Mocianum^ p. 853.
2. Surtout p. 858.
3. P. L., LXIX, H6. Ce document ne peut guère dater de la fin de 551, comme
le ditDuchesne, /. c, p. 410, note, puisqu'il y est déjà fait mention de la fuite
du papeàChalcédoine (23 déc. 551) et qu'il fallait le temps matériel pour trans-
mettre cette nouvelle en Italie. Le texte parait être des premiers mois de 552.
On ne saurait par conséquent non plus placer en 553 les détails qui y sont
rapportés sur le choix des évéques envoyés au concile. 11 y a là dansDu-
chesne (p. 417) une légère erreur. -— L'édition des Mon, Germ. hist,, p. 438,
met aussi la lettre en 552.
444 HISTOIRE DE Lk DOMINATION BYZANTINE EN AFKIQUE
rigueurs et les condamnations *, et ainsi, grâce à Tinertie vo-
lontaire ou forcée de tout ce que Tépiscopat africain comp-
tait de prélats distingués ou courageux, les projets de Tem-
pereur devaient, ce semble, triompher à Constantinople sans
difficulté.
On sait comment, après bien des traverses, le concile œcu-
ménique s^ouvrit enfin le 5 mai 553 '. Vainement le pape avait
demandé que l'assemblée se tînt en Italie ou en Sicile, comp-
tant que les évêques d'Occident, ceux d'Afrique en particu-
lier, viendraient en grand nombre lui apporter leur secours*.
C'était précisément ce que ne voulait pas Tempereur ; il se
borna donc à promettre qu'il convoquerait à Byzance les pré-
lats que lui désignerait Vigile; bientôt même, jugeant cette
concession trop dangereuse encore, il déclara que les évèques
latins, déjà présents à Constantinople, constituaient avec le
pape une représentation plus que suffisante des églises d'Oc-
cident*. Mais comme le pontife, avec les évêques de son en-
tourage, refusa finalement de siéger au concile ; comme il
n'était venu personne ni de Gaule, ni d'Espagne, ni dltalie,
ni de Dalmatie, ni d'IIlyrie, en fait l'Occident n'eut pour dé-
légués que les quelques évêques venus d'Afrique en 551. C'é-
taient pour la Numidie le primat de la province, Firmus de Ti-
pasa.et les évêques de Cuicul, Zattara et Milen; la Byzacëne
n'avait envoyé que Tévêque de Tobscure cité de Victoriana;
la Proconsulaire avait fourni Victor de Sinna, Valerianus
d'Obba, et Sextilianus de Tunis; ce dernier représentait Té-
vêque de Carthage Primosus, qu'on avait jugé convenable de
laisser en un poste où son dévouement connu pouvait rendre
plus de services que sa présence au concile ^ Huit ou neuf prè-
1. p. L., LXIX, 118.
2. Ducheane, /. c, p. 417-419.
3. P, L., LXIX, p. 70-71 ; Mansi, IX, p. 181-182.
4. Labbe, V. 430-431.
5. Id., V, p. 417-418, 582-583, 581, 417, 582,583, 416. On trouve encore, dans
la liste des souscriptions (Labbe, V, p. 584), la mention de Crescitarus, évôqae
de Bossa {sic), dans la Proconsulaire : l'emplacement de la ville est inconnu,
UÉGLISE D'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE DE JUSTINIEN 445
lats pour représeQter ce nombreux clergé d'Afrique qui, dans
les trois provinces de Proconsulaîre, de Numidie et de Byza-
cène, comptait, en 484, deux cent quatre-vingt-onze évéques,
et deux cent vingt encore en 534, c'était peu, quoique Sexti-
lianus se prétendît investi des pouvoirs de tout le concile de
Proconsulaire*; et, comme pour souligner davantage cette
insuffisance, et bien marquer les sentiments véritables du
clergé africain, Primasius d'Hadrumète demeurait obstiné-
ment fidèle aux Trois Chapitres ; réfugié au palais de Marina,
il refusait de siéger au concile tant que le pape en serait ab-
sent*, et le 14 mai il apposait sa signature au bas du Consti-
tutum rédigé pai* Vigile ».
L'assemblée, on le sait, s'inquiéta peu de ces protestations,
et prononça sans se faire prier les condamnations que récla-
mait l'empereur. Il ne restait plus qu'à faire fléchir l'obstina-
tion des personnes; Justinien savait le moyen d'y parvenir.
« Parmi les dissidents, raconte Liberatus, diacre de Carthage,
les uns furent déposés et envoyés en exil ; les autres, réduits
à se cacher, moururent dans la misère*. » Le prince traita
avec une rigueur particulière ces obstinés Africains dont les
t^ésistances avaient contribué à soutenir l'énergie de Vigile :
le fidèle Primasius fut enfermé au couvent de Stoudion*; le
diacre Liberatus alla rejoindre à Euchaïta son ancien évêque
Reparatus; l'abbé Félix, qui continuait à troubler de son agi-
tation la capitale, et qui, même après la sentence rendue, re-
fusait d'abandonner les Trois Chapitres, fut, avecle diacre Rus-
ticus et plusieurs de leurs adhérents, exilé en Thébaïde *. Des
ordres sévères furent donnés pour venir à bout de l'Afrique :
et 8oa uoin ne figure dans aucun autre docutneut. Gdt évêque seinbU au reste ,
comme Victor de Siuna, u'avoir point aâsisté aux premières séances.
. 1. Labbe, V, p. 580.
2. /rf.,V, 432-433.
3. P. L., LXIX, 113.
4. Breviarium, c. 24 (P. L., LXVllI, 1049).
5. Vict. Tono., a. 552.
6. /d., a. 553.
446 HlSrOlRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
dès avant la fin du concile, Firmus de Tipasa avait été ren-
voyé dans sa province, probablement pour lui arracher la sou-
mission tant souhaitée ; mais il était mort misérablement pen-
dant la traversée, et sa fin avait paru une punition du ciel à
tous les défenseurs de TorthodoxieV Aussi les Africains s'en-
têtaient dans Topposition; soutenus par les exhortations que
du fond de leurs retraites ou de leurs prisons leur adressaient
les victimes du despotisme impérial, ils refusaient d'obéir au
concile; le pape avait beau céder, et par un second Constitua
tum (févr. 554) adhérer aux décisions de l'assemblée^ l'Afri-
que répondait à cette faiblesse en excommuniant solennelle-
ment « le prévaricateur »*. Primasius d'Hadrumèle, suivant
l'exemple du pontife, avait beau fléchir à son tour, et, par am-
bition terrestre, accepter des mains de l'empereur la place,
devenue vacante par la mort de Boethus, de primat de Byza-
cène, les évèques de sa province refusaient de le reconnaître,
et dans un concile solennel condamnaient sa lâche capitula-
tion*. La Proconsulaire^ la Numidie rompaient toute relation
avec Primosus, Tévèque imposé de Carthage, et tant que Re-
paratus vivait, ne voyaient en son successeur qu'un usurpa-
teur. Bref la province entière était profondément troublée ; et
il semblait qu'on n'eût rétabli la paix sur les frontières que
pour laisser plus libre cours aux discordes civiles*.
On se décida à agir énergiquement. Les châtiments cor-
porels, la prison, l'exil, devinrent entre les mains des agents
impériaux des moyens efficaces de persuasion'. En même
temps, on négociait adroitement avec une partie des prélats,
et deux évèques parvenaient, en justifiant la condamnation de
1. Vict. Tonn., a. 552. Son nom manqae dans les souscriptioas de Tacte
final du concile.
2. Vict. Tonn., a. 557.
3. ld„ a. 552.
4. Cf. la lettre de Nlcetius deTrèTes à Jastinien (Mon, Germ. hist., EpùL, UI,
p. 119) : '< intégra Africa... nomen tuum cum deperditione tua plorat, anathe-
matizat. »
5. Vict. Tonn., a. 552, 556 ; cf. la lettre du pape Pelage {Mon. Germ. hùl., EpûL^
lUt p. 443) : '< mori se etiam pro hac causa In inscientiae suae teuebris voluerunt *.
L'ÉGLISE D'AFRIQUE SOUS LE RÉGNE DE JUSTINIEN 447
Reparaius, à décider la plupart de leurs collègues de Procon-
sulaire à renouer avec Primosus les relations ecclésiastiques^
C'était en 554. L*année suivante, le concile de Numidie ve-
nait à son tour faire soumission entre les mains de Tévêque
de Carthage*, et pour assurer ces résultats, on multipliait les
rigueurs contre les dissidents, et on tâchait de chasser d'A-
frique les agitateurs les plus redoutables. Parmi eux l'un des
plus actifs était Victor, évèque de Tonnenna en Proconsulaire,
auquel nous devons le récit d'une partie de ces événements.
A plusieurs reprises déjà, il avait fallu soit l'emprisonner au
monastère du Mandrakion, soit l'exiler aux Baléares*; tou-
jours l'incorrigible défenseur des Trois Chapitres avait recom-
mencé son opposition. Cette fois pour en finir on le rélégua,
en même temps qu'un autre évéque, au fond de l'Egypte. 11
n'en devait plus revenir. En Byzacène enfin, Primasius faisait
rude guerre aux dissidents, multipliant contre eux les rigueurs
et les confiscations, et ternissant, s'il en faut croire Victor de
Tonnenna^ par une basse et honteuse rapacité, sa glorieuse
conduite d'autrefois\ Grâce à ces mesures pourtant, peu à
peu le calme se faisait ; sans doute de loin en loin le feu cou-
vant sous la cendre semblait se ranimer; du fond de sa re-
traite Facundus ne désarmait pas, et il confondait dans une
commune haine et Vigile et Pelage, son successeur, et Pri-
masius d'Hadrumète, le principal docteur des Acéphales";
dans son monastère de Canope, le fanatique Victor de Ton-
nenna s'agitait sans paix ni trêve, et ses exhortations rallu-
maient encore des résistances en Afrique. En 564 il fut avec
son compagnon d'exil, Théodore, et quatre prélats africains,
cité à Constantinople devant le patriarche et l'empereur; et
comme tous six refusaient de céder, on les enferma dans di-
1. Vict. Tono., a. 554.
2. /rf., a. 555.
3. W., a. 555.
4. 1d., a. 552.
5. P. L., LXVII, 869, 873-874.
448 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AJ-RIQUE
vers monastères de la capitale ^ Au fond ce n'étaient plus là
que des manifestations sans conséquence; dès avant 560 le
pape Pelage pouvait déclarer que «l'Afrique, llllyrie, rOrienl
avaient condamné les Trois Chapitres » et que « c'était folie
de s'écarter d'une telle sentence pour suivre quelques colpor-
teurs de fausses nouvelles » '. Aussi bien les principaux acteurs
que l'Afrique avait fournis à ce grand drame disparaissaient
l'un après l'autre : en 557, l'abbé Félix mourait dans sa prison
de Sinope'; en 558, Primasius d'Hadrumète périssait misé-
rablement^ ; en 563, Reparatus finissait à Euchaïta ses jours
dans Texil * ; en 565 les derniers défenseurs des Trois Chapi-
tres suivaient de près dans la tombe Justinien, leur persé-
cuteur \ Après avoir pris à cette tragique lutte une part émi-
nente, fourni à la cause de l'orthodoxie quelques-uns de ses
plus vigoureux défenseurs ; après avoir, pour garder sa foi,
résisté aux persécutions impériales et affronté même sans hé-
siter une douloureuse rupture avec Rome, l'Afrique retrou-
vait enfin à l'aurore du nouveau règne le calme intérieur. L'é-
dit de Justin II, en proclamant la pacification religieuse, en
recommandant aux évoques d'éviter toute nouveauté \ rendait
l'Église africaine à sa véritable vocation : pendant plus de
quatre-vingts ans elle allait avoir pour principal souci d'é-
tendre dans l'Afrique byzantine le domaine du christianisme.
Traitée d'ailleurs avec une extrême faveur parles successeurs
de Justinien, protégée par leurs édits contre toute ingérence
abusive des administrateurs civils et militaires*» investie du
droit de porter directement aux pieds du prince ses réclama-
tions et ses conseils* ; sûre de voir ses privilèges respectés et
i. Vict. Tonn., a. 565.
2. Mon, Germ, hist., Episi., lU, p. 443-444.
3. Vict. ToQD., a. 557.
4. Id., a. 552; Morcelli, III, p. 318.
5. /d., a. 563, p. 205.
6. Id., a. 563, p. 206.
1. Evagrius, Hiat.eccl.,\\ 4.
8. Zachariae, Jus gr. rom.^ 111, p. 10.
9. Id., p. 10.
L'ÉGLISE D'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE DE JUSTINIEN 449
ses demandes exaucées', TËglise sentait croître dans les pro-
vinces son influence puissante; le moment était proche où,
par son sévère et incessant contrôle, elle allait conquérir jus-
que dans l'administration publique une place chaque jour plus
éminente.
Quoi qn*il en soit^ un fait important ressort du récit que
nous venons de faire. Pour que, pendant sept ou huit années,
de 548 à 556, l'Afrique ait pu s'engager avec tant de passion
dans la querelle des Trois Chapitres; pour que, durant cette
période, les évêques aient pu se concerter sans peine, et des
conciles se réunir à plusieurs reprises sans aucune difficulté ;
pour que de nombreux prélats, pour que les chefs mêmes de
l'Église africaine n'aient éprouvé nulle répugnance à aban-
donner pour un temps assez long leurs diocèses; pour que
Tadministration publique enfin ait trouvé le loisir de se mêler
activement à la lutte et d'employer ses forces à la répression
des dissidences religieuses, il faut évidemment que l'Afrique
ait été d'autre part pleinement tranquille et pacifiée. Ainsi les
victoires de Jean Troglita avaient été efficaces autant et plus
que celles du patrice Solomon; grâce à elles, pendant quinze
années, TAfrique paraît avoir joui d'un calme et d'une pros-
périté que ne vint troubler aucun événement extérieur; il
fallut le relâchement général qui marque la fin du règne de
Justinien; il fallut les dangereuses imprudences du gouverne-
ment impérial pour ébranler cette situation heureuse, et rejeter
encore une fois, et pour plus de trente ans, l'Afrique dans une
succession de difficultés, de troubles et de guerres.
1. Zacbariae, Jus gr, rom,, III, p. 10 (a. 568;, p. 30 (a. 582).
29
LIVRE IV
L'KXARCHAT D'AFRIQUE
LIVRE IV
T/EXARCHAT D'AFRIQUE
PREMIÈRE PARTIE
LA CRÉATION DE L'EXARCHAT
CHAPITRE PREMIER
LES GUERRES d'aFRIQUE SOUS LES RÈGNES DE JUSTIN II ET DE TIBÈRE
CONSTANTIN (565-582)
Les dernières années du gouvernement de Justinien, ainsi
qu'il arrive d*ordinaire au terme d'un trop long règne, sem-
blent avoir été marquées par un relâchement profond de tons
les ressorts de l'administration publique. L'empereur, vieillis-
sant, affaibli, avait perdu cette énergique activité, qui jadis
le poussait à conquérir l'Afrique ou l'Italie; au lieu de cet im-
périal orgueil qui jadis inspirait ses résolutions, au lieu de cet
amo'irde la gloire qui Tavait conduit et soutenu dans les plus
difficiles entreprises, maintenant le prince n'apportait plus
dans le soin des afTaires qu'une molle indifl'érence, qu'une
incurie chaque jour croissante': et, en l'absence de toute di-
i. Ménandre (éd. Bodd), p. 283; Corippue, In laudem Justini, 11, 260-268.
454 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
rection vigoureuse, Tœuvre que Justinien avait rêvée s'écrou-
lait leotement de toutes parts. Sous les apparences de grandeur
et de gloire, les faiblesses et les misères apparaissaient ; le
trésor appauvri par l'excès des dépenses, parles frais coûteux
des guerres lointaines, des constructions multipliées, des sub-
ventions maladroitement prodiguées aux barbares^ par les
folies d'un luxe inouï, était, suivant les expressions d'un do-
cument officiel, « réduit au dernier degré de la pauvreté »^
Malgré les rigueurs de l'administration, les impôts, dont le
poids devenait toujours plus lourd, rentraient avec une peine
extrême; et la cupidité des fonctionnaires, qui, sans scrupule,
exploitaient les provinces, augmentait, sans profit pour l'em-
pire, la misère des sujets'. L*armée était en pleine décadence;
les effectifs, laissés volontairement incomplets par^ raison
d'économie, diminuaient d'une manière scandaleuse ; au lieu
de six cent quarante- cinq mille hommes qu'ils auraient dû
comprendre, à peine en comptaient-ils cent cinquante mille,
dispersés sur toutes les frontières*. Encore la rapacité de
l'administration entretenait ces troupes sur un pied déplorable:
la solde, toujours en retard, souvent même n'était point payée ;
les fournitures d'équipement et de vivres étaient faites avec
une rare irrégularité ; à tous les degrés de la hiérarchie mili-
taire, le vol était organisé; et les soldats, dénués de tout, par-
fois obligés de mendier pour vivre, désertaient à l'envi les
drapeaux\ Aux portes mêmes de la capitale» les places fortes
de la Thrace, mal entretenues, montraient leurs murailles
ouvertes par mille brèches; aucune garnison ne les occupait
plus, aucune machine ne couronnait plus leurs courtines : « on
n'y entendait pas même, dit brutalement Agathias, comme
dans un parc à bestiaux, l'aboiement d*un chien de garde »*.
Sur la frontière de Perse, si menacée pourtant^ on avait pro-
i.Nov, 148, praef.
2. Evagrius, Hisl. eccL, IV, 30.
3. Agathias (éd. Bonn.)» p. 305-306.
4. W., p. 306-307; cf. Proc, Hisl, arc,, p. 132-138.
5. Agathias, p. 305; cf. p. 308.
LES GUERRES D'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE DE JUSTIN II 43S
fité de la première apparence de paix pour licencier les corps
de limiianei*; tout prétexte élait bon pour diminuer les dé-
penses militaires ; et le résultat de cette incurie, c'est que
Tempire était ouvert à toutes les attaques. Et qu'on ne soup-
çonne point Procope d'avoir à dessein, par haine de Justinien,
chargé les traits de la description : ce qu'affirme, à la date
de 559", l'auteur de l'Histoire secrète, Agathias le répète en
termes presque identiques, et les Novelles impériales elles^
mêmes le confirment avec une lamentable précision. « En Tab-
sence de toutes les choses nécessaires, dit un document officiel,
l'armée était si complètement dissoute, que l'État était exposé
aux invasions incessantes et aux insultes des barbares*. » On
juge par ce tableau delà situation où pouvaient se trouver des
provinces, telles que l'Afrique, plus éloignées du centre de la
monarchie. Les faibles troupes qu'on y entretenait étaient in-
suffisantes pour assurer la défense * ; les citadelles, délabrées ou
abandonnées, ne protégeaient plus le pays ; au lieu du prestige
de la force, c'estparladiplomatie seule qu'on essayait d'assurer
la tranquillité. Aussi bien était-ce, à ce moment, sur toutes les
frontières, la règle de conduite prescrite par l'empereur : semer
la division parmi les barbares et les ruiner les uns par les
autres^ maintenir leurs tribus en repos à grand renfort d'ar-
gent et de cadeaux, acheter, quand il fallait, très chèrement
leur retraite, telle semblait être, en cette fin de règne, l'habi-
leté suprême^. Le jour était proche pourtant où, sur toutes
les frontières, allait éclater l'insuffisance profonde de cette po-
litique négligente et de cette déplorable organisation.
1. Proc, BisL arc.y p. 135.
2. Cette date ressort du passage de YHisl. arc, p. 137.
3. Nou. 148, praef.; cf. les Strategika, qui déclarent que Tart militaire « est
tombé, pour ainsi parler, en absolu oubli » {Stralegika^ p. i-2).
4. Jean d'Antioche (Fragm. hist. gr,, t. IV), fr. 218.
5. Agathias, p. 306.
456 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
I
En Tannée 563, l'Afrique avait pour gouverneur Jean Ro-
gathinos' : par une maladresse qui semble assez inexplicable,
ce personnage alluma dans la province, qui depuis quinze ans
demeurait tranquille, une nouvelle insurrection. Parmi les
vassaux africains de Byzance, figurait encore Goutsina, Tallié
fidèle de Solomon et de Jean Troglila; et, conformément aux
principes de la politique byzantine à l'égard des Berbères, on
servait annuellement une pension au vieux chef. Pour des
raisons que nous ignorons, le gouverneur crut devoir rompre
avec ce vassal dévoué de Tempire; et comme Goutsina, selon
l'usage, était venu àGarthage pour toucher la subvention pro-
mise^ il le fit traîtreusement assassiner'. Jadis, en 544, le guet-
apens de Leptis Magna et l'exécution du frère d'Antalas avaient
suffi à provoquer un soulèvement formidable ; la trahison de
563 entraîna naturellement de semblables conséquences. Pour
venger leur père, les fils de la victime prirent les armes, et de
nouveau l'Afrique connut les horreurs du pillage et du mas-
sacre. Toutefois il semble bien qu'une partie seulement de la
province^ — sans doute la Numidie,où étaient cantonnées les
tribus de Goutsina — devint la proie de Tinsurrection : il ne
paraît pas non plus quele mouvement se soilétendu aux autres
populations berbères, puisque seuls les fils de Goutsina sont
nommés à la tète des révoltés. Pourtant, après tant d'années
de paix, l'alerte fut vive, probablement accrue encore par la
faiblesse des ressources militaires dont on disposait : en tout
1. Malalas, p. 495-496; De Boor (Théophane, ladex, p. 633) croit à tort qu'il
8*agit de Jean Troglita. Quant à la situation du personnage, elle est incertaine.
Les textes l'appellent âp^cov. Il est probable qu'il était fnagisier mililum^
car, à cette date même, il semble qu'Aréobinde était préfet du prétoire d*Afriqoe
{Justiniani novellae, éd. Zachariae, Nov. 173) ; cf. pourtant les réserves que
Zachariae fait dans son Appendix, p. 31.
2. Malalas, p. 495-496; Théophane, p. 238-239.
3. (iéoT) Ttva, dit à deux reprises Tbéophane, /. c.
LES GUERKES D'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE DE JUSTIN 11 457
cas il fallut envoyerlout exprès d'Orient une armée en Afrique*,
et le commandement en fut confié au propre neveu de l'empe-
reur, Marcîen'. Ce grand effort ne demeura pas inutile : le
nouveau général réussit à obtenir — nous ne savons si ce fut
par la diplomatie ou les armes — la soumission des Maures,
et de nouveau la paix fut rétablie dans la province^ : mais
pendant les quelques mois qu'avaient exigés les préparatifs
de rexpédition,lepays en proie aux ravages avait cruellement
souffert. Alafin durëgne de Justinien, la misère était grande
en Afrique*, et d'autre part, cette reprise des hostilités, quel
qu'en eût été le résultat, était pour l'avenir le présage de
graves complications.
Pourtant on put croire un moment que Tévénement serait
sans conséquences. La mort de Justinien (nov. 565) avait amené
au trftne l'actif et énergique Justin II, et le nouvel empereur
semblait disposé à rompre à la fois avec toutes les traditions
politiques du précédent règne* : en même temps qu'il reprenait
au dehors une attitnde plus fiëre à Tégard des barbares, quïl
tentait un vigoureux effort pour restaurer les finances et réta-
blir Tarmée *, qu*il s'appliquait à effacer les dernières traces
des luttes religieuses \ sa généreuse sollicitude était émue par
les misères des sujets. L'Afrique en particulier parait avoir
été l'objet de son attention ; à ce moment, en effet, la province
avait à Constantinople un protecteur puissant dans la personne
d'un des ministres du prince, le questeur du palais Anastase *;
grâce à l'influence de ce personnage, Justin II s'occupa active-
1. Théophane, L c,
2. Sur ce personnage, qni fut pins tard crcpaTtiybc tôv *E(owv, cf. Evagrius,
V, 8; Jean d'Epiphanie {Fr, hisL graec.^ IV, p. 274).
3. Théophane, /. c, p. 239.
4. Corippu0, In laud. Anaat.y 37; In laud.Jusi,, I, 19.
5. Grob, Gesch, des Ostroem, Kaisers Justins II, p. 45-49, 61-67.
6. Nov. 148 (a. 566); Zachariae, Jus gr. rom., 111, p. 3. C'est de cette époque
environ que dateut les Strategika attribués k Maurice (Zachariae, dans la Byz.
ZeiUchr,, Uf, p. 441).
7. Evagrius, V, 1, 4.
8. Corippus, In laud, AnasL, 36-40. Sur ce personnage, cf. Jean d'Ë phase
(éd. Schœnfelder;, II, 29.
458 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
ment de réparer les désastres de la contrée. Sous radmiaisira-
tion d'un nouveau gouverneur, le préfet d'Afrique Thomas^ la
paix fut assurée par d'habiles négociations avec les chefs ber-
bères et, suivant l'expression de Corippus, « l'Afrique épuisée
retrouva un espoir de vie » \ Par ses soins, le système de la
défense fut réorganisé, complété; de nouvelles citadelles s'éle-
vèrent, en particulier à Tendroit où les routes de Théveste et
de Cirta se réunissaient pour déboucher dans la vallée de la
Medjerda; sur ce point, des places fortes furent établies à
Thubursicum Bure (Teboursouk) ', à Agbia (Aïn-Hedja) *, à
Thignica (Aïn-Tounga) \ Au delà des frontières reconstituées
et protégées, l'influence byzantine s'étendit^ à la faveur de la
propagande chrétienne, jusque chez les Garamantes du Fezzan,
jusque chez les Berbères de la Maurétanie Césarienne* , c< triom-
phant par conseil 9 suivant l'expression de Gorippus, des
peuples que personne n'avait vaincus par les armes » *. A l'in-
térieur du pays, l'administration des finances réorganisées
s'efforçait, par une meilleure perception de l'impôt, d'assurer
les rentrées nécessaires aux dépenses^; pour réprimer la cu-
pidité des fonctionnaires, on remettait en honneur les vieilles
règles relatives & l'obtention gratuite des magistratures'; pour
arrêter leurs insolences, on rappelait à tous les agents, civils
et militaires, le respect du aux privilèges de l'Église et à la
personne des évéques, et officiellement on invitait les prélats
à adresser au prince toutes les observations qui leur semble-
raient utiles, « afin, dit le rescrit impérial, que, connaissant
la vérité, nous décidions ce qu'il convient de faire » •. Bref,
1. CorippuB, In laud, Just,, 1, 18-21. Sur le préfet Thomas, cf. C. /. t., VIII,
1434.
2. C. /. L., VIII, 1434.
3. Diebl, Rapport, p. 433.
4. SaladiD, H, p. 545.
5. Jean de Biclar, a. 569 (p. 212).
6. Gorippus, In iaud, Jusl,, I, 21 :
a Vicit coDsiliis, quos uullus vicerat armis ».
7. Nov. 149, 2 (a. 569).
8. Nov. 149.
9. Zachariae, /. c, lll, p. 9-10 (a. 568).
LES GUERRES D'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE DÉ JUSTIN U 459
l'aurore du nouveau règne semblait pleine de promesses pour
l'Afrique, et on conçoit que l'Africain Corippus entreprit en
l'honneur de Justin II un panégyrique extraordinaire, pendant
que Carthage reconnaissante élevait des statues à l'empe-
reur *.
Malheureusement cette prospérité dura peu. Quand les
Avares, un moment effrayés par la courageuse fierté du nou-
veau prince, revinrent donner l'assaut à Tempire, quand les
Lombards pénétrèrent en Italie, quand de graves difficultés
diplomatiques annoncèrent l'imminente reprise de la redou-
table guerre perse*, l'Afrique, quoiqu'on en eût, passa au
second plan des préoccupations impériales; probablement,
pour résister aux envahisseurs qui menaçaient l'Orient et
ritalie, on la dégarnit d'une portion des faibles troupes ^ qui
l'occupaient: en tout cas elle devint le théâtre de nouvelles
guerres, et quoique nous possédions sur cette période des ren-
seignements infiniment sommaires, pourtant nous entrevoyons
combien elle fut désastreuse. En 569, Théodore, préfet d'A-
frique, est tué par les Maures*; en 870, Théoctistos, magister
militum de la province d'Afrique, est battu par les Maures et
tué*; en 571, Amabilis, magister militum d'Afrique, est tué
par les Maures *. Dans quelle partie delà province se passèrent
ces événements, dont la sèche mention revient, comme un lu-
gubre refrain, sous la plume du chroniqueur Jean de Biclar?
Sont-ils le résultat de quelque soulèvement parmi les tribus
soumises à l'empire, ou plutôt la conséquence de quelque atta-
que venue des populations indépendantes de la Maurétanie ?
Sont-ils l'effet d'une invasion berbère dans le pays byzantin,
ou bien d'une conquête tentée par les impériaux, comme pour-
rait le faire croire l'extension que l'influence grecque semble
1. C. I. L., m, 1020.
2. Groh, l. c, p. 75-104; Bury, /. c, II, p. 95-97.
3. Cela ressort de Corippus, In laud.Just,, I, 20 : « Bellum sine milile prdesit ».
4. Jean de Biclar, a. 569.
5. W., a. 570.
6. W., a. 571.
460 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
vers cette date avoir prise vers l'ouest? Il faut nous résoudre
à l'ignorer *. Tout ce que nous pouvons entrevoir, c'est que le
vainqueur des trois généraux byzantins, le roi Garmul *, parait
avoir fondé, à la suite de ces événements, un puissant état in-
digène; ce que nous savons assurément, c'est que la province
souffrit cruellement de ces luttes. De nouveau, comme en 546,
les populations s'enfuient au delà des mers, par crainte des
violences des barbares, et vont chercher en Espagne un plus
paisible asile ^ ; de nouveau , dans le pays désolé, les campagnes
demeurent désertes \ En même temps toutes les bonnes in-
tentions de l'empereur restent sans résultat ; malgré les édits,
les fonctionnaires continuent à acheter leurs charges, et se rem-
boursent de leurs dépenses en exploitant les sujets ''; la rentrée
des impôts devient chaque année plus difficile; en vain le
prince déclare que « sans argent il est impossible de rien faire
de prospère » % en vain il affirme que « sans argent la répu-
blique ne peut être sauvée » \ la fréquence même des édits sur
la matière prouve leur inutilité *. En conséquence l'armée n'est
plus payée, et par suite elle résiste mal aux attaques des bar-
bares * ; et dans la contrée dévastée, où les colons ne veulent
1. J^incline à croire pourtant qu'il faut placer dans la Césarienne les Maures
qui battirent les généraux byzantins, et cela pour les ralFons suivantes. Vers
569, il est incontestable que l'influence grecque s'étendait dans cette région;
la conversion des Maccuritae en est un sûr garant. Or, pendant les années sui-
vantes, cette influence semble avoir subi quelque arrêt. On voit en effet ces
mêmes Maccuriiae, convertis en 569, venir, en 513, renouveler leur soumis-
sion à l'empire. Ce fait semble indiquer qu'entre ces deux dates ce peuple
participa à quelque soulèvement : il est permis de supposer que ce fat celui
de Garmul. Il paraît donc vraisemblable que ce roi était un grand chef mau-
rétanien qui s'opposa aux progrès des Grecs vers l'ouest.
2. Jean de Biclar, a. 578 (p. 215).
3. Morcelli, 111, p. 325, 328 ; Vitae Patr, EmeriteMium, c. 3 (P. £.., LXXX, 126) ;
Hildefonsus, De vir. t/Z., c. 4 (P. £.., XCVÏ, 200).
4 Const., 111 (a. 570) ; Zacbariae, /. c, Hl, p. 13-14.
5. En 574, on renouvelle les mesureâ de 569, « quae devicta paulatini obli-
vioni tradita suot » {Nov, 161).
6. Const. m (a. 570); Zacbariae, III^ p. 14.
7. Nov. 149, 2 (a. 569).
8. Éditde 574 (i\ov. 161, 4).
9. Nov. 149, 2.
LES GUERRES D'AFRIQUE SOUS LE RÉGNE DE JUSTIN 11 461
plus rester attachés à la terre, Fagriculture est complètement
ruinée *. Dans ce cercle vicieux — car ce pays sans ressources,
est incapable de rien payer — vainement la bonne volonté de
l'empereur se débat pour trouver un remède ; vainement il
essaie, par des mesures sévères^ de fixer au sol le cultivateur,
de satisfaire les propriétaires de la province d'Afrique ; vaine-
ment, comme le dit un rescrit, « il veille attentivement, jour
et nuit, aux intérêts de la république^ se hâtant de réformer
tout ce qui est nécessaire » '. Les événements étaient plus forts
que la volonté du prince : aussi, découragé, malade, sentant
d'ailleurs sa raison lui échapper *, en 574, Justin II se décida à
associer comme régent à l'empire le comte des excubiteurs,
Tibère Constantin.
II
' Au moment où le nouveau basileus montait sur le trône
de Byzance, la situation de l'Afrique semble avoir été un peu
moins désastreuse. En Tannée 573, la puissante tribu des
Maccuritae^ Tune des principales peuplades de la Maurétanie
Césarienne, avait par une solennelle ambassade renouvelé sa
soumission k Tempire^. Sans doute Garmul, le grand chef
indigène, demeurait toujours redoutable^ : mais à cette date,
s'il en faut croire du moins un renseignement que fournit
le chroniqueur Marins d'Avenches, les préoccupations des
Maures se détournaient de l'Afrique grecque et, attirés vers
la mer, ils portaient leurs ravages sur les côtes de Provence'.
En tout cas, le pays byzantin parait avoir été épargné pendant
quelques années, et l'empereur^ désireux de pousser énergi-
1. Const. ni (a. 5-10).
2. Ibid.
3. Groh, /. c, p. 54-59 ; Bui y, II, p. 76 79.
4. Jeao de Biclar, a. 573.
5. Id.y a. 578 : « fortiasimua rex ».
6. Marins d'Avenches, a. 574 (éd. Moaiina ti, p. 239).
462 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
quement la guerre contre les Perses', put en Afrique comme
en Italie se dispenser d'intervenir par les armes*. Il se con-
tenta probablement d'envoyer abondamment à Carthage, ainsi
qu'il faisait à Bome, les subsides nécessaires pour assurer la
fidélité des rois berbères ou pour gagner leur dévouement * ;
sans doute aussi, comme ea Italie, il fit construire quelques
places fortes destinées à compléter le système de la défense* ;
surtout il se préoccupa de mettre à la tète de la province des
administrateurs d*une compétence éprouvée. A la tète du
service civil il replaça le préfet Thomas, qui quelques années
auparavant avait si habilement gouverné l'Afrique •; au com-
1. Evagrias, V, 14, note l'activité que mit Tibère a reconstituer dans ce but
Tarmée byzantine.
2. Cf. Méoandre, p. 328-331.
3. Ménandre, p. 327-328, 332.
4. C. 7. L,, VIII, 10498 (Macomades minores) : la date se place entre 574 et 518.
5. Ce fait ressort nettement de l'inscription de Mascula (C. /. £.., Vlil, 2245),
telle que Ta complétée une découverte récente {Bull, des Anliquaires^ 1895,
p. 171 ; Mél, de Rome^ XV, 336). Dans le préfet Thomas nommé dans ce texte,
on a justement reconnu le personnage dont parlent Corippus (Inlaudem Jtis-
am,I, 18-21) et rinscription des murs deTeboursoak (C. /. £.., VHl, 1434): mais
on ne s'est point suffisamment préoccupé d'établir la chronologie de ces docu-
ments. Or, les trois premiers livres du panégyrique de Justin furent publiés par
Corippus avant la fin de l'année 566 (Partsch, Praef., p. xlvi); dès ce mo-
ment donc, le préfet Thomas administrait TÂfrique. L'inscription de Tebour-
souk, où figurent les noms de l'empereur Justin et de l'impératrice Suphie,
mais où manqne le nom de Tibère, est, pour ce motif, antérieure à 574, et se
place entre 565 et 574. L'inscription de Mascula enfin, où le seul Tibère
est nommé, et avec le titre d'empereur^ est postérieure à 578. A première
vue, on sera tenté de conclure que les souverains qui se succédèrent sur le
trône, reconnaissant les services du préfet Thomas, le maintinrent sans inter-
ruption à la préfecture d'Afrique depuis 566 jusqu'à 578 au moins : mais
un rescrit impérial, adressé eu 570 par Justin au préfet d'Afrique Théodore
vZachariae, Jus graeco-romanum^ III, Coll. I, Nov, 6) ne permet point d'accep-
ter cette conclusion. 11 faut donc admettre que Thomas a, à deux reprises,
rempli la charge de préfet : une première fois, entre 565 et 570, et c'est àce pre-
mier gouvernement que j'ai rapporté Tinscription des murs de Tebonrsouk;
une seconde fois, postérieurement à 570, et antérieurement à 582, date à la-
quelle unenovellede Tibère est adressée au préfet Théodore (Zachariae, /. c,
Nov. 13). On ne saurait préciser absolument l'époque de ce second gouverne-
ment : il se pourrait, en effet, si l'on rapporte ici l'inscriptiou de Tebonrsouk,
que Justin, après avoir rappelé Thomas, Tait renvoyé en Afrique dès avant
574. Il parait plus probable pourtant que Tibère, soit comme César, soit plu-
LES GUERRES D'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE DE JUSTIN 11 463
mandement de Tarmée, il nomma, comme magister miliium,
un officier énergique^ Gennadius. Le résultat de ces h*eureux
chois ne se fit pas attendre; vers 578 ou 579, Gennadius atta-
qua audacieusementlesMaures,battitGarmul,et de sa propre
main tua le chef berbère ^ C'était après les désastres des der-
nières années un succès important, et qui semble avoir été
décisif : Gennadius et le préfet Thomas s'efforcèrent de l'as-
surer en occupant fortement un certain nombre de points stra-
tégiques qui renforçaient utilement la défense delà frontière*;
et on effet la paix parait avoir été rétablie en Afrique par leurs
soins. Ajout le moins l'empereur Tibère^ qui dès 574 s'était
préoccupé de réformer l'administration de la province, pou-
vait-il en 582 prendre les mesures nécessaires pour y restaurer
Tagriculture*, ce qui indique une pacification assez complète
du pays : et deux ans plus tard, à la date de 584, Théophy-
lacte Simocatta rapporte que la puissance des Maures dimi-
nuait de jour en jour, et qu'effrayés par les exploits des soldats
de Byzance, ils ne songeaient plus qu'à déposer humblement
les armes et à vivre tranquilles, soumis à l'autorité du basileus^.
Si Ton essaie de résumer les traits essentiels de cette période
malheureusement assez mal connue, de dégager d'un petit
nombre de textes obscurs et incomplets les faits vraiment ca-
tôt comme empereur, en même temps qu'il nommait Gennadius au poste de
magister militum, fit appel à rexpérience du préfet Thomas : on compren-
drait mieux encore, dans cette hypothèse, pourquoi le préfet donna, en l'hon-
neur de son protecteur, le nom de Tiberia k Mascula reconstruite. En consé-
quence j'incline à placer entre 574 et 582 le second gouvernement de notre
personnage.
1. Jean de Biclar, a. 578 (p. 215).
2. C. /. L., VIll, 2245 (Mascula) ; la date se place sous le gouvernement de
Gennadius (a. 578-582.^J; 949 (Ain-Tubernok, date: 578-58if); 4354 (Âla-Ksar,
date : 579-582, sous le gouvernement de Vitalius, magister militum Africae). Au
lieu de la restitution Vitalius^ M. Gsell croit que dans ce texte, conservé
par une médiocre copie, il faut lire le nom de Gennadius {Bull, des Anti-
quaires, 1895, p. 171).
3. Const. IV (a. 582): Zachariae, UI, p. 30.
4. Theoph. Simocatta, III, 4, 9. Sur la date, cf. Ewald, dans l'édilion de
Grégoire le Grund, I, p. 82.
464 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
ractéristiques, il semble d'abord que TAfrique de Justin II et
de Tibère ressemble fort à celle de Justinien. C'est la même
organisation administrative, où les pouvoirs civils sont en
général distincts de Tautorité militaire; c'est le même sys-
tème de défense, s'appuyant sur un réseau de places fortes
savamment disposées; c'est la même politique à l'égard des
indigènes, assurant l'influence byzantine tout ensemble par les
subsides pécuniaires et par la propagande religieuse ; ce sont
les mêmes guerres enfin, fécondes en pillages et même en désas-
treux revers, mais où la solidité des troupes byzantines finit
toujours par avoir le dernier mot. Pourtant, en observant plus
attentivement les choses, de graves différences apparaissent.
Malgré la réelle sollicitude que Justin et Tibère témoignèrent
à l'Afrique» Tétat de I9 province parait moins prospère qu'au-
trefois : au dedans l'administration publique se désorganise, et
les édits impériaux sont impuissants à la reconstituer; la
misère du pays augmente, et les rescrits du prince ne peuvent
y porter un remède efficace. La défense de la frontière est
moins solide, et moins assurée la tranquillité de la contrée ;
ce n'est plus seulement le long du limes^ ou sur quelques
points stratégiques de la seconde ligne qu'on établit les for-
teresses ; c'est l'intérieur de la région même qui se hérisse
de citadelles, et — chose plus significative encore — pour la
première fois les populations sont contraintes de veiller elles-
mêmes à leur sécurité, et de construire à leurs frais, à côté
des places fortes impériales, des redoutes où elles trouveront
un refuge ^ Au dehors, les attaques sont plus fréquentes et^
malgré les succès de la propagande chrétienne, de grands états
indigènes se forment, qui demeurent soustraits ou hostiles à
l'influence byzantine. Sans doute la victoire de Gennadius ré-
tablit pour quelques années la paix en Afrique et y remit la
domination grecque sur un pied égal, supérieur même, à
1. C. /. I , Vill, 4354; le caslrum est construit par les « conseotientes sibi
cives istius loci... de suis propriis laboribus ». Sous Us règnes s uivaots, le fait
sera plus fréqueut cucore (C. /. L., Vlll, 10681, 12U35).
LES GUERRES D'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE DE JUSTIN II 465
celui qu'elle avait tenu sous Justinien. Néanmoins les mêmes
dangers subsistaient, et d'autant plus menaçants que désor-
mais les guerres d'Orient empêchaient d'entretenir dans la
province une armée d'occupation bien considérable ; et en con-
séquence, dans les préoccupations de l'administration impé-
riale, le soin de la défense tendait nécessairement à prendre de
plus en plus la première place. De ces diverses causes devait
naturellement sortir une importante réforme administrative^
déjà préparée d'ailleurs par une longue suite de circons-
tances : sous le règne du succcesseur de Tibère, de l'éner-
gique et intelligent Maurice, les provinces occidentales de la
monarchie allaient recevoir une organisation nouvelle; en
même temps que l'Italie se transformait pour résister à l'inva-
sion lombarde, pour les mêmes raisons et de la même ma-
nière l'exarchat d'Afrique naissait.
30
CHAPITRE II
LES TRANSFORMATIONS ADMINISTRATIVES DE LA PROVINCE D AFRIOUE
ET LA CRÉATION DB L*EXARCHAT
Le règne de l'empereur Maurice (582-602) semble avoir été
pour TAfrique byzantine une époque de grandes transforma-
tions. Au point de vue géographique, des changements impor-
tants apparaissent dans la province à la fin du vi* siècle, et on
y constate un groupement nouveau des territoires^ assez dif-
férent de celui que Justinien avait établi cinquante ans aupa-
ravant. Au point de vue administratif, une évolution plus con-
sidérable encore s'accomplit, et des institutions nouvelles
naissent et lentement grandissent, qui viennent profondément
modifier les règles du système de gouvernement romain. Il
est donc essentiel d'examiner avec soin cette double réforme,
d'en rechercher la date et les causes, d'en fixer le caractère et
la portée : en effet elle ne constitue pas seulement un épisode
— d'ailleurs considérable — de l'histoire africaine : dans
Tétude qu'on en fera, on trouvera quelque chose de plus, je
veux dire une application particulièrement significative des
principes généraux qui, vers ce moment même, tendaient à
modifier l'organisation administrative de Tempire grec tout
entier.
I
La liste géographique de Georges de Chypre, longtemps
Lk CREATION DE L'EXARCHAT 467
égarée et comme noyée dans la série des notices épiscopales
byzantines, a repris récemment, grâce à la pénétrante étude
de Gelzer, sa valeur et son caractère véritable *. Composée dans
les premières années du vu® siècle, elle nous offre la descrip-
tion de l'empire romain tel qu'il était constitué sous le règne
de Maurice*, et grâce à elle nous pouvons retrouver avec pré-
cision les divisions territoriales entre lesquelles l'Afrique se
partageait à la fin du vi* siècle. De grands changements s'y
étaient à ce moment accomplis. D'une part la ïripolitaine en
avait été détachée pour faire désormais, comme laCyrénaïque
sa voisine, partie du diocèse d'Egypte^; d'autre part la Mau-
rétanie Césarienne, maintenue par l'orgueil de Justinien sur
la liste officielle des possessions byzantines^ en avait été défi-
nitivement rayée^ et les quelques places, d'ailleurs peu nom-
breuses, que l'empire conservait sur cette portion du littoral,
avaient été réunies à la Sitifienne pour former avec elle la
province unique de Maurétanie première^. En revanche, à
l'extrémité occidentale de l'Afrique, l'importante citadelle de
Septem, qui jadis dépendait de la Césarienne, était devenue la
capitale d'ungouvernement nouveau. Pour compenser la dimi-
nution territoriale produite du côté de Test par l'abandon de
la Tripolitaine, pour donner aussi aux possessions byzantines
dispersées dans l'extrême ouest une organisation plus solide et
plus rationnelle, une province avait été formée avec Septem, les
lies Baléares, les territoires que Tempire conservait en Espagne
et sous le nom de Maurétanie seconde, elle avait été placée
1. Georgii Cyprii Descriptio orbis Romani, éd. Gelzer, p. vi-xai.
2. Id., p. xv-zvi : tt repraeseotat hic liber fiomanum imperium Mauricio
auctore solidatum n.
3. /d., p. Li et LXLV.
4. Id., p. 34. A la vérité, Sétif est mis par Tauteur en Namidie et Rusuccuru
seul figure en Maurétanie première. Mais la Maurétanie première étant au
temps de Procope identique à la Sitifienne, et Sétif étant resté byzantin, il
serait étrange que ce nom eût été entièrement détourné de sa signification
primitive pour être uniquement appliquée aux débris de la Césarienne. Il
vaut donc mieux, avec Gelzer (p. xxxi), admettre une transposition dans le
manuscrit.
468 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
SOUS rautorité suprême du préfet d'Afrique '. Ainsi^ en appa-
rence tout au moins, rien n'était changé dans la liste des pro-
vinces telle que Justinien l'avait jadis établie : comme en 534,
on y voyait figurer encore, à côté de la Proconsulaire, de la
Byzacëne, de la Numidie, deux gouvernements de Mauréta-
nie; et de cette sorte, aux yeux des basileis si soucieux de ne
sembler consentir aucun abandon de territoire, l'honneur pou-
vait paraître sauf. Mais en fait, ce n'était là qu'une trompeuse
équivoque : en fait la Césarienne était si complètement perdue
que sa capitale même, Gaesarea avait échappé aux mains de
Byzance'; en réalité, malgré la similitude des noms, c'était
une Afrique nouvelle qui se constituait. Les empereurs de la
fin du vi^' siècle avaient perdu tout espoir de réaliser jamais
les rêves ambitieux de Justinien ; ils ne pensaient plus réussir
à occuper, au moins directement, toute l'immense étendue de
l'ancienne Afrique romaine : une répartition nouvelle des ter-
ritoires devait être la conséquence nécessaire de cette modes-
tie de sentiment. En Italie, à peu près vers la même époque,
l'invasion lombarde, en brisant violemment les anciens cadres
des provinces, en avait rapproché les débris en des groupe-
ments nouveaux, pour la protection desquels le gouverne-
ment impérial avait dû prendre des mesures énergiques* : en
Afrique des nécessités assez analogues produisirent de sem-
blables résultats. Puisqu'on n^avait pu parvenir à entamer sé-
rieusement la Césarienne, ne valait-il par mieux, au lieu de
conserver à tout prix à cette province une existence illusoire,
en rattacher les lambeaux au gouvernement plus effectif et
plus solide de Sitifienne? Puisque aux extrémités de l'Occident,
un groupe de territoires subsistait, isolés du reste du pays by-
1. Georg. Cypr., p. 34. Cf. t6td., p. xxxi-xxxii. De là vient peut-être le nom
de Maurétanie Gaditane, qae TAnonyme de Ravenne (p. 162) applique a cette
région.
2. Du moins elle manque dans la notice. Cf. p. xxzi. Quant à l'extension du
pays byzantin da côté de la Maurétànie (p. xxx), j*ai déjà discuté ailleurs Thy-
pothëse de Gelzer.
3. Cf. Diehl, Exarchat de Ravenne^ p. 12-14.
LA CREATION DE L'EXARCHAT 469
zantin, mais capables de constituer parleur union un centre
d'administration et de résistance, ne valait-il pas mieux, au
lieu de maintenir la lointaine Septem dans la dépendance
d'une Maurétanie Césarienne hypothétique, rassembler autour
d'elle toutes les possessions byzantines de Touest, et lui as-
surer ainsi de plus sérieuses chances d'existence^? En un mot,
ne valait-il pas mieux, au lieu de nourrir d'ambitieuses illu-
sions, accommoder sa politique aux circonstances présentes, et
puisqu'il fallait décidément renoncer à reconquérir toute
l'Afrique, tâcher du moins de conserver ce qu*onen avait con-
quis ? Ce fut en Italie comme en Afrique, la politique de l'em-
pereur Maurice ; et on ne saurait nier que sa prudente sagesse
n'ait donné par là à ces provinces plus de cohésion et d'éner-
gie pour la défense.
Quoi qu'il en soit de ces remarques, à la fin du vi"* siècle,
l'Afrique byzantine comprenait les territoires suivants :
4"* La province Proconsulaire*;
2^ La Byzacène ;
3* La Numidie;
4^ La Maurétanie première (Sitifienne et débris de la Césa-
rienne) ;
5* La Maurétanie seconde (Septem, Baléares, villes grec-
ques d'Espagne) ;
6"" La Sardaigne, à laquelle il faut sans doute rattacher la
Corse, omise par Georges de Chypre, mais qui dépendait in-
contestablement, à la fin du vi« siècle, du gouvernement d'A-
frique*.
Si incomplets que soient sur certaines de ces provinces les
renseignements de notre géographe — la liste des villes de la
Proconsulaire en particulier a absolument disparu^ — pour-
1. C'est en effet ce qui anÎTa, comme on le verra plus lo)n. Cf. Gelzer,
p. ZLUl-XUV.
2. Le nom se rencontre dans un rescrit de 582 (Zachariae, Jtu gr. rom ,
III, p. 30).
3. Cf. Greg., Epist., 7, 3; Gelzer (p. xLiv)y met à', tort un duc: on n'y trouve
qu'un tribun.
4 Cf. Gelzer, p. xxix.
470 HISTOIRE DE LA DOMINATION BTZANTINB EN AFRIQUE
tant ils suffisent pour faire apprécier d'une manière générale
rétendue du pays byzantin. DanslaByzacène, les limites delà
province étaient demeurées ce qu'elles étaient au temps de
Justinien : si, parmi les villes énumérées par Georges de
Chypre, nous cherchons les plus méridionales, nous trouvons
en effet, sur la côte, lunca, dans Tintérieur du pays, Madar-
suma, Capsa et Thélepte, et versTouest, Gillium; en seconde
ligne^ c'est, sur le littoral, Thapsus et Hadrumète, dans Tin-
térieur, Kouloulis, Mamma, Sufetula et Sufes, qui déjà porte
son nom actuel de Sbiba^ La Numidie aussi avait sensible-
ment la nvéme extension qu'autrefois : au pied de TAurës,
les Byzantins occupent toujours Théveste, Bagai, et d'autres
témoignages nous permettent d'ajouter à ces villes celles de
Thamugadi, de Lambèse et de Diana'; à Tintérieur, ils tien-
nent, comme jadis, la seconde ligne que formaient Laribus',
Tigisis, Calama; du côté de l'ouest, ils possèdent Mileu et
Gonstactine^. La Maurétanie première parait avoir été plus
sérieusement diminuée : on y rencontre seulement Sitifis et
Rusuccuru, cette dernière place provenant de l'ancienne Cé-
sarienne * ; la région du Hodna, si du moins il n'y a ici nulle
lacune dans la liste, semble à ce moment avoir été abandon-
née. Enfin, dans la Maurétanie seconde, la notice place Septem,
les îles de Majorque et de Minorque, et les villes que les im-
périaux conservaient en Espagne à la fin du vi« siècle : c'étaient
depuis que le roi Léovigild avait définitivement reconquis
Gorduba^ les cités de Garlhago Spartaria (Carthagène), Ma-
laca, Assidona et Sagontia (Gisgonza)\ il reste à nommer en
Sardaigne les villes de Garalis, métropole de File, de Turris,
1. Georg. Cypr., p. 33.
2. Cf. C. /. I., VllI, 2389; Fournel, I, p. 166-167.
3. Gelzer, note 606, hésite à reconnaître cette ville, parce que la liste la place en
Numidie. Procope fait de même dans un passage, encore inédit, du De Aedif,,
VI, ch. 7.
4. Georg. Cypr., p. 33-34.
5. Georg. Cypr., p. 34.
6. Sur ces possessions et leur histoire, Gelzer, p. xxxii-xuii et surtout xxxnr-
IXXTI.
Lti CRÉATION DE L'EXARCHAT kli
Fausiana, Sulci, Chrysopolis, Orîstanum, Tharros * ; en Corse,
la correspondance de saint Grégoire mentionne Aleria, Saona,
Adjacium*.
Il
A côté de ces remaniements territoriaux, une réforme plus
considérable encore modifiait vers le même temps Torganisa-
tion administrative de l'Afrique.
Dès le règne de Justinien, pour mieux assurer la défense
de Tempire, on avait, dans certaines provinces voisines de la
frontière, réuni entre les mains d'un même gouverneur les
pouvoirs civils et militaires; et, afin de fortifier, dans certai-
nes circonscriptions difficiles à gouverner^ l'action de Tautorité
publique, afin de donner à Tadministration une direction plus
régulière et plus cohérente, on avait institué des magistrats
nouveaux, appelés praetores ou (jrpaTrjYol, dont Justinien lui-
même a pris soin de définir le double caractère^. Quoique
en principe cette réforme se fût limitée aux parties orientales
de la monarchie, quoique, dans TOccident reconquis. Tempe-
reur eût d'abord pris à tâche de rétablir l'antique séparation
des attributions, sur laquelle se fondait l'organisation romaine,
de bonne heure pourtant, on Ta vu, les nécessités de la situa-
tion et les périls de la province avaient amené en Afrique une
concentration momentanée des pouvoirs entre les mêmes
mains. A deux reprises, le patrice Solomon avait, à ranlorité
militaire du magister militum, uni la compétence civile du
préfet du prétoire; le patrice Germanos avait été investi par
la confiance du prince d'un pouvoir extraordinaire qui faisait
de lui le supérieur hiérarchique du préfet du prétoire et du
magister militum\ plus récemment encore, le préfet Théodore^
1. Georg. Cypr., p. 35.
2. Greg., Epi9t., 1, 76-77; U, 77.
Z.Nov. 25» praef. Cf. Diehi, Exarchat, p. 84-82.
472 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
tué à rennemi, joignait incontestablement à la direction de
son département civil le commandement des armées. D'au-
tres phénomènes, non moins significatifs^ se produisaient
vers le même temps et prouvaient l'importance croissante que
devait prendre, sous la pression des circonstances, l'élément
militaire dans l'Afrique menacée. Dès 546, on sentait la né-
cessité, pour tenir tète aux invasions berbères^ d'augmenter
sur la frontière le nombre des commandements militaires :
en Byzacène, la garde du limes ^ que Justlnien avait cru pou-
voir confier à un seul officier général, était partagée entre
deux duces \ dont l'un résidait à Hadrumète et protégeait la
région du littoral, tandis que Tautre, sans doute établi comme
jadis à Thélepte ou à Capsa, surveillait l'intérieur du pays.
Ainsi de toutes parts, et par la force même des choses, l'ad-
ministration militaire, à laquelle étaient remis les intérêts
essentiels du pays, tendait à accroître son autorité et à pren-
dre la première place; ainsi s'annonçait, dès le milieu du
VI* siècle, la grande transformation qui, réduisant peu à peu
en gouvernement militaire les anciennes provinces romai-
nes, aboutira au vu^ siècle au régime des thèmes. Les circons-
tances particulières où se trouvaient placées les possessions
grecques d'Occident ne pouvaient qu'y hâter encore l'évolu-
tion qui, vers le même temps, se préparait dans tout l'empire;
ce fut l'origine de l'importante réforme qui, sous le règne de
l'empereur Maurice^ modifia l'organisation administrative de
l'Afrique, comme elle modifiait celle de l'Italie.
Assurément, à la fin du vi* siècle comme aux premiers jours
de la conquète^byzantine, on rencontre à Carthage un préfet
du prétoire, et on l'y rencontrera jusqu'aux derniers jours de
la domination grecque en Afrique *. Sans doute il est, comme
1. Joh,, VI, 49. Cf. ParUch, p. vii-viii.
2. Georg. Cjpr., p. 33 ; Greg., 4, 32 (juill. 594); 10, 37, 38 (juill. 6(K>; Jaflé-
1785-1786); 11, 5 (oct. 600); P. L.. LXXX, 478 (a. 627); P. G., XQ, 364, 583
(a. 641). C'est dooc à tort que Bury (II, 347) dit qu'en Afrique le préfet disparut
bientôt. 11 se trompe non moins gravement lorsqu'il affirme qu'à l'époque de
Justlnien les préfets étaient investis de l'autorité militaire (II, 34).
LA CRÉATION DE L'EXARCHAT 473
jadis, un personnage fort considérable : on le salue des titres
pompeux d'Excellence et d'Éminence; il est, sous le règne
même de Maurice, le chef incontesté de l'administration civile^
et sa surveillance s'exerce attentivement sur les actes des
gouverneurs de province ; le]soin de l'administration financière
lui est non moins certainement dévolu : pourtant sa situation
est dès ce moment singulièrement amoindrie. Dans la pensée
de Justinien, le préfet du prétoire d'Afrique devait être le pre-
mier magistrat du diocèse, et les ducs eux-mêmes, chargés de
la défense des frontières, devaient, dans Tintention primitive
du prince, relever de son autorité *. Or, vers la fin du vi* siècle,
un autre personnage apparaît à côté de lui : ce n'est plus seu-
lement, comme autrefois, le magister militum Africae^ com-
mandant le corps d'occupation, dirigeant Tadministration mi-
litaire comme le préfet préside à l'administration civile. C'est
un magistrat nouveau, l'exarque, placé dans la hiérarchie
officielle au-dessus du préfet *. Or, cet exarque, quel rôle,
quelles attributions a-t-il dans la province ? A l'origine, ce
semble, il a été tout simplement, comme le veut ]\lommsen, le
successeur de l'ancien magister militumy le gouverneur mili-
taire de l'Afrique byzantine ', et si, pour désigner ses fonctions,
un terme nouveau a été inventé ^ c'est ou bien que le nom de
magister militum^ trop prodigué dans les grades inférieurs,
ne suffit plus à caractériser le chef suprême de l'armée*, ou
bien — chose plus vraisemblable encore • — que pour désigner
les pouvoirs extraordinaires conférés par mandat spécial à ce
1. Il se peut même que primitivement Jastinien n'ait point pensé à instituer
en Afrique un magister militum à côté du préfet. En tous cas, il n'en est point
question dans les rescrits de 534.
2. Greg.,5, H; C. /. L., VIII, 12035.
3. fitUM Archiv, XV, p. 186.
4. Sur le nom d'exarque, Dielil, Exarchat, p. 15-16.
5. Neues Archiv, XV, p! 185.
6. Il est certain que les exarques d'Italie et d'Afrique furent institués dès
Je début du règne de Maurice. Or, en 589-590 le commandant en chef de l'ar-
mée d'Espagne s'appelle encore magister militum Spaniae (C. /. L., II, 3420).
Si donc Texplication de Mommsen était la vraie, on verrait mal pourquoi ce
personnage aussi ne s'appelle point exarque.
474 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
personnage, un titre plus relevé a para indispensable ^ En tout
cas, àTorigine, le caractère essentiellement militaire deTexar-
que parait indéniable ; l'administration civile, théoriquement
du moins, demeure absolument en dehors de sa compétence.
Mais, en fait, à Tépoque où nous sommes, l'intervention de
l'autorité militaire dans les affaires civiles devient, pour les
raisons que nous avons dites, de jour en jour plus inévitable* ;
etsidans l'institution primitive n'apparaît point, officiellement,
la combinaison des deux pouvoirs, en fait, par son rang hié-
rarchiquement supérieur, par l'importance croissante qui s'at-
tache à ses attributions, Texarque arrive bien vite à exercer
un contrôle effectif sur l'administration civile *, et il finira par
considérer le préfet « moins comme un collègue que comme
un subordonné » \ En fait, quel qu'ait été le point de départ,
le résultat final est certain : en Afrique comme en Italie, l'exar-
que est devenu très rapidement le représentant suprême de
l'autorité impériale, le gouverneur général de la province, un
véritable vice-empereur*.
Voilà, dans le régime administratif établi par Justinien,
un premier et grave changement. Regardons, un degré plus
bas, ce qu'il est advenu de Tadministration provinciale. Sans
doute, ici encore, comme dans Torganisation du gouverne-
ment central, nous rencontrons, à côté des administrateurs
militaires, des fonctionnaires civils *. La Notice de Georges de
Chypre montre l'Afrique partagée, sous la haute autorité du
préfet du prétoire, en éparchies ou gouvernements civils^; à
la tète de ces circonscriptions, la correspondance de Grégoire
le Grand mentionne à plusieurs reprises des judices*; et si ce
1. Hartmano, Unlersuch. z, Gesch. derbyz. VerwalL in Italien,p. 9, 28;Diehl,
Exarchat, p. 17-18.
2. Mommseii, /. c, XV, p. 186.
3. HartmaiiD, /. c, p. 32.
4. Mommseii^ /. c, XV, p. 186.
5. Hartmann, p. 30; Diehl, p. 172-175; Bury (U, p. 34) se trompe en disant
que c'est le préfet qai prit le nom d'exarque.
6. Zachariae, III, p. 10 (a. 568) : « jndices civiles ant militares «.
7. Georg. Cypr., p. 33-34.
8. Greg., 1, 74; 4, 24, 26; 5, 38; U, 5.
Lk CRÉATION DE L*EXARCHAT 415
terme, d'une signification un peu vague, peut, dans certains
cas, laisser place à l'incertitude ^ il est incontestable pourtant
que, dans Tune au moins des provinces du diocèse africain,
en Sardaigne, le praeseSy représentant de l'autorité civile, a
jusqu'à l'année 627 au moins, subsisté à côté du dux investi
des pouvoirs militaires ^ Donc l'administration civile a duré
en Afrique de même que le préfet qui en était le chef: mais si
nous examinons d'autre part, dans cette même Sardaigne,
quels sont les rapports et les attributions respectives du praeses
et du duc, nous constatons ici une situation assez analogue à
celle où le préfet se trouve vis-à-vis de l'exarque. Non seule-
ment les magistri militum qui remplissent les fonctions de duc
de Sardaigne dirigent, ainsi, qu'il est naturel, tout ce qui con-
cerne la guerre ou la diplomatie •, mais encore ils intervien-
nent dans l'administration ordinaire de la justice et jusque
dans les affaires de finance. S'agit-il d'un testament dont on
conteste la validité, c'est au duc, non dMpraeses^ que le pape
recommande la cause, lui demandant de veillera faire respecter
le bon droit*. C'est le duc qu'on voit mêlé aux procès concer-
nant les personnes ou les biens d'Église'; et quoique l'admi-
nistration civile semble avoir gardé parmi ses attributions le
soin de répartir les impôts', le duc pourtant parait avoir qua-
lité pour déterminer les redevances et corvées des sujets, puis-
qu'on lui reproche, précisément en celte matière, de mal tenir
compte des intentions bienveillantes de l'empereur'. Sans
doute, on peut croire que dans les agissements du duc deSar-
daigne il y a plus souvent usurpation de pouvoir qu'exercice
légal d'une compétence administrative : Grégoire le Grand lui-
même constate que certains actes de ce personnage sont « con-
1. Sur le sens de judex, Diehl, /. c, 135-137.
2. Greg., 9, 195; il, 5î2; P. L., LXXX, 478.
3. Id., 4, 25; 1, 46.
4. /d., 1,46.
5. /d., 1, 59.
6. /d., 11, 5, où la plainte est adressée au préfet.
7. W., 1, 47.
476 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
traires à la disciplina de Tétat ')^ Mais c'est déjà un fait bien
significatif, qu'en présence Axxpraeses, ces usurpations puissent
être aussi fréquentes. Un autre, qui ne Test guère moins, c'est
le rôle effacé du gouverneur civil. Deux fois seulement il est
question de lui dans les lettres de saint Grégoire, et les cir-
constances où il apparaît ne laissent pas d'être assez remar-
quables. Une fois, nous apprenons en effet que ce magistrat a
écrit au pape au sujet d'un incident qui s'était produit à Ca*
ralis : or on observera qu'en même temps le duc faisait sur la
même affaire un rapport au pontife*. Dans l'autre lettre où
«figure le praeses, Grégoire exhorte cet administrateur à tra-
vailler à la conversion des païens de sa province; or le duc,
dans un autre texte, nous est représenté comme veillant avec
sollicitude aux intérêts de la foi, et le pape lui adresse des
conseils tout semblables '. On conclura de là avec quelque
vraisemblance qu'à la fin du vi* siècle les attributions des deux
pouvoirs n'étaient plus, au moins sur certains points, fort
nettement distinguées; que la compétence des ducs tendait,
soit par usurpation, soit autrement % à dépasser le cercle des
affaires purement militaires; que le magister miltlum^ parla
force des choses, et peut-être même officiellement^, prenait
rang au-dessus du gouverneur civil. Grégoire le Grand, parlant
quelque part des personnages chargés d'administrer la Sar-
daigne, ne pense qu'aux seuls ducs qui successivement ont
gouverné l'île* : tant en fait le praeses tenait peu de place, tant
le pouvoir militaire prenait une importance croissante dans
l'administration des provinces africaines \
Descendons un degré encore. Au-dessous des ducs, nous
trouvons les tribuns placés à la tête des détachements qui
1. Greg., 1, 59.
2. Id,, 9, 195.
3. Id., 11, 22; 4, 25.
4. /d., 1, 46, où le pape parie de Yadminislratio da duc.
5. Id., ^, 195 : le duc est nommé avant le praeses,
6. W., 1, 47.
7. Cf. sur le développement de l'autorité militaire aux dépens du pouvoir
civil, Harlmann, p. 47-48, 60-61, 105; Diehl, p. 86-92.
LA CRÉATION DE L'EXARCHAT 477
tiennent garnison dans les villes : eux aussi interviennent en
mainte circonstance dans Tadministration civile des cités,
dont ils ont le commandement militaire. Des exemples em-
pruntés à ritalie byzantine suffiraient à montrer ces officiers
intimement mêlés aux affaires de justice et de finances^ ; le
diocèse africain, dans un cas tout au moins, présente une situa-
tion analogue. Le tribun chargé de la défense de la Corse n'est
point seulement le chef des troupes; il semble également in«
vesti de Tautorité civile; en effet les habitants du pays re-
grettent sa bonne administration et constatent qu'en aucune
circonstance il n'a opprimé la province*.
Assurément — et c'est ce qu'il ne faut jamais perdre de vue
— en théorie l'institution justinienne subsiste presque tout en-
tière : à la fin du vi® siècle, comme en 534, on rencontre dans
l'Afrique byzantine une hiérarchie d'administrateurs civils, un
préfet du prétoire à Carthage, des praesides dans les provinces.
Mais dans ces provinces les commandants militaires usurpent
perpétuellement sur les attributions des autorités civiles, et à
Carthage, un gouverneur général, l'exarque, est le supérieur
incontesté du préfet. Assurément — et ceci encore doit être
retenu — il n'y a point eu ici, comme dans les provinces asia-
tiques réorganisées jadis par Justinien, une réforme formelle
et régulière, fixant par édit, à une date donnée, la compétence
des différents pouvoirs. Les circonstances plus que la loi ont
accru l'importance des chefs militaires; mais, pour n'être point
pleinement légale, la transformation n'est pas moins considé-
rable : en Afrique comme en Italie, la subordination progres-
sive de l'autorité civile à l'armée est un des traits caractéris-
tiques du régime auquel fut soumis l'Occident byzantin*.
Quelle qu'ait pu être d'ailleurs la lenteur de cette évolution,
la création du titre d'exarque en marque une étape particu-
lièrement importante. Il n'est donc point inutile de rechercher
1. Diehl, p. H5-116.
2. Greg.. 7, 3.
3. Cf. Diehl, /. c, p. 86-91.
478 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
à quelle date et dans quelles circonstances la magistrature
nouvelle fut instituée dans l'Afrique grecque.
En Italie, on le sait, le premier texte où se rencontre le nom
d'exarque est la lettre, en date du 4 octobre 584, que le pape
Pelage II adressait au diacre Grégoire ^ C'est quelques années
plus tard qu'apparaît, en juillet 591, la première mention
d'un exarque d'Afrique'. Geunadius, qui à ce moment était
revêtu de ces hautes fonctions, en était-il le premier titulaire?
On ne sait. Une seule chose est certaine, c*est qu'en Afrique
tout au moins la création de l'exarchat date du règne de l'em-
pereur xMaurice. Sous Justin II en effet et sous Tibère les tex-
tes mentionnent encore, à la tête de l'armée d'occupation, un
magister militum in Africa^^ et le rescrit adressé en août 582
au préfet du prétoire Théodore montre qu'à ce moment ce
personnage était, dans la province, le chef suprême de l'admi-
nistration*; il y a donc toute raison de placer entre 582 et 591
l'institution de la nouvelle magistrature et d*en faire hon-
neur à l'empereur Maurice. Les circonstances d*ailleurs justi-
fiaient amplement cette mesure. Outre la tendance générale
que nous avons signalée, et qui depuis de longues années
acheminait vers une réforme de cette sorte la politique impé-
riale, les conditions particulières où se trouvait la province
réclamaient de vigoureuses résolutions ^ On a vu de quels
périls l'Afrique avait été menacée sous Justin et Tibère, de
quels désastres elle avait souffert : malgré la victoire de Gen-
nadius sur le roi Garmul, le pays restait profondément trou-
blé. Sans aucun doute, en Afrique comme enSardaigne, sub-
sistaient encore, au milieu même des régions pacifiées, des
ilôts nombreux de populations païennes mal soumises, dont
1. p. L., LXXII, p. 703.
2. Greg.» 1, 59.
3. Jean de Biclar,a. 518; CI. L., VIII, 4354.
4. Zachariae, l. c, III, p. 30 (a. 582).
5/ Lampe, Qui fuerint Gregorii Magni temporibus.,. exarehi,p, 3-4, fait une
objection singulière. Il est fort évident qull n'y a pas de Lombards en Afrique :
mais la situation est analogue et aussi dangereuse.
LA CRÉATION DE L'EXARCHAT 479
les mouvements exigeaient une surveillance conslante ^ Sans
cesse, sur la frontière, des invasions nouvelles étaient à redou-
ter, et en effet le chroniqueur Théophanerapporte qu'à la date
de 587 les nations des Maures firent de grands troubles en
Afrique '. Il était donc indispensable d'organiser fortement
la défense du pays : pour cela, comme tou3 ses prédécesseurs,
Maurice renforça de quelques citadelles la ligne des places
fortes africaines, et en particulier il fit occuper les débouchés
septentrionaux de la grande voie de communication qui tra-
verse le col d'Ël-Kantaras. En même temps, il tâchait, on Ta
vuy en remaniant les circonscriptions administratives, de don-
ner plus de cohésion et de force défensive aux groupements nou-
veaux qu'il constituait. La création de l'exarchat était le com-
plément naturel de ces décisions. En nommant un comman-
dant d'armée investi de pouvoirs extraordinaires, l'empereur
marquait nettement la sollicitude que lui inspiraient les néces-
sités militaires de la province ; et un gage non moins assuré
des intentions du prince apparaît dans le choix qu*il fit du
patrice Gennadius pour être l'un des premiers titulaires du
nouvel emploi. Le vainqueur de Garmul avait, en 578, donné
glorieusement en Afrique la mesure de ses talents et de son
énergie; il avait par ses victoires su imposer aux indigènes le
respect de son nom, il connaissait à merveille le pays qu'il
allait administrer et défendre ; il était plus qualifié que per-
sonne pour en être le gouverneur général. On conçoit donc
qu'après les désordres de 587 Maurice ait fait appel à cet offi-
cier vigoureux et habile; on voudrait même croire, si ce
n'était une hypothèse indémontrable, que c'est à ce moment et
pour lui que la dignité d'exarque fut créée.
Ce qui est certain, c'est que la magistrature nouvelle n'eut
en aucune façon le caractère d'une institution extraordinaire
et transitoire. Lorsque, après huit ans au moins de gouver-
1. Cf. Greg.. 4, 25, 27; 9, 123; Bell, Vand,, p. 468-469; Cod. Juat., I, 27, 2.
2. Théophaoe, p. 261.
3. C. /. L, VIU, 2525.
480 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
nementS Gennadius abandonna ses fonctions, Maurice lui
donna pour successeur un des meilleurs généraux de l'empire,
Héraclius'y et les textes grecs désignent ce personnage par le
titre absolument militaire de patrice et stratège d'Afrique' :
bien plus, Héraclius est assisté dans sa charge par un admi-
nistrateur également militaire, le patrice et hypostratège Gré-
goire^; et les documents, nous le verrons plus tard, montrent
nettement qu'entre les mains de ces deux hommes, était remis
tout le gouvernement de la province '. L'exarchat était créé
et jusqu'aux derniers jours de la domination grecque, TAfrique
byzantine garda le régime administratif que l'empereur Mau-
rice lui avait donné .
A la vérité, le temps manqua pour que l'évolution com-
mencée s'achevât* Tandis que ritalie, s'assimilant aux autres
provinces de l'empire d'Orient, pouvait, sauf le nom, être au
milieu du vu* siècle considérée comme un véritable thème*,
en Afrique les principes qui avaient donné naissance à la
transformation n'atteignirent point leur entier développe-
ment : dans l'exarchat d'Afrique, l'administration civile parait
avoir gardé une plus grande place que dans Texarchat de Ra-
venue : mais dans les deux gouvernements les causes de la
réforme étaient identiques; dans l'un et l'autre, on trouve un
frappant exemple de la lente transformation d'où sortit le
régime des thèmes byzantins; dans l'un et l'autre enfin, les
mêmes institutions produisirent les mêmes conséquences. En
Afrique comme en Italie, l'éloignement du pouvoir central
rendit ladministration impériale de jour en jour plus indépen-
i. La première mention est de juillet 591 (Greg., 1, 59); la dernière d*oct.
598 (Greg., 9, 9 et 11).
2. Nicéph., p. 3. On ne saurait dire si Héraclius fut le successeur immédiat
de Gennadius; en tout cas, nommé par Maurice, il vint en Afrique avant 602.
3. Théophane, p. 295,297; Bury (H, p. 345) croit À tort que ce fat là une
nouveauté : il montre bien pourtant rimportance du terme de orparriyuc.
4. Tliéophane, ibid. Cf. sur cet adjoint ordinaire du stratège, Théophane,
p. 256,284; Théoph. Simocatta, p. 293.
5. Nicéph., p. 3-4.
6. Diehl, p. 31-32; Hartmann, p. 72-73.
L\ CREATION DE L'EXARCHAT 481
dante'; en Afrique, comme en Italie, les exarques, après
s'être élevés du rang de généraux à la situation de vice-empe-
reurs, finirent, de vice-empereurs qu'ils étaient, par devenir
des usurpateurs 2.
III
Toutefois les résultats immédiats de la réforme furent heu-
reux pour les provinces africaines. Les exarques que choisit
l'empereur Maurice et qu'il eut la sagesse de maintenir en fonc-
tions pendant de longuesannées,gouvernèrentle pays avecha-
bileté et le défendirent avec une énergique et heureuse activité.
JeandeNikiou mentionne plusieurs victoires remportées, sous
le règne de Maurice, sur les Maurétaniens et les Maures*;
grâce àelles, Gennadius, en particulier, eut la bonne fortune
de pacifier une nouvelle fois l'Afrique et d'étendre au loin, avec
le prestige de ses armes, l'influence de la religion chrétienne.
En S91, Grégoire le Grand félicite Texarque de l'éclat de ses
victoires*, du succès de ses opérations militaires % de la sou-
mission de ses ennemis % des tentatives qu'il a faites pour pro-
pager la foi catholique parmi les nations voisines, des guerres
heureuses qu'il entreprend moins pour conquérir que pour
convertir^ : en 593, il le loue d'assurer par ses triomphes la
sécurité de la province dont il a la garde * : et en effet, grâce
aux efforts du patrice, l'Afrique pendant plusieurs années
parait avoir été en paix et en tranquiIlité^ Sans doute, de la
part des Berbères, des retours offensifs étaient toujours à
i. Cf. Diehl, Z.c, p. 291-293, 339-340.
2. Hartmann, p. 105.
3. Jean de Nikiou (éd. Zotenberg), p. 524.
4. Greg., 1, 72.
5. id., 1, 73.
6. irf., 1, 59.
7. 7d.. 1, 73.
8. yrf., 4, 7.
9. Cf: id., 2, 52; 6, 61.
I. 31
482 Histoire de la domination bVzantine en Afrique
craindre; et les soucis que donnaient en Orient les conti-
nuelles hostilités poursuivies contre les Avares et les Slaves,
semblent n'avoir point toujours permis d'entretenir des forces
suffisantes en Afrique. Aussi, malgré les précautions prises,
de graves incidents se produisaient parfois : en 595 ou 596
un nouveau soulèvement des indigènes vint porter la terreur
jusque dans Carlhage*. L'exarque, trop faible pour résister à
la multitude dès insurgés, eut recours à la ruse; il entra en
négociations avec les rebelles, feignit de consentir à toutes
leurs exigences, et comme les Berbères, enorgueillis de ce
facile triomphe, croyant la paix assurée, célébraient leur vic-
toire par des réjouissances, Gennadius se jeta sur eux au
moment où les fumées du festin les livraient sans défense aux
coups des Byzantins : un butin considérable fut pour les
Grecs le prix de la victoire, et de nouveau grâce au sanglant
écrasement des rebelles, l'Afrique se trouva pacifiée". Aussi
bien, sous tant de défaites, Ténergie des Berbères faiblissait.
Jadis la peste de 543, en dépeuplant les provinces africaines,
avait été pour les indigènes l'occasion d'un formidable soulè-
vement; en août 599 une grave épidémie put éclater en Afri-
que et pendant toute une année ravager cruellement la pro-
vince*, sans que les Berbères fissent aucune tentative pour
profiter de ce désastre : bien plus, l'Afrique était à ce moment
si tranquille qu'on pouvait songer à préparer une expédition
pour défendre la Sardaigne contre les Lombards*. En fait, le
soulèvement de 595 a été le dernier effort tenté, à notre con-
naissance, par les indigènes contre l'autorité byzantine : à cet
égard, du moins, la création de l'exarchat avait porté ses
fruits.
i. Théoph. Simocatta, 7, 6, p. 2o5.
2. Ibid. : ovTo) pikv ouv xaià Tr,v AiSJ/jv e5 xai jxaXa xxAtb; ôieTÎO&TO toÎ; *Pwïi3tîoi;.
3. Greg., 9, 232 ; 10, 63.
4. Greg., 10,37.
DEUXIÈME PARTIE
L'EXARCHAT D'AFRIQUE A LA FIN DU VI« SIÈCLE
CHAPITRE PREMIER
L ADMINISTRATION DE L AFRIQUE BYZANTINE
Si nous connaissons assez bien, dans ses traits généraux,
Forganisalion administrative de Texarchat d'Afrique, nous
rencontrons en revanche, dès qu'il s*agit de saisir le détail des
choses, de sérieuses difficultés. On sait de combien d'obscu-
rités, malgré l'abondance relative des informations, s'enve-
loppe, vers cette époque, Tétude des institutions de Tltalie by-
zantine; pour TAfrique, où les textes sont beaucoup moins
nombreux encore, à plus forte raison, les recherches demeu-
rent délicates et compliquées; et au vrai, à moins de remédier
par d*aventureuses hypothèses au silence des documents, il
faut se résoudre à ignorer bien des faits, à laisser bien des
problèmes sans solution. A la pénurie des renseignements
s'ajoute encore l'embarras qu'on éprouve parfois à interpréter
ceux qui nous restent. Entre l'exercice régulier d'une compé-
tence légale et les usurpations tyranniques d'une administra-
tion mal surveillée, il est difficile parfois de faire exactement
le départ; entre les attributions ordinaires du fonctionnaire et
le rôle exceptionnel que lui impose la nécessité des circons-
484 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
tances, il est malaisé souvent de tracer la limite précise. Il
faut donc se contenter, sans vouloir trop serrer les détails de
cette organisation, de mettre en lumière les traits vraiment
caractéristiques du régime : c'est d'une part la prépondérance
chaque jour croissante de Tautorilé militaire en face des gou-
verneurs civils; c'est, de rautre,la place chaque jour plus im-
portante que prend TÉglise dans la hiérarchie administrative
et le droit de contrôle qu'elle s'arroge sur les actes des pou-
voirs publics.
I
V exarque â^ Afrique,
Parmi les différents représentants de l'autorité impériale en
Afrique, la première place appartient incontestablement à
l'exarque. Seul, entre tous les fonctionnaires de la province',
il est revêtu de la haute dignité de patrice, et ce titre est si
bien devenu l'inséparable privilège de sa charge, queTusage
courant désigne fréquemment Texarque par la simple appella-
tion de patricius'. La chancellerie officielle le salue des noms
d'Excellence et d'Éminence ^; la hiérarchie lui donne le pas
sur tous les autres personnages administratifs et jusque sur
le préfet du prétoire*. Il habite à Carthage l'ancien palais des
rois vandales, et à en juger par les honneurs rendus à l'exar-
1. Gregorii Magni Episiolae, 1, 59, 72, 73]; 4, 7; 6, 59; 7, 3; 9, 9. Pour les
neuf premierd livres je cite Tédition des Monumenta; pour les cinq derniers,
celle de la Patrologie laline, t. LXXVII.
2. Greg., 6, 59; 7, 3; C. /. L., VUI, 2389, 10965, 12035; P. G,, XCl, 287, 354;
Théophane, p. 343.
3. Greg., i, 59, 72, 73. Quelquefois on trouve aussi le terme de gloria {id.,
1, 59, 73; 6, 61).
4. Greg., 5, 11; C. /. I., VIII, 12035. Plus tard le gouverneur d'Afrique
s'appellera TcatTpixtoç xa\ (rcpoLxr^foi (P. G., XC, l!l; Théophane, p. 295, 297)^
titre dont la forme rappelle exactement celui de patricius et exarchus et dont
la valeur est identiqne (Hartmann, Untersuchungen^ p. 29-30; Rambaud,
VEmpire grec au x« siècle, p. 187-188).
L'ADMINISTRATION DE L'AFRIQUE BYZANTINE 485
que dltalie*, une pompe presque royale l'environne. Repré-
sentant suprême de Tautorité impériale, recevant directement
les instructions du prince et responsable devant lui seul des
actes de son administration", il règle souverainement toutes
choses dans l'étendue de san gouvernement et sa compétence
s'étend aux objets les plus variés.
Tout d'abord, il commande en chef les forces militaires
cantonnées dans la province, aussi bien l'armée mobile char-
gée des grandes expéditions de guerre que les corps de
limitaiiei préposés à la garde des frontières. Pour assurer la
sécurité du pays qui lui est confiée, il prend sans contrôle
toutes les mesures nécessaires à la dépense '* : c'est lui qui fixe
l'emplacement des garnisons et les change quand il le juge
utile, lui qui nomme et déplace tous les officiers rangés sous
ses ordres, lui qui ordonne les préparatifs que réclame une
entrée en campagne. En temps de guerre, il conduit lui-même
les opérations importantes, et ilsemble avoir pleine liberté de
diriger où il veut l'effort de ses armes*. S'il n'a point peut-
être un droit absolu de signer sans la ratification impériale une
paix définitive *, pourtant c'est à sa diplomatie qu'est remis le
soin de régler les affaires indigènes. C'est lui qui se préoccupe
d'assigner aux tribus soumises les cantonnements qu'elles
devront cultiver*, lui qui s'applique à faire pénétrer parmi les
peuplades vaincues la propagande chrétienne qui achèvera
Tœuvre des armées \
Par cette portion de ses attributions, l'exarque n'est guère
autre chose, on le voit, que l'héritier du magister militum
Africae auquel il a succédé. Mais voici d'autres points où sa
compétence dépasse singulièrement celle de son prédécesseur.
\, Diehl, Exarchat de EavennSt p. 174-175.
2. Greg., 6, 61.
3. /d.,4, 7; 7, 3; 9, 11.
4. /d., 1, 59, 72, 73.
5. Cf. Hartmann, l. c, p. 30.
6. Greg., 1,73.
7. id., 1, 73.
486 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Dans une monarchie chrétienne telle qu'est l'empire de By-
zancojdes liens étroits unissent TÉglise à l'État, et les affaires
religieuses se confondent sans cesse avecles affaires politiques.
L'autorité impériale ne saurait donc se désintéresser des be-
soins de la religion et des démêlés de ses ministres : or,X5'est
Texarque, représentant suprême du prince au dedans comme
au dehors, qui est chargé d'exercer sur le clergé la surveillance
des pouvoirs publics. Jadis, dans l'Afrique byzantine, le préfet
du prétoire avait le soin des relations ecclésiastiques, et c'est
lui qui, dans la querelle des Trois Chapitres, s'était fait Texé-
culeur des ordres et l'instrument des vengeances de Juslinien ;
maintenant cette charge revient entièrement au palrice. C'est
lui qui intervient dans les luttes intestines des églises pour
rétablir parmi elles, la concorde et la paix ' ; lui qui protège la
foi orthodoxe contre les assauts des dissidents*; lui qui met au
service de la religion les forces de l'autorité publique pour
punir les hérétiques ou provoquer les nouvelles conversions »,
Non seulement, gardien fidèle du dogme, il veille à faire res-
pecter les canons des conciles* et parfois même préside aux
discussions religieuses'; son autorité absolue s*étend égale-
ment sur les personnes : sans son consentement, les évèques
ne peuvent, même pour se rendre à Rome, quitter leur dio-
cèse® ; et pour faire prévaloir sa volonté, plus d'une fois, il lui
arrive d'employer la force. S'il n'intervient point directeinent
dans l'élection des évéques, du moins il surveille attentivement
les choix que font les conciles • et le pape lui-même lui recon-
naît le droit de se mêler des affaires ecclésiastiques *. De même
qu'à côté des pasteurs chargés de veiller aux intérêts spiri-
tuels de l'Église, l'empereur se jugeait appelé par Dieu à être
1. Greg., l, 72.
2. W., 1, 72.
3. /cf., 4, 7. '
4.W.J, 72; 4, 7.
5. P. G., XCl, 287, 35*.
6. Greg., 1, 72; 6, 59.
7. Id.y 1, 72.
8. /rf., 4, 7.
L'ADMINISTRATION DE L'AFRIQUE BYZANTINE 487
Tévêque du dehors, ainsi Texarque, représentant du basileus,
se considérait comme le conseiller naturel, comme le juge,
presque comme le supérieur des prélats. Gennadius trouve
tout simple de se substituer au primat de Byzacène pour faire
rapport au pape d'un incident strictement ecclésiastique*; il
tient pour fort légitime d'accuser un évêque et de le retenir
par violence, au mépris des ordres du pontife". Il entend exer-
cer sans restriction, à Tégard de l'Église, ses droits de protec-
teur aussi bien que ses devoirs : et si, dans ses actes, la limite
est parfois incertaine entre la légalité et Tabus de la force, en
tout cas, ses prétentions mêmes sontsignificflitîves de son au-
torité.
Par bien d'autres points encore, la compétence de l'exarque
empiète sur les pouvoirs autrefois réservés au préfet. Il reçoit,
en même temps que lui, communication des édils impériaux
et s'inquiète, aussi bien que lui, d'en assurer l'exécution '. Il
se préoccupe, comme le préfet autrefois était appelé à le faire,
de prendre, en faveur de l'agriculture, les mesures protec-
trices dont elle a besoin * et il dirige souverainement l'admi-
nistration des domaines impériaux *. Bien plus, il exerce
un droit de contrôle sur l'ensemble de l'administration civile \
Non seulement, il nomme les chefs militaires des provinces,
ducs et tribuns, leur transmet ses instructions, surveille les
actes de leur gouvernement ^ : c'est là chose naturelle, puis-
que originairement ces officiers ont un rôle exclusivement
militaire : mais dans un temps où constamment ils sont amenés
à se mêler des affaires civiles, forcément la compétence de
l'exarque s'accroît avec l'extension de leurs attributions ; et en
i. Greg., 6, 59.
2. /rf., 6, 61.
3. 7rf., 4,32 et 6, 59; 5, 3; 6, 61.
4. Id., 1, 73.
5. Ibid. et l'ioterp ré talion que Mommsea donne du mot daticia {Die
Bewirthschaftung des Kirchengutes unter Papsi G'^egor 1. {Zeischr, f. social
und Wirthschaflsgesch., 1893, p. 49, n, 25).
6. Cf. Hartmann, p. 30.
7. Greg., 7, 3; 1,59-
488 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
effet le patrice tient la main à la bonne administration de la
justice, à la répartition régulière et correcte des impôts et des
corvées *. Ce n'est point sans raison que le pape l'invite à faire
« fleurir dans les provinces qui lui sont confiées, la justice
avec la liberté * » et l'engage à étendre à la Corse les bienfaits
du bon gouvernement qu'il assure à l'Afrique*. L'exarque
exerce en effet une autorité judiciaire, soit qu'il révise les
jugements rendus, soit qu'il cite directement à son tribunal
les personnes coupables* ; il prend également sa part du soin
des finances, soit qu'il surveille les actes du préfet, soit qu'il
ordonnance directement les dépenses nécessaires pour l'armée.
A Carthage, comme à Ravenne^ il y a une caisse militaire,
dont le maniement est confié à un sacellarius dépendant de
l'exarque % et quoique nous connaissions beaucoup trop im-
parfaitement Vofficitim de Texarque d'Afrique pour en pou-
voir rien conclure sur les attributions de ce personnage, à tout
le moins nous y constatons la présence d'un cancellarius • qui
semble avoir qualité pour traiter les affaires de justice. Il est
certain du reste que, pour exercer son grand commandement,
l'exarque était entouré d'un personnel fort considérable, dont
on peut prendre quelque idée à l'aide des documents qui
nous font connaître Vofficiumde l'exarque d'Italie \ En outre,
comme jadis le magister militum per Africam,,\\ avait auprès
de lui, pour l'assister dans le soin des affaires militaires et la
direction des opérations de guerre, un lieutenant remplissant
les fonctions de chef d'état-major et assez analogue à l'officier
qu'on appellera plus tard le domestique du thème *. En Afri-
que, à la fin du vi*" siècle, ce personnage portait le nom
1. Greg., 1, 59.
2. Id., i, 59: « quateaus in paitibus vobis commiesis posait florere cum
libertate justitia ».
3. /rf., 7, 3.
4. /d., 7, 3.
5. P. G., XC, ill, 114.
6. Greg., 7, 2.
7. Diehl, Exarchat, p. 181-183.
8. Rambaud, /. c, p. 204,
L'ADMINISTllATION DE L'AFRIQUE BYZANTINE 489
d'hypostratège *, et comme Texarque il était revêtu de la haute
dignité de patrice ' ; on voit, par ce seul fait, quel était dans la
province le haut rang des autorités militaires ; on prévoit
combien, en face d'elles, l'administration civile était de plus
en plus condamnée à s'effacer.
II
Le préfet (T Afrique,
A côté de l'exarque, véritable gouverneur général de TAfri-
que byzantine, le préfet du prétoire a naturellement perdu
beaucoup de son ancienne importance. Sans doute, on le
salue encore des titres d'Excellenceetd'Éminence' ; en fait, il
a cessé d'être le premier personnage de la province et ses at-
tributions sont singulièrement diminuées. Jadis — et jus-
qu'en 582 — il était dans le diocèse le représentant le plus
élevé de l'autorité publique * ; c'est par son intermédiaire que
les sujets faisaient parvenir à Constantinople les requêtes
qu'ils adressaient au prince * ; c'est avec son consentement
qu'ils envoyaient, pour porter leurs plaintes, des ambassa-
deurs à la cour impériale®. Jadis — et jusqu'en 582 — le
préfet, investi du droit de correspondre directement avec le
basileus^ recevait communication de toutes les lois et déci-
sions souveraines et se chargeait par ses edicta d'en assurer
la publicité \ Maintenant, sur tous ces points, l'exarque est
investi des mêmes privilèges : et c'est par le concours des
deux pouvoirs que sont promulguées les ordonnances impé-
1. Théophaoe, p.*295,297.
2. Ibid., p. 295.
3. Greg., 4, 32; 10, 37, 38 ; II, 5.
4. Zachariae, Jus gr, rom., III, p. 13 14, 30-31.
5. Ibid,, p. 14.
6. Ibid.y p. 10.
7. Zachariae, Z. c, p. 14, 31.
490 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
riales \ Du moins le préfet est demeuré le chef suprême de
Tadministralion civile ' ; c'est lui qui surveille la conduite des
gouverneurs de province, attentif à proléger les faibles contre
toute vexation tyranniquc, à faire rendre partout bonnejuslîce,
à empêcher toute perception illégale d'impôt ^ et on peut
croire que les praesides dont il contrôle les actes ne sont point
nommés sans qu'il intervienne dans leur choix. C'est lui qui
est chargé de maintenir Tordre public et de faire appliquer les
lois * ; ses attributions judiciaires sont incontestables^ ; le rôle
qu^il joue dans l'administration des finances est d'une impor-
tance toute particulière. Tout ce qui regarde la perception et
la répartition de l'impôt relève de sa compétence ; Grégoire
le Grand, se plaignant au préfet Innocent des impositions ex-
cessives que les gouverneurs provinciaux exigent des contri-
buables, lui écrit « que le remède à porter au mal rentre tout
spécialement dans les attributions de sa charge *. » Faut-il
croire aussi que, comme jadis, il fait rapport au prince sur
toutes les mesures qui peuvent être utiles au relèvement ma-
tériel du pays '? à tout le moins, on le voit activement occupé
de protéger et remettre en valeur les domaines de l'Église '.
Faut-il croire que, comme autrefois, le soin des constructions
militaires dépend encore de son département • ? la chose est
d'autant plus probable qu'on le trouve chargé d'équiper les
escadres qui iront croiser sur les côtes de Corse et de Sar-
daigne, et que le pape l'informe des circonstances qui pour-
ront réclamer de nouveaux armements *^ Comme jadis, il a
1. Jusqu'à la date de 641 le préfet garde en effet le droit de correspondre
directement avec Fempereur et il reçoit directement les rescrits impériaux
{P. G., XCl, 464. Cf. ibid., p. 587).
2. Georg. Cypr., p. 33.
3. Greg., 10, 38; H, 5 ; P. L., LXXX, 478.
4. Greg., 4, 32. Cf. Zachariae, Z. c , p. 14.
5. P. L., LXXX, 478-479.
6. Greg., 11, 5.
7. Zachariae, Z. c.,p. 14.
8. Greg., 10, 37.
9. C. /. I.,Vm, 1434, 10498,
10. Greg., 10, 37.
L'ADMINISTRATION DE L'AFRIQUE BYZANTINE 491
dans ses attributions le règlement de la police des cultes, et
il S'inquiète de faire exécuter les édits portés contre les dona-
tistcs *. Mais de nouveau, sur tous ces points, il rencontre ou
le contrôle ou la collaboration de Texarque : dans l'administra-
tion provinciale, constamment ses agents s'effacent devant les
usurpations des autorités militaires, et par là l'exarque est
sans cesse amené à y mettre la main, ne fût-ce que pour ré-
primer les excès de ses officiers ; dans les affaires religieuses,
le patrice intervient autant et plus que lui ; pour tout ce qui
touche, de près ou de loin, aux armements et aux travaux de
défense, le contrôle du commandant en chef est inévitable au-
tant que légitime. Même dans l'administration des finances
qui semble être devenue l'essentiel des attributions du préfet,
le gouverneur général exerce un droit de surveillance. Ce-
pendant, en théorie du moins, le préfet du prétoire est demeuré
le chef du gouvernement civil; au vu® siècle encore, c'est de-
vant lui que les praesides sont responsables de leurs actes,
c'est à lui que remontent toutes les plaintes qu'excite la
conduite des fonctionnaires provinciaux.
Quant aux nombreux auxiliaires qui jadis assistaient le pré-
fet du prétoire, il n'en existe presque nulle trace dans les do-
cuments de la fin du vi® siècle. En 570 seulement, un rescrit
impérial fait mention de Xofficium de la préfecture * : un autre
témoignage atteste que cet officmm existait encore dans le
premier tiers du vu® siècle^. Pourtant, on en conclurait à
tort que tout ce système de bureaux a disparu ; tout au plus,
la remise de certains services entre les mains de l'exarque
avait-elle diminué un peu le nombre des employés de la pré-
fecture. Mais si dans l'Italie byzantine, où pourtant le préfet
du prétoire semble avoir, plus qu'en Afrique, perdu son im-
1. Grcg., 4, 32; P. G.,XCI, 460.
2. Zachariae, /. c, p. 14.
3. An^yTjmç •j'wx^^ÇsXii;, dans Combcfis, Bibl. graec. pair, auctarium novissi-
mum^ I, p. 324, où il est fait mention, entre 619 et 629, d'un Toe^ecoTT); . . . sy
TÎù ITpaiTCOplO).
492 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
portance passée \ nous rencontrons encore autour de lui un
nombreux état-major de fonctionnaires, à plus forte raison,
des scrinia subsistaient à Carthage, et le soin de Tadministra-
tion financière les rendait d'ailleurs absolument indispensables.
Mais ici, il faut se résigner à ignorer le détail des choses ; on
ne saurait suppléer au silence absolu des documents.
III
U administration provinciale.
A la fin du vi* siècle, on Ta vu, le diocèse d'Afrique, en y
comprenant la Sardaigne, était, au point de vue civil, partagé
en six parties. A la tète de chacune d'elles était placé un
praeseSy souvent appelé aussi jitdex provinciae; et quoique
nous trouvions en Sardaigne seulement la preuve formelle de
l'existence de ce fonctionnaire', il y a toute raison de croire
qu'on le rencontrait de même dans les autres provinces. Au
moment ofi Justinien réorganisait Tltalie byzantine il avait
ordonné, par la pragmatique sanction de 554, que les judices
provincianim seraient désormais élus par les évoques et la
noblesse de chaque province, et simplement confirmés par le
pouvoir central % et par une constitution de 569, Justin II avait
étendu cette mesure à tout Tempire*.
On peut se demander si ce droit de présentation trouvait son
application dans l'Afrique byzantine : au vrai, on n'en rencon-
tre nulle trace, et les fonctionnaires civils dépendaient étroi-
tement du préfet. En fait, c'est de Tautorité centrale qu'ils te-
naient toujours leur investiture et on sait de reste par quel
1. Cf. Diehl, Exarchat, p. 157-161, 165-167.
2. Ibid,, p. 162-164.
3. Greg., 9. 195 ; U, 22 ; P. L , LXXX, 478. — On trouve le terme de judex
employé en Sardaigne, Greg., 4, 24, 26; 5, 38; U, 5.
4. Pragmatique, 12; Nov, (édit. Schoell), App. VII.
5. Zachariae, /. c, p. 10.
L'ADMINISTRATION DE L'AFRIQUE BYZANTINE 493
moyen on obtenait les nominations. En vain Justinien et Jus-
tin Il avaient prescrit ut judices absque sttffragio fiant^ : le
mal n'avait pu être enrayé. Les fonctionnaires continuaient à
acheter leurs charges et, comme pour se rembourser de leurs
dépenses, ils pressuraient les provinciaux*, les conséquences
du système étaient déplorables pour la bonne administration
du pays.
En théorie, lesgouverneurs provinciaux conservaient, sous
la haute autorité du préfet du prétoire, toutes les attributions
de Tadminislration civile. Revêtus du titre de magnitudo*^ ils
étaient chargés dans leur circonscription de maintenir Tordre
public et de faire exécuter des lois impériales*; ils devaient
protéger leurs administrés contre toute violence, et si des po-
pulations païennes se trouvaient établies sur leur territoire,
déterminer les conditions dans lesquelles elles seraient admi-
ses à y demeurer*. Ils étaient investis de pouvoirs judiciaires
et citaient à leur tribunal toutes les personnes que ne proté-
geait aucun privilège' ; le soin de répartir et de lever des im-
pôts leur était confié^; enfin ils se mêlaient des affaires reli-
gieuses, exécutant les lois contre les dissidents', mettant leur
influence au service des missionnaires®, surveillant les agisse-
ments des personnes ecclésiastiques^'^, et ils ne craignaient pas
même d'usurper parfois en ces matières et de faire durement
sentir aux prêtres ou aux établissements religieux le poids de
leur autorité**. Il semble donc qu'ils exerçaient comme jadis
dans toute leur plénitude, les pouvoirs de Taduiinistration
1. Nov, 8; Zachariae, l, c, p. 11-12.
2. Greg., 5, 38.
3. /d., 9,195; 11, 22.
4. Id., 9, 195.
5. /d.,5, 38.
6. Id.y H, 5; 4,24.
7. W., 5, 38; H, 5.
8. W., 9, 195.
9. W., 11,22.
10. W., 9, 195.
11. W., 4, 24, 26; P. L., LXXX, 478.
494 rtlSTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
civile; mais en réalité, comme le préfet leur chef, sans cesse
ils rencontraient en face d'eux d'autres puissances dont Tac-
tion venait limiter leur compétence. Le développement de la
juridiction épiscopale enlevait à leur tribunal un grand nombre
de causes * ; les usurpations des gouverneurs militaires enta-
maient sur bien des points leurs attributions. Il n'est peut-être
pas une affaire, légalement réservée aux magistrats civils, sur
laquelle le duc ou le tribun ne vienne à Toccasion mettre la
main; de cette sorte, quoique le praeses subsiste dans la pro-
vince comme représentant de l'autorité civile, en fait, il est
constamment soumis au contrôle du chef militaire*.
En effet, à côté des éparchies, d'autres circonscriptions ad-
ministratives se rencontrent dans Texarchat d'Afrique : ce sont
les gouvernements militaires ou duchés*. A l'exception de la
Proconsulaire qui, plus éloignée des frontières, ne compor-
tait point un régime de cette sorte, et dont Texarquc, résidant
à Carthage, avait pu d'ailleurs se réserver l'administration di-
recte*, toutes les autres provinces étaient, pour assurer la dé-
fense du territoire, organisées en confins militaires. Deux
ducs étaient chargés de défendre la Byzacène*, et résidaient,
l'unàBadrumète, l'autre à Capsaou à Thélepte : enNumidie,
un autre duc commandait le corps d'occupation, mais il n'était
plus comme jadis fixé à Constantine : du moins, au milieu du
vu* siècle, il semble avoir été établi à ïigisis, au centre de la
seconde ligne de défense de la province : son autorité conti-
nuait, au reste, à ce moment, à s'étendre jusqu'aux citadelles
qui bordent le flanc septentrional de ^Aurès^ En Sardaigae
i. Bethmann-IIoUweg, Civi/procesSy p. 111, 122 seq. ; Zacharia<*, Gesch.
des gr, rdm. Rechts., p. 35S. .
2. Cf. Hartmann, /. c, p. 41-43.
3. Le terme se trouve dans Greg., 1, 47.
4. Cf. une situation analogue en Italie (Diehl, Exarchat, p. 24-25).
5. Joh , VI, 49. Le magister militum Théodore, qu'une lettre de Grégoire
(9, 27) nomme en Byzacène à la date d'octobre 598, parait être un duc pro-
vinciaL
6.C./ L., VIII, 2389. Inscr. de Kiienchela(Ow//. rf€5/ln/«9ttflt;'e.s 1895, p. 171).
L'ADMINISTRATION DE L'AFRIQUE BYZANTINE 49S
égalemeat, un duc est nommé à côté àapraeses\ Aucun ren-
seignement tout à fait précis ne nous renseigne sur la condi-
tion des Maurétanies. II est probable qu'au moment où les
débris de la Césarienne furent réunis à la Sitifienne, le duc
autrefois placé par Justinîen à Caesarea transporta à Sitifis le
siège de son commandement. Quant à la Maurétanie seconde,
devenue une province très importante, elle reçut sans doute un
commandant militaire d*un grade supérieur au tribun, jadis
chargé par Juslinien de défendre Septem. Dans la partie espa-
gnole de la province, on trouve à Malaca, à la date de 603, un
certain Comitiolus, auquel Grégoire le Grand donne Tépithète
de (/loriosus^y généralement réservée à cette époque aux ducs
et aux magistri milituni^ et qui est incontestablement un offi-
cier de l'administration byzantine. Ce personnage était-il in-
vesti du commandement militaire de toute la province? la
chose est possible, encore qu'aucune preuve formelle n'en
puisse être fournie. Plus tard, après que Malaca fut tombée aux
mains des rois wisigoths, Septem à son tour devient la rési-
dence d'un officier de grade assez élevé. Il porte le titre de comte,
le qualificatif de gloriosus*^ et il est vraisemblable que ses
fonctions étaient analogues à celles du duc. En tous cas, on
peut admettre a priori qu'en constituant dans l'ouest africain
la nouvelle et vaste circonscription administrative de Mauré-
tanie seconde, si éloignée du gros des possessions byzantines,
on lui donna nécessairement les chefs, civil et militaire, qu'on
trouve vers le même temps dans les autres provinces de l'exar-
chat.
Avant d'essayer de définir les attributions des ducs, une
difficulté reste à résoudre. Dans une lettre de Grégoire le
i. Greg., 1, 47 (Edanlias en S89j ; 1, 46, 47, o9 (Théodore en 591) ; 4, 25
(Zabardas en 594) ; 9, 70, 195 (Eupaterius eu 598).
2. Greg., 13, 45.
3. P. L., XGVI, 416. Cf. Duchesne, Bibl. de VÉcole des Chartes^ 1891, p. 19,
qui voit dans ce personnage un officier byzantin. Cf. Isidore Pacensis, c. 40, et
P. L., XCH) 427, où l'on voit que Septem est le siège d'un grand comman-
dement militaire.
496 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Grand, en date d*août 591, il est fait mention d'un personnage
portant le titre de magister militum Africae^ et Ton a supposé
avec quelque vraisemblance que cet officier était, sous la
haute autorité de Texarque, chargé de la direction des choses
militaires, comme le préfet du prétoire avait, sous le contrôle
du patrice, le soin de l'administration civile*; il correspon-
drait assez exactement, dans ce cas, à VbT^Qtr.goLvr^hq que, dix
ans plus tard, on trouve adjoint au stratège*. Incontestable-
ment, rhypothèse est séduisante, et elle jetterait un jour cu-
rieux sur Tinstitution de Texarchat; au lieu d'être simple-
ment le successeur du magister militum per Africam, l'exar-
que serait vraiment alors un magistrat nouveau, investi de
pouvoirs extraordinaires, et auquel furent subordonnés les
anciens chefs de l'administration africaine, conservés tous
deux à un rang inférieur dans le régime nouveau. Malheureu-
rement la lettre de Grégoire le Grand laisse quelque place au
doute. Tout d'abord, on se demandera si le personnage oc-
cupe vraiment une fonction publique : Gaudiosus est donné
en effet comme un habitant de la province, homme de sens et
de loyauté, toujours prêt à mettre son influence personnelle
au service de ses concitoyens, et à offrir le secours de ses con-
seils aux judices qui viennent gouverner l'Afrique. Fort
estimé des représentants de l'autorité, qui sont heureux de
diriger d'après ses avis les actes de leur administration, pour-
tant il ne semble prendre aucune part directe au gouverne-
ment du pays : en somme il apparaît comme un grand pro-
priétaire, ayant servi jadis dans les rangs de l'armée impériale,
et conservant, dans sa retraite, une situation due tout ensem-
ble à son expérience et à ses services passés. En tout cas,
même en écartant cette explication, il demeure difficile de
voir en lui le supérieur hiérarchique des autres officiers de
l'armée d'Afrique : il reçoit seulement en effet le titre de glo-
ria, auquel ont droit tous les autres magistri militum et ducs
1. Greg., 1, 74 et l'hypothèse d'Ewald dans réditioQ des Monumenta, p. 94.
2. ThéophaDe, p. 295, 297.
L'ADMINISTRATION DE L'AFRIQUE BYZANTINE 491
de la province : s'il était leur chef, il serait honoré assurément
d'une épîthète plus retentissante *•
Entre Texarque et les ducs, il n'existe donc, suivant nous,
aucun degré intermédiaire. Directement nommés par le pa-
trice, et pouvant être par lui relevés de leurs fonctions, res-
ponsables devant lui seul des actes de leur administration',
les ducs, qui généralement ont dans Tarmée le grade de ma-
gister militum % réunissent comme leur chef des attributions
fort diverses. Avant toute chose, ils ont comme autrefois le
commandement des troupes cantonnées dans leur province,
la direction de toutes les opérations militaires qu'exige la
défense du pays; ils sont autorisés à régler, sans doute sous
réserve de la ratification de l'exarque ou de l'empereur, les
conditions auxquelles se fera la soumission des populations
vaincues, et chargés de surveiller la conduite des tribus éta-
blies sur leur territoire*. Naturellement ils ont le droit de
juridiction sur les soldats placéssous leurs ordres, surles per-
sonnes attachées à leur offichim^, sur tous ceux qui de près ou
de loin appartiennent à Tarmée, sur toutes les causes mêmes
où Tune des parties est de condition militaire*. Mais en fait,
sinon en droit, ils étendent constamment au delà de leurs
attributions régulières leur action dans le domaine des fonc-
tionnaires civils. Placés au-dessus d'eux dans la hiérarchie
officielle "^^ revêtus du titre de vir gloriosus^^ tandis que les jorûe-
sides ne portent que celui de vir magnificvs^y ils sont incontes-
tablement les premiers personnages de la province, et Timpor-
1. On pourrait à la rigueur supposer que Gaudiosus a été magistermilitum
Africae avant l'institution de l'exarchat, mais c'est peu vraisemblable.
2. Greg., 1,59.
3. id., i, 47, 59. Cf. Hartmann, /. c, p. 56-57.
4. Greg., 4, 25.
5. Id., 1, 46.
6. Diehl, Exarchat, p. 143 ; Hartmann, p. 60.
7. Greg., 9, 193.
8. M., 1, 46,47, 59: 4, 25 ; 9, 195.
9. ld,y 9, 195; 11, 22. Or les tribuns sont également magnifici {id., 9, 112,
174, 205).
I. 32
498 HISTOIRE DE LA DOVIINATION BYZWTINE ES AFRIQUE
lance de leur situation facilite singulièrement leurs excès de
pouvoir. Aussi les voit-on s'associer aapraeses pour mainte-
nir Tordre public et faire exécuter les lois impériales * ; ils
évoquent à leur tribunal des causes purement civiles*, ils s'oc-
cupent même des affaires de finance, et c'est à eux que l'em-
pereur confie parfois le soin d'opérer les dégrèvements d'im-
pôts et de régler les diminutions de corvées'. Il n'est pas
rare que de leur autorité propre ils imposent aux provinciaux
des contributions extraordinaires'. Enfin ils se mêlent aux
affaires religieuses, protégeant les missionnaires*, combattant
les dissidents, surveillant la conduite des évêques**, interve-
nant, pour en décider au gré de leur caprice ou de leur intérêt,
dans les conflits des autorités ecclésiastiques \ A chaque pas,
ils entravent, on le voit, l'action des praesides placés à coté
d'eux, et la fréquence des plaintes relatives à leurs empiéle-
ments prouve, mieux que tout autre fait, le développement
croissant de leur prépondérance*.
Pour Taider dans ses fonctions, le duc avait, auprès de lui,
un certain nombre d'of/iciales * dont malheureusement nous
ignorons les attributions précises. En tout cas, ces employés,
relevant uniquement du magistrat auquel ils étaient attachés,
n'ayant que lui pour juge abusaient sans scrupule de la part
d'autorité qui leur était déléguée : et leurs excès de pouvoir
attestent, au moins autant que ceux de leurs chefs, le rôle que
tenaient dans les provinces les représentants de l'autorité mi-
litaire.
Au-dessous des ducs, d'autres officiers, les tribuns, tendaient
également à devenir des administrateurs. Investis générale-
1.
Greg.,
9, 195.
2^
W., 1,
46.
3.
/d., 1,
47.
4.
irf., 1,
47, 59.
5.
W., 4,
25.
6.
/d.,9
195.
7.
W., 9,
27.
8.
Cf. Diehl, Exarchat, p.
143-146.
9.
Greg.
1,46.
L'ADMINISTRATION DE L'AFRIQUE BYZANTINE 499
ment du commaadement militaire d'uae ville ou d'une cita-
delle, parfois même chargés de la défense d'une portion plus
étendue de la province*, ils arrivent naturellement à exercer
tous les pouvoirs en des points où ils sont souvent les seuls
représentants du gouvernement impérial *. Placés d'ordinaire
sous Tautorité du duc, ils semblent, quand leur commande-
ment est de quelque importance, relever directement de Texar-
que; c'est le cas en particulier pour le tribun chargé du gou-
vernement de la Corse '. Malheureusement nous ne rencontrons
point, dans le diocèse d'Afrique, d'autres exemples qui nous
montrent rextension de la compétence de ces officiers : mais
les textes relatifs à Tltalie byzantine* permettent de supposer
que la transformation constatée dans Tadministration provin-
ciale s'accomplit vers le même temps dans l'organisation
municipale.
IV
Les autres officiers de [administration byzantine.
Si nous connaissons à peu près exaclement les chefs des
différents services administratifs, il faut nous résigner à ignorer
presque complètement la série des employés subalternes qui
les assistaient dans leurs fonctions : tout au plus peut-on, au
moyen de quelques indications sommaires, entrevoir le mé-
canisme de Tadministration des finances et le rôle de quelques-
uns des fonctionnaires qui y étaient attachés.
En Afrique comme en Italie, le domaine, on le sait, possédait
des propriétés considérables *; il fallait donc que la res privata
eût en Afrique ses représentants. A l'époque de Justinien, on
i. Greg., 7, 3. Cf. la môme chose eu Apulie et en Calabre {id.j ^\ 112, 174, 20«).
2. Hartmann, Z. c, p. 37-58, 60.
3. Greg., 7, 3.
4. Diehlj Exarchat, p. 115-116.
5. Cf. Hartmann, p/,74-76 et Greg-^ 1,73 {dalicia.)
500 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Ta VU, la domus divina avait des agents dans la province * ; plus
tard, à la fin du vi" siècle, on trouve en Italie des employés du
fisc, désignés par les noms de cornes privatarum ei de palatirii
privatarum* \ il est probable que des fonctionnaires du même
ordre étaient chargés, dans Texarchat d'Afrique, d'administrer,
sous la haute autorité de Texarque, les domaines impériaux*.
L'administration du trésor public réclamait un personnel
plus considérable. On sait avec quelle insistance les constitu-
tions impériales recommandent de faire rentrer exactement
les impôts, et les plaintes fréquentes que soulève la rigoureuse
perception des contributions attestent que ces instructions
étaient attentivement obéies *• Pour percevoir le tributiim levé
sur la propriété foncière '* et qu'aggravait encore pour les pos-
sessores le poids de la coempiio, de l'èTuiôcX-r;, des corvées
{angàriae) de toute sorte ®, pour faire acquitter les taxes qui
frappaient l'industrie et le commerce, par exemple l'impôt sur
la navigation [nauticatioY , dont parlent quelquefois les docu-
ments, il fallait de nombreux fonctionnaires. En Italie, on ren-
contre, employés à ces divers offices, des palatini sacrarum
largitionurrij des susceptores et des collectarii, un erogator ' : on
peut croire que l'administration des finances comportait en
Afrique des agents de même sorte ; mais les seuls qui nous
soient connus d'une manière certaine sont les commerciaires.
Depuis la fin du vi" siècle, on trouve, dans chaque province
de l'empire, des fonctionnaires chargés de percevoir les droits
de douane, et d'une manière générale les impôts divers qui,
sous le nom de xo{jL;ji.epy.t5v, étaient prélevés en argent ou en
nature sur l'agriculture et sur le commerce : ces commer-
1. C. /. L.,VUl. 14329.
2. Diehl, Exarchat, p. 159-160 ; Hartmann, p. 77-78.
3. Cf. la Novelle de Tibère de divinis domibus (Zachariae, /. c, III, p. 24),
et Mommsen, Die Bewirthschaftung (/. c).
4. Greg., 5, 38; 11, 5.
5. Cf. Zachariae^ l, c, p. 14.
6. Greg., 1, 59.
7. Lib, pontif., p. 344. Cf. Greg., 12, 26.
8. Cf. Diehl, Exarchat^ p. 159-160, 163-164; Hartmann, p. 95-100.
L'ADMINISTRATION DE L'AFRIQUE BYZANTINE 501
ciaires étaient établis dans tous les ports importants, dans
toutes les villes où se faisait un trafic notable, et partout où
se tenait un marché fréquenté : outre la perception des impôts,
ils étaient chargés de l'administration des magasins et entre-
pôts publics (aTucÔT^^xai), où étaient centralisés les produits de
ces contributions *. A la tête du service était placé, dans chaque
province, un commerciaire en chef, résidant dans la capitale
de la circonscription administrative. On voit quel était dans
le système financier de Tempire le rôle considérable attribué
à ces personnages; au reste, les titres dont ils sont revêtus sur
leurs sceaux disent assez leur importance : ce sont le plus
souvent d'anciens préfets (àxo èxipxwv) ou d'anciens consuls
Le Musée de Saint Louis de Carthage possède un certain nom-
bre de sceaux ayant appartenu à des commerciaires d'Afrique* ;
tous portent, sur une de leurs faces, Teffigie du prince sous le
règne duquel ils furent frappés ; c'est tantôt celle de Cons-
tant II ', plus souvent celle de deux empereurs, où il faut re-
connaître sans doute, pour les plus anciens, Justin II et
Tibère*, et pour les plus récentsdeux souverains du vu» siècle,
soit Héraclius II et Héracléonas, soit Constantin Pogonatet
son fils. Les uns portent des légendes latines, et le titre de
commerciarius Africae ^ ; les autres ont des inscriptions grec-
ques et joignent à l'indication de la fonction la dignité d'airà
ÛTraTwv ou d'iro exap^wv*. Dans la disette extrême d'informations
où nous sommes réduits pour Tétude de l'administrationbyzan-
tine en Afrique, ces monuments offrent un très vif intérêt ; ils
1. Schlumberger, Sigillographie byzanline, p. 470-471.
2. Delhitre, Plombs byzantins de Carthage {Missions catholiques^ 1887, p. 524),
Il faut lire commerciarius Africae et non pas cornes Africae.
3. Cf. Schlumberger, l. c , p. 317-318.
4. Jbid., p. 197-198, 195, 296.
5. Delattre, l, c.,p. 524 et BuiL de l'Académie d'Hippone, 1893.
6. On trouve en Afrique d'autres personnages portant les litres de àith eirap-
-^(0v ou d*ex-consuls, mais sans indication de fonctions administratives (De-
lattre, /. c.,p. 508, 525).
502 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
montrent en effet comment, jusque dans radminislration
financière, qui lui était spécialement réservée, le préfet du
prétoire vit, au vii^ siècle, diminuer l'étendue de ses attribu-
tions; de plus en plus, par Timportance croissante des autorités
militaires autant que par la transformation des autres institu-
tions, l'Afrique tendait à devenir un véritable thème.
CHAPITRE II
l'église d'afrioue et l'administration byzantine
I
La sollicitude de Tempereur Maurice ne paraît point s'être
seulement appliquée à assurer par une décisive réforme la
défense des provinces africaines. En même temps qu*il créait
Texarchat, en môme temps qu'il s'efforçait, par d'énergiques
mesures, d'arrêter la diminution croissante des effectifs mili-
taires *, il se préoccupait, à l'intérieur de l'empire, d'améliorer
le sort des sujets. Il s'appliquait à alléger les lourdes charges
que l'impôt faisait peser sur les propriétaires et les habitants
du diocèse d'Afrique • ; il surveillait attentivement Tadminis-
tration des fonctionnaires, et exigeait d'eux, au sortir de
charge, des comptes scrupuleusement rendus'; il adoucissait
pour les dissidents la rigueur des lois de Justinien ; sous son
règne, les juifs demeurèrent paisiblement en possession de
leurs synagogues, et il fut rigoureusement interdit de chercher
par violence à les convertir*. Les donatistes profitèrent de la
même tolérance ; on leur permit d'avoir leurs églises, leurs
évêques, sous la seule réserve que ces prélats n'ambitionne-
raient point le titre de primat et la direction religieuse de la
1. Greg. Magni Epist., 3, 6î, 64. On voit, 8, 10, que la loi concerne aussi l'Afri-
que.
2. 7d., 1, 47.
3. /rf., 3, 61, 64; 8,10.
4. /d., 9, 195. Cf. 8, 25; 9, 38.
504 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
province *, et grâce à la bienveillance non dissimulée del'ad-
minislration impériale *, Thérésie donaliste eut en Numidie
un regain de prospérité. C'est qu'en face des périls qui de
toutes parts menaçaient l'empire au dehors, Maurice sentait
profondément la nécessité de maintenir la paix intérieure ; et
de même qu'il tâchait d'étouffer en germe les questions im-
portunes qui pouvaient provoquer un scandale ou un trouble,
ainsi il s'efforçait d'apaiser les dissidences, de calmer les mé-
contentements, d'attacher fortement les sujets à cette mo-
narchie byzantine qui, sous l'œil des barbares, avait plus que
jamais besoin d*union pour la défense '.
Malheureusement ces bonnes intentions ne furent qu'im-
parfaitement réalisées. Assurément Grégoire le Grand vante
la prospérité que l'Afrique connut sous la bonne administra-
tion de Gennadius*, et, en effet, parmi les plaintes innombra-
bles qui de toutes les provinces viennent dénoncer à Rome
les abus des gouverneurs, bien peu se rapportent aux actes
des fonctionnaires de l'Afrique propre*. Mais d'une part les
besoins de la guerre et la disette lamentable du trésor public
obligeaient, quoi qu'on en eût, à exiger les impôts avec la
dernière rigueur; d'autre part, dans ces provinces byzantines
d'Occident, soustraites par leur éloignement au contrôle in-
cessant du pouvoir central, la discipline administrative se
relâchait gravement. L'exarque et le préfet négligeaient plus
d'une fois de faire exécuter les édits qui leur étaient transmis
de Constantinople*, et, à l'exemple de leurs chefs, les ducs, les
praesideSy surtout lorsqu'ils administraient quelque district
écarté comme la Sardaigne ou la Corse, en prenaient fort à
1. Greg., 1,73.
2. /d., 6, 59, 61. Cf. 4, 32.
3. Sur cette politique des empereurs, cf. Diehl, Exarchat, p. 389-398. Cf.
Greg., 5, 39 ; 7, 30.
4. Greg., 7, 3 : « bonum vestrum quod testatur Africa. »
5. J'entends parler ici seulement des plaintes relatives à des actes pure-
ment administratifs.
6. Greg., 6, 61.
L'ÉGLISE D'AFRIQUE ET L'ADMINISTRATION BYZANTINE 505
Taise avec les ordres du prince, et y contrevenaient ouverte-
ment*. De là naissaient pour les sujets des exactions innom-
brables. Pour suffire aux demandes d'argent qui venaient du
trésor, on faisait rentrer les impôts avec une exactitude si
cruelle, qu'en Corse les contribuables étaient réduits à vendre
leurs fils comme esclaves, et que les propriétaires désespérés
abandonnaient leurs domaines pour s'enfuir chez les barbares*.
Pour satisfaire leur avidité, les fonctionnaires étaient plus
oppressifs encore, et leur imagination inventive trouvait mille
prétextes aux vexations. Tantôt le montant des impôts était
illégalement augmenté, ou plus simplement encore, on récla-
mait le tribut deux fois de suite * ; tantôt on exigeait des popu-
lations païennes une taxe pour tolérer leur idolâtrie, et après
qu'elles s'étaient converties, on continuait à percevoir la même
redevance 4 ; ailleurs, on mettait la main sans scrupule sur
les biens des établissements ecclésiastiques, on pillait les pro-
priétés qui appartenaient aux institutions de charité *. Contre
les faibles, contre les pauvres, on multipliait les violences : le
duc de Sardaigne laisse ses hommes battre et emprisonner
des clercs ; lui-même écrase TÉglise d'impôts et de corvées et
empêche révoque d'exercer la juridiction'quelaloilui confère ** ;
les fonctionnaires civils permettent de dépouiller les petits, et
eux-mêmes les traitent avec la plus criante injustice '. Au
contraire, pour les grands, pour les riches, les administrateurs
ont d'infinies tolérances, et pourvu qu'on mette le prix à
acheter leur bienveillance, ils n'hésitent pas à désobéir, même
aux ordres de l'empereur * : pour leurs amis, les donatistes par
exemple, ils auront d'inépuisables indulgences ; sans inter-
venir, ils les laisseront persécuter les évoques catholiques ;
1. Greg., 1,47; 9,27; 11, 5.
2. W., 5, 38.
3. /d., 11, 5.
4. Id„ 5, 38.
5. id., 4, 24.
6. id., 1, 59. Cf. 4,26.
7. /d., 10, 38; 11,5.
8. /d., 9, 27; 6, 61.
500 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
malgré les inslruclions formelles du prince, malgré les objur-
gations pressantes du pape, ils traîneront des années entières
avant d'accorder satisfaction aux victimes, ils s'efforceront
d'étouffer leurs plaintes sous les accusations et les calomnies ;
bref, suivant l'expression de saint Grégoire, ils vendront ouver-
tement la foi catholique *. Indiscipline, rapacité, corruption,
tels sont quelques-uns des traits caractéristiques deTadminis-
tralion byzantine à la fin du vi* siècle % et Grégoire le Grand
n'a pas de mots assez forts pour flétrir « la perversité des
judices » '. Or, contre les scandaleux abus de ces avides et
tout-puissants gouverneurs, oii les populations pouvaient-elles
trouver un recours? L'empereur était trop loin pour que les
plaintes pussent lui parvenir*, le contrôle qu'il exerçait est
trop intermittent pour être vraiment efficace ' ; TÉglise était
plus proche, la loi même lui faisait un devoir de surveiller la
conduite des fonctionnaires publics ; naturellement les peuples
allèrent vers elle chercher l'appui dont ils avaient besoin.
Ainsi, en même temps qu'apparaissaient dans l'Occident byzan-
tin, avec les velléités d'indépendance des gouverneurs, les
premiers symptômes d'une profonde désorganisation admi-
nistrative, un autre fait se produisait, d'une gravité plus
grande encore ; l'influence de l'Église se substituait lentement
à l'autorité du pouvoir impérial, et par leur constante inter-
vention dans les affaires civiles, le pape et au-dessous de lui
les évêques grandissaient, dans la vénération des peuples et
jusqu'aux yeux des gouverneurs, de tout le prestige que per-
dait le basileus impuissant et lointain.
1. Greg., 6, 61. Cf. 6, 59.
2. 11 faut Doter pourtant que la plupart des cas cités se rapporteDt à la
Sardaigne, plus isolée et moins surveillée. Mais ritalie offre bien des exemples
semblables (Diehl, Exarchat, p. 353-354).
3. Greg. 8,2. Cf. 5,40,42.
4. /d., 5, 38.
5. Diehl, l. c, p. 188-190.
L'ÉGLISE D'AFRIQUE ET L'ADMINISTRATION BYZANTINE 507
II
A la fin du vi« siècle, les raisons ne manquaient point pour
justifier en Afrique l'intervention du souverain pontife : les
intérêts mêmes de la religion lui commandaient d'exercer dans
la province un perpétuel et attentif contrôle. Bien qu'à cette
date, l'Église africaine fût encore organisée comme au temps
de Juslinien *, bien que des conciles fréquents attestent Tacti-
vilé de la vie religieuse', des causes de troubles assez graves
travaillaient les chrétientés africaines et réclamaient la solli-
citude de Rome. La discipline ecclésiastique se relâchait, les
évêques donnaient de fréquents exemples de désobéissance,
d'immoralité ou de corruption. Les prélats de Byzacène résis-
taient aux ordres de leurprimat'; d'autres semaient le désordre
dans les monastères en soutenant les moines contre leur
abbé*. En Numidie, d'interminables conflits éclataient entre
les chefs des diocèses pour quelques paroisses enlevées ou
quelques redevances indûment perçues»; ailleurs, les évoques
ne craignaient point d'infliger à leurs clercs des châtiments
corporels®. La simonie surtout et la corruption faisaient des
progrès inquiétants : l'évêque de Tigisis vendait les charges
ecclésiastiques \ celui de Lamiggigase laissait coiTompre par
les hérétiques'; le primat de Byzacène faisait mieux encore:
pour se soustraire à la condamnation qui le menaçait, il
1. Pour le primat de Numidie, Greg., 1, 72; 3, 4S. Pour celui de Byzacène,
4, 13; 9, 24, 27; 12, 12. Pour le métropolitain de Carthage, 2, 52.
2. Conciles en Numidie en 591 (Greg., 1,72, 82), 592 (2, 46), 593 (3, 47, 48),
602 (12, 29); à Carthage en 594 (5, 3); en Byzacène en 602 (12, 32); en Sar-
daigne, deux fois par an (4, 9).
3. Greg., 9, 24.
4. /d., 7, 32.
5. /rf., 8, 14.
6. /d., 12, 28, 29.
7. /d., 12, 28, 29. Cf. 3, 47, 48.
8. /d., 1, 82. Cf. 2,46.
508 HISTOIRE Dfi L\ DOMINATION BÏZANTINE EN AFRIQUE
achetait moyennant dix livres d'or la protection du gouverneur
delà province*. Ce n'est pas tout. En Numidie Thérésie dona-
tiste relevait la tête* : grâce à la tolérance du gouvernement,
les dissidents, on Ta vu, avaient conservé leurs églises, leurs
évêques; maintenant ils se flattaient d'ébranler le catholicisme
lui-même Des diocèses où ils dominaient, violemment ils
expulsaient le clergé orthodoxe*; dans les autres, ils tâchaient
de s'insinuer en se ménageant à prix d'or la bienveillance des
évêques*, et, devenus de la sorte maîtres de positions impor-
tantes, ils en profitaient pour faire parmi les fidèles une active
et souvent heureuse propagande. Beaucoup de gens, séduits
par leurs promesses, consentaient à se faire rebaptiser,
selon le rite donatiste' ; les hautes classes de la société elles-
mêmes étaient gagnées par la contagion, et de grands pro-
priétaires, non contents de passer avec toute leur famille au
parti de Thérésie, usaient de leur influence pour entraînera
leur suite les personnes qui dépendaient de leur autorité *.
Pendant six années entières, de 591 à 896, sans cesse, il est
question, dans la correspondance de Grégoire le Grand, de
Taudace croissante des donatistes : devant leurs progrès et
leurs intrigues, les conciles eux-mêmes hésitaient et laissaient
fléchir la rigueur du dogme'. Vainement,en 594. un édit impé-
rial essayait d'enrayer le mal^; grâce à la tolérance ou à la
complicité de l'administration', les ordres du prince demeu-
raient lettre morte ; et les évêques qui tentaient, de faire leur
devoir se voyaient exposés à la fois aux persécutions de leurs
adversaires, aux calomnies et aux rigueurs de l'autorité ".
i, Greg., 9, 27.
2. id., 1, 72.
3. W., 4, 32, 35.
4. /d.,1,82; 2,46.
5. id., 2, 46; 4, 32,35.
6. Id., 4, 41 ; 6, 34.
7. /d., 4, 7.
8. Id,, 5, 3 ; 6, 61 .
9. W., 4, 32; 6, 61.
10. Id., 4,32; 6, 59, 61; 8, 13.
L'ÉGLIiŒ D*AFR1QUE ET L'ADMINISTRATION BYZANTINE 509
Enfin dans certaines portions de Texarchat d'Afrique, Tœuvre
de la conversion demeurait stationnaire ; en Corse, beaucoup
de diocèses restaient sans évèques pendant plusieurs années
de suite et retournaient lentement à la barbarie *. En Sardai-
gne^en Afrique même, beaucoup de prélats étaient négligents
on indifférents* : et malgré les louables efforts que faisait sur
ce point Tadministration impériale, toujours prête à imposer
par les armes la religion orthodoxe ^, beaucoup de païens con-
tinuaient à adorer les arbres et les pierres* et jusque sur les
domaines des propriétaires chrétiens, jusque dans les patri-
moines de l'Église, subsistaient un grand nombre de cultiva-
teurs idolâtres*.
Pour rétablir la discipline ébranlée, pour soutenir contre
l'assaut des hérétiques la résistance des évêques catholiques,
pour stimuler à l'œuvre de la propagande le zèle affaibli des
prélats, il fallait que le pontife romain exerçât sur TÉglise
africaine une exacte surveillance. Grégoire le Grand ne man-
qua point à la tâche. Le notaire Hilarus, chargé d'administrer
en Afrique les patrimoines de TÉglise romaine, devint dans la
province un véritable légat pontifical, chargé de surveiller la
conduite des prélats, de faire sur leurs actes les enquêtes né-
cessaires, de réprimander leurs fautes, de leur transmettre les
instructions du pape, de provoquer pour les juger la réunion
des conciles \ A côté de lui, deux évêques méritèrent égale-
ment la confiance toute particulière du pontife : c'était Domi-
nique, métropolitain de Garthage, qui pendant neuf ans reçut
de Grégoire les témoignages de l'amitié la plus tendre et les
mérita par la ferveur de sa foi et sa déférence pour l'Église
romaine?; c'était surtout Columbus, un évêque de Numidie,
1. Greg., 1, 76, 77; 11, 77; 8, 1.
2. Id,, 1,72; 4, 26.
3. /d., 1,72; 4, 25; 11, 22.
4. id., 4, 23, 27; 8, 1.
5. Id,, 4, 23, 26, et en général, pour la Sardaigne, 4, 25, 27, 29; 5, 38;
9, 204; H, 22; pour la Corse, 8, 1; pour l'Afrique, 1, 72.
6. id., 1, 82; 2, 46; 12, 28.
7. Id.y 2, 52 (juUl. 592) à 12, 1 (sept. 601), 6, 19, 60; 8, 31 ; 12, 1.
510 Histoire de la dominatioin byzantine en Afrique
auquel la faveur du pape fit dans sa province une situation
tout exceptionnelle. Pendant dix ans *, il fut le conseiller tou-
jours écouté du pontife, Texécuteur fidèle de ses volontés;
c'est à lui que Grégoire remit le soin d'examiner et de régler
toutes les questions importantes, s*adressant à Columbus,
plutôt même qu'au primat de la province, et invitant celui-ci
en toutes circonstances à prendre les avis et à demander le
concours du prélat favoris II est certain que la vive sympa-
thie dont il était l'objet à Rome valut à Tévèque bien des jalou-
sies et des haines ^ : il n'en continua pas moins énergiquemenl
l'œuvre qui lui était commise. Par ces hommes, Grégoire
rétablit en Afrique l'unité, la concorde, la discipline ecclésias-
tique : tandis que, en S94, dans la Proconsulaire, le concile
de Carthage combattait vigoureusement l'hérésie donatiste et
menaçait même de la déposition les évèques qui négligeraient
de poursuivre les dissidents \ en Numidie, grâce aux exhor-
tations du pontife, on engageait contre les ennemis de l'Église
une lutte courageuse, où les efforts de la prédication se
mêlèrent aux condamnations conciliaires pour ramener les
schismatiques repentants^ pour punir les obstinés et les cou-
pables*. Aussi bien^ de toutes parts, les églises d'Afrique se
tournaient vers Rome; entre les évê.iues du diocèse africain
et la cour pontificale, c'était un constant échange de lettres et
de mandataires : c'est au pape que s'adressait quiconque
avait une plainte à faire, une injustice à dénoncer*; c'est à
son tribunal qu'étaient cités les évèques accusés ou coupa-
bles' : bref, aucune décision importante ne se prenait sans son
assentiment, et Grégoire félicitait à juste titre Dominique de
1. Greg.,2, i6 (jaill. 592) à 12, 28 (mars 602). Cf. 3, 47, 48; 1, 2; 8, 14. lô:
12, 8, 28.
2. id., 3, 47, 48; 12, 2S, 29.
3. ld,y 7, 2.
4. id., 5, 3. Grégoire d'ailleurs blàinalt cet excès de zèle.
5. Id., 1, 75; 2, 46; 4, 33.
6. /d., 1, 82; 2, 46; 8, 14; 4, 13.
7. W., 4, 32; 6, 59; 9, 27.
L'ÉGLISE D'AFRIQUE ET LADMlNISfRATIOiN BYZANTLNE -ill
Carlhage du soin qu'il apportait en toute circonstance à cou-
sulter respectueusement le Siège apostolique*.
III
Les relations fréquentes que le souverain pontife entrete-
nait avec rÉglise africaine le mettaient en rapport nécessaire
avec les représentants de l'autorité impériale. Aux yeux de
Grégoire le Grand, en effet, exercer une charge publique
était chose grave", qui imposait des devoirs envers TÉglise,
tout autant qu'envers TEtat; pour bien remplir ses fonctions,
il ne suffisait pas à ses yeux de « s'acquitter envers la républi-
que de ses obligations terrestres », il fallait surtout « ne pas
oublier de rendre au Dieu tout-puissant Thommage qu'on
doit à la patrie céleste »^. Aussi Texarque doit-il avoir pour
premier souci de vivre sans cesse dans la crainte du Sei-
gneur* : il est le protecteur né de la religion, chargé d^étendre
au dehors son domaine par les armes, de la défendre au
dedans contre l'audace des hérétiques*^; s'il veut réussir dans
les affaires du monde, assurer à ses soldats de glorieuses vic-
toires, avant toute chose, il doit pieusement; sincèrement, se
faire le champion de Dieu^; il suffit pour cela qu'il mette au
service de l'Eglise Tautorité publique, qu'il prêle nrain forte
en toute circonstance aux prélats et aux missionnaires, qu'il
corrige sans tarder les abus qui font tort aux personnes ecclé-
siastiques, qu'il combatte vigoureusement quiconque trouble
la paix intérieure de là chrétienté, qu'il se préoccupe avant
tout de respecter les droits de l'Église, la personne de ses mi-
1. Greg., 8, 31.
2. W., 12, 27.
3. W., 4, 23.
4. Id,, 1, 59.
5. W., 1. 12.
6. /rf., 9, 154; 4,7.
J
512 HISTOIRE DE LA. DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
nistres et les intérêts des pauvres*. En conséquence, Grégoire
se montre implacable pour quiconque manque à ces devoirs
essentiels. Fort de l'autorité que la loi lui confère et du pres-
tige qui s'attache à son caractère sacré, il maintient haute-
ment contre toute usurpation des pouvoirs publics les droits
et privilèges de saint Pierre ^ Il n'admet point qu'on impose
aux biens du clergé des charges ou des corvées extraordi-
naires, qu'on moleste injustement les personnes ecclésiaati-
quess, et il recommande aux évêques de ne jamais, pour com-
plaire aux puissants de la terre, consentir à sacrifier la justice
et la vérité \ Quand un prélat est mis en cause, son attitude
est plus hardie encore : entre Texarque et l'homme d'Église,
le pape se constitue seul juge; entre le témoignage des deux
personnages, & peine songe-t-il à hésitera
Quand Tévêque Paul de Numidie, persécuté par les dona-
tistes^ injustement accusé par le patrice Gennadius, demande
justice au pape contre ses persécuteurs, aussitôt Grégoire
évoque TafiFaire à Rome. Vainement, pendant deux ans, l'exar-
que retient le prélat en Afrique; vainement, un peu plus tard,
il refuse d'accepter le débat devant le tribunal du pontife; Gré-
goire ne cède point. Au rapport administratif il oppose l'en-
quête ecclésiastique, faite sur ses ordres par les soins de Co-
lumbus : énergiquement il affirme qu'il a droit d'examiner et
de juger l'affaire; il porte jusqu'aux pieds de l'empereur le
conflit soulevé par le patrice, et finalement il renvoie en Afri-
que, recommandé, protégé par l'autorité apostolique, Tévêque,
qui, à ses yeux , n'a commis d'autre faute que de défendre sa
foi au lieu de céder à la volonté des hommes ^.
1. Greg., 4, 7; 1, 59, 72; 11, 22. Cf. 7, 8.
2. W., 10, 38. Cf. P. /.., LXXX, 479 : « Jura et privilégias. Pétri... immu-
tilata intentione... defendere. »
3. Greg., 1, 59; H, 5. Cf. Diehl, l. c, p. 325-326.
4. Greg., 8, 15.
5. Id,, 6, 59, 61; 7, 2.
6. Cf. sur cette affaire qui dura quatre ans : Greg., 4, 32 rjuiil. 594); 6, 59,
61 ; 7, 2 (août et oct. 596) ; 8, 13, 15 (févr. 598).
L'ÉGLISE D'AFRIQUE ET L'ADMINISTRATION BYZANTINE 513
Mais ce n'est point aux seules affaires d'église que se bor-
naient les rapports du pape avec les pouvoirs publics. Depuis
que Justinien avait fait aux évêques une place officielle dans
Tadministration des villes et des provinces *, les prélats étaient
devenus les protecteurs naturels des sujets, et au nom des pri-
vilèges mêmes que lui conférait la loi civile, l'autorité ecclé-
siastique intervenait pour surveiller et contrôler la conduite
des gouverneurs. Encouragés par le pape autant que par l'em-
pereur à dénoncer tout ce qui pourrait être contraire à la jus-
tice*, les évêques se constituaient les défenseurs de tous les
humbles, de tous les opprimés : mais ce n'était point dans la
lointaine Byzance qu'ils allaient porter leurs plaintes ; c'est à
Tévêque de Rome, plus proche et plus puissant peut-être, qu'ils
adressaient leurs doléances. Le moindre abus de pouvoir était
aussitôt signalé au pontife ' ; et, sans tarder, Grégoire agissait.
Tantôt il réprimandait directement le gouverneur coupable*;
plus souvent il s'adressait au chef hiérarchique du person-
nage, se plaignant des praeszdes au préfet*, des ducs à l'exar-
que % de tous à l'empereur '. Parlant tout ensemble au nom de
la loi et de la religion, il distribuait, suivant les cas, Téloge ou
le blâme, promettant au duc de Sardaigne de rendre à Cons-
tantinople bon témoignage de sa conduite ^ dénonçant au prince
les calomnies du patrice Gennadius •. De ce droit de contrôle
à une intervention directe dans les affaires proprement admi-
nistratives, il n'y avait qu'un pas; les nécessités d'une époque
pleine de troubles amenèrent souvent Grégoire à le franchir.
Pour sauver ce peuple chrétien dont le salut spirituel et tem-
porel lui est commis, le pape avertit l'exarque des dangers qui
i. Cf. Diehl, /. c, p. 319-321.
2. Zachariae, Jus gr. rom.y III, p. 10 ; Greg., 1, 60, 61, 62.
3. Greg,, 10, 38; 1,47.
4. W., 1, 46.
5. Id,, 11, 5; P. r,., LXXX, 478.
6. Id., 1, 59.
7. 7d., 1, 47; 6, 61.
8. 7d., 4, 25.
9. W., 6, 61.
II. 33
514 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
menacent ses provinces, et lui suggère les mesures — même
celles d'ordre militaire — qui pourront écarter le péril *. Par ses
ordres. Tévêque de Caralis veille à Tapprovisionnement de la
ville, à Tentretien des murailles, à la garde des remparts • :
ainsi TÉglise pénètre dans Tadministration et parfois même se
substitue à elle.
Or — et ceci est très grave — les gouverneurs impériaux,
obligés parla loi d'accepter les conseils des évêques, entraînés
par le respect de la religion à ménager un prélat qui parlait
au nom de Dieu \ prenaient insensiblement l'habitude d'écouter
les avis du pontife, se disant qu'après tout, c'était souvent,
comme l'affirmait Grégoire, un moyen assuré de plaire à la fois
aux princes de la terre et au roi du ciel*. L'exarque Gennadius
s'efforçait de mériter les félicitations du pontife, en répandant
parmi les nations vaincues le divin nom du Christ *; il veillait
pour lui complaire à protéger et à mettre en valeur les patri-
moines de l'Église romaine en Afrique * ; il faisait bon accueil
aux personnes que lui recommandaitl'évêque'^; et malgré quel-
ques résistances passagères, il semble avoir inspiré assez de
confiance à Grégoire pour mériter d'être, même en matière re-
ligieuse, l'exécuteur de ses volontés : « Nous avons, lui écri-
vait le pape, d'autant plus de plaisir à vous confier la surveil-
lance des affaires ecclésiastiques que nous connaissons pleine-
ment les pieuses dispositions de votre cœur » • ; et, entre autres
choses, il invitait le patrice à rappeler aux évêques numides
les règles canoniques qui devaient être observées dans l'élec-
tion du primat provincial '. Le préfet Innocent est encore plus
complètement dévoué à Grégoire; le pape lui écrit cpmme à
1. (Jreg., 9, 11; 7, 3.
2. W., 9, 11, 195; cf. Diehl, /. c, p. 329-331.
3. Cf. Greg., 2, 30.
4. W., 4, 25.
5. Id., i, 72.
6. /rf., 1, 73.
7. W., 7, 3; 9,9.
8. /rf., 4, 7.
9. /d., 1, 72.
L'ÉGLISE D'AFRIQUE ET L'ADMINISTRATION BYZANTINE :il5
un ami véritable, comme à un fils bien-aimé*, et, en effet, le
préfet a non seulement pour les biens d'Eglise une sollicitude
attentive', mais encore il s'empresse de faire rapport au pape
des exactions que commettent en Sardaigne les fonctionnaires
publics "; Tévêque de Carthage lui-même n'aurait pas fait
mieux. Les gouverneurs des provinces ne sont pas moins sou-
cieux d'être agréables au pontife ; comme leurs chefs, ils font
marcher la conversion du même pas que la conquête * et s'ef-
forcent de mériter ses bonnes grâces. On juge combien ces
relations amicales accroissaient Tinfluence de TÉglise dans
l'administration publique, combien, entre l'empereur lointain
et Tévèque tout-puissant, les fonctionnaires étaient tentés
d'obéir aux conseils qui venaient de Rome **.
Les populations plus ouvertement encore mettaient leur es-
poir dans rÉglise. Contre les vexations des gouverneurs, elles
ne connaissaient point de plus sûrs défenseurs que leurs évéques^
et parmi eux que le pontife romain. Elles comprenaient que
seule, rÉglise élait assez puissante pour contre-balancer le
despotisme impérial, pour mettre un frein à la tyrannie admi-
nistrative ; et sûres d'être écoutées, elles portaient leurs
plaintes à Rome ou demandaient aux représentants du pape
de prendre la défense de leurs intérêts \ Or ceci encore était
singulièrement grave : insensiblement les peuples se déta-
chaient de Tempire et se préparaient pour d'autres destinées.
Et si nous essayons, pour finir, de résumer les traits caracté-
ristiques du tableau que présente l'Afrique à 1 a fin du vi' siècle,
nous constatons, dans la province, les redoutables symptômes
d'une profonde désorganisation administrative. A tous les
degrés de la hiérarchie, les fonctionnaires byzantins tendent à
s'affranchir de Tautorité impériale trop lointaine; les popula-
1. Greg., 10, 37 : u dulcissimus ûlius >••
2. /rf., iO, 37.
3. /d., 10, 38.
i. Id.j 4, 25. Cf. 'J, 158, 160.
0. Cf. Diehl, l. c, p. 321-323, 333-334.
6. (Jreg., 14, 2. Cf. Diehl, /. c, p. 334-33.i.
516 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
tiens, cruellement opprimées par une administration souvent
vexatoire, cessent de prendre intérêt à l'empire qui les ruine
pour s'attacher à l'Église qui leur assure quelque protection;
et cette Église enfin, qui, de plus en plus, se range sous Tobé-
dience romaine, substitue lentement dans Tadministration son
influence à celle du pouvoir central et achève ainsi de fausser
les ressorts de la machine gouvernementale, déjà si ébranlée.
Qu'on attende quelques années encore, et ces germes de dis-
solution porteront leurs fruits. Les insurrections des gouver-
neurs, la désaffection des peuples, les conflits religieux aggra-
vant le divorce politique, ruineront, en Afrique comme en
Italie, la domination byzantine ; et dans l'exarchat d'Afrique,
affaibli par tant de misères, l'invasion arabe trouvera une proie
facile, dont les indigènes plus que les Grecs essaieront de lui
disputer la possession.
TROISIÈME PARTIE
L'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE D'HËRACLIUS (610-641)
En l'année 608, TAfrique byzantine avait pour gouverneur
le palrice Héraclius '. C'était un homme d'un âge assez
avancé déjà — il touchait au moins à la soixantaine ■, — issu
d'une grande et riche famille de l'aristocratie arménienne ^.
Sous le règne de Maurice, il avait^ dans les campagnes de
Perse, fait une glorieuse carrière militaire et, soit comme
lieutenant du stratège Phiiippicus, soit comme général en
chef, ii s'était signalé par sa magnifique bravoure, autant que
par son énergique fermeté à maintenir la discipline des
troupes ^. En récompense de ses brillants services, l'empe-
reur lui avait, sans doute après la mort ou le rappel de Texar-
que Gennadius, confié l'important gouvernement d'Afrique *;
et en même temps, pour mieux marquer au nouveau stratège
sa faveur et sa confiance, il lui avait donné pour lieutenant et
pour collaborateur le patrice Grégoire, propre frère d'Héra-
clius*. Lorsque la révolution de novembre 602 fit monter
1. Nicéphore, p. 3; Théophane, p. 295, 297.
2. Héraclius Fempereur est Dé eu 575. Le père est donc né au moins en 550.
3. Théoph. Simocatta, 3, 1, 1. Cf. Constantin Manassès, 3664, qui en fait à
tort un Cappadocien.
4. Théoph. Simocatta, 2, 3, 5-7, 9-10, 18; surtout 2, 18, 26; 3, 6, 2.
5. Nicéph., p. 3.
6. Nicéph,, p. 3; Théophane^p. 295, 297-298, qui l'appelle Grégoras.
518 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Phocas sur le trône de Byzance, le nouveau prince n'osa point
tenter en Afrique ce qu'il paraît avoir fait en Italie * : sentant
probablement le besoin de ménageries puissants personnages
qui commandaient à Carthage, craignant, par une destitution
brutale, de provoquer dans la lointaine province un soulève-
ment dont le premier effet serait de couper les vivres à la ca-
pitale, Phocas maintint dans leurs fonctions l'exarque et son
frère; pourtant il ne réussit point à se concilier ainsi leur dé-
vouement. A l'égard du nouveau régime, Iléraclius paraît en
tout temps avoir gardé une réserve extrême ; et bientôt, à
mesure que la tyrannie de Phocas devenait plus sanglante,
son attitude se fit plus nettement hostile. Il ne pouvait, pas
plus que son frère, oublier le cruel assassinat de cet empereur
Maurice auquel il devait tout ce qu'il était, ni le meurtre inu-
tile de toute la famille de son bienfaiteur, ni tant d'autres
atrocités ■; l'éloignement de sa province l'engageait, d'autre
pari, à braver plus ouvertement le basileus* ; aussi finit-il par
en venir à une rupture presque déclarée: en 608, il retint à
Carthage les vaisseaux qui annuellement portaient à Cons-
tantinople les blés de la province * . Dès lors, pour tous
les adversaires du tyran, l'exarque apparut comme le sauveur
de l'empire ; de toutes parts on lui adressa les sollicitations les
plus pressantes; les mécontents d'Egypte tournèrent les yeux
vers lui *; le sénat de la capitale le supplia secrètement d'in-
tervenir®; le gendre même de Phocas, Priscus, comte des
excubiteurs et préfet de la ville, écrivit au patrice pour lui
demander de mettre un terme aux sanglantes fureurs du basi-
leus \ A la vérité, pour tenter cette redoutable aventure, le
stratège se sentait bien fatigué et vieilli; mais, à côté de lui,
1. Hartmann, /. c, p. 12; Diehl, Exarchat, p. 185.
2. Nlcéph., p. 3, 5.
3. id., p. 3.
4. Théophane, p. 296.
5. Jean de Nikiou (éd. Zotenberg, dans Notices et extraits des mw., .XXIV.
!'• partie), p. 541-542.
6. Théophane, p. 297.
7. /d., p. 295; Nicéphore, p. 4.
I/AFRIQUE SOUS LE RÈGNE D'IIÉRACLIUS (610-641) niO
pour soutenir son courage, il avait son fils Héraclius, son
neveu Nicétas, tous deux désireux de porter secours à l'empire
en détresse, tous deux profondément émus par les terribles
nouvelles qui arrivaient de Byzance, par les désastres qui
coup sur coup frappaient la monarchie et amenaient jusqu'à
Chalcédoine les armées victorieuses de Chosroès * ; sous la
main il avait une belle flotte de guerre, une armée dévouée,
une province toute prête à lui fournir les levées nécessaires
pour grossir le chiffre de ses soldats. Pourtant, tout en accueil-
lant les ouvertures faites, tout en encourageant les méconten-
tements ■, l'exarque hésitait à prendre parti ; pendant plus
d'une année, il se contenta de faire de menaçants préparatifs,
lorsqu'un dernier incident acheva de précipiter ses résolu-
tions. La femme du patrice, Epiphania, se trouvait à ce mo-
ment à Byzance, accompagnée d'Eudocie^ la fiancée de son
fils; Phocas, espérant ainsi s'assurer de précieux otages, crut
habile de faire arrêter les deux femmes et de les faire empri-
sonner dans un monastère *. Tout au contraire, cet acte de vio-
lence hâta le dénouement. Aussi bien les circonstances étaient
singulièrement favorables. Ace moment même, Alexandrie se
soulevait, et bientôt toute l'Egypte, travaillée de longue main
par l^s émissaires de l'exarque, suivait l'exemple de la capi-
tale *; la Tripolitaine et la Pentapole s'agitaient, prêtes à se
donner à l'insurrection ; les tribus berbères, gagnées par de
larges subsides, se prononçaient ouvertement pour Héraclius* ;
les gouverneurs impériaux eux-mêmes n'attendaient qu'un
signal pour abandonner Phocas •. L'exarque se décida à agir
par les armes. Une forte avant-garde alla prendre possession
de la Pentapole '; et, à sa suite, Nicétas, le fils de Grégoire,
1. Chron. patchale (éd. Bonn), p. 708.
2. Jeao de Nikioa, p. 54t-542.
3. Théophane, p. 298. Cf. Isidore PaceoBis (Pair., lat,, XCVI, 1253).
4. Jean de Nikiou, p. 543-544 ; Chron. pasc, p. 699.
5. Jean de Nikiou, p. 541.
6. W., p. 551.
7. id., p. 541.
520 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
avec une nombreuse armée que venaient grossir en foule les
contingents indigènes, pénétra en Egypte et s'y maintint
malgré toutes les attaques des généraux de l'empereur '. Puis,
tandis que Nicétas, suivant la route de terre, miarchait à travers
la Syrie et l'Asie Mineure sur Constantinople ■, Héraclius,le
fils du patrice, s'embarquait avec le reste des troupes sur l'es-
cadre de guerre rassemblée à Carthage, et^ attachant au màt
de ses vaisseaux, comme un gage de victoire, Timage vénérée
de la Théotokos, il mettait à la voile pour l'Orient »• On sait
la suite des événements. La tyrannie de Phocas l'avait rendu
si universellement odieux qu'il suffit de la seule approche
d'Héraclius pour provoquer une révolution dans la capitale;
les victimes de tant de cruautés impériales attendaient impa-
tiemment leur libérateur; Priscus était tout prêt à trahir,
avec les troupes qu'il commandait; aussi le basileus se dé-
fendit-il à peine. Fait prisonnier, traîné devant le vainqueur,
il fut, avec les principaux de ses partisans, abandonné à la
fureur du peuple. Le trône était vacant; malgré la convention
conclue au départ de Carthage, et qui réservait l'empire à
celui des deux cousins qui serait assez heureux pour renverser
Phocas*, Héraclius semble avoir éprouvé quelque répugnance
à accepter le pouvoir; il essaya de se dérober, déclarant
qu'ayant vengé Maurice et délivré ses proches, il n'aspirait
qu'à retourner en Afrique auprès de son père '; finalement il
dut céder aux instances du sénat et du peuple, et, le 5 octobre
610, il reçut, dans l'église de Saint-Etienne, la couronne impé-
riale des mains du patriarche Sergius.
n
L'Afrique venait de faire un empereur; non seulement elle
1. Jean de Nikiou, p. 541, 545-547, 550.
2. Théophane, p. 298 ; Nicéphore, p. 3-4.
3. Ibid.; Jean de Nikiou, p. 551.
4. Théophane, p. 297.
5. Chron. pose, p. 708; Nicéph., p. 5.
L'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE D*HËRACLIUS (610-641) 521
avait pris Tinitiative da mouvement insarrectionnel, mais ses
habitants s'étaient àl'envi enrôlés sous les drapeaux d'Héra-
clius ; non seulement la population des villes lui avait avec
empressement fourni des soldats^, mais àTappelde l'exarque
les tribus indigènes elles-mêmes avaient envoyé leurs contin-
gents pour servir sur la flotte et dans Tarmée ' ; et, après la
victoire, la province, légitimement fière d'avoir donné un sou-
verain à Byzance, multipliait à Tégard de la dynastie nouvelle
les marques de son dévouement >. A ce titre déjà, l'Afrique
eût mérité la reconnaissance toute particulière et la faveur du
nouveau prince ; d'autres raisons par surcroît la recomman-
daient tout spécialement à sou affection: c'est à Garthage qu'il
avait passé les plus belles années de sa jeunesse, s'instruisant,
sous la direction de son père, au métier d'homme de guerre et
d'administrateur; c'est en Afrique qu'il avait rencontré et
aimé Eudocîe, la fille de Rogatus, dont la captivité, on Ta vu,
n'avait pas peu contribué à précipiter le soulèvement, et dont,
au lendemain de sa victoire, il fit en un même jour sa femme
et l'impératrice de Byzance *; et quoique la jeune souveraine
soit morte après deux années seulement de mariage, quoique
Héraclius semble s'être assez vite consolé de sa perte, pour-
tant il garda toujours un réel attachement au pays qui avait
été le berceau de ses premières ambitions et de ses premiers
rêves. On en trouve une preuve fort curieuse dans la résolu-
tion que l'empereur manqua prendre en 619.
La situation de l'empire en Orient semblait à ce moment
presque désespérée. Coup sur coup, les Perses, venaient de
conquérir la Syrie, la Palestine, l'Egypte'*; de nouveau les
1. On peat voir dans Jean de Nikiou, p. 553, une preuve de l'intérêt pas-
sionné que l'Afrique prenait à Texpédition d'fléraclius.
2. Théophane, p. 298; Nicéph.,p. 3: Ix tûv ''Açpciïv xat Mavpou(T{(Dv ; Jean de
Nikiou, p. 541, 551.
3. Quand Héraclius parvint à rempire> les gens d'Afrique, dit Jean de
Nikiou, proclamaient ses mérites en disant : Cet empereur Héraclius sera
comme Auguste » (Jean de Nikiou, p. 552).
4. Théophane, p. 298 : tt|v OuyaTépa ToyS xoO ''Açpou, et iàid., 299.
5. id.,p. 301; Nicéph.,p. 9. Sur la date de ces événements, cf. Gelzer, Chai'
522 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
soldats deChosroès campaient en face de Gonstantinople, sous
les murs de Chalcédoine * ; et comme si ce n'était pas assez
de ces cruels désastres, d^autres misères s'abattaient sur By-
zance : les blés d'Egypte manquant, la famine se déclarait
dans la capitale; bientôt la peste venait y ajouter ses rava-
ges ■ ; il semblait vraiment que Dieu, qui avait permis que,
dans le sac de Jérusalem, la sainte croix tombât aux mains
des infidèles, se fût pour toujours détourné de son peuple.
Héraclius, profondément abattu par tant de catastrophes, ne
sachant où trouver les ressources nécessaires pour sauver
Tempire, songea un moment à abandonner pour toujours cet
Orient qu'il ne pouvait plus défendre ; et se souvenant dans
cette crise décisive du dévouement que l'Afrique gardait à sa
famille, il pensa à transporter à Carthage la capitale de la
monarchie '. Secrètement, il fit embarquer à destination de
l'Occident les richesses du trésor impérial ; un ouragan en-
gloutit les navires, comme si Dieu même se prononçait contre
kedon oder Karchedon {Rhein. Muséum, 1893), p. 171, 173, et pour la prise
d'Alexandrie, Thomas presbyter (Land, Ânecdota Syriaca, 1, 115).
1. Théophaoe, 301. De Boor lit Kap^YiSùv au lieu de KaXxT,dcdv et Bary
(H, p. 216, n. 3; se demande si vraiment il ne s'agit pas de Carthage, à caase
du mot Ai6uY] qui figure dans ce passage de Théophane, et s*il n*y a pas
quelque rapport entre ce fait et le dessein d'HéracIius d'émigrer à Carthage.
Mais Nicéphore (p. 9) parle nettement de Chalcédoine et la Chronique pascale
(p. 706) précise en écrivant : « à Chalcédoine et aux environs de Chrysopolis ».
Sur cette discussion, cf. de Boor, Zur Chronographie des Theophanes {Her-
mès, 1890, t. XXV, p. 301), qui admet Texpédition des Perses sur Carthage, et
Gelzer, Chalkedon oder Karchedon (Rhein. Muséum, 1893, p. 163) qui dé-
montre qu'il s'agit de Chalcédoine dans le texte de Théophane. On peut citer
en faveur de celte opinion le passage de Tabari (Nôldeke, p. 291-292) où il
est dit que les Perses occupèrent « l'Egypte, Alexandrie et la Nubie », sans
qu'il soit question de l'Afrique. Toutefois, à un autre endroit, Tabari em-
prunte à Hisam ben Mohammed el-Kelbi (mort en 820), celte information, que « la
cavalerie de Chosroès II parvint jusqu'à Constantin opie et enlfrikiya » (Nôl-
deke, p. 352).
2. Nicéphore, p. 12.
3. Morcelli, III, p. 358, croit que, dès 615, Héraclias pensa à envoyer ses
enfants en Afrique près de son père et à abdiquer. Cette erreur vient de ce
qu'on a mal compris le passage de la Chronique pascale (p. 708) ; il s'agit
évidemment dans ce texte de l'hésitation qu'Héraclias eut en 610 à accepter
l'empire.
L'AFRÎQUE SOUS LE RÈGNE D'HÉRACLIUS (610-641) 523
les desseins du basileus. Néanmoins Héraclius s'obstinait à
partir: mais quand le peuple de Constanlinople apprit cette
résolution, ce fut dans la ville une consternation générale;
solennellement le patriarche Sergius vint rappeler au prince
les devoirs qu'il semblait près d'oublier, et dans Sainte-Sophie,
au pied des autels, il exigea de l'empereur le serment de ne
jamais abandonner sa capitale. Héraclius céda, quoique à
regret, aux désirs de ses sujets et à l'énergique volonté de
Sergius * : il en devait être récompensé par un regain de
gloire. Pendant quelques années, la fièvre religieuse allait
faire de lui le sauveur du christianisme et de l'empire, et,
suivant l'expression d'un de ses panégyristes, le champion et
le « lieutenant de Dieu » •.
Après cet épisode significatif, il n'est plus fait mention de
l'Afrique dans aucun des historiens du règne d'Héraclius.
Pourtant quelques indices épars attestent Timportance qu'eut
toujours la province aux yeux de l'empereur, et sa sollicitude
se manifeste en particulier dans le choix des personnages
qu'il appela à la gouverner. Au lendemain de la révolution de
610, le père de l'empereur, le vieil Héraclius, conserva la
charge d'exarque qu'il remplissait depuis tant d'années, et il
demeura en fonctions jusqu'à sa mort. Jean de Nikiou raconte
en effet que, peu de temps après le couronnement de son fils,
« Héraclius tomba malade et mourut au siège même de son
gouvernement » *. Faut-il croire, comme on l'a affirmé, qu'a-
pfès la mort du patrice Héraclius *, on plaça à la tête de
l'exarchat Grégoire, son frère et son ancien lieutenant, et
qu'on nomma, dans ce gouvernement de l'Occident lointain,
le propre oncle de l'empereur ^ ? Bien qu'aucun texte ne
1. Nicéph., p. 12.
2. Cf. Bury, H, p. 218-219; Drapeyron, Héraclius, p. 107-110 et 114-118.
3. Jean de Nikiou, p. 553. Cf. Drapeyron, /. c, p. 15.
4. 1! était mort avant 617. A cette date la Chronique pascale (p. 708) lai
donne l'épithète d*dee((jivr)<TToç. Jean de Nikiou (p. 553) permet de croire
qu'il mourut Ters 611.
5. Drapeyron, p. 15» 108. Cf. Tauxier {Revue africaine, 1883, p. 242).
524 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
vienne ici confirmer cette assertion, l'hypothèse n'est pas in-
vraisemblable. Toutefois Grégoire ne resta point fort long-
temps à Carthage : il semble bien qu'aux environs de Tan-
née 617, l'Afrique avait pour gouverneur le patrice GaesariusV
Mais en tout cas, il est certain que, quelques années plus tard,
de nouveau la province fut confiée à un prince de la famille
impériale. C* était Nicétas, le Sis de Grégoire et le cousin du
basileus, celui-là même qui avait si puissamment aidé Héra-
clius à renverser Phocas. Investi, en récompense de ses ser-
vices, de la haute dignité de comte des excubiteurs*, chargé
pendant plusieurs années du commandement des troupes sur
la frontière perses, il avait reçu en outre l'important gouver-
nement d'Egypte*; traité par l'empereur comme un véritable
frère *, il jouissait à la cour d'une faveur sans égale*, et par
les fiançailles de sa fille Gregoriaavec Théritier présomptif de
l'empire', il était vraiment sur les marches du trône. G'estce
grand personnage qu'Héraclius ne jugea point inutile de nom-
mer au gouvernement de l'Afrique *. L'Egypte venait d'être
envahie par les Perses (619) ; de sérieux périls menaçaient
l'Occident byzantin ; cela seul eût suffi à expliquer le choix
du prince. Mais en outre c'était devenu une tradition de la
1. C'est une hypothèse de Gelzer (Georg. Cypr., p. xui). On trouve en 615
un patrice Caesarins négociant avec Sisebuth pour terminer la guerre en
Espagne (Mon. Germ, hist.j Epist.^ UI, 662 sqq.), et on peut se demander, les
possessions byzantines d'Afrique étant rattachées àlaMauritanie seconde, si ce
patrice n'est point l'exarque d'Afrique. 11 n'y a dans ces lettres aucun passage
vraiment décisif. On lit seulement, p. 664 : « etsi in exleris degeam finibus»;
et à la p. 667, le roi transmet directement aux judices grecs le texte delà con-
vention préliminaire conclue entre lui et le patrice : ce qui semble indiquer
que celui-ci est éloigné des places d'Espagne. Mais la question reste doateuse.
2. Nicéph., p. 6.
3. Chron, pose, p. 703, 705.
4. Léontius de Néapolis, Fie de Jean V Aumônier (éd. Gelzer), ch. 12 (p. 23),
14 (p. 28), 15 (p. 30), 44 (p. 90, 91, 92) et la note de Gelzer, p. 129-130.
5. Nicéph., p. 6.
6. Jean Moschus^ dans Gelzer, l, c, p. 110.
7. Nicéph., p. 9.
8. AiTJYYjffiç tÎA>xw96Î^^? (Combefis, /. c, I, 324). Cf. Gelzer, l. c, p. 130-
131.
L'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE D'HÉRAGLIUS (610-641) 525
politique impériale de confier aux parents du basileus les
charges les plus importantes du gouvernement. Maurice et
Phocas Tavaient fait pour leurs proches *. Héraclius, de même,
éleva son frère Théodore à la dignité de curopalate, et lui
coufia à plusieurs reprises le soin de combattre les Perses et
les Arabes'; à son neveu Théodore il donna le titre fort con-
sidérable de magistros^\ à son cousin Nicétas, fait comte des
cxcubiteurs,il avait confié TÉgypte pendant de longues années.
Quoi d'étonnant à ce qu'il ait voulu placer en des mains sûres
le gouvernement de la lointaine Afrique? C'est entre 619, date
où Nicétas quitta TÉgypte* et 629, date où nous savons qu'il
était mort •, qu'il faut placer Tadministration du patrice Nicé-
tas.
Plus tard, un autre prince encore, apparenté à la maison
souveraine, gouverna l'exarchat d'Afrique, si du moins on
accepte la séduisante conjecture qui reconnaît dans le patrice
Grégoire le propre fils de Nicétas •. Au vrai, l'hypothèse est
des plus vraisemblables. Certes on ne saurait tirer des con-
clusions certaines du nom que porte le personnage; il faut
bien remarquer pourtant que le père de Nicétas s'appelait Gré-
goire et sa fille Gregoria'. Un autre témoignage atteste que
cette branche de la famille impériale, établie en Afrique de-
puis deux générations, resta assez intimement attachée à la
1. Bury, U, p. 210.
2. Nicéph., p. 7;Théophane, p. 315, 327, 337.
3. Nicéph., p. 25.
4. Geizer, /. c, p. 130.
5. Nicéph., p. 21.
6. Bury, H, p. 287 ; Tauzier, Le patrice Grégorius (Revite africaine, 1885,
p. 284);Gelzer, /. c, p. 131.
7. Je ne sais où Ton pread un Gregorias frère d'Héraclius (Bury, II, p. v;
Tauzier, l. c, p. SOO-301). De Boor se trompe eu effet à ce sujet dans l'index
de Nicéphore (p. 240). On connaît seulement par Théophane un Grégoire,
neveu d*Hèraclius, qui mourut, en 651-52 à Héliopolis, prisonnier des Arabes
(Théophane, p. 345). Tauxier, /. c, veut identifler ce personnage avec le pa-
trice d'Afrique, qui serait, selon lui, tombé en 647 aux mains des musulman^ :
il faut plutôt y reconnaître, ce semble, le Grégoire, fils de Théodore, qui en
649-50 fnt remis comme otage aux mains de Moaviah.
526 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
province : lorsque, en 628 ou 629, on célébra le mariage de
Gregoria avec le jeune empereur Héraclius Constantin, la
fiancée, quoique son père fût déjà mort à cette date, vivait
dans la province de Pentapole* ; ce qui semble peu explicable,
à moins d'admettre que la famille de Gregoria possédait des
propriétés dans cette région, ou qu'un de ses membres y rem-
plissait une charge administrative. Enfin il est naturel qu'Hé-
raclius ait reporté sur le fils de Nice tas la faveur dont il avait
comblé le père, et qu'à ce personnage, beau-frère de Théritier
du trône, il ait remis en toute confiance l'important gouverne-
ment d'Afrique, devenu en quelque sorte héréditaire dans sa
famille : cela surtout en un moment où Tinvasion arabe sem-
blait de plus en plus menacer cette province, et où le pays, on
le verra, tendait par surcroît à s'affranchir de l'autorité de
l'empereur. J'ajoute que, dans cette hypothèse, on comprend
mieux bien des détails du soulèvement que Grégoire tenta en
646, et l'appui universel qu'il trouva dans un pays dévoué de
longue date à sa race ', et la sympathie qu'il rencontra dans
tout rOccident, hostile à la descendance directe d'Héraclius',
et désireux pourtant de ne point se détacher de l'empire, et
enfin les motifs mêmes qui décidèrent l'exarque à se proclamer
empereur.
Ce sont là, je le sais, de simples conjectures ; pourtant la
présence certaine d'Héraclius l'ancien et de Nicétas àla tète de
l'administration africaine leur donne une grande probabilité ;
elles ne tirent pas moins de vraisemblance de ce fait, que TAfri-
quesemble avoir été, sousle règne d'Héraclius, une des parties
les plus prospères de la monarchie, qu'elle fut visiblement aussi
Tune de celles pour qui l'empereur témoigna la plus attentive
sollicitude. Vers le milieu du vu* siècle, l'Occident semblait
vraiment le plus sur boulevard de Tempire; en 619, on l'a vu,
Héraclius songeait à se retirer à Carthage; en 662, son pelil-
i.Nicéph.,p. 21.
2. Théophaue, p. 343.
3. P. G., XC, p. 111.
L'AFKIQUE sous le règne D*HÉRAGLUJS (610-641) 527
fils, Constant II, pensait à rétablir à Rome la ca^pitale de la
monarchie, et, en fait, il transportait pour six ans en Sicile le
siège de l'autorité impériale *.
Et en effet, des rares événements qui nous font entrevoiries
destinées de TAfrique byzantine dans la première moitié du
vu® siècle, on peut conclure que jamais la province ne fut plus
tranquille et plus florissante*. Pour qu'en 610 Texarque Héra-
clius n*ait point hésité à dégarnir TAfrique des forces nom-
breuses qu'il confia à son fils et à son neveu, il faut évidem-
ment que le pays ait été parfaitement calme ; et la facilité avec
laquelle le gouverneur révolté recruta des soldats parmi les
indigènes atteste qu'à cette date les tribus berbères étaient
entièrement soumises. Pour qu'en 619 l'empereur Héraclius,
qui connaissait par un long séjour la situation des provinces
africaines, ait songé à transporter à Carthage le siège de la
monarchie, il faut qu'à ce moment le pays ait été complète-
ment pacifié et singulièrement prospère ; on ne comprendrait
point sans cela que le prince eût pensé à chercher dans TOcci-
dent un sûr et tranquille asile, qu'il eût espéré y trouver les
éléments d'une sérieuse et durable résistance. Et, de fait, nous
constatons qu'à cette date l'influence byzantine semble s'é-
tendre au loin à travers TAfrique. Grâce à l'active propagande
des missionnaires, de toutes parts les conversions se sont
multipliées. Dans le sud de la Byzacène, de nombreuses po-
pulations chrétiennes habitent les oasis du Djerid ^; lareligion
catholique pénètre parmi les tribus de l'Aurès et du Zab '" ;
dans laMaurétanie Césarienne, les Zenata qui peuplent la ré-
gion au sud de Tlemcen professent le christianisme ^ ; la puis-
sante confédération desAuraba est convertie à l'orthodoxie *;
un grand état indigène et catholique existe aux environs de
1. Cf. Bury, 11, p. 297-299.
2. Cf. Bury, U, p. 203, 212, 219.
3. U)n Khaldoun, Rist. des Berbères, I, p. 231.
4. Ibid., in, p. 191 ; Recueil de ConsL, 1873-74, p. 226.
:i. IbQ Khaldoun, I, p. 212 ; IH, p. 191.
6. Ibid., I, p. 211.
528 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Tiaret *. Et non seulement des chrétientés se rencontrent dans
rintérieur de la Maurétanie Césarienne et de la Tingitane ;
mais — et voilà qui est vraiment significatif — les évoques
de ces diocèses lointains viennent assister aux conciles de
Carthage ■. Or ce fait demeure inexplicable, si Ton n'admet
deux choses: d'une part, qu'une paix profonde, sans laquelle
les communications eussent été proprement impossibles,
régnait alors en Afrique ; de Tautre, qu'entre les princes ber-
bères de la Césarienne et l'autorité impériale existaient des
relations cordiales^ sans lesquelles les évèques n'auraient pu
entretenir nul rapport avec les prélats du pays byzantin *.
On peut croire également qu'au point de vue matériel, ia pro-
vince était riche et prospère. D'activés relations de commerce
existaient entre l'Afrique et l'Egypte*, entre l'Afrique et la
Sicile* : les vaisseaux de Carthage portaient, on l'a vu,
chaque année à Byzance une partie des blés nécessaires à
Talimentation de la capitale; et l'état où se trouvait l'A-
frique, au moment de l'invasion arabe, atteste qu'elle avait
complètement réparé les désastres de l'époque de Justinien.
Les écrivains musulmans parlent avec enthousiasme de la
luxuriante végétation de l'Afrique, de la richesse de ses villes,
du butin prodigieux qu'y trouvèrent les soldats du khaUfe,
des rançons immenses dont les populations achetèrent la
retraite des envahisseurs. « Depuis Tripoli jusqu'à Tanger,
dit En-Noveiri, tout le pays n'était qu'un seul bocage et une
succession continuelle de villages » * ; et Ibn Abd-el-Hakem
raconte cette anecdote caractéristique : « Voyant les pièces
monnayées qu'on avait mises en tas devant lui^ Abdallah
1. Fournel, 1, p. 167-168.
2. Byz. Zeitschr., II, p. 26 et 30-34.
3. Sur ces relations, qui semblent avoir parfois abouti à une véritable suze-
raineté byzantine, voiries textes précédemment cités dlbn Rhaldoun (I, p. 208;
III, p. 191-192) parlant d'un impôt payé par les tribus au gouvernement impé-
rial.
4. Vie de Jean rAumônier (éd. Gelzer), p. 23, 40, 54-55.
5. Vie de Grégoire d'Agrigente {P. G., XCVUI) ch. 7-8 (p. 559), 19 (p. 579).
6. £n-Noveiri (Joum. osiaL, 1841), p. 559.
L'AFRIQUE SOUS LE RÉGNE D'HÉRACLIUS (610-64«) 529
ibn Saad demanda aux Africains d'où cet argent leur était
venu; et Tun d'entre eux se mit à aller de côté et d'autre,
comme s'il cherchait quelque chose, et, ayant trouvé un^ olive,
il l'apporta à Abdallah. « Les Grecs, répondit cet homme,
n'ont pas d'olives chez eux, et ils viennent chez nous acheter
de l'huile avec ces pièces de monnaie *. » Certes il y aurait
quelque naïveté à prendre entièrement à la lettre les merveil-
leux récits des historiens arabes ; cependant, il est permis de
croire qu'il y a ici, dans leurs affirmations, un fonds de vérité.
Dans les steppes aujourd'hui désertes qui s'étendent au
sud de Kairouan, dans les vastes plaines abandonnées qui
bordent les versants septentrionaux de l'Aurès, dans la région
montagneuse qui couvre le centre de la Tunisie, à chaque pas,
on rencontre les ruines de villes, petites ou grandes, de gros
villages, de vastes et nombreuses exploitations agricoles ; or,
nous avons la preuve que, malgré la guerre et les ravages des
nomades, la plupart de ces points étaient occupés encore vers
le milieu du vn« siècle : c'est de celte époque en effet que
datent en grande partie les fortins qui s'élèvent au centre ou
à proximité de chacune de ces ruines. Toute cetle vaste ré-
gion, où l'on ne rencontre plus guère de nos jours que des
campements de nomades, était alors, en grande partie^ habi-
tée d^une manière permanente et mise en culture par de labo-
rieuses populations : au xi^ siècle encore, dans les environs
de Gafsa, on comptait « plus de deux cents bourgades floris-
santes et bien peuplées » * ; à Sbiba «r les eaux abondaient
ainsi que les fruits »; dans la vaste plaine déserte qui envi-
ronne Kairouan, le pays était admirablement fertile*; de
Kairouan jusqu'à Ebba, c'était une succession continuelle de
« villages et de lieux habités »^; à Djeloula, à Lorbeus, où
aujourd'hui il ne reste rien, on voyait de magnifiques jardins
1. Ibn Abd-el-Hakem {Journ. asial.y 1844), p. 363 30 i.
2. El-BekrJ (Journ. asiat., 1858), p. 529-530.
8. /d., 1859, p. 59, 396; Ibu Ilaukai {Journ, asiuL, 1842), p. 214-215.
4. El-Bekri, 1858, p. 473, 419.
5. Id., 1859, p. 69.
I. 3i
530 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
et une végétation luxuriante ^ Je ne parle point de la riche
vallée de la Medjerda, où Badja était encore « le grenier de
rifrikiya » ' ; mais sur le haut plateau numide, à Tébessa^ à
Bagai, « les environs, arrosés par des ruisseaux, étaient cou-
verts d'arbres fruitiers, de champs cultivés et de pâturages » *;
la grande plaine du Bellezma était « couverte de villages et de
champs cultivés »* ; dans TAurës « les eaux abondaient et l'a-
griculture était florissante » ^ ; et au sud même du massif mon-
tagneux, sur la lisière actuelle du désert^ Badis montrait
« des champs magnifiques en plein rapport » qui, comme au
temps de Corippus, produisaient deux récoltes par an *.
Certes, je ne prétends point que des témoignages d'El-Bekri
ou d'Ibn Haukal il faille rien conclure sur l'état de l'Afrique
au temps d'Héraclius; pourtant, si après tant de guerres
intestines, d'invasions, de désastres, elle offrait encore, au
xi« siècle, cet aspect florissant dans les régions mêmes que
nous voyons, au vii^ siècle, occupées par les populations
soumises à Byzance, ne pouvons-nous croire que dans le
même pays, dans des conditions assez analogues, ces popula-
tions aussi connurent une semblable prospérité? £n tout cas,
ce qui est certain, c'est qu'au milieu du vn** siècle encore on
trouvait dans l'Afrique byzantine du loisir pour éleverquelques
édifices, et cela jusque dans les villes situées, bien loin de
la côte, dans les parties les plus méridionales du haut pla-
teau numide. Les deux seules inscriptions sûrement datées
que nous possédions de cette époque proviennent. Tune de la
banlieue de Tébessa, l'autre des ruines de Timgad ^; toutes
deux rappellent la construction de quelques monuments, et
ces monuments ne sont point, comme on pourrait croire, des
1. EUBekri, 1858, p. 489-490, 527-S28.
2. ld„ 1869, p. 76. Cf. Ibn Haukal, l. c, p. 180.
3. El-Bekri, 1859. p. 60; ïbû Haukal, p. 216-217 ; EI-Bekri, !859, p. 60, 396.
4. Êl-Bekri, 1859, p. 61-62.
5. IbQ Haukal, p. 217.
6. El-BekTi, 1859, p. 131.
7. C. /. £., Vin, 10681, 2389.
L'AFRIQUE SOUS LE RÈGNE DHÊRACLIUS {610-641} 331
ouvrages de fortificalion ; à la veille même de rinvasion
arabe^ un fonctionnaire byzantin trouvait le temps de réparer
une église dans la cité de Thamugadi.
III
Pourtant quelques ombres attristaient cette prospérité et
faisaient pressentir la décadence prochaine. Dans Fextrème
Occident, Texarchat perdait la plus grande partie des posses-
sions d'Espagne qui, depuis la fin du vi« siècle, faisaient par-
tie de la Maurétanie seconde. Vers 615, le roi des Wisigoths,
Sisebuth, profilait des embarras pressants que causaient à
l'empire les attaques des Avares et l'invasion encore plus
menaçante des Perses ; en deux sanglantes batailles, il écra-
sait les troupes impériales, il emportait d'assaut plusieurs des
villes grecques, bloquait par terre et par mer celles qui étaient
situées sur la côte * et obligeait le palrice Caesarius à implo-
rer la paix*. Elle fut, vers 616, ratifiée à Constantinople: Hé-
raclius se résignait à abandonner une grande partie du terri-
toire jadis conquis par Justinien *. Un peu plus tard, sous le
règne de Svinthila (621-631 ), ce furent de nouveaux désastres ;
les officiers grecs qui commandaient en Espagne se laissèrent
battre ou gagner par leur énergique et habile adversaire; les
villes demeurées sous Tautorité impériale tombèrent presque
toutes aux mains des Wisigoths*. Bientôt, du côté de Test, un
nouveau péril s'approcha des frontières de l'Afrique ; en 640,
1. Isidore de Séville, Chronique {éd. Mommscu, p. 479); UisL regumOotk,
(ibid., p. 291, 295).
2. Cf. les lettres eatre Caesarius et Sisebath (Mon. Germ. hist,^ EpisL, III,
662 sqq.).
3. Cf. Dahn, Die Kànige der Germanen, V, p. 178-179.
4. Isid. de Séville, Chronique, p. 480 et Hisloria [l. c, p. 292); Dahn, /. c, V,
p. 185. Pourtant toutes les places grecques ne furent pas conquises. A la fin
du v]i« siècle, il existe encore un territoire byzantin en Espagne (P. G., XCVIll,
686, 698; Jaffé, 2121 et Duchesne, Bibl. de VÈcole des Charles, 1891, p. 19).
532 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
les Arabes envahissaient TÉgypte, et le contre-coup de ce
grave événement se faisait sentir jusque dans l'exarchat*. Faut-
il croire qu'à cette date laTripolitaine, devenue ainsi, contre
rinvasion musulmane menaçante, le boulevard avancé de la
province, fut, comme au temps de JusLtinien, replacée sous
l'autorité suprême du patrice qui résidait à Garthage? Les bis*
toriens arabes affirment que l'autorité de Texarque Grégoire
s'étendait de Tripoli jusqu'à Tanger ■, et il semble assez vrai-
semblable qu'on ait, à ce moment, concentré entre les mêmes
mains toutes les forces byzantines cantonnées dans le nord
de TAfrique. Mais contre le danger pressant, Texarchat était-
il vraiment capable de faire une' sérieuse résistance? En
apparence, la province était prospère: la domination, ou tout
au moins l'iniluence byzantine, s'étendait au loin dans le pays;
l'administration demeurait constituée selon les principes fixés
à la fin du vi^ siècle '. En fait, des causes internes de désor-
ganisation préparaient lentement en Afrique la ruine de l'au-
torité impériale, et elles devaient avoir pour effet de livrer la
province presque sans défense à la première attaque des mu-
sulmans.
\. p. G., xc, ill.
2. Ibo Abd-el-Uakein (Joura. asial., 1844), p. 360; EUBeladori, ibid.,
p. 353.
3. P. L., LXXX, 478
LIVRE V
LA CHUTE DE U DOMINATION BYZANTINE
EN AFRIQUE
(641-709)
LIVRE V
LA CHUTE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
(641-709)
CHAPITRE PREMIER
LES G\USES INTERNES DE LA DÉCADENCE
Vers le milieu du w\^ siècle, la dominalion byzantine s'é-
tendait encore, au moins en apparence, sur la plus grande
partie des territoires qui, cent ans auparavant, reconnais-
saient Tautorité impériale. En Tripolitaine, les garnisons
grecques occupaient les villes du littoral, Tripoli, Sabrata,
Gabës'; les frontières de la Byzacène atteignaient, comme
autrefois^ le bord septentrional des Ghotts, et parmi les villes
importantes de la province on citait, sur la côte, lunca, The-
nae, Ruspae, Leptis, Hadrumète', et, dans Tintérieur des
terres, Thysdrus, Autenti, Sufetula, Thélepte, Capsa*. En
Numidie, les Byzantins possédaient toujours les puissantes
citadelles construites au vi® siècle au pied des massifs de
1. Ibo Abd-el-Hakem (Joum. anal., 1844, p. 357-359); En-Noveiri (Jourtu
asiat.f 1841, p. 102) ; Fooroel, Uê Berbera, I, p. 18 et 22 Dote e.
S. Labbe, VI, 138-139.
S. 7(2., VI, 138-139; Eo-Noyeiri, l. c, p. 109.
532 HISTOIRE DE L\ DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
les Arabes envahissaient TÉgypte, et le contre-coup de ce
grave événement se faisait sentir jusque dans l'exarchat*. Faut-
il croire qu'à cette date la Tripolitaine, devenue ainsi, contre
rinvasion musulmane menaçante, le boulevard avancé de la
province, fut, comme au temps de Ju^tinien, replacée sous
l'autorité suprême du patrice qui résidait à Carthage? Les his-
toriens arabes affirment que l'autorité de Texarque Grégoire
s'étendait de Tripoli jusqu'à Tanger ', et il semble assez vrai-
semblable qu'on ait, à ce moment, concentré entre les mêmes
mains toutes les forces byzantines cantonnées dans le nord
de l'Afrique. Mais contre le danger pressant, Texarchat était-
il vraiment capable de faire une' sérieuse résistance? En
apparence, la province était prospère: la domination, ou tout
au moins rintluence byzantine, s'étendait au loin dans le pays;
l'administration demeurait constituée selon les principes flxés
à la fin du vi* siècle *. En fait, des causes internes de désor-
ganisation préparaient lentement en Afrique la ruine de l'au-
torité impériale, et elles devaient avoir pour effet de livrer la
province presque sans défense à la première attaque des mu-
sulmans.
4. P. G., XC, ill.
2. Iba Abd-el-Hakem (Journ, asial., 1844), p. 360; EUBeladori, ibid.,
p. 353.
3. P. L., LX\X, 478
LIVRE V
LA CHUTE DE lA DOMINATION BYZANTINE
EN AFRIQUE
(641-709)
/
y
540 HISTOIRE DE Lk DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
berbère * ; et en effet elle groupait autour d'elle toute une confé-
dération de peuplades indigènes. Plus à l'ouest, les tribus des
Zenata couvraient les hauts plateaux de la Maurétanie Césa-
rienne ; et parmi elles, les Berghouata tenaient le premier
rang dans le Maghreb-el-Aksa *. Or, si la plupart de ces popu-
lations pratiquent le christianisme, beaucoup pourtant sont
juives ou idolâtres * ; si plusieurs d'entre elles se piquent de
rester fidèles àTalliance byzantine, déjà la plupart ne suivent
que leurs intérêts particuliers, et sans résistance elles accep-
teront, pourvu qu'elles y trouvent avantage, la religion et la
domination musulmanes ^. Sans doute elles ne sont point
encore affranchies de tout lien avec Byzance ; mais Ibn
Khaldoun constate que vers la fin du règne d'Héraclius les in-
digènes cessèrent de payer l'impôt au gouvernement grec '
et arrachèrent à sa faiblesse toutes sortes de privilèges ; vers
le même temps^ l'historien arabe montre les Byzantins reculant
insensiblement devant les indigènes, repliant leurs garnisons
dans les grandes villes de la province, abandonnant aux Ber-
bères les campagnes et le plat pays, et se contentant d'une
suzeraineté plus ou moins incertaine sur leurs anciens sujets
devenus presque indépendants *. Évidemment le moment est
1. Ibo RhaldouD, 1, p. 286.
2. Ibid , II, p. 124.
3. El-B^kri, cité par Ibn Khaldoun, I, p. 177; Ibn Rhaldouo, I. p. 208-209;
Hl, p. 19i-i92; I, p. 211. D'après Ibn KbaMoan, étaient juifa les Djeraoua de
rAurès, les Nefouça de la Tripolitatne, plusieurs tribus de la Maurétanie
(I, p. 208-209).
4. Cestce que montrera plus loin Thistoire de Koçéila et de la Rahéna.
5. Ibn Khaldoun, I, p. 208. On remarquera pourtant que, dans un autre
passage cité plus haut, Ibn Khaldoun (III, p. 191-192) contredit partiellement
cette affirmation.
6. On a voulu reculer à uue date beaucoup plus ancienne le changement
qui parait s'être produit au vu* siècle dans la situaUon des Berbères ▼is-à-^is
des Byzantins. Interprétant un passage d'El-Bekri cité par Ibn Khaldoun
(I. p. 177), Tauxier affirme que, dès Tépoque de Justin II, un arrangement
fut conclu entre Grecs et indigènes, en vertu duquel les impériaux demeu-
rèrent en possession des villes, tandis que les campagnes étaient entièrement
abandonnées aux Berbères {Revue africaine, 1880, p. 379-380, 384-385). H est
certain que les historieus arabes s'accordent à montrer les Byzantins reçu-
LES CAUSES INTERNES DE LA DECADENCE 541
proche où les grands chefs traiteront d'égal à égal avec l'au-
torité impériale, où les vassaux d'autrefois se transformeront
en de libres alliés. Faut-il aller plus loin encore, croire qu*à
côté des princes indigènes il y eut place, dans l'Afrique du
VII® siècle, pour « de petits barons féodaux d'origine ro-
maine» ^ grands propriétairesjouant sur leurs vastes domaines
lerôle de chefs de tribus etgroupant autour d'eux et sous leur
protection les habitants chrétiens de la région ? Faut-il croire
que l'administration byzantine, se contentant de recueillir les
impôts, laissa « les propriétaires d'origine romaine et les
chefs des tribus indigènes s'administrer comme ils l'enten.
daient ■ ? » Ce sont là d'ingénieuses conjectures, que Mas-
queray s'est complu à déduire des traditions berbères de
l'Aurès oriental ; on avouera pourtant qu'il est difficile de
faire beaucoup de fond sur les contes très légendaires de la
tribu des Amamra. D'ailleurs, Masqueray lui-même n'est
point pleinement assuré que « les sultans romains », dont
l'imagination populaire a gardé la mémoire, ne soient point
tout simplement des princes indigènes ^ ; aussi, quelque sédui-
sante que soit l'hypothèse, quelque curiosité qu'il y ait à re-
trouver dans les récits berbères des souvenirs historiques
étrangement déformés *, on n'acceptera qu'avec une extrême
réserve les assertions précédemment exposées. Aussi bien, un
lant devaot Télémeat indigène (Abd-el-Hakem, ffist. des Berh.^ I, p. 301 ;
£i-Bekri, /. c; Iba Khaldoun, I, p. 207-208; ill, p. 191-192); maid leurs in-
formations semblent bien plulAt se rapporter au moment de la première
invasion arabe. U est impossible, d'autre part, de tirer dn texte d'El-Bekri les
conclusions qu'on en yeut déduire : du reste l'histoire de TAfrique byzantine
tout entière à la fin du vi« siècle et au commencement du vu* vient démentir
ces assertions. Enfin Corippus n'a jamais fait, comme le déclare Tauxier,
nulle allusion à ce prétendu traité, et d'ailleurs les historiens arabes eux-
mêmes montrent, au vii« encore, la suzeraineté byzantine s'exerçant sur les
tribus berbères (Ibn Khaldoun, 1, p. 209 ; III, p. 192).
1. Masqueray, Bull, de Corr. afr., 111, p. 107-109.
2. Id., L c , p. 109.
3. Id , Formation des cités chez les populations sédentaires de l'Algérie,
p. 170.
4. Id , Bull.de Corr. afr , III, p. 100-101.
542 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
seul fait suffit pour attester la profonde désorganisation de
l'Afrique byzantine au milieu du vn» siècle ; c'est la reconsti-
tution — celle-là incontestable — de la nationalité berbère,
se groupant en de puissants États presque indépendants de
Tempereur.
II
D'autres causes encore, et plus graves, préparaient dans
Tei^archatla chute de la domination grecque.
La querelle du monothélisme» qui depuis plusieurs années
troublait profondément Tempire byzantin, avait eu, en Afrique
comme en Italie, un retentisSipmcnt considérable. L'Occident
tout entier s'était ému et scandalisé de VEcthesis publiée par
Héraclius, des lettres par lesquelles le patriarche Pyrrhus
essayait de conquérir des adhérents à la doctrine nouvelle ' ;
et les populations africaines, qui^ suivant l'expression d'un
contemporain, <( ne pouvaient pas même supporter d'entendre
le nom de Thérésie* », avaient accueilli avec indignation les
innovations que l'empereur tentait en matière de foi. Les
évoques de la province déclaraient, non sans quelque dédain,
« que toutes ces nouveautés naissaient d'un amour malsain de
la gloire, et que leurs auteurs les imaginaient uniquement
pour paraître plus subtils, plus perspicaces, plus sages que le
commun de leurs frères * » ; pour eux, fermement attachés
aux traditions de l'orthodoxie, ils se piquaient de suivre en
toutes choses les instructions du Siège apostolique ^ ; et
groupés autour de leurs pasteurs, non moins attentifs qu'eux
à écouter les conseils qui venaient de Rome, les fidèles étaient
prêts à résister contre toute entreprise faite sur leur foi. fia-
i, p. L., LXXX, 603, 606.
2. p. G., XGI, 464,
3. Labbe, VI. 129.
4. !d., VI, 128. 156; P. G , XCl, 141.
LES CAUSES INTERNES DE LA DÉCADENCE «43
bitués de long^ue date à regarder vers Rome plutôt que vers
Byzance, ils se sentaient maintenant plus éloignés encore d'un
empire qui blessait leurs convictions religieuses les plus
chères ; étroitement attachés à l'Église par Tardeur de leurs
croyances et l'enthousiasme d'une résistance commune, sans
trouble ils voyaient se relâcher les liens qui les rattachaient à
la monarchie ; pour défendre la pureté de l'orthodoxie, ils
étaient disposés à tout, même à une rupture ouverte, et
d*avance tout acquis à quiconque les sauverait de Thérésie.
Dans ces conditions, les moindres incidents pouvaient devenir
graves et entraîner pour la domination byzantine en Afrique
des conséquences irréparables.
Or, vers 640, les progrès de l'invasion arabe eurent pour
effet — assez inattendu — d'engager à fond la province dans
la lutte. religieuse. La conquête de la Syrie et de l'Egypte par
les musulmans faisait à ce moment refluer vers l'Afrique une
masse de populations chrétiennes, fuyant devant l'épée des /
envahisseurs : en particulier un grand nombre de prêtres, de
moines, de religieuses venaient demander à Carthage un
asile et des secours V Le préfet Georges, qui à ce moment di-
rigeait l'administration civile de la province % était un homme
1. Migoe, P. G., XCr, 459, 466, 462. La lettre de Tabhé Maximo, à laquelle
D0U3 empruntons les détails qui vont suivre, se rapportai de toute évidence à
TAfrique et à la date de 641. Les faits que raconte le moine se sont passés en
novembre de la XV* indiction : cette date convient également à 641 et à 626 ;
mais si l'on accepte 626, les événements deviennent peu iutellifj[ibles, et
Maxime k ce moment n'était d'ailleurs point encore en Afrique. Mais tout cet
épisode uc doit-il point se placer à Alexandrie ? c'est fort douteux. Outre que
le préfet Georges est nettement nommé ëicapxo; 'Açpix9î; (P. G., XCl, 364)
Tabbé parle expressément dans sa lettre : 1» des gens qui habitent TauTY]v ty)v
*A9p(i>v */(i>p2v, et ces termes désignent d'ordinaire l'Afrique propre (cf. Labbe,
VI, 127,131, 131, 139); 2<' des fugitifs àicb 'AXs^avSpstaç, ce qui place bien les
événements eu Afrique. Enfin nous connaissons fort exactement les noms des
préfets d'Egypte pendant les années 640 et 641. En 640 le titulaire de la pré-
fecture se nommait Anastase (Jean de Nikiou, p. 535, 574); ce personnage
fut rappelé par Constantin III (entre février et mai 641) et remplacé par Théo-
dore (t6td., p. 564, 573, 576), qui était encore en fonctions en 642. Jean de
Nikiou nomme à la vérité an préfet Georges en 640 (p. 559), mais c'est le
gouverneur de la ville d'Héliopolis.
2. Il portait, 11 semble, le surnom de Glykas {P. G , XCI, p. 392). Ma.^ime
544 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN APRIQUE
charitable et bon, plein de bienveillance pour les pauvres, les
faibles, les misérables, protégeant de toussesefTorlsIesinslitu*
tions de bienfaisance, et que sa vive piélé intéressait tout par-
ticulièrement aux infortunes de rÉglise \ Véritable « flambeau
de vertu », comme le dit un écrivain contemporain', toujours
prêt à donner libéralement, surtout lorsqu'il s'agissait du bien
de la religion et des monastères, ce personnage fit le meilleur
accueil aux exilés ; et sans compter il leur assura des abris et
le moyen de vivre, reconstituant les congrégations dispersées,
dotant largement les fondations nouvelles, comblant les reli-
gieux de ses bienfaits 3. Malheureusement, à côté des nom-
breux moines orthodoxes ainsi reçus dans la province, beau-
coup de Syriens, beaucoup d'Égyptiens venus d'Alexandrie et
des couvents de la Libye professaient Thérésie monophysite,
fort répandue dans ces régions : ils se mirent sans tarder à faire
une active propagande en Afrique, et les femmes surtout s'y
employèrent avec un zèle tout particulier. Bientôt des scan-
dales éclatèrent : on parla de jeunes filles converties contre le
gré de leurs familles et soustraites ensuite à toutes les re-
cherches de leurs parents ; on parla de baptêmes sacrilèges, de
cérémonies expiatoires, si bien que le préfet dut intervenir \
d'ailleurs sans obtenir aucun résultat. Bientôt, dans Tortho-
doxe Afrique, le peuple commença à murmurer contre les
agissements des novateurs, et le zèle religieux s'exaspéra à
ce point qu'on put craindre de voir une émeute éclater contre
les hérétiques. Le préfet, d'accord avec l'archevêque de Car-
thage, se décida à faire un rapport à l'empereur ; en même
temps il mettait au courant de l'affaire le patriarche de Cons-
lantinople et — chose plus remarquable — Tévêque de
joue YoloDtiers sur les Doms propres {ibid.^ 512, 534), mais le seul oom Je
Georges lui eût fourni d'autres jeux d'esprit (cf. ibid., 626) ; il faut donc
attacher quelque valeur au teste : tov ovtck); yXuxuv xat ôpcoiuvov «at
1. P. G.,XCI, 6i6-648. Cf. ibid., 371-374.
2. Ibid.y 648.
3. y^irf., 464, 391.
4. Jbid., 460-464.
LES CAUSES INTERNES DE LA DÉCADENCE 545
Rome *. A ce moment Héraclius était mort, et son Hls Cons-
tantin III était franchement orthodoxe * ; aussi Tordre vint-il
de Byzance d'expulser tous hérétiques qui persévéreraient
dans leur erreur, de répartir dans des monastères catholiques
les religieux qui refuseraient de rentrer au giron de TÉglise,
de confisquer les biens des congrégations récalcitrantes ' ; et
conformément au rescrit impérial, de gré ou de force on obtint
la soumission plus ou moins sincère des ecclésiastiques \
Mais malgré cette apparente conversion, duc principalement
au désir de rentrer en possession de leurs couvents, bientôt
les monophysites causèrent de nouveaux troubles dans le
pays ; de nouveau le préfet dut sévir, confisquer les propriétés
données par lui aux congrégations, menacer les dissidents de
toutes les sévérités impériales *. Mais, entre temps, de grands
changements s'étaient accomplis à Byzance : Constantin III
était mort à la fin de mai 641, et sous le règne d'Héraclonas,
grâce à Tinfluence toute puissante de l'impératrice douairière
Martine, le monothélisme était en pleine faveur. On le vit bien
lorsqu'en novembre 644 ordre fut donné au préfet d'aban-
donner toute poursuite contre les religieuses incriminées *.
Aussitôt, forts de la protection impériale, enhardis par le bon
accueil que trouvaient à la cour les évèques monothélites, les
hérétiques syriens et alexandrins commencèrent à relever la
tête ' ; mais c'est ici que l'affaire prend un tour vraiment
caractéristique. Lorsqu'on eut connaissance des lettres arrivées
de Byzance, ce fut dans la province une agitation extrême et
un véritable scandale ^ ; le peuple, comme l'Église, ne mena-
4. p. G., XGÏ, 464.
2. Zonaras, 11), p. 313 (éd. Dindorfj.
3. P, G., XCI, 464-465.
4. Jbid., 465.
5. Jbid.y 587, 590.
6. Jbid., 460. 11 semble bien, malgré rétrangelé du titre, que la Oeo^uXdcxTo;
icsTpixsa soit rimpératrice Martine ; il est en effet question des apxovTs; en-
voyés par elle pour administrer l'Afrique (lA/rf,, 460j.
7.76îd,,461.
8. Ibid., 460-461. Cf., sur ces sentiments d'hostilité, Jean deNikiou, p. 573
I. 35
K46 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
geait guère rimpéralrice hérétique, et bientôt le trouble fui
tel que, pour éviter de plus graves événements, le préfet,
serviteur dévoué de Tempire \ se résolut à déclarer que les
lettres étaient apocryphes*. En même temps, il produisait des
témoins qui déclarèrent solennellement que la souveraine
était « pure de toute hérésie, fidèle à Dieu, digne de toute
estime » ' ; et pour achever de calmer le mécontentement gé-
néral, prenant hardiment le contre-pied de ses instructions, il
fit arrêter ou battre de verges les dissidents sur qui on put
mettre la main \ Peu de temps après, probablement à la suite
de cet incident, le préfet fut invité à venir expliquer sa con-
duite à Constantinople ; et il partit, non sans inquiétude, se
sentant menacé d'une destitution fort probable *. Or, ici encore,
les sentiments des populations africaines se manifestèrent par
des détails significatifs ; le préfet paraît avoir été de tous
points un excellent administrateur, plein de douceur et de
bienveillance ; mais surtout il était Tami des églises, des mo-
nastères, le protecteur de tous ceux « qui aiment Dieu » * ; il
était — « chose plus précieuse que toutes », dit un contem-
porain — « le défenseur très zélé de la vraie foi apostoli-
que » \ et il venait d'en donner des preuves assez décisives.
Aussi, quand il s'embarqua pour Byzance.ce fut parmi les pro-
vinciaux une désolation générale ; on se pressait autour du
préfet, on s'écrasait pour le voir une dernière fois, on se répan-
dait en pleurs et en gémissements, on essayait presque de lui
fermer le passage vers le navire qui devait l'emporter *. Les
plus saints personnages s'employèrent en sa faveur pour lai
i. P, G.y XCI, 648.
2. Jbid , 460. On conseillait ouvertement du reste aux gouveroeurs
d*Arriqae de désobéir aax ordres de Mirtine et de son fils (Jean de Ni-
kiou, p. 573).
3. Jbid., 462.
4. làid., 460-461.
5. Ibid., 646, 366, 310.
6. Ibid.y 370.
7. Ibid., 646, 650.
8. Ibid,, 646.
LES CAUSES INTERNES DE LA DÉCADENCE 547
ménager un bon accueil à la cour; Tabbé Maxime suppliait
un familier de Timpéralrice de mettre en jeu toute son iu-
fluence pour qu'on renvoyai le préfet en Afrique * : d*après lui,
c'était plaire à Dieu et rendre à l'empereur un service émi-
nent, de faire réintégrer dans ses fonctions « ce serviteur
dévoué de la monarchie » *. On a vu où s'arrêtait au jusle
cette fidélité si vantée, et c'était assurément chose grave que
le principal tilre du préfet à la sympathie de l'Afrique fût pré-
cisément sa résistance aux ordres d'un empereur suspect
d'hérésie.
Dans l'aventure que nous venons de raconter, un des plus
fermes soutiens de l'orthodoxie avait été un moine venu
depuis quelque temps d'Orient en Afrique, le fameux abbé
Maxime,quidevait, dansla querelle du monothélisme,jouerun
rôle si considérable. Né en 580 à Byzance ^, il avait d'abord
été attaché à la chancellerie impériale, et avait tenu une assez
grande place à la cour d*Héraclius; puis, à une date que nous
ignorons, mais qui parait antérieure à 626 \ il avait embrassé
la vie monastique; et depuis lors on l'avait, dans tout l'Orient,
trouvé partout où il y avait une hérésie à combattre ^ Il
était à Alexandrie avec l'abbé Sophronius au moment où le
patriarche Cyrus s'efforçait, par la formule monothélite, de
rétablir l'union en Egypte ; et, comme son fougueux ami, il s'é-
tait nettement prononcé contre les auteurs de ces nouveautés
perverses/. Plus tard, voyant le progrès que faisait dans tout
l'Orient la funeste doctrine, il s'était transporté en Occident,
1. p. G., 642, 648.
2 Ibid,, 648.
3. 11 avait soixante-quinze ans en 655 (P. 0., XG, 127). Cf. Vita(ibid., 70).
4. Il semble en effet que les allusions qu'il fait à sa fuite devant Tinvasion
ennemie se rapportent au moment où les Perses vinrent assiéger Constanti-
nople en 626 (P. G., XCI, 446, 622). Elles n'ont de sens qu'à ce moment, et
Combefis s'est trompé en y cherchant l'explication du séjour de Maxime en
Afrique (F. G., XC, 224-223). tlles datent du moment où il avait quitté le
couvent de Chrysopolis pour se retirer en Egypte.
5. P. (;., XCI, 50, 142.
6. Ibid., 142.
548 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
OÙ l'Italie, l'Afrique et les îles, demeurées fidèles à la foi,
semblaient offrir à Torthodoxie un terrain de sérieuse résis-
tance, et où l'appui de la papauté permettait de lutter sans
désavantage contre les regrettables théories des Sergius et des
Cyrus *. Quoiqu'il soit impossible de déterminer avec certitude
la date de son arrivée en Afrique, on peut affirmer que, dès le
commencement de 640, il se trouvait dans cette province ".
Dans ce pays tout dévoué à l'orthodoxie, il rencontra naturel-
lement un excellent accueil; bien vile il devint Tami du saint
abbé Thalassius, l'une des gloires du monachisme africain,
dont les vertus^ la science, les miracles étaient célèbres dans
toute la province*. Les fonctionnaires impériaux ne le reçu-
rent pas moins favorablement : le préfet Georges combla de ses
bienfaits l'abbé et les fidèles, moines qui raccompagnaient \
et Maxime fut bientôt auprès de lui en assez grande faveur
pour devenir dans toutes les affaires religieuses son conseiller
de prédilection ^ En même temps, par ses prédications
ardentes, il relevait le courage des évèques africains; il leur
faisait comprendre la gravité du problème soulevé, et en les
initiant aux souples ressources de sa dialectique, il armait
pour la lutte ces prélats un peu rudes et simples, mal rompus
et assez indifférents aux subtilités de la théologie byzantine *.
Enfin, par sa fougueuse éloquence, il enflammait toutes les
1. Viia, c. 7, 14, (P. G , XC, 75, 82).
2. Viia, c. 14 [P. G., XC, 83). L'arrivée de Maxime est aolérieure à la mort
du pape Jean IV. Cr. Théophane, p. 331.
3. Dans la AiriYyjai; <{'ux<i>?eXi^; (Combefis, l. r., p. 325), il est a«sez loo^ue-
méat question de ce personnage, qoi gouvernait un monastère voisin de Car-
thage. Dès cette époque (entre 619 et 629) il était en grand renom de sainteté.
Le texte l'appelle 6 iiéya; 0aXao-aioc ô Osôo-oçoCf et dit qu'il était « rornemeDt
de toute l'Afrique » (n&aav ttjv 'Açpixriv xaTaxoajitjiyavTdi). Plus lard, Max'me fut
en étroites relations avec lui : plusieurs de ses lettres sont adr.-ssées à Tha-
lassius, pt c'est à la demande dn moine qu'il composa ses Q uae» lianes in Scrip-
turam^ dans la dédicace desquelles il déclare que rhigoumène est. « sel>>n la
parole du Seigucor, le sel de la terre et la lumière du mojide, par l'éclat de
ses vertus et Tahondance de sa science » (P. G., \G, 247).
4. P. G., XCI, 391.
5. P. G., XCI, 5S3. Cf. ih^d., 461 et 391.
6. VUa.c, 14 ^P. G., XC, 82-83).
LES CAUSES INTERNES DE LA DÉCADENCE 549
résistances et devenait vraiment en Occidenl le champion de
Torlhodoxie. « Non seulement, dit son biographe, les clercs et
les évftques, mais encore le peuple et les magistrats étaient
suspendus à ses lèvres et s'attachaient au saint comme le fer
s'attache à Taimant, ou comme les navigateurs se laissent
entraîner aux chants des sirènes de la fable ^ » Les efforts
même que le palriarche Pyrrhus faisait pour gagner au
monothélisme ce redoutable adversaire augmentaient dans
tout l'Occident le renom de Maxime '. On juge quelle
influence un tel homme devait acquérir dans la province,
quelle agilalion aussi il y entretenait. Parmi les paroles en
eiïet que prononçait le moine, quelques-unes étaient singuliè-
rement graves : non seulement il déclarait nettement aux
familiers du prince qu'il connaissait à Byzance, que protéger
ou même tolérer Thérésie était un scandale véritable et une
oiTense à Dieu'; mais il lui arrivait de dire que, tant que régne-
raient Héraclius et sa race, le Seigneur demeurerait hostile à
Tempire romain *, et on l'accusait d'user de son influence pour
déiourner de leur devoir d'obéissance les fonctionnaires pu-
blics En tout cas, il entretenait en Afrique le mécontentement
qu'avait créé le conflit religieux, et il exaspérait les tendances
déjà trop manifestes à résister au despotisme impérial.
La venue du patriarche Pyrrhus en Afrique et les circons-
tances qui accompagnèrent son séjour aggravèrent encore la
situation. Au mois d'octobre 641, à la suite des événements
politiques qui amenèrent au trône Constant II, petit-flls d'Sé-
raclius, Pyrrhus avait donné sa démission et quitté peu de
temps après la capitale ^ Un ordre impérial, à ce qu'il
semble, Texila en Afrique • : en tout cas, il se trouvait à
1. Vila, c. 14.
2. P. G., XCI, 130-132 et 589 sqq.
3. Ibid., 464.
4. ibid., XC, lli.
5. Nicéphore, p. 31.
6. Jeaa de Nikiou, doot le récit reuferme au reste plus d'une erreur,
affirme cependaut avec beaucoup de précisioa que Pyrrhus fut exilé en
Afrique peu après Favëneiueut de Coustant II (p. 580. Cf. p. 564 et 5'72).
530 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Carthage au mois de juillet 645 ^ Maxime qui, à cette date^
habitait encore la province, jugea l'occasion favorable pour
ménager à Torlhodoxie un triomphe éclatant, et il provoqua
le patriarche déchu à un débat solennel sur la doctrine mo-
nothélitc. Depuis longtemps le moine avait le désir de se me-
surer en une luUe théologique avec un des plus redoutables
fauteurs de Thérésie ' ; il appréciait hautement l'intelligence,
Térudition profonde d'un tel adversaire; il sentait vivement
la gloire qu'il y aurait à ramener l'illustre hérésiarque,
humble, repentant et soumis, dans la communion de TÉglise
romaine '. Pyrrhus, qui semble avoir été directement recom-
mandé à Maxime ^ ne se refusa pas à la controverse ; et en
juillet 645, en présence du palrice Grégoire, exarque d'Afrique,
des évèques et des principaux personnages de la province,
une solennelle discussion s'engagea entre les deux théolo-
giens: sous toutes ses faces, la doctrine monolhélite fut expo-
sée, examinée, réfutée, et à la fin de la conférence, Pyrrhus,
s'avouant vaincu, promit d'aller faire pénitence au tombeau
des apôtres, et de remettre au pape une déclaration où il abju-
rait ses erreurs *.
C'était pour l'orthodoxie une victoire considérable : le zèle
religieux des évèques d'Afrique ne s'arrêta pas là '. Émus
des progrès croissants de l'hérésie, du trouble des églises,
des plaintes des fidèles "^y jugeant, avec quelque naïveté
peut-être, que la rétractation de Pyrrhus ne pouvait man-
quer d'entraîner la prompte soumission du patriarche Paul •,
excités sans doute aussi par Maxime, qui croyait le mo-
i. P. G,, XCI, 287.
2. Ibid., 141.
3. Ibid., 132, 141, 589 sqq.
4. Ibid,, 140.
5. Ibid,, 2S1 à 354. Cf. Théophan*^. p. 33! ; Nicéph., p. 31 : Lib. pontif.,
p. 332.
6. Le pape Martio louait» zeliim purissimum ac siocertssifnuoi fldei » des
évèques africaias. Labbe, VI, 132.
7. Labbe. VI, 153.
8. Ibid., VI, 128-129.
LES CAUSES INTERNES DE LA DECADENCE 551
ment venu de prendre des résolutions énergiques ^ les
évèques de Numidie, de Byzacène et de Maurélanie se réuni-
rent, au commencement de 646, en trois synodes provinciaux*.
Dans la Proconsulaire, où le siège de Garthage se trouvait
alors vacant, il fallut un peu plus de temps pour convoquer le
concile : pourtant, avant même qu'on eût pourvu à l'élection
du nouveau métropolitain, l'assemblée se réunit et s'associa
par ses résolutions aux décisions géntSrales de l'épiscopat
africain '. Unanimement, les prélats se déclarèrent hostiles à
toutes ces nouveautés inutiles et dangereuses, imaginées à
Conslantinople ; unanimement, ils protestèrent qu'ils voulaient
conserver intacte, « sans accroissement ni diminution », la foi
orthodoxe que leur avaient transmise leurs {deux*; unanime-
ment, ils condamnèrent les doctrines hérétiques et prononcè-
rent Fanathème contre quiconque oserait toucher au dogme
fixé par les pères et les conciles*. En même temps, ils prépa-
raient deux lettres, Tune adressée au patriarche Paul, l'autre
à l'empereur Constant II. Dans la première, ils suppliaient Té-
vêque de Constantinople d'abandonner une hérésie dont Tau-
teur lui-même venait de se rétracter, et que condamnaient
nettement tous les conciles et tous les écrits des pères '. Dans
la seconde ils demandaient au basileus, défenseur naturel de
la foi orthodoxe, de faire cesser le scandale qui troublait
rÉglise et de contraindre, par son autorité souveraine, le pa-
triarche à rentrer dans la communion des vrais catholiques \
Quarante-trois évèques de Byzacène, soixante-neuf évêques
de Proconsulaire avaient mis leur signature au bas de ces
documents; nous ne connaissons point le nombre des prélats
qui représentèrent les églises de Numidie et de Maurétanie.
1. Labbe, VI, 128, 133; Vita, c. 14.
2. Labbe, Vf, i28 ; Théophane, p. 331, où la date est peu exacte. Cf. Labbe,
V, 1697-1698, 1835-1836.
3. Labbe, VI, 137. Cf. Hefele, Hist. des conciles, IV, p. 80.
4. Labbe, VI, 128-129, 133.
5. Ibid.y VI, 140.
6. Ibid., VI, 128-129, 1.37 sqq.
7. /ôid., Vl,133.
552 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Dans la lettre qu'ils écrivaient à l'empereur, les évêques
s'intitulaient humblement « le clergé de votre province d'A-
frique » *, et ils terminaient par des vœux chaleureux pour la
prospérité du prince et la longue durée de son règne; mais
tout en gardant, au moins en apparence, — car dès ce mo-
ment, on le verra, les événements démentaient quelque peu
leurs paroles — une complète et sincère fidélité au basileus^
les évoques n'étaient pas moins préoccupés de prouver au
Siège apostolique leur respect et leur dévouement. Les pri-
mats de Byzacène, de Numidie et de Maurétanie s'empres-
saient, au lendemain des conciles qu'ils avaient présidés, de
faire connaître au pape Théodore les résolutions prises par
ces assemblées, et ils lui demandaient, si le patriarche Paul
s'obstinait dans Thérésie, d'user de son autorité pontificale
pour « retrancher le membre malade du corps sain et vigou-
reux de rÉglise '. » Mais surtout ils proclamaient hautement
leur soumission au Siège apostolique, où toutes les Églises,
disaient-ils, sont venues puiser, « comme à la source natale »,
les principes du dogme, et qui entretient dans le monde entier
la pureté de la foi ^. De même Tévèque de Carthage, lorsque
quelques mois plus tard il annonçait son élection au pontife,
après avoir protesté de son ferme attachement à la doctrine
des deux volontés^ déclarait qu'il voulait être étroitement uni
à la papauté, « pour défendre courageusement en toute cir-
constance la vraie foi et la religion catholique » \
Ainsi, la querelle du monothélisme avait pour principal
effet de créer en Afrique une agitation grosse de conséquences:
par son imprudente intervention dans les matières de foi, le
gouvernement impérial n'avait réussi qu'à resserrer les liens
déjà si forts qui unissaient la province à Rome; par la faveur
qu'il marquait à l'hérésie, il avait profondément inquiété et
blessé les populations orthodoxes et provoqué parmi elles un
i. Labbe, VI, 133 : a Cuocti yestrae Africae domini sacerdotes m.
2. laid,, VI, 128-129.
3. Mid., 128.
4. Ibid,, 156.
LES CAUSES INTF.RNES DE LA DÉCADENCE 553
mécontentemeDt général. Or, dans un pays où bien des causes
déjà ébranlaient l'autorité du prince, où chaque jour se relâ-
chaient davantage les ressorts de Tadministration publique,
en face de gouverneurs trop enclins à méconnaître les ordres
du pouvoir central, et de tribus berbères trop disposées à se
détacher de Byzance, il y avait peu de sagesse peut-être à
semer de nouveaux germes de divisions et de troubles, à
contraindre les peuples à choisir entre leur fidélité politique
et leurs convictions religieuses. Vers ce lemps même, l'exem-
ple de rÉgypte montrait quelles redoutables conséquences les
querelles théologiques pouvaient entraîner pour l'empire. Au
moment où le péril arabe menaçait si gravement la province,
les chrétiens de la vallée du Nil ne songeaient qu'à disputer sur
les matières de foi ; les orthodoxes ou melkites persécutaient
cruellement les populations copies attachées à l'hérésie mo-
nophysite ; si bien qu'entre Byzance qui les opprimait et les
musulmans qui semblaient leur apporter la délivrance, ces
dernières n'hésitèrent pas à se prononcer *. Quand, en 640,
Amrou envahit l'Egypte, les Coptes embrassèrent presque sans
résister le parti de l'envahisseur et assurèrent par leur défec-
tion la victoire des musulmans". Pourvu que la religion fût
sauve, sans scrupules, en Egypte- comme en Afrique, on se
désintéressait de l'empire; et comment d'ailleurs en eût-on
pris souci, alors que dans toutes ses provinces l'autorité
publique s'abandonnait elle-même?. Vers 635, en Egypte, le
patriarche Cyrus prenait sur lui d'engager des négociations
avec les Arabes; pour protéger la province, il oflFrait de leur
payer annuellement un tribut considérable; bien plus, il rêvait
\. Weil, Gesch. der Khalifen.l, p. 105. Jeaa de Nikioa, p. 562-563, 570 et
surtout p. 584 : « tout le moude disait que l'expulsion des KomaîDs et la vic-
toire des musulmans avaient été amenées par la tyrannie de l'empereur Héra-
clius et par les vexations qu'il avait fait subir aux orthodoxes. »
2. Weil, /. c, p. 409-110; Drapeyron, /. c, p. 400-401 ; Bury, II, p. 269-
271. Cf., sur ces événements, Amélioeau, dans le Journal asialigue, 1888,
p. 389 sqq. ; Karabacek, Miliheilungen aus der Sammlung der Papyi*us Erzh.
Rainer^ fasc. 1-2, p. 11.
554 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
de faire épouser à Âmrou uDe fille d'HéracIius et de converlir
au christianisme le général musulman '. Assurément c'étaient
là les principes ordinaires de lapolitique byzantine à Tégard des
barbares ; mais ce qui était singulièrement grave, c'est que
Tévêque agissait sans l'aveu de l'empereur, et ^u'en une ma-
tière si importante l'Église se substituait à l'Etat. Ainsi, en
face du péril musulman, la monarchie était sans forces; par-
tout régnaient l'indiscipline et le désordre, partout les divi-
sions intestines, nées des querelles religieuses, énervaient
d'avance toute résistance. Sous ces maux, TÉgypte avait
succombé; l'Afrique allait périr de même, en ajoutant par
surcroît à toutes ces misères les troubles d'une révolution
intérieure.
ni
En 646, l'Afrique avait pour gouverneur général le patrice
Grégoire, qui sans doute administrait déjà la province depuis
plusieurs années '. A ce moment le trône de Byzance était
occupé par le jeune Constant II, âgé de quinze ans à peine, et
sous sa faible main, l'empire, assailli à l'extérieur par les fu-
rieuses attaques des Arabes, semblait au dedans en pleine dé-
composition. En 642, un soulèvement avait éclaté à Rome
contre l'autorité impériale et l'exarque Isaac avait dii agir
vigoureusement pour réprimer la révolte '; en 644 un usur-
pateur avait pris la pourpre en Orient, et sa tentative, bien
qu'avortée, attestait éloquemment le désarroi de la monar-
i. Théophaoe, p. 338; Nicéphore, p. 24-25| 26-27.
2. Morcelli, lU, p. 370, croit qu'il était en fonctions depuis 639 : mais rien
ne le prouve. Ibn Abd-el-Hakeua (/. c, p. 360) dit bien qu'il avait d'abord
administré le pays « comme lieutenant d'Héraclius », mais le texte est peu
décisif, les historiens arabes se trompant souvent sur les noms des empereurs.
Il éteit en charge en juillet 645 (P. G., XCI, 287) : les autres textes (C. /. L.,
VIII, 2389, 10965; Théophane, p. 343) ne donnent aucune date précise.
3. Lib, pontif., p. 33f-332.
LES CAUSES INTERNES DE LA DECADENCE 555
chîe ^ En moins de six ans, les musulmans avaient conquis la
Syrie, la Palestine, TÉgypIe, la Cyrénaïque, la Tripolitaine, et
les Byzantins avaient fait d'inutiles efforts pour reprendre leurs
possessions perdues '. Dans ces conditions, la tentation était
grande pour le puissant gouverneur d'Afrique de se séparer
du faible et lointain empire qui semblait incapable de dé-
fendre ses sujets ; tout Ty encourageait à la fois, et les
velléités d'indépendance manifestées tant de fois avec impu-
nité par ses prédécesseurs, et la certitude de trouver aisément
parmi les populations indigènes des alliés prêts à servir qui-
conque saurait les acheter, et le mécontentement profond que
les luttes religieuses avaient soulevé dans la province contre
l'autorité du basileus. Grégoire, au contraire, était un cham-
pion fervent de l'orthodoxie; il avait protégé l'abbé Maxime
et soutenu ses efforts pour amener le patriarche Pyrrhus à se
rétracter ', il était à ce titre fort aimé des populations et de
rÉglise africaines, et à Rome même, le pape Théodore lui
manifestait quelque sympathie *. S'il est vrai enfin qu'il fût
apparenté à la famille impériale, cette illustre origine devait
achever d'exciter son ambition : dans cette hypothèse, on peut
croire quïl n'avait point vu avec indifférence la mort de
Constantin III, son beau-frère, probablement empoisonné par
les ordres de l'impératrice Martine, et que son hostilité s'en
était accrue contre le parti monothélite qui maintenant domi-
nait à la cour *. On peut croire aussi que sa haine avait été
entretenue avec soin par les amis et les conseillers du prince
défunt, dont le fidèle confident Philagrius avait été, après la
i. Théophane, p. 343; Jean de Nikiou, p. 382.
2. Eq 64) ils avaient éproaré un échec en Egypte (Weil, /. c, p. i58-i59).
3. P. G., XCI, 354.
4. /6irf.,XC, m.
5. Il est certain que Tempereur Héraclonas était dans beaucoup de pro-
vinces considéré comme un souverain illégitime, étant né «d'une union réprou-
vée » (Jean de Nikiou, p. 573) et qu'on intriguait contre lui. il est certain que
ces intrigues 8*élendirent jusqu'à TA friq ne et qu'on y conseillait onvertement,
dès 641, de désobéir aux ordres de Martine et de son fils (t6td., p. 573).
556 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
mort de son maître, envoyé en exil à Septem *. Sans doute de-
puis ces événements, une révolution nouvelle avait renversé
Martine et son fils Héraclonas, et placé sur le trône Constant II,
le fils de Constantin; mais vers 646, Constant II penchait vers
le monothélisme, au moment même où l'Afrique se prononçait
avec éclat pour Torthodoxie. Grégoire n'hésita plus à profi-
ter des circonstances, et résolument il se proclama empereur.
On racontait plus tard à Byzance que le pape Théodore
n'avait point été étranger à la décision du patrice '. Il avait, à
ce qu'on affirmait, fait avertir Texarque qu'il pouvait sans
crainte se soulever contre le basileiiSy que Dieu lui-même
approuvait sa révolte et en garantissait le succès. L'abbé
Maxime, en effet, avait fait un rêve significatif; il avait vu des
chœurs d'anges planant dans le ciel, du côté de l'Orient et du
côté de l'Occident; les premiers criaient: « Victoire à Cons-
tantin Auguste »; les autres répondaient: « Victoire à Gré-
goire Auguste », et peu à peu les voix de l'Orient s'étaient
tues, et le moine n'avait plus entendu retentir que les accla-
mations triomphales en l'honneur du patrice. Quoi qu'il en
soit de cette anecdote, elle prouve en tout cas qu'on sentait à
Constantinople quelque lien secret entre les questions reli-
gieuses qui s'agitaient et le soulèvement de l'exarque, etqu'on
soupçonnait l'Église de n'être point indifférente à ce mouve-
ment. A la vérité les prélats africains, au début tout au moins,
semblent avoir été plus inquiets que satisfaits de la rupture
des relations avec Byzance. Dans la lettre qu'ils écrivaient au
pape en 646, ils parlent en termes assez embarrassés et vagues
des « nécessités inattendues », qui les empêchent de corres-
pondre directement avec le patriarche Paul ^, et des mauvais
bruits qui ont rendu suspecte dans la capitale la province d'A-
frique *. L'évêque de Carthage se plaint également que de
i. Nicéphore, 29; Jean de Nikiou, p. 573.
2. P. G., xc, m.
3. Labbe, VI, 129.
4. Ifnd,y 129 : « quia vero in qaaiiidam suspectionem oostra ÂfHcana a loali-
guis hominibus apud regiam civitatem recilata est provincia. •>
LES CAUSES INTERNES DE LA DÉCADENCE- 557
méchantes gens accusent faussement les Africains « de nour-
rir certains mauvais desseins^ qui ne sont point fondés en
vérité * ». Il se peut en effet que le clergé ait vu avec quelque
appréhension, en face du péril arabe croissant chaque jour, un
soulèvement qui énervait la résistance, qu'il n'ait point, mal-
gré Tacuité des luttes religieuses, envisagé sans quelque
regret la perspective d'une rupture avec Tempire chrétien. En
tout cas, les populations semblent s'être jetées avec empresse-
ment dans la révolte, et non seulement les Africains romanisés
paraissent avoir soutenu lepatrice ; les tribus berbères aussi em-
brassèrent le parti de l'exarque*, et c'est peut-être pour se rap-
procher de ces alliés que Grégoire, quittant Carlhage, alla fixer
sa résidence à l'intérieur des terres dans la grande et riche ville
de Sufetula *. Aussi bien était-ce là une admirable position
stratégique pour défendre sa souveraineté toute fraîche contre
l'ennemi qui déjà la menaçait.
En effet, pendant que Grégoire se proclamait empereur, pen-
dant qu'enorgueilli de sa grandeur nouvelle, il faisait, en signe
de son indépendance, substituer sur ses monnaies son effigie à
celle du basileus ^, un danger redoutable s'approchait de
l'Afrique. Du jour où les Arabes avaient conquis l'Egypte, ils
avaient pensé à continuer leur marche victorieuse vers l'Oc-
cident; en 642 ils avaient occupé Barca et la Cyrénaïque,
l'année suivante ils avaient soumis la portion orientale de la
Tripolitaine, emporté Tripoli d'assaut, pillé Sabrata *, et peut-
être poussé leurs ravages, jusqu'à la partie orientale du Fez-
1. Labbe, VI, 15B : « inalorum... falsislocutioaibus dictuin fuisse nostram Afri-
caDam provinciampo&se aliqua, quae ia vero dou consistuiit, mala peragere . »
2. ThéophaQe,p.343, dit qae Grégoire se souleva aùv xol; ''A^poi;. De Boor a
compris à tort qu'il s'agissait d'une révolte contre les Arabes (Théopli., Index^
vis «Açpoi et rpYjyépioç). Cf. Ibn Khaldoun, I, p. 209; 111, p. 191.
3. Cf. FourDelJ, p. 112-113. Je ne saisoùMcrcinr (/. c , l.p. 196)prend qu'uu
exarque envoyé de Constanliuople viut dès 646 occuper Carthage. Ou trouve
la même erreur dans les plus récents manuels (Lavisse et (lambaud, Histoire
générale^ I, 474). DeSlane {HisL des Berb.^ Introd., I, p. xix) croit également
que Carthage et la Zengitane demeurërenl fidèles à l'empire.
4. Ibn Abd-el-IlHkem {l. c.,p. 360).
0 Weil, /. c.,p. 123-124.
558 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
zaos sans que d'ailleurs l'exarque d'Afrique, dès ce moment à
demi-brouillé avec Gonstantinople, paraisse avoir fait aucun
effort sérieux pour repousser les envahisseurs ' ; sauf à Tri-
poli, c'étaient les tribus berbères des Louala et des Nefouça
qui seules avaient supporté le choc des musulmans ^ Aussi
dès 643 Amrou songeait à pousser plus loin ses avantages, et
il fallut l'ordre formel du khalife Omar pour empêcher le
général vainqueur de s'engager dans « le lointain et perfide
Maghreb » ^. Mais après la mort d'Omar (644), son successeur
Olhman ne crut point nécessaire d'avoir tant de sagesse; eh
647 il autorisa Abdallah ibn Saad^ qui gouvernait l'Egypte, à
aller avec une armée de 20,000 hommes attaquer l'Afrique
byzantine.
Les historiens arabes ont, suivant leur habitude, embelli de
nombreux épisodes romanesques le récit de cette expédi-
tion ; et l'on trouvera tout au long dans En-Noveiri les
détails aussi pittoresques que légendaires, dont l'imagination
arabe a paré Thistoire de ces événements ^. Si l'on combine
les informations trèssommaireséparsesdans les chroniqueurs
grecs et latins* avec les renseignements que fournissent les
écrivains arabes les plus anciens, on trouvera un récit plus
simple et sans doute plus vraisemblable des faits. A l'ap-
proche des rapides cavaliers musulmans, qui, laissant de côté
1. IbQ Àbd-el-IIakem, I, p. 302 ; cf. RoUi, Oqba ibn Nafi, p. 7-8 ; A. Mûller,
Der Islam, 1, p. 268-269.
2. On accusait plus tard Maxime (P, G., XC, 111), d'avoir par ses ràcbeux
conseils Isûssé perdre ce et Pentapolîm et Tripoliin. n
3. Fournel, /.c.,p. 20-22.
4. Ibn Abd-el-tiakem, /. c, p. 359.
5. Le récit d'Eu-Noveiri, suivi bieo à tort par Mercier (A c, I, p. 197-
199), se trouve daus le Journal asialique, 1841, p. 103-111. Il a été fort juste-
meut critiqué par de Slane, Lettre à M, Hase {Journal asiatique^ 1844, p. 329-
365). A ce roman, qui date d ailleurs du xiv* siècle, il faut préférer les récits
plus simples d'Jbn Abd-el-Hakem et d'El-Beladori, qui ëcrivaieut au niiliea
du ix« siècle. Ils sont publiés dans le Journal asiatique, 1844, p. 354-364 et
351-354. Cf., aussi. Fouruel, I, p. 110-113 ; Amari, Storia dei musulmani di
Sicilia, l, p. 109-111 ; Weil, /. c, I, p. 161.
0 Isidore Paceusis, 16 (/'. X.., XCVl, 1258-1259); Tbéophaue, p. 343.
LES CAUSES INTEHNES DE LA DÉGADEiNCG 559
les villes fortes du liltoral^ semblent s'ôtre jetés en pillant tout
dansTintérieur de la Byzacëne, Grégoire, appelant à lui les
tribus berbères, menacées autant que les Grecs par les pro-
grès deTenvabisseur, se porla avec une forte armée en avant
de Sufetula. Je n ai pas besoin de dire avec quelle défiance il
faut accueillir les chiffres formidables de 120,000 ou même de
200^000 hommes auxquels les historiens arabes évaluent les
forces du patrice ; je ne m'arrêterai point davantage à refaire
le récit, singulièrement fantaisiste, qu'ils nous ont donné de
la grande et sanglante bataille livrée dans la plaine de Sbeitla.
A toutes les invitations qui lui furent faites d*embrasser Tisla-
lisme et de payer tribut au khalife^ Grégoire avait répondu
avec fierté en faisant appel aux armes ^ Pendant quelques
jours les deux armées demeurèrent en présence; enfin le
combat décisif s^engagea : ce fut un désastre pour les Byzan-
tins. Sous le choc furieux des musulmans, les troupes du pa-
trice plièrent et s'enfuirent; lui-même, combattant en déses-
péré, périt, dit-on, dans la lutte, peut-être de la main d'Ab-
dallah ibn Zobéir, qui fut en récompense chargé d'aller à Mé-
dine annoncer la victoire au khalife *. Quant à la fille de Gré-
goire, à la belle et intrépide amazone, qui combattait à côté
de son père, et dont la main avait été promise, d'après la
légende, par l'exarque à celui qui tuerait Abdallah ibn Saad,
et par le général musulman à celui qui abattrait le patrice,
son destin, si tant est qu'elle ait existé, fut plus simple, sinon
moins dramatique. Faite prisonnière, et devenue l'esclave
d'un des guerriers vainqueurs, elle se tua en se jetant à bas
du chameau où elle avait été placée (647) '.
La bataille de Sbeitla et la mort de Grégoire livraient TA-
i. En-Noveiri, /. c, p. 103.
2. Cf. Amari, /. c, p. 110-111; Weil, /. c, p. 161 ; Tauxier {Revue afric,^
1885, p. 30C-301) croit au contraire que le patrice fut {tris et ridenlifie avec
le (>régotref neveu d'Héraciius, qui eu 651-652 mourut à Héliopolis. J'ai dis-
caté plus haut et écarté cette conjecture.
3. ibn Abd-el-IIakeui, /. c, p. 362-363. Cf. Noveiri, /. c, p. 105-109, et le
Kilab-el'Affhani (Journal asiatique, 1844, p. 341-343).
560 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
frique byzantine à la discrétion de Tenvabisseur. Sans tarder,
les musulmans mirent le siège devant Sufetula, et la ville,
emportée d'assaut, fut pillée et cruellement dévastée; en même
temps, les légers cavaliers arabes, se répandant dans tout le
sud de la Byzacène, portaient leurs ravages jusque dans la
région de Gafsa et dans les fertiles oasis du Djerid ^ Mais, du
côté du nord, ils se heurtèrent à de plus sérieux obstacles; les
Grecs s'étaient retirés et retranchés dans les places fortes qui
formaient la seconde ligne de défense de la province et sem-
blaient prêts à y opposer une solide résistance. Or les Arabes,
comme les Berbères, étaient peu experts dans l'art des sièges;
satisfaits d'ailleurs du butin énorme qu'ils avaient ramassé,
ils ne songeaient qu'à mettre en sûreté leurs richesses; quand
donc les Byzantins firent proposer à Abdallah ibn Saad d'a-
cheter sa retraite à prix d'or^ le général musulman consentit
volontiers à entrer en négociations •. On lui paya, disent les
historiens arabes, trois cents talents d*or, suivant les uns,
deux millions cinq cent mille dinars, suivant les autres, en
tout cas, et quelle que soit l'exagération de ces chiffres, une
somme considérable ' ; on convint que ses soldats garderaient
tout le butin qu'ils avaient fait * : à ce prix, Abdallah ibn Saad
consentit à évacuer le pays, et s'en retourna en Egypte,
« sans laisser de gouverneur, dit Abd-el-Hakem, et sans éta-
blir de cairewan » *. C'était une simple razzia que les mu-
sulmans étaient venus faire en Afrique ; ils ne songeaient
point encore à ce moment à sMnstaller en maîtres dans le
pays.
Cependant cette première expédition était grosse de périls
pour l'avenir. Ce n'est point impunément que les Arabes
avaient fait connaissance des riches et fertiles campagnes de
1. Noveiri, /. c. , p. f09; Ibn Abd-el-Hakem, /. c, p. 361.
2. Ibn Abd-el-Hakem, /. c , p. 361 ; El-Beladori, /.c, p. 353.
3. Cf. Tbéophane, p. 343.
4. Isidore Pacensis, 16.
5. Ibn Abd-el-Hakem, U c, p. 361; El Beladori, /. c, p. 354.
LES CAUSES INTERNES DE LA DÉCADENCE 561
la Byzacëne: les abondantes dépouilles qu'ils en avaient rap-
portées, les sommes énormes qu*ils avaient eu si peu de peine
à obtenir ne devaient que trop vite les encourager à revenir.
Pour le présent même, la situation de la province était singu-
lièrement désastreuse et critique. L'invasion musulmane
avait cruellement ravagé et appauvri le pays; et dès mainte-
nant commençaient ces lamentables exodes de populations
fuyant devant Tépée des envahisseurs et quittant leurs vil-
lages et leurs terres pour aller au delà des mers, dans les îles
et jusqu'en Italie, chercher un plus sûr asile \ Sans doute la
mort du palrice Grégoire mettait fin à la rupture qui avait
éclaté entre Constantinople et Carthage: mais la disparition
de Texarque laissait pour le moment la province sans gouver-
neur, et prête pour toules les dissensions intestines, et d'autre
part le désastre de Sbeitia avait pour l'attitude des tribus ber-
bères de graves conséquences. Sans admettre que dès ce mo-
ment une portion d'entre elles ait accepté la suzeraineté du
khalife, et sollicité de lui pour ses chefs une espèce d'investi-
ture', il semble bien pourtant que les populations indigènes
profitèrent des événements pour se rendre plus pleinement
indépendantes encore, et que tout le sud de la Byzacëne
échappa aux Byzantins. Sans doute, après l'invasion de 647, la
domination grecque s'est pendant cinquante ans encore main-
tenue dans l'Afrique du Nord ; pourtant c'est à ce moment
qu'elle recul le premier coup véritablement sérieux qui Tait
ébranlée, et Ton conçoit que les chroniqueurs byzantins, assez
peu préoccupés d'ordinaire de se qui se passait dans TOcci-
dent lointain, aient enregistré avec soin la mention de là
grande défaite de Sbeitia et que le bruit en soit venu jus-
qu'aux annalistes obscurs de l'Espagne et de la Gaule *. Ils
1. Ei-Bekri {Journal asiat., 1858, p. 525); Fournel, I, p.Ul. Amari, /. c, p. IH-
112, croit qae ces ^véiiemeuts fc placent plutôt en 6G9. Cependant dès 649 ou
trouve des moioes africains téfugiéâ à Rome (Labbe, VI, 112-113).
2. Cf. Ibn KbaldouD, dans Fournel, p. 112-113.
3. Isidore Pacencis, c. 16; Frédrgaire, c. 81.
662 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
comprenaient l'importance extrême de celle première attaque
des Arabes sur TOccidenl et sentaient que le jour où Texar-
que Grégoire était tombé sous les murs de Sufelula avait
marqué la fin, plus ou moins prochaine, mais inévitable, de la
domination byzantine en Afrique.
CHAPITRE II
LK coNQUÈre DE l'afriquis par Les arabes
L'hisloire de TAfrique byzantine, si incomplètement con-
nue pour la première moitié du vu® siècle, devient plus
obscure et plus incertaine encore après la première invasion
arabe. Ce n'est point toutefois que^ pour cette période, les
renseignements fassent défaut; au contraire ils abondent, et il
serait facile de faire un récit circonstancié, brillant, pittores-
que de la conquête de TAfrique par les musulmans. Malheu-
reusement les historiens qui en fourniraient la matière sont
des informateurs fort suspects : quelques-uns de ceux que Ton
cite le plus volontiers, En-Noveiri par exemple et Ibn Khal-
doun, ont composé leurs ouvrages près de sept siècles après
les événements qu'ils racontent ; et les plus anciens même
d'entre ces chroniqueurs, tels qu'Ibn Abd-el-Hakem, El-Bela-
dori ou Ibn Koteiba, sont encore éloignés par un intervalle de
deux siècles environ des faits dont ils nous ont laissé le récit.
Ce qui est plus grave, c'est que dans la plupart de ces écri-
vains, les traditions purement légendaires se mêlent cons-
tamment et se substituent à l'histoire ; pour rehausser le pres-
tige des héros de llslam, des Sidi Okba, des Hassan, des
Mouça, on entasse les anecdotes merveilleuses, on accumule
les miracles, on se complaît en des aventures dignes des Mille
et une Nuits : et les auteurs anciens eux-mêmes, bien qu'en
général leur exposé soit plus simple et moins fleuri d'épisodes,
n'échappent pas entièrement à ces fâcheuses tendances. Sans
doute, à les en croire, tous peuvent, par une série de tradi-
tions orales, remonter jusqu'au témoin oculaire dont ils rc-
364 HISTOIRE DE LA. DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
produisent le récit ; mais outre que Timaginatioa orientale
est peu propre à assurer rexactitudë de la transmission^ plus
d'une fois les traditionistes qu'on nous cite pour garants ont
été inventés de toutes pièces par l'historien : et en tout cas,
comme les arabisants se sont peu préoccupés jusqu'ici d'étu-
dier au point de vue critique les chroniqueurs qu*ils ont
édités, il faut nous résoudre à ignorer si, parmi ces récils,
quelques-uns reposent sur des sources vraiment authentiques
et anciennes ^ Dans ces conditions, on le comprend, il faut
une singulière prudence dans l'emploi qu'on fera de ces
documents ; et quelque séduisant qu'il pût être de parer cette
histoire de romanesques broderies, on suivra de préf érence la
sage réserve que Weil a apportée dans son Histoire des kha-
lifes. On ne retiendra que les faits essentiels et à peu près
sûrement attestés ; on s'attachera le plus volontiers aux récits
des chroniqueurs les plus anciens et les plus simples ; on
s'efforcera, dans la mesure fort restreinte où la chose est pos-
sible, de contrôler leurs informations à Taide des rares rensei-
gnements épars dans les écrivains grecs ou latins. Sans doute
le tableau y perdra en éclat pittoresque ; peut-être y gagnera-
t-il en vérité ; à tout le moins il suffira à mettre en lumière
les traits caractéristiques qui ont marqué en Afrique les der-
niers jours de la domination grecque.
1. Sur le degré de confiaoce qu'il faut accorder aux historiens arabes et les
procédés qu'ils emploieot, cf. de Slsiae, Journal asiat., 18U, p. 349-351 ; Aoiari,
StoriadeimusulmanidiSiciliay I, p. 82-84; Bury, /. c, II, p. 263,272; Roth, Oqfta
ibn Nafi, p. 19-21, et surtout Dozy, Rech, sur Vhùil. et la litt. de C Espagne^ I,
p. 32-38 et 41-43, où Ton voit que Ibn Abd-el-Hakem même est singulièrement
sujet à caution. Cf. ce que dit Abou U-Mahacin de Tépoque tardive où This-
toire écrite remplaça chez les Arabes la tradition orale (Foumel, I, p. 178,
n. 6) . Il faut en conséquence, pour toute la période qui va nous occuper, ne
jamais oublier la déclaration formelle que fait de Slane:« Pour ce qui regarde
TAfrique septentrionale, i*exposition des événements qui eurent lieu pendant
cette époque ne peut soutenir nu examen critique » (//f«^ des Berb.t IV, p. 565).
LA CONQUÊTE DE L'AFRIQUE PAR LES ARABES 565
Après riovasloQ de 647, les querelles intérieures qui trou-
blèrent Tenapire des khalifes laissèrent à l'Afrique byzantine
près de quinze années de répit. Certes le péril arabe n'é-
tait point pour cela conjuré; et durant cette période même,
plus d'une fois des incidents graves vinrent rappeler à l'Occi-
dent les dangers dont le menaçait Tlslam : dès 6S2 les musul-
mans tentaient une descente en Sicile % et Abd-el-Hakem
raconte qu'en 654 ils poussèrent jusqu'aux frontières de la
Byzacène une nouvelle expédition '. Cependant, en fait, aussi
longtemps que durèrent les guerres civiles soulevées entre Ali
et Moaviah, les Arabes n'eurent guère le loisir d'entreprendre
rien de sérieux au dehors. Ce n'est que vers 659, lorsque le
khalife eut renvoyé Amrou dans cette Egypte jadis conquise
par ses armes, que les hostilités se rouvrirent d'une manière
décisive ; le vieux général n'avait point oublié en effet cette
Afrique oii Tordre formel d'Omar l'avait empêché autrefois
de porter sa course ; et aussitôt qu'il eut solidement établi
dans sou gouvernement Tautorité des Omméiades, il tourua
ses regards vers l'Occident. C'était en 661.
Le gouvernement byzantin avait-il du moins mis à profit
ces quelques années de tranquillité pour pacifier la province
et la mettre en état d'opposer à l'invasion une sérieuse résis-
tance ? Il semble tout d'abord que malgré la disparition de
l'usurpateur Grégoire, l'empereur eut quelque peine à rétablir
en Afrique son autorité. Les écrivains arabes racontent en
effet que le patrice eut pour successeur un certain Habakiah
ou Djenaha, dont on ne peut retrouver avec certitude le nom
1. Lib. pont., p. 339; Amari, I, p. 82-90.
2. Well, /. c, I, p. 461-162, admet cette expédition. Pourtant la chose est
assez sorpreoante, et il se peut qu'il y ait une erreur dans le manuscrit d'Abd-ei-
Hakem (Fournel, 1, p. 141, n. 8).
566 HISTOIBE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
grec dissimulé sous celle forme orientale *, et il semble que
pendant quelque temps, ce personnage se maintint indépen-
dant de Byzance*. La chose paraîtra assez vraisemblable, si
Ton songe que vers le même temps Texarque dltalie Olym-
pius se proclamait empereur, et qu'il fut durant deux années
entières (650-652) le maître absolu de la péninsule, sans que
le hasileus tentât nul effort pour briser ses ambitieux des-
seins^. Il est évident que vers le milieu du vu* siècle une
crise redoutable troublait les provinces grecques d*Occident ;
la promulgation du Type^wc Tempereur Constant II, en don-
nant au conflit religieux une âpreté nouvelle, avait jelé
rÉglise romaine dans une irréconciliable opposition, et tendu
à Textrême les relations entre l'Italie et la capitale *. Les po-
pulations, passionnément attachées à l'orthodoxie et au pontife
qui s'en faisait le défenseur, envisageaient sans trembler la
perspective d'une rupture, et Ton soupçonnait la papauté
même d'encourager ces espérances*. Or l'Afrique, on le sait,
était profondément dévouée au Siège apostolique : ses évêques
s'associaient avec empressement aux efforts que faisait
Martin I" pour défendre la foi catholique ; plusieurs d^entreeux
siégèrent au concile de Latran, et mirent leurs noms au bas
delà lettre qui sommait l'empereur d'abjurer l'hérésie *; tous
ratifièrent Tanathème solennel que les Pères de 649 lancèrent
contre les fauteurs du monothélisme, contre VEcthesis d'Hé-
raclius^ contre le Type de Constant II ; tous méritèrent d'être
proclamés par le pape « les hérauts de la vérité » et les gar-
diens fidèles de l'orthodoxie \ Il est certain aussi que l'Afrique
1. Tauxier (Revue afr,^ 1885, p. 294) retrouve avec quelque vraUemblaoce
dans Tarabe Djeuaha le grec Genuadius.
2. Ibn Adzari) Baian (Fonroel, I, p. 140); Noveiri (Journal asialt, 1841,
p. 111-112), qui d^allieors se contredit sur la qualité du personnage. Il est im-
possible en tout cas d'y voir (Mercier, 1, p. 199) un représentant du khalifat.
3. Diehl, Exarchat, p. 341-342.
4. Ibid.,p. 405-406.
5. P. L, LXXXVn, 112-113.
6. Labbe, M, 78, 19, 97, 362.
7. P. I., LXXXVII^147, 150.
LA CONQUÊTE DE L'AFRIQUE PAR LES ARABES 567
suivit avec im intérêt passionné les procès politiques que,
quelques années plus tard, on fit au pape Martin et à Tabbé
Maxime, et qu'elle voulut connaître dans tous leurs détails
les tourments infligés au pieux confesseur et la « passion »
souiïerte par le saint pontife ^ : tant elle avait pris ardemment
sa part de leurs efforts, de leurs luttes et de leurs espérances.
Si l'on tient compte de lagitation profonde qu'attestent ces
sentiments, si l'on songe d'autre part au désarroi extrême où
se trouvait vers le milieu du vu* siècle la monarchie byzantine,
on admettra sans peine que la province révoltée en 646 ait
accueilli volontiers, après la mort de Grégoire, un autre usur-
pateur, et que pendant quelques années l'empereur ait été in-
capable d'y rétablir son autorité. Ne reprochait-on point, un
peu plus tard, au pape Martin d'avoir, par ses intrigues,
détaché de Byzance « l'Occident tout entier* ? »
Ce n'est pas tout. Lorsque enfin Constant II — nous igno-
rons à quelle date et de quelle manière — réussit à reprendre
possession de l'Afrique, il ne recouvra que fort incomplète-
ment les territoires qui jadis composaient l'exarchat. Assuré-
ment il y aurait quelque naïveté à croire, comme l'affirment
les historiens arabes, que dès ce moment l'Islam avait fait
parmi les tribus berbères de nombreux prosélytes • : il est
certain pourtant que, converties ou non, beaucoup de popula-
tions indigènes avaient mis les circonstances à profit pour se
soustraire à la domination grecque. Dès l'année 665, tout le
sud de la Byzacène échappait, ce semble, à l'autorité du basi-
leus : du moins El-Bekri raconte que vers 668 Okba ibn Nafi
conquit le pays de Kastilia, c'est-à-dire la région de Nefta et
de Tozeur, et s'empara de Gafsa, sans que les Grecs paraissent
le moins du monde s'être préoccupés de ces événements*. Fait
1. p. L., LXXXVII, 111. La lettre sur la passio du pape est adressée aux
évêques qui <f suntin Occidente seuRomae et in Aftica». CF. P. G., XC, 13i, la
lettre d'Anastase, disciple de Maxime, aux moines de Calaris.
2. P. I.jLXXXVn, 112, 113 :« subvertitetperdidit uoiversum Ocddentem. »
3. Cf. Fournel, I, 113, 112.
4. Ibn Abd-el-Hakem (Hist. des Berbères^ I,p. 311); El-Bekri (Jouirai asiaL,
1858, p. 448); Fournel, I, 147-150.
568 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
plus significatif encore, lorsque en 665 Moaviah ibn Hodaïdj
envahit l'Afrique, il pénétra du premier coup, et sans rencon-
trer aucune résistance, jusque dans la région où s'élèvera
Kairouan, et il établira son camp au pied du Djebel Ousselet,
à une journée de marche de Sbiba'. 11 est évident, si ces dé-
tails sont exacts, que les Byzantins avaient cessé d^occuper la
plupart des forteresses qui formaient jadis la première ligne
de défense de la Byzacène ; et en effet, si l'on cherche quelles
places fortes firent, à cette date de 665, résistance à l'invasion
arabe, on trouve qu'elles appartiennent toutes au système des
citadelles qui protégeaient les abords de la Tunisie centrale
d'aujourd'hui : les historiens nomment Hadrumète ' (Sousa)
et Djeloula (peut-être Kouloulis) ' ; à une date un peu posté-
rieure, il est fait mention de la ville de Mams (Mamma) \ Il
semble donc bien que les possessions grecques diminuaient.
Bientôt, au centre même de la Byzacène, les Arabes pourront
sans peine s'établir à Kairouan. D'autre part, les états indi-
gènes prennent une importance chaque jour croissante. Sans
doute, pour repousser les musulmans, ils uniront avec une
énergique fidélité leurs efforts à ceux des Grecs ; mais — et
ce trait est caractéristique — au lieu d'employer les services
des Berbères et de diriger leurs contingents, les Byzantins
apparaissent au contraire comme les auxiliaires des princes
indigènes' ; et tandis que les historiens mentionnent à peine
les noms des gouverneurs impériaux, c'est Koçéila, c'est la
Kahena qui sont les chefs de la résistance, et qui semblent
avoir hérité de toute l'autorité du basileus.
Pour restaurer en Afrique la domination grecque ébranlée
et presque compromise, il eût suffi pourtant d'un peu de vi-
\. Fournel, I, p. 142-144; Ibn Abd-el-Hakem, I, p. 307-308.
2. 7rf., p. 144-145.
3. /d., p. 146.
4. /d., p. 195.
5. Ibn Rhaldoan, Risl, des Berbères, ], p. 286-287, et III, p. 192 : « chacune
des tribus combattit sur son propre territoire, en se faisant aider par un déta-
chement de Francs ».
LA CONQUÊTE DE L'AFRIQUE PAR LES ARABES 569
gueur et d'habileté. Il était facile de mettre à profit les dispo-
sitions favorables qu'inspirait aux Berbères la communauté
du péril; on pouvait avec quelque bonne volonté calmer l'a-
gitation religieuse qui persistait en Afrique^ et apaiser les
mécontentements qu'elle avait fait naître. Malheureusement
l'empereur Constant II ne paraît point s'en être inquiété. Assu-
rément il comprit l'importance qu'il y avait à rattacher forte-
ment à l'empire les provinces occidentales de la monarchie, et
les ressources qu'on y pouvait trouver pour lutter efficacement
contre l'Islam*; on peut croire que de sérieuses raisons le dé-
cidèrent à transporter en Sicile sa résidence, et il est certain
qu'il fit quelques efforts pour organiser dans l'exarchat de
Garthage une plus solide défense militaire'. Mais ces grands
desseins coûtaient cher, et l'argent manquait ; pour s'en pro-
curer, l'empereur écrasa d'impôts la Calabre, la Sicile, la
Sardaigne et l'Afrique : par des remaniements du cadastre et
des recensements nouveaux destinés à multiplier les unités
imposables, il frappa de lourdes charges les propriétaires fon-
ciers; en même temps il augmentait les taxes qui pesaient sur
le commerce maritime, il confisquait jusqu'aux biens d'église,
et ses agents apportaient dans l'exécution de ses ordres la
plus rigoureuse sévérité^ Cette cruelle tyrannie acheva de
troubler profondément les provinces africaines : les historiens
arabes racontent qu'un soulèvement éclata à Carthage; on
chassa le patrice impérial chargé de lever les nouveaux impôts,
et à sa place on proclama comme gouverneur un certain Êleu-
i. Cf. Labbe, VI, 905, où l'on voit qae les moines d'Afriqae contiDuaient à
défendre les opinions de Tabbé Maxime et qu'entre enx et le clergé d'Orient de
véritables polémiques étalent parfois soulevées.
2. Bury, 11, p. 297-299.
3. On trouve en 668 Ja mention d'un exercilus Africae {Lib. ponl.j p. 346);
et en 665 une armée fut envoyée de Sicile au secours de l'exarchat (Fournel, I,
p. 144). Pourtant rien n'oblige à croire que l'empereur rattacha l'Afrique à la
Sicile (Bury, II, 302), et je ne sais où Bury a pris que Constant II dut recon-
quérir Garthage sur les Arabes (ibid.^ II, p. 302).
4. Ub. pantif., p. 344.
570 IIISrOÎRK DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
therius*. Or, à ce moment même, alors que le pays était ab-
solument désorganisé, peut-être même en pleine révolte contre
le basileus, une armée musulmane s'approchait des frontières
de la Byzacène. Déjà on 647 les Arabes avaient su tirer parti
des troubles intérieursqui agitaient la province; on peut croire
qu'en 665 ils n'ignoraient point la situation de l'Afrique et les
avantages qu'elle offrait pour une heureuse et profitable inva-
sion.
II
Depuis plusieurs années, les gouverneurs arabes de l'Egypte
songeaient à entreprendre cette grande expédition, et il se
peut que, dès avant 665, ils aient, par quelques courses rapides,
reconnu le terrain de la future campagne*. A ce moment, les
circonstances semblaient favorables. Moaviahibnllodaîdj reçut
du khalife Tordre d'entrer en Byzacfene. Sans peine il pénétra
dans rintérieur des terres, jusqu'aux environs de Sbiba, et il
s'occupailà ravager le pays en tout sens, lorsqu'il apprit qu'une
armée byzantine forte de 30,000 hommes et commandée par un
patrice du nom de Nicéphore, venait de débarquer à Hadru-
mète. C'était Tempereur Constant II qui, de Sicile, avait en-
voyé cette expédition en Afrique, soit pour dompter la révolte
de la province, soit pour la défendre contre Tinvasion des
musulmans. Quoi qu'il en soit, les troupes grecques furent bat-
tues, obligées de reprendre la mer en hftte^ : la Byzacëne se
trouvait livrée à tous les ravages du vainqueur. Audacieuse-
ment Moaviah alla mettre le siège devant la forte place de Dje-
!. Fouroel, p. 141; Noveiri, /. r., p. H1-H2.
2. Abd-el-HaJccm mentionne une expédition en66i (Fournel, I, p. 139), et
Weil (l. c, 1, p. 283) admet le fait. Il se peut fort bien que les trois expédit'-oos
de 654, 661, 665, conduites par Moaviah ibn Hodaîd], se ramènent à une seule.
En tout cas les deux dernières semblent se confondre. Roth n*admet que celle
de 665 (p. 25-27). Cf. A. MQller, Der Islam, I, p. 352.
3. Fournel, 1, p. i44-145; Ibn Khaldoun, I, 211.
LA CONQUÊTE DE L'AFRIQUE PAR LES ARABES 5"ïl
lonla, qui, barrant les défilés du Djebel Ousselet, fermait la
grande route qui de la plaine côtiëre conduit vers Tintérieur du
massif central: un accident qui, s'il est exactement rapporté,
atteste que les murailles des citadelles byzantines étaient assez
mal entretenues, livra la ville aux agresseurs^ : elle fut pillée
et saccagée de fond en comblCi Puis, chargés de butin, arrêtés
peut-être par l'obstacle que leur opposaient les diverses for-
teresses de cette région, les musulmans évacuèrent le pays :
cette fois encore, comme en 647, ils s'étaient contentés de
faire une incursion rapide et de rançonner les populations
africaines.
Mais dès ce moment le succès de leurs premières expéditions
suggérait aux Arabes l'idée d*un établissement plus durable,
et le khalife Moaviah décidait d'entreprendre sérieusement la
conquête de l'Afrique'. 11 trouva dans Okba ibn Na.fi le fidèle
instrunient de ses desseins. Sous la conduite de l'enthousiaste
et fanatique général, les musulmans, à peine revenus de la
campagne de 66S, reprirent bien vite le chemin de l'Occident.
Pendant qu'un de leurs chefs s'établissait à demeure dans la
Tripolitaine et poussait jusque dans Tile de Djerba les armes
de ses soldats, Okba soumettait successivement, dans une pre-
mière campagne, les oasis de Ouaddan, du Fezzan, de Kaouar,
et après avoir imposé l'Islam aux habitants de ces régions, il
revenait attendre à Barca les ordres du khalife'. C'était en
668. A ce moment même, la mort de Constant 11^ assassiné à
Syracuse, semblait livrer l'empire à toutes les attaques des
musulmans. En Orient, un usurpateur se soulevait en Asie
Mineure, et, appelant à son aide les Arabes, leur permettait
1. Fonrnel, I, p. 145-146. Ibn Abd-el-Hakem, ï, 307-308. Cf. sur des acci-
dents de cette sorte, Bell. Vand,, p. 330-331.
2. Oq en trouve une preuve dans ce fait qu'en 667 Masiema ibn Mucballedi
émir d'Egypte, joignit officiellement pour la première fois le gouvernoment
du Mighreb à celui de sa province (Abd-el-Hakem cilé par Roth, p. 31 et 51).
3. Fournel, I, p. 147-148; Abd-el-IInkem, I,p. 309-310. Pour la date j'ai suivi
Weil, l. c, I, p. 283-286. Sur les difOcultés delacbronologie,cf. ibid., p. 283*
n. 6.
572 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
de s'ouvrir un chemin jusqu^à Ghalcédoine, en face de Cons-
ianlinople; en Occident, un autre prétendant se proclamait
empereur en Sicile, et pour réprimer cette révolte, le nouveau
basileus Constantin Pogonat, venu de sa personne dans Tile,
était obligé de faire appel à toutes les forces disponibles dans
cette portion de la monarcbie * : et par là l'Afrique se trouvait
dégarnie de troupes. L'occasion était favorable pour attaquer
la province sans défense : par surcroît de précaution, et pour
empêcher qu'une flotte ne vînt, comme en 665, apporter des
renforts de Sicile, Moaviah fit faire en 669 une descente à Sy-
racuse* ; en même temps il lançait Okba sur l'exarchat de Car-
thage, et pour bien marquer le but de l'expédition nouvelle, il
constituait en un gouvernement indépendant de FÉgyple
l'ifrikiya à conquérir et confiait à Okba radministration de la
province*.
Le général arabe avait sous ses ordres 10,000 cavaliers
d'élite : sans peine il grossit son armée, dans les oasis de la
Tripolitaine, des Berbères fraîchement convertis qu'il entraîna
à sa suite \ Rapidement il soumit le pays des Mezata au sud
de Tripoli, et les oasis de Ghadamès; puis, se jetant sur le pays
de Kastilia, il le conquit; parla prise de Gafsa, il força Tentrée
de laByzacène,et sans rencontrer aucune résistance, il parvint
dansia région où s'élève aujourd'hui Kairouan*. Toute sa route
avait été marquée par d^épouvantables ravages : les chroni-
queurs byzantins, qui ontcompris toute l'importance de Fin-
vasion de 669, racontent que les Arabes firent en Afrique
80,000 prisonniers ^ En même temps — et ceci était plus grave
encore — Okba prenait définitivement possession de la Byza-
1. Théophane, p. 352; Lib.pontif,, p. 346.
2. Panl Diacre, 5, 13 ; Amari, 1, p. 98 .
3. Noveiri, /. c, p. 110. Rolh, p. 57, estime au contraire que JDdqu'en 682
au moiDs TAfirique dépendit de TÉgypte, et reporte au second gouvemement
d'Okba le fait que nous indiquons.
4. Noveiri, p. 116-in.
5. Weil, I, p. 286-287; Abd-el-Hakem, I, p. 310-311. Sar les MexaU, branche
des Louata, cf. Hisi, des Berbères, I, p. 371.
6. Théophane, p. 352.
LA CONQUÊTE DE L'AFRIQUE PAR LES ARABES 573
cène, en établissant aa centre même du pays une place d*armes
pour ses soldats. « Quand un imam, disait-il, entre en Afrique,
les habitants de ce pays mettent leurs vies et leurs biens à Tabri
du danger en faisant profession de Tislamisme, mais aussitôt
que rimam se retire, ces gens-là se rejettent dans l'infidélité. Il
faut donc fonder une ville qui puisse servir de camp et d'appui à
Tislamisme jusqu'à la fin des temps ^ » Cette ville, Okba la bâtit
au centre d*une vaste plaine marécageuse et déserte, à une jour-
née de marche d'Hadrumète et du littoral, à peu de distance
des citadelles qui protégeaient, sur les revers du massif cen-
tral, la frontière byzantine, et il lui donna le nom de « place
d'armes » ou Kairouan*. Sans se laisser décourager par les
difficultés du terrain, ni par les objections de ses compagnons
d'armes, pendant cinq ans sans relâche il s'appliqua à la cons-
truction de la cité. En 675 elle était terminée, et sa grande
mosquée, dont Okba lui-même avait déterminé remplacement,
attestait par un signe visible là victoire décisive de Flslam.
Chose remarquable, ni pendant l'invasion de 669, ni pendant
les années suivantes, les Byzantins ne paraissent avoir fait
aucun effort pour arrêter Tenvahisseur. Ils laissèrent ravager
la Byzacène, massacrer ou traîner en esclavage les populations
chrétiennes, ils virent s'élever au cœur du pays la citadelle de
Kairouan, sans qu il soit question d'aucune bataille livrée,
d'aucune forteresse défendue'. Il semble que les troupes by-
zantines,peu nombreuses, aientassisté impassibles au désastre,
retranchées dans leurs places fortes, qu'Okba n'osa point atta-
quer, et que durant les années suivantes, tandis que sous les
murailles de Constantinople se jouait la partie suprême, elles
aient été trop faibles pour risquer aucune entreprise sérieuse \
1. Noveiri, l. c, p. H7.
2. Abd-el-Hakem,L p. 311-312. Cf. Fourael, p. 152-157; Amari, 1, p. 113-115 et
sur la discusMOu des traditious relatives à la foudatioa de Kairouau, Roth,
p. 39-47.
3. Cf. Fournel, p. 157-158 : mais le traité est invraisemblable.
4. C'est rexpUcatioii que fourait ibu Klialdoun, 1, p. 211 : « Les Fraacs, dont
la «ii.^corde avait aiTaibUla puissince, se réfugiër>^Dt dausleur:^ places Tortes. »
574 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Quant aux Berbères, Okba avait compris que, pour les vaincre,
il fallait frapper fortement leur imagination superstitieuse;
il avait en face d'eux joué le rôle d'un sorcier, d'un marabout,
multiplié les miracles et les incidents surnaturels; et les indi-
gènes, convaincus qu'il était impossible de résister à un tel
homme, avaient déposé les armes pour se convertir en foule
à ^Islam^ Et cependant la fondation de Kairouan était pour
les destinées futures de TÂfrique byzantine un événement
d'une portée incalculable. Jadis, quand les expéditions mu-
sulmanes partaient de l'Egypte ou de Barca, leurs ravages si
cruels qu'ils pussent être étaient toujours de courte durée, et
entre le pays byzantin proprement dit et l'épée des envahis-
seurs, les populations berbères de la Tripolitaine et de la By-
zacène formaient un tampon qui brisait en partie Télan des
assaillants. Maintenant, sur les frontières même de la Pro-
consulaire, s'élevait une citadelle occupée par une garnison
nombreuse : de là partiront désormais des attaques incessantes
contre les forteresses qui gardent le limes^ de là des ravages
continuels, ôtant toute sécurité à la province ; là, chaque expé-
dition trouvera un lieu sûr pour abriter son butin; là, chaque
tentative manquée aura le moyen de réparer ses forces' : et
tandis que sous cet effort constant, lentement la province byzan-
tine s'acheminera vers sa chute, l'Islam se répandra de Kairouan
à travers toute l'Afrique, et la propagande religieuse achèvera
et consolidera Tœuvre des armes. Sans doute, pendant près
de trente ans encore, les Byzantins pourront lutter avec cou-
rage, et parfois avec succès : pourtant — et plus encore que
la défaite de Sbeitla, — la fondation de Kairouan marque une
étape décisive de la ruine de l'Afrique grecque.
1. Dozy, HisL des musulmans d*Espagne, 1, p. 236-237.
2. Cf. sur ce système d'attaque, Amari, I, p. 112. Sur le caractère eaaeaUelle-
ment militaire de la foDdatioa de Kairouan, cf. Rolh, p. 48-4d.
LA CONQUÊTE DE L'AFRIQUE PAR LES ARABES 575
III
Toutefois, peadant quelques années, les Arabes, peu expé-
rimentés dans Tart des sièges, semblent n'avoir point osé
attaquer les redoutables citadelles échelonaées tout le long
du pays byzantin : et d'autre part, le brusque rappel d'Okba
et la jalousie que son successeur Abou-Mohadjir semble
avoir conçue contre Tœuvre du glorieux général donnèrent
aux impériaux quelques moments de répit*. En-Noveiri et
Ibn Khaldoun racontent même que le nouveau gouverneur
détruisit en partie et abandonna Kairouan * ; à la vérité, ces
renseignements sont fort sujets à caution, et de même on ne
se fiera guère aux autres informations relatives à la période
qui sépare les deux gouvernements d'Okba ibn Nafi. Il se
peut que le départ d'Okba, en rendant courage aux Berbères,
ait provoqué une prise d'armes dans la grande tribu des Au-
raba; il se peut que Koçéila, le chef des indigènes, vaincu
dans la lutte et fait prisonnier, ait, pour sauver sa vie, feint
d'embrasser rislam 3 ; il semble douteux pourtant qu' Abou-
Mohadjir ait poussé jusqu'aux environs de Tlemcen ses armes
victorieuses, et Tautorité dlbn Rakik, sur laquelle s'appuie
Ibn Khaldoun, est trop peu sûre pour mériter grande con-
fiance \ Il est plus difficile encore d'admettre que les Byzan-
tins aient à cette date volontairement cédé aux Arabes la vaste
presqu'île de la Djazira, c'est-à-dire toute la région qui s'étend
depuis Sousse jusqu'aux environs de Tunis et de là jusqu'au
cap Bon : Aboul Mehacin, qui rapporte le fait, est un histo- ,
1. Cf. Fouruel, p. 162. Sur la date du rappel d'Okba, que Hotb place eu
615, cf. Roth, p. 55-57.
2. Noveiri, p. 121; ibn Khaldoun, I, p. 330.
3. Fournel, I, p. 160-161.
4. Surlbu Rakik, cf. de Slane, /. c, p. 348. Weil n'admet rien de tous ces
faits. Il faut noter pourtant qu' Abou-Mohadjir fut le premier gouverneur
arabe qui resta eu permanence eu Afrique (Abd-ei-llakem cité par Roth,
p. 52).
516 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN APRIQUE
rien du xv« siècle, et aucun des écrivains plus anciens n^a
parlé de ces événements*. Tout au plus peut-on croire que
les musulmans tentèrent une course de pillage dans la direc-
tion de Carthage, et cela d'ailleurs sans grand succès. Lors-
que^ en eflfet, en 681, Okba, rentré en grâce, vint reprendre
possession de son gouvernement d^Afrique, ce n*est point de
ce côté qu'il porta Teffort de ses armes : c'est sur les confins
méridionaux du pays byzantin, c'est dans TOccident lointain,
où les tribus berbères seules lui feraient résistance, que le
fougueux apôtre de Tislam conduisit ses fanatiques soldats.
La glorieuse défense que Constantin Pogonat avait durant
cinq années faite dans sa capitale assiégée (672-677) avait
relevé, à ce quil semble, le courage des impériaux; et la paix
de trente années que Moaviah avait dû signer après ce désas-
tre permettait à Tempereur de renforcer ses garnisons d'Occi-
dent*. D'autre part, le concile œcuménique de 680, en termi-
nant les luttes religieuses nées de la querelle du monothélisme,
avait rétabli la paix dans la monarchie et rallié les ortho-
doxes à l'empire. L'Afrique grecque semble avoir éprouvé le
contre-coup de ces heureux événements. Pour lutter contre
l'invasion arabe, les Byzantins paraissent avoir fait un suprême
eBort: de nouveau, comme au temps de Justinien, leur diplo-
matie réussit h s'assurer l'alliance des Berbères, et de toute
l'Afrique, les grands chefs indigènes vinrent unir leurs contin-
gents aux troupes impériales ou solliciter l'appui des soldats
du basileus. Les tribus de TAurès reçurent des garnisons
grecques dans leurs citadelles de Badis et de Tehouda' ; les
populations du Zab demandèrent et obtinrent les secours du
patrice de Garthage ^ ; et jusque dans la lointaine Maurétanie,
quelques détachements semblent avoir aidé les Berbères à
défendre Tiaret contre^^Okba *. En même temps, on négociait
1. Cf. Kournel, I, p. 163-164.
2. Weil, 1. p. 294.
3. Noveiri, /. c, p. 127.
4. IbD KhaldoQD, p. 286-287; Noveiri, p. 123-124.
0. Ibid.
LA CONQUÊTE DE L'AFRIQUE PAR LES ARABES 571
SOUS main avecEoçéila, qui avait cruellement à se plaindre
du nouveau gouverneur, et n'aspirait qu'à se venger *.
Lorsque donc en 683 Okba, laissant une partie de ses
troupes à la garde de Kairouan, prit la route de TOccident
pour conquérir toute l'Afrique àTlslam, partout les Berbères
et les Grecs — les Roum, comme les nomment les historiens
arabes — s'accordèrent pour lui opposer une énergique résis-
tance '. Après avoir traversé, de l'est à Touest, les grandes
plaines de la Byzacène, le général musulman avait pris sa
route le long du versant septentrional de TAurès. Là, les cita-
delles byzantines de la Numidie offraient à la défense un
appui formidable : Okba ne tarda point à s'en apercevoir. En
avant de Bagai, sous Tabri de ses murailles, il trouva une
armée disposée à lui barrer le passage ; et quoiqu'il réussit,
après une lutte opiniâtre, à rejeter dans la forteresse les Ber-
bères et les Roum, il n'osa pas se risquer à entreprendre le
siège de la place *. Continuant sa marche, il parut devant Lam-
bèse : les populations des environs s'étaient réfugiées en
masse dans la ville ; à l'approche des Arabes, elles les atta-
quèrent avec tant de vigueur qu'un moment Okba se crut
perdu : il parvint cependant à se dégager, mais la citadelle
byzantine était trop forte pour qu'il pût espérer l'emporter *•
l.Cf. Fournel, 1, p. 115.
2. Sur cette expédition, doot Abd-el-Haketn fait uq récit beaucoup plus bref
que les chroniqueurs postérieurs (il est publié dans Roth, p. 61-63. Cf. Weil,
1, p. 288, n. 2), voir Weil, p. 288-290 ; Fournel, p. 166-179, qui admet sans beau-
coup de critique la version traditionnelle, et surtout Roth, p. 61-68, qui a
fort bleu marqué le caractère romanesque du récit de Noveiri (p. 67-68),
vraisemblablement emprunté par cet écrivain au chroniqueur ibn er-Rakik.
Roth admet pourtant qu'il doit y avoir quelques faits historiques dans l'ex-
posé de Noveiri. Cf. A. MUller, /. c, l, p. 353, qui n'admet le récit arabe qu'avec
de grandes réserves.
3. El-Bekri, Journal asial., 1859, p. 394; Ibn Khaldoun, I, 211 ; Roth, p. 67-68,
Cherbonneau a publié {Revue afr., 1869, p. 225) une « Rplation de la prise de
Tébessa par farmée arabe en Van 45 de V hégire, traduite du Fotoh Ifrikia ».
C'est un récit purement légendaire, où il n'y a à noter que la mention du
palriee (p. 237), gouverneur d'Afrique, et du légat qui commandait à Constan-
tine (p. 238).
4. Noveiri, p. 123. Cf. Roth, p. 67-68.
1. 37
578 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Il recula devant ces remparts comme il avait fait devaat ceux
de Bagaî et descendit vers le Zab. Là encore^ la lutte fut rude
et difficile: retranchés dans leurs forteresses, appuyés par des
troupes grecques, les habitants de la région se défendirent :
et quoique les Arabes aient fini par prendre les principales
villes de la contrée, ce succès chèrement acheté n'assurait
nullement la soumission du pays '. Cependant Okba voulut
pousser plus avant sa course: sans laisser derrière lui aucune
garnison, sans s'inquiéter des obstacles qui demeuraient de-
bout après son passage, il s'engagea dans la Maurétanie et
vint attaquer Tiaret. Une grande armée berbère, soutenue par
quelques détachements byzantins, était rassemblée en avant
de la ville : dans une sanglante bataille, les Arabes enfoncèrent
leurs adversaires* ; puis, sans perdre le temps à un siège
difficile, ils pénétrèrent dans la Tingitane et ne s'arrêtèrent,
dit-on, qu'au rivage de TAtlantique'. Mais, pendant ce temps,
derrière Okba, se formait un redoutable orage. Les Byzantins,
rappelant leurs troupes de Tiaret et du Zab, concentraient en
Numidie toutes leurs forces disponibles ; les Berbères, que
l'orgueil d'Okba traitait maintenant en vaincus, n'attendaient
pour se soulever qu'un signal de Koçéila; et le chef indigène,
que les Arabes traînaient à leur suite depuis le commence-
ment de la campagne *, brûlant d'un désir ardent de venger
ses humiliations^ s'entendait secrètement avec les Byzantins
pour couper la retraite au vainqueur. Okba ne se doutait de
rien : plein de mépris pour ces populations qu'il croyait sou-
mises, il reprenait la route de Kairouan, ne gardant avec lui
qu'un petit corps de cavalerie. Parvenu dans le Zab, il se dé-
1. Fournel, I, p. 167.
2. Noveiri, p. 124; Ibn Khaldoun, I, p. 286-287.
3. Weil ii*adinet point qa'Okba se soit avancé jusqu'à Tanger (I, 288, n. 2J.
Cf. Fournel, p. 169-172. Il est d'ailleurs peu probable que le comte Julien
ait dès cette époque commandé à Septem ; en 682 on trouve un comte Simpli-
cius à la tête du territoire byzantin d*Ëspagne {P. L., XCVl, 416), et il est
probable que co personnage résidait à Ceuta. Sur le pays de Sous, où Abd-
el-Hakem conduit Okba, cf. Holb, p. 63-65.
4. Roth, p. 67-68, juge ce fait purement légendaire.
LA CONQUÊTE DE L'AFRIQUE PAR LES ARABES 519
cida, peut-être par prudence, à longer le flanc méridional de
TAurès pour rentrer dans la Byzacëne. Koçéilane lui en laissa
pas le temps : avec de nombreuses bandes berbères, grossies
de quelques troupes grecques, il occupait les places qui jalon-
naient la route : quand Okba parut devant Tehouda, Tancienne
Thabudeos, il se trouva cerné par ses adversaires. On sait
comment le vaillant général, dédaignant de fuir, voulut, sui-
vant son expression, « gagner le martyre » *, et comment il
succomba héroïquement avec la plupart de ses compa-
gnons* (683). Le premier il avait compris l'importance d'as-
surer par un établissement durable la domination musulmane
en Afrique ; par sa téméraire valeur et l'intempérante ardeur
de son fanatisme, il devait iui-mème, malheureusement pour
rislam, compromettre pour quelques années les résultats ob-
tenus.
La mort d'Okba en effet était pour les Arabes un désastre
fort grave : devant le soulèvement général des populations
berbères, la garnison de Kairouan, découragée^ n'essaya
même point de défendre la ville, et évacuant entièrement
l'Afrique, elle alla se retirer à Barca ». Sans coup férir,
Koçéila prit possession de la cité abandonnée par ses défen-
seurs, et, s'il en faut croire les historiens arabes, « il se rendit
maître de la province d'Afrique » *. Sans prendre à la lettre
ces paroles, il semble pourtant qu'un grand état berbère se
constitua sous l'autorité du prince victorieux : on peut croire
qu'il vécut en bonnes relations avec le gouvernement impérial,
dont il avait sollicité l'alliance pour combattre Okba, et dont
les soldats n'avaient pas peu contribué au succès final. Toute-
fois il ne parait point que la domination byzantine se soit de
nouveau, au moins directement, étendue sur la Byzacène.
Les écrivains arabes qui nous ont laissé le récit de ces événe-
1. Noveîri, p. 130.
2. Fouroel, p. 176-178; Amari, I, p. 116-117; Weil, I, p. 290. Abd-el-Hakem
atteste expressément que Koçéila commaDdait « les Grecs et les Berbères ».
3. Noveiri, p. 131.
4. Ibid.
580 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
menls si obscurs, semblent considérer les Roum comme de
simples auxiliaires des Berbères, et ne connaissent dans le
pays d'autre chef que le prince indigène ^ En fait, les impé-
riaux continuaient à occuper fortement toute la Proconsulaire,
la lisière septentrionale de la Byzacène, et la plus grande
partie de la Numidie ; à la fin du vu'* siècle encore, ils tenaient
non seulement tontes les places fortes de la côte, Hadrumëte,
Carthage, Hippone Diarrhyte (Bizerte), Hippone (Bône) ;
mais ils possédaient dans Tintérieur du pays un grand nombre
de citadelles * : la seconde ligne de défense de la province
n'avait été encore entamée par aucune attaque ; en Numidie,
des garnisons étaient installées jusque dans les forteresses qui
bordaient l'Aurès ; et on peut admettre même qu'un lien,
assez lâche sans doute, de vassalité rattachait à ce qui restait
de l'exarchat le royaume berbère de Koçéila; en tout cas une
étroite alliance liait le prince indigène à Tempire byzantin.
IV
La chute de Kairouan procura h TAfrique byzantine an
répit de dix années*. De nouveau les guerres civiles
troublaient profondément la monarchie des Omméiades et
empêchaient les khalifes de venger le désastre de Sidi Okba.
 la vérité^ les historiens arabes du xm^ et du xiv* siècle affir-
ment qu'en 688, Zohéiribn Kaïs, qui était resté cantonné à
Barca, reçut d*Abd-el-Melik Tordre de reprendre Toffensive,
pour délivrer l'Afrique « du joug de Koçéila le maudit » *. On
raconte que, dans une grande bataille livrée dans les plaines
de Mams, le chef berbère, auquel les Byzantins avaient fourni
d'importants secours, trouva la mort en combattant, et que
ses tribus dispersées durent aller chercher asile dans TAurès
1. Cf. Foarael, p. 181.
2. Nicéphore, p. 39; Tbéophane, p. 370. Cf. Fourael, 1, p. 181.
3. Weil, 1, p. 473.
4. Ibn Adzari (Fournel, I, p. 194).
LA CONQUÊTE DE L'AFRIQUE PAR LES ARABES 581
et jusque dans le Zab ' ; on dit que le général arabe reprit pos-
session de Kairouan, mais qu'ensuite, effrayé des difficultés
de sa tâche, pris d'un subit et religieux dégoût pour les choses
terrestres, il évacua la province reconquise, sans même y lais-
ser un de ses lieutenants'; on ajoute que pendant ce temps,
une flotte byzantine, venue de Sicile, avait jeté en Cyrénaîque
un corps de débarquement, et que Zohéir, revenu à Barca, fut
tué en essayant de repousser les envahisseurs^. S'il faut
ajouter foi à ces détails^, dont quelques-uns sont rapportés
par El-Beladori, dont la plus grande partie semble pourtant
singulièrement suspecte, on considérera comme une simple
course de pillage Tentreprise de Zohéir, et on en retiendra ce
fait seulement, que le gouvernement impérial, ayant renou-
velé en Orient la paix avec le khalife % se préoccupait atten-
tivement de défendre ses provinces occidentales '. En tout
cas, après cet épisode, de nouveau la guerre civile obligea
Abd-el-Melik à négliger « les affaires de Kairouan » ' : c'est
seulement en 693 que Hassan ibn Noman vint donner un nou-
vel et décisif assaut aux possessions grecques d'Afrique.
La mort de Koçéila avait eu pour effet de rompre la grande
confédération indigène qui s'était groupée sous l'autorité de
ce chef. '< La désunion, dit Ibn Khaldoun, se mit alors
parmi les Berbères, chacun de leurs cheiks se regardant
comme prince indépendant '. » Les Byzantins semblent avoir
profité de ces troubles pour restaurer un peu plus solidement
leur autorité dans la Byzacène. Le Liber pontificalis rapporte
que, vers 685, « la province d'Afrique tout entière fut de nou-
1. Foarael, I, p. 495.
2. /d., p. 196.
3. W., p. 197.
4. Weil ne les admet absolument pas. CF. A. Mflller, l. c, I, p. 419.
5. Well. I, p. 396, 468.
6. A la fin du vu* siècle encore les empereurs songeaient à reconquérir les
possessions byzantines d'Espagne (Isidor. Pac*, 38). Cf., pour l'Afrique, Lih.
pont, p. 366.
7. Noveiri, p. 133.
8. Ibn Khaldoun, I, p. 213.
582 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
veau soumise à Tempire romain » «; et En-Noveiri ajoute
qu'au moment oii Hassan envahit l'Afrique, le prince le plus
puissant de tout le pays était « le commandant de Kartha-
djinna*» (Carlhage). D'autre part, les Grecs étaient entrésen
relations avec la célèbre reine de TAurès qui réunissait vers
ce temps sous son autorité toutes les tribus du massif monta-
gneux, et que les historiens arabes appellent la Kahena,
c'est-à-dire la prophélesse^. Déjà, en 683, elle avait, dit-on^
pris une part active au soulèvement qui, devant Tehouda,
brisa la fortune de Sidi Okba*; la chute de Koçéiia avait de-
puis lors accru encore ses forces et son prestige ; non seule-
ment les populations berbères, toujours éprises de merveil-
leux, obéissaient aveuglément aux ordres inspirés de la sou-
veraine, mais son pouvoir semble s'être étendu jusque sur les
agglomérations chrétiennes de la Numidie méridionale '.
Lorsque donc, avec 40,000 hommes, — la plus forte armée
que les khalifes eussent encore envoyée en Occident —
Hassan envahit laByzacène, l'Afrique offrait de nouveau les
éléments d'une sérieuse résistance •.
Négligeant pour le moment les indigènes de l'Aurès, le gé-
néral musulman suivit la roule du littoral^ et emportant suc-
4. Lia, ponl»t p. 366 : « et proviocia Africa pubjugata est RomaDO imperio
atque restaurata. » Le texte se troave dans la Vie de Jean V (682-686) et Tise
sans doute les éTénements qui suivirent la paix conclue en 685 avec le khalife.
2. Noveiii, p. 134.
3. Cf. Fournel, I, p. 215-218; Rec, de ConsL, 1882-83, p. 232 sqq., et surtout
254-255.
4. Ibn Khaldoun, III, p. 193.
3. Baian (Fournel, I, p. 215j et iind., ï, p. 218. Cf. Masquera;, Fottnalion des
ciiéSy p. no.
6. M On ignore, dit Ibn Adzori, les véritables dates des expéditions de Hassan,
de la prise de Carthage, de Tunis, du combat où la Rahena trouva la mort a
(dté par Fournel, I, p. 215, n. 3). Cf. sur celte incertitude, de Slane, Bisi, des
Berb., I, p. 339; Rotb, p. 25 sqq. J*ai suivi en général la chronologie adoptée
par Amari (I, p. 119-121). Elle s'accorde avec celle de Weil pour la première
campagne du général arabe (I, p. 473-414); elle en diffère avec raison pour la
suite (Weil, p. 475-477); celle de Fournel (I, p. 211 sqq.), suivie par Mercier (I,
p. 212-217), qui place en 696 seulement Texpédition de Hassan, semble peu
satisfaisante.
LA CONQUÊTE DE L'AFRIQUE PAR LES ARABES 583
cessivement les places qu'il rencontra, il parut, sans doute
vers 695, sous les murs de Carlhage. \ainement l'exarque
tenta de livrer bataille en avant de la ville : il fut rejeté dans
la place, et^ après un assaut furieux, la capitale de l'Afrique
byzantine tomba aux mains des musulmans \ Une partie de
la population eut le temps de s*embarquer, et elle alla chercher
asile dans les îles voisines de la côte, en Sicile et jusque dans
les possessions que l'empire conservait encore dans l'Extrème-
Occident; le reste fut passé parles armes ou réduit en escla-
vage. Quant aux débris des troupes grecques, ils se concen-
trèrent au nord et à l'ouest de Carthage, dans la région de
Bizerte et à Tabri des fortes murailles de Vaga*. Pour Hassan,
après avoir mis garnison dans sa conquête, il se retourna du
côté des Berbères.
Quand la nouvelle de la chute de Carthage parvint à
Byzance, l'émotion fut grande dans la capitale. Le nouvel
empereur Léontius, qui venait de renverser Justinien II (695),
comprit qu'on ne pouvait sans lâcheté abandonner une des
plus importantes provinces de Tempire, et qu'un effort éner-
gique devait êlre tenté pour la recouvrer. On arma tous les
vaisseaux de guerre que possédait la monarchie, et à la tète
de l'armée qui s'embarqua sur cette flotte considérable, on
plaça le patrice Jean, un des meilleurs généraux de l'empire.
En 697 ce grand armement parut devant Carthage ; de vive
force le général grec força l'entrée du port, chassa la garnison
arabe, réoccupa la ville. C'était un beau succès : le patrice
réussit à faire mieux encore : « il arracha aux mains des infi-
dèles,, dit le patriarche Nicéphore, toutes les forteresses du
pays, il y installa pour les défendre des garnisons nom-
breuses », et ayant ainsi délivré l'Afrique, il revint passer
rhiver à Carthage».
i. Nicéph., p. 39 ; Théoph., p. 370; EI-Bekri, Journal asiat.^ 1858, p. 506-508.
2. Fournel,!, 242-213.
3. Nicéph., p. 39; Théoph., p. 370. La date de 697 est certaine. Foornel se
trompe en disant que les historiens arabes ont dissimulé cet échec (I, p. 213);
cf. El-Bekri (Journal asiat., 1858, p. 508).
584 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Les Arabes n'avaient rien pu tenter pour arrêter la marche
victorieuse des Byzantins. Hassan avait en effet complètement
échoué dans Texpédition qu'il tentait contre TAurès. A l'ap-
proche des musulmans, la Kahena descendant de ses monta-
gnes avait audacicusement pris position dans la plaine de
Bagai^ avec une énorme armée où toutes les populations
chrétiennes de la région étaient venues grossir les contingents
berbères ; la bataille se donna sur les bords d'une petite ri-
vière, rOued Nini, qui verse ses eaux dans la grande lagune
du Guorah-el-Tarf ; elle fut désastreuse pour les Arabes.
Malgré des prodiges de valeur, ils furent mis en pleine dé-
route, rejetés de Numidie en Byzacène, poursuivis Tépée dans
les reins jusqu'aux environs de Gabès : et au moment même
où la flotte grecque paraissait devant Carthage, Hassan, inca-
pable de se maintenir en Afrique en face du soulèvement
général des indigènes, évacuait la province et reprenait tris-
tement la route de Barca'.
Il n'y demeura point fort longtemps : dès 698, le général
musulman rentrait en Byzacène, et bientôt il reparaissait
sous les murs de Carthage, en même temps qu'une flotte consi-
dérable attaquait la place du côté de la mer'. L'escadre byzan-
tine, battue par des forces supérieures, menacée jusque dans
le port où elle avait cherché refuge, dut se résoudre à repren-
dre le large ; ainsi abandonnée, la ville, vigoureusement
assaillie du côté de la terre, tomba bien vite aux mains des
infidèles. Désespéré de ce grand désastre, qu'il avait été inca-
pable d'empêcher, le patrice Jean repartit pour TOrient avec
les débris de son armée et de sa flotte •. II espérait bien qu'un
avenir prochain lui permettrait de revenir avec des forces
nouvelles réparer sa défaite * ; les événements se chargèrent
1. Fournel, I, p. 218-220; Weil, p. 474.
2 Théoph., p. 370. Weil n'admet point non plus que Hassan resta pendant
cinq ans immobile à Barca (cf. Fournel, l, p. 222-223), mais il croit que la Kahéna
fut battue avant la reprise de Carthage par les Arabes, et il fait honneur de ce
succès à Mouça (Weil, I, p. 476-477, 513). Cf. A. Mûller, /. c, p. 419-420.
3. Théoph,, p. 370; Nicéph., p. 39.
4. Ibid. Ici aussi la date de 698 est certaine.
LA CONQUÊTE DE L'AFRIQUE PAR LES ARABES 585
bientôt de dissiper cette illusion. Jamais plus les escadres
byzantines ne devaient revoir les rivages de Carthage(698).
Cette fois c'en était fait de la domination grecque en Afri-
que : devant Tépée victorieuse des musulmans, les populations
fuyaient éperdues, s'embarquant en toute hâte pour chercher
un refuge dans les îles de la Méditerranée *, ou demandant
un asile aux citadelles de la Proconsulaire, où de rares gar-
nisons impériales se défendaient encore *. Successivement
Hassan emporta toutes ces forteresses, et sans résistance ses
soldats ravagèrent et pillèrent tout le pays. Toutefois, si la
province était définitivement perdue pour Byzance, elle était
loin d'être pleinement soumise : dans TAurès, et dans toute
la région qui avoisinaitla montagne, les tribus de la Kahena
étaient en armes, et autour de la prophétesse se groupaient
toutes les populations chrétiennes qui refusaient de faire leur
soumission aux vainqueurs. Pour défendre leur indépendance,
les indigènes n'avaieitt pas reculé devant les partis les plus
extrêmes : sur Tordre de la Kahena, les villes avaient été dé-
truites, les arbres coupés, les cultures incendiées ; tout le
pays qui, disent les historiens arabes, « depuis Tripoli jusqu'à
Tanger n'était qu'un seul bocage », avait été complètement
ruiné '. A la vérité^ ces sacrifices ne s'étaient point accomplis
sans mécontenter une grande partie des populations africaines;
et les habitants des villes en particulier en étaient profondé-
ment irrités *. Lorsque Hassan parut, bien des défections se
produisirent ; et après une bataille longue et acharnée la reine
berbère périt glorieusement*. Longtemps encore son souve-
nir vécut dans Timagination des indigènes : pour eux, Tam-
phithéàtre romain d'El-Djem devint le château de la Kahena,
qu'un souterrain long de six lieues mettait en communication
1. Amari, I, p. 165-166; Tissot, II, p. 136.
2. Nicéph., p. 39
3. Fouroel, 1, p. 221.
4. NoTeiri, /. c, p. 559.
5. Pournel, 1, p. 223-224; A. MaUer, l. c, p. 421, qui place ces événements
vers 703.
586 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
avec le littoral* ; et depuis i' Au rès jusqu'à Tabarka% en vingt
endroits, on montra la place où avait péri le dernier défenseur
de rindépendance berbère.
Des provinces orientales de Texarchat d'Afrique, l'empire
grec, au commencement du viu* siècle, ne conservait donc
plus même un lambeau: tout près de l'endroit où comman-
dait jadis le patrice de Carthage, on trouvait maintenant, au
fond du lac de Tunis, un grand port de guerre, d'où les flottes
sarrasînes allaient s'élancer pour porter le pillage à travers la
Méditerranée « ; avec la même facilité qu'ils avaient accepté le
christianisme, les Berbères maintenant se convertissaient à
rislam et servaient sous Tétcndard du Prophète aussi fidèle-
ment qu'ils avaient combattu sous les drapeaux du basileus^ ;
et les populations catholiques, diminuées par Témigration,
cruellement éprouvées par les conséquences de tant de
guerres, ne marchandaient plus guère leur soumission au
vainqueur. Toutefois, et malgré tant de désastres, la province
byzantine d'Afrique n'avait point totalement disparu. Non seu-
lement la Sardaigne continuait à appartenir aux impériaux,
mais aux extrémités de l'Occident, ils conservaient un inex-
pugnable boulevard, qui permettait à la vanité du prince de
faire, comme jadis, figurer l'exarchat d'Afrique sur la liste
officielle des provinces de la monarchie. Autour de la forte
1. El-fiekri, Joumal osiaLy 1858, p. 463, 487 488.
2. IbQ Khaldoun, I, p. 214; El-Bekri, Journal asiat., 1859, p. 78.
3. Ibn Koteiba (publié daos Gayaoï^os, History of Ihe Mohammedian dynas-
ties inSpain, t. I, Appendice E), p. lxvi; Amari^ I, p. 166-168.
4. Ibo KbaldouD, I, p. 212 (ZeDataetMaghraoua), p. 214 (Djeraoua). Toutefois
une portion des Berbères demeura d'abord chrétienne {ibid. I, p. 215) et la
conversion des autres fut longtemps assez incertaine. « Les Berbères, dit Ibn
Abi Yezid, apostasiërent jusqu'à douze fois tant en Ifrikia qu'au Maghreb et
ils n'adoptèrent définitivement l'islamisme que sous le gouvernement de
Mouça ibn Noceir » (Ibn Khaldoun, I, p. 198 et 215).
LA CONQUÊTE DE L'AFRIQUE PAR LES ARABES 587
citadelle de Ceuta (Seplem) se groupaient, comme à la fin
du VI* siècle, les débris de la Maurétanie seconde, quelques
territoires conservés dans la Tingitane, quelques places gar-
dées ou reconquises sur les côtes d'Espagne *, et enfin les îles
de Majorque et de Minorque. Au commencement du vin® siècle,
ce gouvernement était considéré à Byzance comme un véri-
table thème, et à côté des thèmes de TOpsikion, des Anato-
liques, des Thracésiens et des Arméniaques, la chancellerie
impériale faisait officiellement place à celui de Septem, qu'on
dénommait plus pompeusement encore YAfricanus exerci-
tus*. Il semble même, suivant l'ingénieuse conjecture de Dozy,
qu'après la chute de Carthage le gouverneur de Septem
reçut le titre d'exarque, et que sous ce nom il administra
toutes les possessions africaines échappées à la conquête mu-
sulmanes. Sans doute, « entouré de barbares et séparé par de
vastes pays d'avec les autres provinces de Tempire byzantin,
l'exarque de Ceuta devait, parla force des choses, se rappro-
cher du roi wisigoth, le seul prince chrétien qui se trouvât
dans son voisinage » * ; et c'est pour cela que la tradition
arabe a fait du comte Julien un gouverneur de Ceuta pour le
roi d'Espagne. En fait, ce personnage fut le dernier représen-
tant en Afrique de Tautorîté du basileus, et il prolongea de
dix ans en Occident la durée de la domination grecque.
Depuis que Mouça ibn Noseir avait remplacé Hassan à Kai-
rouan (704) » l'Islam aspirait à conquérir toute TAfrique. La
prise de Carthage et la défaite de la Kahena n'avaient guère
4. Od a vu les eiTorts faits de ce côté sous Constantin Pogonat et Josti-
nien 11 (Fsid. Pac, 38 ; P. L., XCVÏ, 1264). Il semble qu'il y avait encore une
Espagne byzantine (P. G., XCVIIl, 685, 697).
2. P. L,, XCII, 427. Cf. Geizer, Georg. Gypr., p. xuii.
3. Isid. Pac, 40, et la correction de Dozy, Recherches^ I, p. 64-70. Ibn Ko-
teiba, /. c, p. lxix, parle également d'une ville des Roura, qui était gou-
vernée par un patrice.
4. Dozy, id., p. 70.
5. Ibn Roteiba, L c, p. lvi, place en 698 déjà rarrivée de Mouça en
Afrique, et date les événements suivants en conformité de ce point de départ.
Weil a admis cette chronologie (p. 477-478). Cf. Mûller, /. c, p. 422-423.
588 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
livré aux Arabes que les anciennes provinces byzantines de
Byzacène, de Proconsulaire et de Numidie ; les Maurétanies,
où depuis la rapide expédition de Sidi Okba les musulmans
n'avaient point reparu, demeuraient pleinement indépen-
dantes, et de grands états indigènes peuplaient la vaste région
que les historiens orientaux appellent le Maghreb*. Ce fut
Tœuvre de Mouça d^étendre jusqu'à TAtlan tique la domination
du khalife. Après avoir rapidement réprimé le soulèvement
que le rappel de Hassan avait suffi à provoquer dans la Pro-
consulaire ', l'audacieux général se lança résolument vers
rUccident, brisant sur sa route toutes les résistances berbères,
et traînant à sa suite des milliers de captifs. Successivement il
vainquit et décima cruellement la puissante tribu des Auraba,
écrasa sur la Moulouia une grande armée indigène *; puis il
envahit la Tingitane et vers 706 il parut sous les murs de
Septem. L'ofKcier byzantin qui y commandait au nom de Jus-
tinien II était le comte Julien, dont les historiens arabes ra-
content, d'ailleurs avec peu de vraisemblance, qu'il avait,
vingt-quatre ans auparavant, été en relations avec Okba *.
Contre Tattaque des musulmans, les Grecs se défendirent
énergiquement, et Mouça éprouva bien vite « que les sujets
de Julien étaient, comme le dit un historien, plus forts et plus
braves que les peuples qu'il avait combattus jusque-là » ^.
Soutenus par les renforts qu*ils recevaient d'Espagne, les im-
périaux réussirent même à faire lever le siège de la ville ;
Mouça, abandonnant le littoral, se jeta dans l'intérieur du
Maroc, qu'il ravagea jusqu'aux oasis de Sidjilmessa* ; puis,
revenant vers la côte, il emporta Tanger, où il mit une forte
4. Fournel, p. 233; Weil, I, p. 513; Amari, T, p. 122-i23.
2. Ibn Koteiba, /. c, p. lvi-lvii. Cf. Fournel, p. 230-231.
3. Ibn Koteiba, /. c, p. lx-lxiii.
4. Foarnel, p. 169-170.
5. Akhbar Madjmoua, dans Dozy, Rech,, 1, p. 45-46. Cf. Ihn Koteiba, {. c,
p. LXIX.
6. Fournel, p. 233-236.
LA CONQUÊTE DE L'AFRIQUE PAR LES ARABES 58d
garnison ' ; et ayant ramassé un butin énorme, propagé l'Is-
lam jusqu'aux extrémités de l'Occident, il rentra vers 708
ou 709 à Kairouan.
On sait comment, peu de temps après, le dernier gouverneur
byzantin d'Afrique livra Septem aux infidèles (709). Intime-
ment mêlé à toutes les luttes intérieures du royaume wisigoth,
le comte Julien avait pris contre l'usurpateur Roderic le parti
des fils de Witiza dépossédés ; pour donner à ses amis politi-
ques Tappui dont ils avaient besoin, il n*hésita point à faire
appel aux Arabes. Il ouvrit les portes de sa forteresse à Tarik,
qui commandait à Tanger pour Mouça, il lui montra l'Espa-
gne sans défense contre les razzias des musulmans, il lui
fournit même les navires nécessaires pour franchir le dé-
troit'. A quelles conditions Julien livra-t-il ses citadelles ? il
est probable qu'il s'y réserva certains droits de souveraineté
pour lui et sa famille *. Il ne semble point d'ailleurs que cet
événement^ qui consommait en Afrique la chute de la domi-
nation grecque, ait eu en Orient aucun retentissement: seuls,
quelques chroniqueurs occidentaux notèrent la prise de Sep-
tem par les Arabes *. C'est qu'aussi bien ils pouvaient, mieux
que les Byzantins, en sentir toute la gravité. Déjà, à plusieurs
reprises, dans les dernières années, les escadres sarrasinés,
sorties des ports de Tunis, étaient venues ravager la Sicile, la
Sardaigne, les Baléares * ; maintenant le continent européen
même s'ouvrait aux infidèles, et en quelques années les mu-
sulmans allaient atteindre, bientôt franchir les Pyrénées et
pousser leur marche victorieuse jusqu'au jour où Charles
Martel l'arrêtera dans les plaines de Poitiers.
1. Weil, 1, p. 514-515. Sar tous ces événements, cf. Mûller, l. c, p. 422-423,
qui les place de 706 à 709.
2. Ibn Koteiba, /. c, p. lxx-xxi; Fournel, p. 239-241; Weil, 1, p. 517.
3. Cf. Ibn Khaldoun, 11, p. 136; Dozy, l.c, p. 65, et sur la conquête, Dozy,
Hist, des musulmans d'Espagne, II, 31-38. L'histoire de la fille du comte Julien
se trouve déjà dans Âbd-eUHakem (Weil, p. 515, n. 2).
4. Lib, pOHtif,f p. 401.
5. Ibn Koteiba, l, c, p. lxvi-lxvhi. Cf. Âmari, I, p. 168-169 (Sicile, 704 et
705), 169-171 (Sardaigne, 710).
590 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
On peut se demander, au terme de ce chapitre, ce que la
conquête arabe épargna de Toeuvre accomplie en Afrique par
Byzance. Sous Taulorilé des empereurs, la province avait,
malgré les troubles et les guerres, connu pourtant une réelle
prospérité : maintenant, grâce à la cruauté des envahisseurs,
grâce aussi à la sauvage résistance des indigènes, le pays
était dépeuplé et ruiné. Des milliers de captifs avaient été
emmenés en esclavage pour être vendus sur les nfiarchés
d'Orient; des populations entières avaient été massacrées ou
avaient quitté le pays pour échapper à la rage du vainqueur.
« La plupart des villes de Tlfrikia, dit un historien, étaient dé-
sertes, par suite de la résistance qu'opposèrent les Berbères » ^ ;
les campagnes étaient abandonnées, les établissements agri-
coles incendiés^ les travaux d'eau détruits ; aujourd'hui encore,
dans les cités mortes de la Tunisie, demeurées pour la plupart
en l'état où les mit l'invasion arabe, on retrouve à chaque pas
les traces de ces terribles ravages.
Sous la domination des basileis^ le christianisme s'était, de
concert avec la civilisation, propagé parmi les tribus berbères.
Bien peu d'années suffirent à faire passer les indigènes à
l'Islam. Sans doute on peut croire qu'au début beaucoup
de ces conversions furent obtenues par la force ; les procédés
durs et hautains d'un Okba ou d'un Hassan n'étaient point
pour provoquer des enthousiasmes bien sincères '. Pourtant
de très bonne heure, l'imagination superstitieuse des Ber-
bères fut profondément frappée par les prestiges des con-
quérants arabes ^, et dès le temps de Mouça ibn Noseir, la
plus grande partie des tribus étaient devenues familières
avec le Coran et les rites de l'Islam *. « La nouvelle pro-
fession de foi, dit Amari, était facile à faire ; la participation
au butin était un point que comprenaient vite les nouveaux
1. Ibn Adzari (Fournei, I, p. 233). Sur la masse des prisonniers, Amari, 1,
p. 124.
2. Masqneray, Formation des cités, p. 183-184.
3. Dozy, Hisl, des musulmans d'Espagne^ l, p. 236-237.
4. IbD KhaldouD, I, p. 198 el 215.
LA CONQUÊTE DE L'AFRIQUE PAR LES ARABES 591
convertis ; les armes étaient toujours prêtes pour punir les
apostats ))i. Dès 719 l'œuvre de la propagande arabe avait
fait de tels progrès, '< le Maghreb, suivant l'expression
d*El-Beladori, avait vu un nombre si considérable de conver-
sions*», que lorsque, peu d'années après, les indigènes se
révoltèrent contre la domination des khalifes, c'est une hé-
résie musulmane^ celle des Kharedjites, qui donna au sou-
lèvement son unité et sa force*. 11 est certain d'ailleurs que,
dès le lendemain de la conquête, les Berbères ne firent
point difficulté à combattre pour leurs nouveaux maîtres : ce
sont leurs contingents qui, presque seuls, sous les ordres de
chefs de leur race, ont renversé le royaume wisigoth et
soumis TËspagne à Tlslam.
Enfin, sous le gouvernement des souverains de Gonstanti-
nople, rÉglise catholique avait été florissante dans la pro-
vince; pour elle aussi la décadence fut prompte. Tout d'a-
bord les vainqueurs avaient permis aux populations chré-
tiennes de continuer à pratiquer leur culte, sous condition
de payer une taxe déterminée^; et pourtant, dès ce mo-
ment, soit pour conserver la possession de leurs biens,
soit pour échapper aux mauvais traitements, beaucoup de
fidèles avaient embrassé l'islamisme, et, comme le dit un
historien, a une masse d'églises avaient été transformées en
mosquées'* ». Vers 717^ le khalife Omar II relira aux catholi-
ques leurs privilèges ; ils durent se convertir ou quitter le
pays*. Beaucoup émigrèrent, s'en allèrent en Italie, en Gaule,
jusqu'au fond de la Germanie ^ ; un plus grand nombre encore
abjura; et moins d'un demi-siècle après la conquête, l'Église
1. Amari, I, p. 123.
2. Fournel, p. 270.
3. Masqueray, /. c, p. 184-191 ; Amari, I, p. 127-129; Mercier, 1, p. 229-231.
4. Ibn KhaldouD, I, p. 215.
5. Mercier, I, p. 225.
6. Mon. Germ. hisL, Epist. 111, 267.
7. Amari, I, p. 157. Pourtant des Ilots chrétiens subsistèrent : auziv« siècle,
dans les villages des Nefzaoua, on rencontrait quelques communautés cliré-
tiennes, qui s'étaient maintenues depuis la conquête (Ibn Kbaldoun, I, p. 231).
892 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
d'Afrique, jadis si illustre, était pour ainsi dire réduite à rien.
Pendant près de deux siècles Tempire byzantin avait, dans
ces contrées, recueilli, non sans gloire, le lourd héritage de
Rome ; pendant près de deux siècles, il avait, à Tabri de ses
forteresses, assuré au pays une grande et incontestable pros-
périté ; pendant près de deux siècles, il avait, dans une partie
de l'Afrique du nord, maintenu les traditions de la civilisation
antique et initié par sa propagande religieuse les Berbères à
une culture plus haute : en cinquante ans la conquête arabe
ruina tous ces résultats.
CONCLUSION
Parmi les écrivains qui ont raconté l'histoire de l'empire
grec d'Orient, plus d'un s'est demandé si la reprise de l'Afri-
que par Justinien n'a point été, malgré le glorieux succès de
cette expédition audacieuse, une cause de faiblesse pour la
monarchie. Et en effet il faut avouer que le souci, si inter-
mittent qu'il ait été, des affaires d'Occident a plus d'une fois
amené les basileis à négliger les périls plus pressants qui les
menaçaient, et que l'orgueilleuse prétention de recueillir tout
entier l'héritage de la vieille Rome a eu pour conséquence une
dispersion excessive des forces vitales de l'empire. L'histoire
de la domination byzantine en Afrique mérite cependant,
malgré cette réserve fondamentale, un sérieux intérêt : pen-
dant les deux siècles que les Grecs ont possédé cette province,
de curieux événements s'y sont accomplis, également impor-
tants pour l'étude générale des institutions de l'empire et
pour celle des destinées particulières de l'Afrique du Nord.
Au moment où Justinien rentra en possession de Carthage,
tout en Afrique était à reconstituer. Malgré les difficultés de
cette tâche prodigieuse, l'empereur et ses lieutenants suffirent
à tout : et dans la manière dont ils organisèrent leur conquête,
ils se montrèrent les dignes successeurs de cette Rome dont
ils retrouvaient à chaque pas le souvenir et les traditions. Ils
surent en particulier créer en Afrique un vaste système de
défense, dont les citadelles démantelées excitent aujourd'hui
encore notre admiration ; ils surent vaincre d'abord, et sur-
tout faire après la victoire entrer les Berbères dans la clientèle
de l'empire ; et dès le début, ils surent tracer les règles d'une
1. 38
594 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
politique qui durant deux siècles servit de guide à la domina-
tion africaine de leurs successeurs.
Plus lard, l'Afrique comme Tllalie sentit le contre-coup de
la grande réforme administrative qui commençait à trans-
former la monarchie byzantine ; Thistoire de l'exarchat de
Garlhago éclaire, comme celle de Texarchat de Ravenne, le
caractère et la portée de la réforme d'où sortit le régime dos
thèmes.
Enfin, lorsque vint la décadence, les mêmes causes qui rui-
naient dans tout l'Occident Téditice du pouvoir impérial
agirent en Afrique avec une rare efficacité. Dans Tadminisl ra-
tion, les mêmes faiblesses et les mêmes vices, dans la politique,
les mêmes imprudences et les mêmes maladresses produisi-
rent les mêmes résultats et livrèrent la province presque sans
défense aux furieuses attaques de Tlslam.
Par là une étude, assez limitée en apparence, peut jeter de
vives clartés sur l'histoire générale de l'administration et du
gouvernement byzantin durant le vi® et le vii« siècle. Ce n est
pas tout. Pour l'Afrique, les deux siècles de la domination
byzantine n'ont point été sans conséquences. Pendant deux
siècles, les basileis ont entretenu dans ces provinces un der-
nier reflet de la civilisation romaine ; sans Justinien, le
royaume vandale, si faible, eût bien vite cédé la place à la
sauvagerie berbère : les empereurs ont retardé de deux siècles
la catastrophe qui a fait disparaître les derniers vestiges de la
culture romaine *.
Ce ne sont point là de médiocres services. Sans doute on
peut juger sévèrement les vices de l'administration byzantine,
sa corruption, sa rapacité, ses impolitiques rigueurs : il faut
(1) Je ne saurais en effet accepter les conclusions d'Hodgkin, qai estime que
le royaume vandale eût été capable de tenir en échec et de ciYiliser les Ber-
bères et plus tard de briser Télan de l'iovasion arabe, et qui déclare en con-
séquence que « les conquêtes de Justinien ont en réalité ouvert le chemin aux
barbares » {Italy and lier invaders, IV, 27, cf. liF, 695). J'ai suffisamment mon-
tré la désorganisation profonde de l'état vandale pour n*avoir pas à discuter
en détail cette opiuiou.
CONCLUSION 393
reconnaître pourtant que les Byzantins ont donné en Afrique
une grande et remarquable preuve de vitalité. Ils y ont ac-
compli une œuvre militaire qui tient du prodige, ils y ont
poursuivi une œuvre religieuse, qui n'a pas été sans succès
et sans gloire. Assurément Tlslam a effacé jusqu'au souvenir
du christianisme, et les forteresses ont été finalement impuis-
santes à arrêter les soldats du khalife. Néanmoins le passage
des Byzantins en Afrique n*a été ni inutile ni stérile : ils y ont
pendant deux siècles continué et en quelque sorte prolongé
l'œuvre de Rome ; et cela seul suffirait à leur mériter quelque
estime. Us ont su, dans des circonstances singulièrement
difficiles, fonder et conserver leur autorité sur cette portion de
rOccident ; ils s'y sont montrés capables d'efforts persévé-
rants, de courage militaire, d'intelligence politique et diplo-
matique ; surtout ils ont su vivre et durer. Un des généraux
musulmans qui les combattirent disait des Byzantins qu'ils
étaient n des lions dans leurs forteresses et des aigles à
cheval »* : un tel hommage montre qu'ils ne furent ni des ad-
versaires ni des maîtres méprisables. Sous leur autorité,
l'Afrique, solidement défendue, fut en somme prospère et
florissante. Il est d'usage d'exalter — et fort légitimement —
les grands services que Rome a rendus à l'Afrique, les mer-
veilleuses qualités qu'elle y a développées : on doit à quelque
égard semblable justice à ces Byzantins qui se vantaient
d'être encore des Romains ; en faisant rentrer l'Afrique au
sein de l'empire, ils ont renoué la tradition interrompue par
la conquête vandale, et été, non seulement de nom, mais de
fait, les héritiers et les continuatieurs dos Césars.
1. Iba Koteiba, L c, p. lxxxviii.
APPENDICE
PRÉFETS DU- PRÉTOIRB ET GOUVERNEURS MILITAIRES D AFRIQUE
A l'époque byzantine*
Nous pouvons, à l'aide des textes^ reconstituer d*uno ma-
nière assez complète la liste des préfets du prétoire d'Afrique
et des magistin miliium, remplacés plus tard par les exarques,
qui exercèrent dans la province l'autorité militaire. Nous avons
dressé cette liste sur deux colonnes parallèles, indiquant par
des italiques les personnages qui ont réuni entre leurs mains
les deux fonctions ; nous avons réservé pour les notes mises
à la suite de cette liste les références qui justifient notre classi-
fication et les discussions que soulèvent quelques-uns des
documents que nous avons employés.
Préfets du prétoire d'Afrique. Magistri militum Africae.
Archélaos (avril 534) i. fiélisaire, chargé, comme magisUr
militum per Orientem^ de la réor-
ganisation militaire de 1* Afrique *<.
Solomon (!•' janvier 535)». So/omon (sept. 534)23.
Symmaque (fin 536)3. Germanos (fin 536) m.
Solomon (539) «. Solomon (539) S5.
Sergiu8(544)M.
Athanase (fin 545) % encore mentionné Aréobiode (fin 545)^7.
en Afrique en 548.
ArUbane(mai546}».
(1) Nous notons, a côté de ciiaque nom, la date où pour la première fois il
est mentionné comme titulaire de sa charge. Quand une lacune existera dans
la lidte, nous intercalerons des lignes de points.
APPENDICE 597
Paul (sept. 552) •. Jean Troglita (fin 546) 2*, encore men-
tionné en Afrique en 552.
Boétius (entre 555 et 560)7.
Jean (oct. 558) 8.
Aréobinde (janv. 563)9? Jean Rogathinos (déc.562]30.
Marcien (563)31.
Thomas (563)iO.
Théodore (569) h. Théodore (569) 32.
Théodore (mars 570) i£. Théoctistos (570)33.
Lucius Map... (entre 565 et 574)^3 Amabilis (571)34.
... praefectus (entre 574 et 578) i*.
Thomas (entre 578 et 582) is. Gennadius (578)35.
Théodore (août 582) i«. Vitalins (entre 578 et 582) 36 .
Préfets du prétoire d'Afrique.
Ezarqnet d'Afriqne.
Jean (date incertaine, mais contem-
poraine de Gennadius) 17.
PanUléonUumet594)i3.
Innocent (juillet 600)1*, encore men-
tionné en oct. 600.
Grégoire (juin 627) îo.
Georges^i (commencement de 641).
Gennadius (juillet 591) 37, encore
mentionné en Afrique en octobre
598.
Héraciius (avant 602)^3. encore men-
tionné en Afrique en 610 ; meurt vers
611 à Cartbage.
Caesarius (vers 615)3»?
Nicétas (entre 619 et 620) *o.
Pierre (633) *i.
Grégoire42 (juillet 645).
1. Archélaoa. Cod. Just., I, 27, 1.
2. Solomon. Nov, 36, 37.
3. Symmaque. Proc , BelL Vand,, p. 482.
4. Solomon, C. l. L., VIII, 4799. Dans une novelle d'avril 538 (iVoo. 66, i),
il est fait mention de Solomon, préfet du prétoire d'Afrique : il ne faudrait
pourtant point conclure de ce texte qu'à cette date Solomon remplissait cette
charge. Dans le. passage en question, Justinien rappelle en effet une consti-
tution adressée à ce personnage antérieurement à 538 ; l'acte est perdu, mais
sa date précise nous est donnée par la constitution grecque à laquelle le même
passage fait allusion, et qui n'est antre que la novelle 18. Or, cette novelle est
datée de 536 : l'acte dont il est fait mention se rapporte donc à la première
préfecture de Solomon.
5. Athanase, Proc, Bell, Vand., p. 513. Partsch, Préf. à Corîppus, n. 194.
Ç. PçiuL Nov, 160 (éd. Zacbariae). Dans la lettre des clercs italiens, datée du
598 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFUIQUE
commeucement de 552 (Won. Germ. hisl.^ Epistolae^ lll, 440), il est ques-
tion d'uQ praefeclus Africae dont on ne dit pas le nom. Il se peut que ce soit
déjà le préfet Paul.
7. Boélius. Migae, P. L,, LXIX, 411. Comme ce texte est un fragment noa
daté d'une lettre de Pelage l^^, il se peut qu'il faille placer Boétius après Jean.
8. Jean. Nov. 169 (éd. Zachariae).
9. Aréobinde. Nov. 173 (éd. Zachariae), Zachariae suppose que ce person-
nage était à cette date préfet d'Afrique (t. II, p. 403) et il est incontestable
que, si la date de cette constitution est exactement fixée (t6id., I, p. iv), la
chose est possible. Si en effet en 553 Aréobinde était préfet du prétoire d'Orient
{Nov. 163, éd. Zachariae), il avait été en 555 remplacé dans ces fonctions par
le préfet Pierre (Nov. 165) qui les occupait encore en 559 [Nov, 182). LanoYelle
d'ailleurs étant écrite en latin, il semble vraisemblable qu'elle était destinée a
rOccident. Toutefois Zachariae lui-même a douté plus tard de son hypothèse,
et se demande {Appendix, p. 31) si cette constitution n*a point été adressée
à Léon, préfet d'Italie. Il subsiste donc un doute.
10. Thomas. C. I. L., Vlll, 1434.
11. Théodore. Jean de Biclar, ad a. 569.
12. Théodore. Novellae conslilutiones, VI (ZachariaB, Ju$ graeeo-romanum^
\U, p. 13-14). Cf. Nov. XIU {ibid., p. 30j. H se peut, si la chronologie de Jean de
Biclar n'est pas tout à fait exacte (cf. Mommsen, p. 208-210 de Tédition), que
ce personnage doive se confondre avec le précédent. Dans ce cas il faudrait
reculer d'une année la date des magistri milUum Théoctistos et Amabilis.
13. Lucius Map... C. 1. L., VIII, 1020. La restitution du Corpus donne
P(roc.) P. (A..), proconsul p7'ovinciae Africae, J'inclinerais plutôt à lire P{raef.]
F{raet)f praefeclus praetorio,
14. C. /. L., VIII, 10498. Je ne sais pourquoi le Corpus restitue Zosimianus.
15. Thomas. C. I. L., VIII, 2245 et Bull, des Antiquaires, 1895, p. 171. Cf.
notre discussion à la p. 462, note 5.
16. Théodore. Novellae consl., XIII (Zachariae, /. c, p. 30-31).
17. Jean. C. /. L., Vlll, 12035. Ce personnage est nommé dans rinscriptioo
avec le patrice Genoadius : mais il peut, en l'absence d'indication plus pré-
cise, se placer également après Pantaléon.
18. Pantaléon. Greg. M. Epist., 4, 32.
19. Innocent. Greg. M. Epist., 10, 37; 11, 5.
20. Grégoire. Migne, P. L., LXXX, 478; Jaffé, 2015.
21. Georges. Migue, P. L., XCI, 364, 583. On voit par la lettre (XCI, 460)
qu'eu novembre 641 ce personnage était depuis quelque temps déjà en Afrique.
22. Bélisaire. Cod. Just., I, 27, 2.
23. Solomon. Proc, Bell. Vand., p. 444; C. I. £.., 4677, 1863, 1864.
24. Germanos. Proc, Bell. Vand., p. 482. On a noté déjà que ce personnage,
neveu de l'empereur, fut investi de pouvoirs extraordinaires et lut le supé-
rieur du préfet.
25. Solomon. Proc, Bell. Vand., p. 493; C. /. L., Vlll, 4799.
26. Sergius. Proc, Bell. Vand.y p. 506; Marcellinus cornes, ad a. 541; Victor
Tonnenn., ad a. 560.
27. Aréobinde. Proc, Bell. Vand., p. 513; Jfon. Germ. hist., Epist., 111, 439.
28. Artabane. Proc, Bell. Vand., p. 533.
APPENDICE 599
29. Jean Trogliia. Proc, Bell. Vand,, p. 533; Bell, Golh,, p. 590-591.
30. Jean Rogalhinos. Malalas, p. 495; Théophane, p. 238 239. Les textes le
Dominent simplement apyoïv 'ÂçptxT); : mais le fait à propos duquel sou nom
est rapporté semble bien être de Ja compétence du magisler mililum; et
d'autre part la préfecture à cette date semble gérée par Aréobinde.
31. Marcien. Malalas, p. 495; Théophane, p. 238-239.
32. Théodore, Cf. note 11. Jean de Biclar l'appelle praefeclus^ mais moûlre
qu'en même temps il commandait les troupes; comme Solomon sans donte il
réunissait les deux pouvoirs.
33. Théoclistos, Jean de Biclar, ad a. 570.
34. Amahilis, Jeau de Biclar, ad a. 571.
35. Gennadius, Jean de Biclar, ad a. 578; C. /. L., VIIT, 2245.
36. Viialius, C. 1, L., Viil, 4354. Ce personnage fut magisler militum sous
le règne de Tibère il, mais comme Gennadius se trouve en Afrique en 578, on
doit supposer qu'il lui succéda. Toutefois j'ai noté ailleurs que la lecture Vita-
lins est douteuse, et que M. Gsell restitue Gennadius {Bull, des Antiquaires^
1895, p. 171).
37. Gennadius exarque et patrice. Greg. M. EpisL, 1, 59, 72, 73; 9, 9, H.
38. Héraclius, stratège et patrice. Nicéphore pair., p. 3; Tbéophane, p. 295,
297. Il fut nommé par l'empereur Maurice, c'est-à-dire avant 602 : il resta en
charge jusqu'à sa mort, ver» 611 (Jean de Nikioo, p. 553).
39. Caesarius. Mon, Germ. hisLy Epistol., 111,662 sqq. Gelzer (Georgii Cyprii
descripiiOf p. xlii) s'est demandé si ce personnage, revêtu du titre de patrice, et
que l'on trouve vers 615 en correspondance avec le roi dos Wisigotbs Sisebut,
n'est point un gouverneur de l'Afrique byzantine. La chose est possible, car
il est assurément singulier de trouver un patrice à la tête des faibles posses-
sions que les Byzantins gardaient en Espagne, et qui d'ailleurs, depuis la lin
du vi« siècle, étaient administrât! vement rattachées à l'exarchat d'Afrique.
Pourtant rien dans la correspondance échangée entre Caesarius et le roi oc
fournit une preuve décisive.
40. Nicétas, patrice. An^y^'^iÇ «i^u/wçsXin; (Gombefls, Bibl. graec. pair, auc-
tarium novissimum, 1, p. 324). Cf. Gelzer dans l'édition de la Vie de saint
Jean V Aumônier ^ p. 130-131.
41. Pierre, stratège et patrice. Migne, P. G., XC, 111-112.
42. Grégoire, patrice. Migne, P. G.,XC, 111 ; XC,287, 354; Théophane, p. 343.
Des sceaux conservés au Musée de Saint-Louis de Cartha^e
portent le nom de deux anciens préfets (âTuos-ap^wv), sans au-
cune autre indication de fonction administrative. L'un s'appelle
Paul, Tautre Georges' ; sur les deux sceaux, les légendes sont
grecques, et sur le second, Tune des faces porte à gauche Tef-
figie d'un empereur. Au Musée du Bardo, un autre sceau
1. DtilsLiiTe, Plombs byzantins de Car thage, Missions calholiguef, \%%1, p. 508.
600 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
porte le nom du ffrpa-nQXdcTYjç Jean ; et un personnage du même
nom se rencontre sur une bulle du Musée de Carlhage, avec
les litres de cubiculaire, spathaire impérial et a^pa-nikirriÇ*.
Ces deux sceaux, où les légendes renferment un mélange de
lettres grecques et latines, datent de la fin du vi« siècle. Peut-
être faut-il les rapporter Siumagistermilùum Jean Troglita.
1. Delattre, /. c. p. 508.
ADDITIONS ET CORRECTIONS
Page 35, ligne 25, au Heu de Roummel^ lire Rummel,
P. 39, note 5, au lieu de nouvelle^ lire novelle.
P. 71, note 1, au lieu de Parstch^ lire Partsch.
P. 146, note?, et 148, 1. 1518. On trouve en Afrique quelques
exemples d'une disposition un peu différente. A Fedj-Souioud (Vatari),
dans le Djebel-Terraguelt, et à Gaga, à l'ouest de Youks, les mu-
railles sont construites de la façon suivante : derrière un mur exté-
rieur en pierres de taille, doublé d'une rangée de moellons, s'élève,
à une distance variant de 3"%60 à 2",60, un second mur beaucoup
moins épais (0",50 à 0",60), et simplement construit en moellons :
l'intervalle des deux remparts était rempli par une terrasse en terre
appliquée contre le mur extérieur et soutenue par le mur intérieur.
(Communication de M. Gsell.)
P. 171, 1. 13; p. 261, 1. 8 9; p 267, 1. 2 et 19, au MewdeSepium,
lire Septem,
P. 178, 1. 2-5. Comme exemple de ces constructions hâtives, on
peut signaler en particulier la façon dont sont bâtis les remparts de
Gadiaufala. e: Les assises, m'écrit M. Gsell, forment en général des
lignes irrégulières ; les vides ont été grossièrement bouchés avec de
petites pierres. A certains endroits môme, les murs ne consistent
guère qu'en un entassement de pierres de taille superposées sans au-
cun ordre. » Pourtant il s'agit ici d*une forteresse élevée par les soins
du patriceSolomon.
P. 180, 1. 6-8, et p. 205, I. 11-12. M. Gsell, qui a étudié après moi
602 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
le plan de la citadelle de Madaure, ne pense point que la partie en
forme d'hémicycle représente les fondations ou les ruines d'un édi-
fice antérieur : il estime au contraire que cette portion de l'enceinte,
disposée d'une façon très irrégulière, appartient à une reconstruction
hâtive, faîte avec des matériaux provenant du fort byzantin. Il croit
aussi que ce fort primitif s'étendait plus loin dans la direction du
nord-ouest, et avait une forme plus régulière que le tracé actuel.
P. 184,1. 1. M. Gsell me signale pourtant quelques exemples d'en-
ceintes fortifiées enveloppant à une distance plus ou moins grande
une citadelle, et délimitant un quartier ainsi placé sous la protection
immédiate de la forteresse. Des dispositions de ce genre se rencon-
trent à Gadiaufala, à Madaure, à Mons : mais elles semblent en gé-
néral d'une époque plus récente que la construction même de la cita-
delle qu'elles entourent.
P. 185, 1. 6. La même réduction du périmètre de la ville s'observe
à Tigzirt et à Choba (Djiama).
P. 193, 1. 1-6. Ajouter Mila, avec ses quatorze toars et les dispo-
sitions si intéressantes de son enceinte.
P. 211, note 4, 1. 3, au lieu de II se peut qu'i, lire II se peut
qu'il ,
P. 212*213. Dans les refuges ainsi construits par l'initiative des
habitants, on a utilisé en général les dispositions naturelles du ter-
rain, et on s'est borné à fortifier les parties plus aisément accessibles.
On en trouvera la preuve dans les plans de Ksar-Àtman, de Kef-Kher-
raz, de Kef-Bezioun.
P. 221, 1. 14-16. On trouve de même plusieurs citernes au centre
de la forteresse de Guelaa-Sidi-Yahia.
P. 221^ 1. 27. La même remarque s'applique à Gadiaufala.
P. 230, 1. 6, au lieu de Tillibari, lire Tillibaris.
P. 238, 1. 21. Je dois à Tobligeance de M. Gsell les renseigne-
ments suivants sur la citadelle byzantine de Gastal. « Le fort, cons-
truit sur un plan très régulier, mesure 54 mètres sur 47",50. Cha-
cun des angles est occupé par une grosse tour ronde, et le milieu
de la face nord-est par une tour carrée. C'était peut-être dans cetle
dernière tour^ ou tout auprès, que s'ouvrait la porte. Les murs, assez
médiocrement construits, avec un bon nombre de matériaux plus an-
ciens, ont été faits d'après le système byzantin ; ils mesurent 2%25 aux
courtines, un peu moins aux tours. » Située à Textrémité septentrio-
nale du Djebel-Dyr, et à proximité d'une source très abondante, cette
ADDITIONS ET CORRECTIONS 60;i
forteresse commandait une route venant d'Ammaedera, et qui se
Fig. 72. — Citadelle byzantine de Gastal (d'après le plan de M. Gsell).
poursuivait peut-être dans la direction du nord-ouest, vers Morsot.
Non loin de là débouchait une autre voie venant de Théveste.
P. 258^ 1. SS3. M. Gsell me communique les indications suivantes :
€ Au point de vue de Têtu de des fortiûcations byzantines, Mila est
un des lieux les plus intéressants de l'Algérie. L'enceinte de la ville
arabe n'est en effet que l'enceinte byzantine remaniée, sur bien des
points, mais parfaitement reconnaissable dans toutes ses parties. Le
développement total de cette enceinte est d'environ 1,200 mètres. La
construction est faite d*après le système byzantin ordinaire, avec em-
ploi de matériaux d'époque antérieure. Elle est soignée ; les assises
sont régulières. Les courtines mesurent en moyenne 2^,50 d'épais-
seur, les tours 1"*,50; les tours en saillie ont7™,50 à 9™,60 de front.
En B, au sud-ouest, entre les tours K et L, il y avait une porte large
de 1™,55, surmontée d'un arc de décharge dont le vide a été rempli
ensuite. La porte principale A s'ouvrait au nord entre deux tours rec-
604 HISTOIRE DE LA DOMUNATION BYZANTINE EN AFRIQUE
langulaires de 7",10 de front, de 5",60 de saillie. Elle est large de
Fig. 73. — EDceinte byzantine de Mila (d'après le plan de Deiamare).
3°*,90^ profonde de 2",50et Tarcade qui la surmontait est encore bien
conservée.
« La ville de Mila occupaitune position stratégique importante. Située
sur la route de Cirta à Sétif dans un pays montagneux, elle surveil-
lait au nord la région très accidentée et couverte de forêts qui s'étend
dans la direction de Djidjelli et de CoUo, au sud les massifs montagneux
qui la séparent du cours supérieur de rOued-Rummel. » Un passage
inédit de Procope atteste que cette citadelle était une création officielle
du pouvoir impérial et qu'elle remonte au r^gne de Justinien.
P. 258, 1. 23. Il faut ajouter à ces places la citadelle de Mons, au
débouché oriental d'un long défilé par lequel passait la route venant
de Sétif et se dirigeant sur Djemila, Mila et Constantine. Sur un es-
carpement rocheux, que horde le lit profond de TOued-Safsaf, était
bâtie la ville romaine : à une basse époque, un fort fut construit au
ADDITIONS ET CORRECTIONS 605
poiat le plus élevé de la cité. Il est aujourd'hui en fort mauvais état;
mais il était beaucoup mieux conservé au temps où Delamare Ta
éludié (pi. 92, ùg. 1). Il mesure 46n>,40 de long sur 34 de large,
les murs ont de 1™,60 à 1",90 aux courtines, l^^SO environ aux
tours. La porte, large de 2*0,70, était à l'ouest. Du côté opposé s'éle-
vait une sorte de donjon dont les murs atteignent encore une hau-
teur de plusieurs mètres.
Ce fort était jÊkcé au milieu d'une enceinte distante de 50 à
60 mètres, et qui limitait un quartier placé sous la protection du fort.
(Communication de M. Gsell)
P. 259, 1.5. Choba est situé sur un plateau qui s'abaisse vers la
mer et que flanquent deux petites baies. A l'époque byzantine, on
réduisit ici, comme à Tigzirt, l'enceinte romaine jugée trop vaste,
et on en construisit une autre beaucoup plus rapprochée du rivage.
Il en reste quelques vestiges : le mur, épais de 2<^,80, est construit
avec des matériaux plus anciens; il était flanqué de tours qui avaient
1"* ,50 de saillie et 4 mètres de front. (Communication de M. Gsell.)
P. 281, 1. 14, au lieu de Djalouta, lire Djeloula.
P. 286, l. 17. M. Gsell me communique sur Tagoura les informa-
tions suivantes : ^ La forteresse construite par Justinien est de forme
presque trapézoïdale, longue de 100 mètres en moyenne, large de 70.
Elle était placée sur la partie occidentale d'une colline isolée. A Test,
les pentes de cette colline sont assez douces; elles sont très raides au
sud et à louest, enûn le nord-ouest et le nord sont presque à pic.
C'était donc le front oriental de la citadelle qui se trouvait le plus ex-
posé. Aus.si présente- t-el le de ce côté deux grandes tours A et B; il y
en avait sans doute une troisième C à l'extrémité nord-est. Ailleurs,
on ne trouve qu'un simple rempart, qui s'interrompait peut-être
même au nord-ouest, où il n'était pas nécessaire. La face orientale
est encore assez bien conservée; près de la tour A, le mur s'élève à
une hauteur de 6 mètres. Des autres faces, il ne reste au contraire
que quelques vestiges. La construction est bonne ; les assises sont ré-
gulières. Les courtines ont une épaisseur de 2"',20. Selon l'usage, des
matériaux d'époque antérieure ont été employés, en particulier des
fragments d'architecture. A Tintérieur, le terrain s'élève dans la di-
rection du nord, et au point culminant, en D, on distingue les traces
d'une construction rectangulaire qui a peut-être été un donjon.
c L'emplacement de cette citadelle, facile à défendre, était bien choisi.
Elle occupait en outre une position stratégique importante. Au sud-
606 HISTOIKE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
ouest^ la vue s'étendait sur une plaine fertile que parcourait la route
conduisant à Tipasa; au nord, au sud et à Test s'élevaient des mon-
tagnes boisées, mais entre, ces montagnes s'ouvrent deux vallées,
Fig. 74. — Citadelle byzantine de Tagoura (d'dprès le plan de M. Gsell).
l'une menant vers Thagaste, l'autre servant de passage à la route de
Carthage, qui prenait ensuite la direction du nord-est pour se rendre
à Naraggara. >
P. 287, 1. 4. La forteresse de Guelaa-Sidi-Yahia est située,
m'écrit M. Gsell^ c dans un pays très accidenté et fertile, sur un ma-
melon isolé que bordent au nord et au sud deux branches de TOued-
Aar. Ces deux côtés sont à pic et s'élèvent de 60 à 70 mètres environ.
ADDITIONS ET GORRECnONS 607
A Touest, la pente est très rapide; elle est forte, mais accessible, du
côté de Test. » C'est une position stratégique fort importante, domi-
nant les routes qui viennent à TOued-Cherf et traversent Je massif
, du Nador : elle gardait en particulier la voie de Thibilis à Tipasa.
« La citadelle était établie sur le sommet renflé du mamelon. Elle
mesurait environ 150 mètres de long (de Test à Touest) sur 70 de
large. Elle est relativement bien conservée. Les murs, assez bien
construits, ont In^jTO à l'^^SO d'épaisseur; les assises sont toutes de
0°*,35 à 0",50. A Test, on compte quatre tours en saillie de 8",80;
trois d'entre elles présentent un front de près de 10 mètres; la qua-
trième, au nord-est, a un front d'une longueur triple. Cette face a une
longueur totale de 90 mètres environ. La face occidentale moins
étendue (environ 55 mètres) ne présente que deux tours de largeur
inégale. La face nord oifre une série de cinq fronts droits paral-
lèles, en retrait les uns sur les autres et reliés deux à deux par des
murs perpendiculaires. La face méridionale est en très mauvais état.
L'entrée de la place parait avoir été au sud-est. A l'intérieur^ on dis-
tingue très nettement, au point Culminant, le plan d'une sorte de
vaste donjon, distinct de la face occidentale de 50 mètres; ce bâti-
ment mesure 22 mètres sur 19. Le sous-sol de la partie méridionale
est occupé par des citernes parallèles, au nombre de dix au moins :
elles communiquent entre elles.
cLa disposition très régulière de cette place forte et l'importance de
la position stratégique qu'elle occupe nous amènent à la regarder
comme une œuvre de l'autorité impériale plutôt que comme un vaste
refuge construit par l'initiative de^ habitants de la contrée, j»
Un plan détaillé de cette citadelle se trouve dans le t. XXX (1895)
du Recueil de Constantine.
P. 287, l. 6. M. Gsell me communique sur Gadiaufala les infor-
mations suivantes : m Ksar-Sbéhi se trouve à l'extrémité méridionale
d'un petit plateau de 900 mètres d'altitude, dans une très belle posi-
tion stratégique. Dominant au sud l'immense plaine des Haracta,
fermant au nord le passage qui mène vers la vallée de l'Oued-Cherf,
elle est à la limite de deux régions nettement distinctes. Abondam-
ment fournie d'eau, environnée de terres fertiles, placée au croise-
ment de plusieurs routes importantes, Gadiaufala était dès l'époque
romaine une ville étendue; une grande forteresse s'y élevait, sur la
croupe étroite qui domine le col à l'est. Les Byzantins à leur tour oc-
cupèrent cette position : toutefois ils préférèrent s'établir dans le col
608 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
même, où la vue était moins dégagée; mais le passage était ainsi tout
à fait barré. En outre, il y avait là une source. La route venant delà
Fig. 75. — Citadelle byzantine de Gadiaufala (d'après le plan de M. GselJ).
plaine et se dirigeant vers le nord devait passer contre le fort byzan-
tin, à l'ouest.
c Le plan de cette forteresse est parfaitement reconnaissable, et en
certains endroits les murs s'élèvent encore à une bauteur de plu-
sieurs mètres. La citadelle est à peu près carrée (47<° X^^); ^l^^ ^^
flanquée aux angles de tours rectangulaires. Une grande tour cens-
ADDITIONS ET CORRECTIONS 609
titue un réduit sur le milieu de la face orientale. Les murs sont
construits selon la méthode ordinaire, avec des matériaux provenant
de monuments antérieurs; ils mesurent 2"^, 60 aux courtines et
2 mètres seulement aux tours, sauf cependant à la grande tour, dont
les murs ont aussi 2'^,60. Je n*ai distingué qu'une seule porte assez
étroite (largeur 1°>,45) sur le côté sud. Au sud-ouest^ presque contre
la tour d'angle, naît une source.
dL La construction de ce fort est mauvaise. Les tours seules sont un
peu plus soignées. On peut admettre quelques restaurations barbares
faites çà et là, mais il est bien certain que, dès l'origine, le travail a
été exécuté avec beaucoup de négligence et de précipitation.
« Tout autour de la forteresse, à une dislance de 20 ou 30 mètres,
s'élevait une enceinte qui suit les irrégularités du terrain : le mur, qui
mesure 1™,50 de large, est fort médiocrement construit. Cette fortifi-
cation limitait un quartier placé sous la protection de la citadelle. i>
P. 288, 1. 21-23, et p. 295, 1. 22-23. A ces redoutes détachées il
faut ajouter, d'après les indications que me communique M. Gsell,
une grande forteresse byzantine, dont la longueur maxima est de
85 mètres, la largeur maxima de 66. L'enceinte, assez régulièrement
construite, consiste en un mur double d'un mètre d'épaisseur ; on y
a fait entrer un arc de triomphe antique à trois portes, dont on a
muré les baies latérales, la baie centrale servant de porte à la cita-
delle. A rintérieur de l'enceinte, sur un petit ftiamelon, se trouve un
réduit rectangulaire de 31 mètres sur 17; les murs ont 1™,60; la
porte était protégée par deux tours de 2 mètres de front.
c Cette citadelle ne semble pas avoir été élevée par les soins du
gouvernement impérial : elle se distingue des ouvrages officiels par
l'absence de tours et le peu d'épaisseur du rempart. C'était sans
doute un vaste refuge pour les habitants de Khamissa. :»
P. 288, 1. 24-25, et p. 289, 1. 1. « La place forte byzantine de Kef-
Bezioun était construite sur un escarpement rocheux, à pic à l'est et
au sud-est, et avec des pentes raides au nord. Le coté ouest seul est
facilement accessible : c'était naturellement ce côté qui avait été le
plus fortifié. Le rempart, large de 1°,80 à 2 mètres, présentait des
tours carrées de 5 mètres de front (épaisseur du mur, 1 mètre). Le
rempart se continuait sur les faces septentrionale et méridionale;
à l'est il était inutile. La construction est mauvaise. A 200 mètres au
sud -ouest de renc<;inte coule une source assez abondante.
a Celle place forte a dû surtout être élevée pour les besoins de la
I. 39
610
HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
défense locale; cependant elle occupait une position stratégique
importante. De là, des routes conduisaient d'une part à Tipasa, par la
Fig. 76. — Citadelle byzantine de Kef-Bezioun (d*aprè8 le plan de M. GseU).
Guelaa-Sidi-Yahia, de l'autre à Thagaste, à Hippone, à Galama. t
(Communication de M. GseU.)
P. 295, 1. 14. Ajouter à ces ouvrages destinés à la défense locale la
redoute de Henchir-Kissa, à 10 kilomètres au nord de Tébessa, sur
les dernières pentes du Dyr. Près d'un gros boui^ antique, sur une
butte dominant toute la plaine de Tébessa, s'élève un fortin carré, de
18 mètres de côté, auquel se soude une enceinte plus étendue et sans
doute plus récente : une porte monumentale de l'époque romaine a
été incorporée dans cette seconde construction. (Communication de
M. Gsell.)
P. 295, 1. 19-20. Ajouter la citadelle de Fedj-Souioud, magnifique
position stratégique au point de bifurcation de cinq routes menant à
Carthage, Hippone, Cirta, Lambëse et Théveste : c'est probablement
Vatari. c De Fedj-Souioud, m'écrit M. Gsell^ les communications
ADDITIONS ET CORRECTIONS 611
sont faciles dans toutes les directions, au nord-ouest vers Ksar-Sbéhi,
que Ton distingue au loin, au sud -ouest vers Âïn-Béida, au nord-est
vers Tifech, à travers la plaine d'Aïn-Snob, à Test vers la Tunisie, par
l'Oued-Mellègue, au sud-est vers Tébessa. » Sur ce point, en avant
d'un col qui mène dans la plaine de l'Oued-Mellègue, s'élève un fort
mesurant 95 mètres de long sur 42 de large. J'ai déjà signalé le sys-
tème de construction du rempart (terrasse de terre entre deux murs) ;
la porte, très étroite^ se trouve au sud-est ; elle se fermait par un
grand disque de pierre glissant dans une rainure et encore en place.
(Communication de M. Gsell.)
P„ 296, 1. 2. Dans cette même région située entre Guelma au
nord, Ksar-Sbéhi au sud-ouest, la plaine de Sedrata au sud-est,
M. Gsell me signale plusieurs places de refuge fort intéressantes.
« Généralement construites sur des escarpements difficilement acces-
sibles, établies dans des lieux découverts d'où les signaux pouvaient
s'échanger avec les forts voisins, elles offraient un abri aux popula-
tions des vallées et tenaient leur place en même temps dans le sys-
tème général de la défense. > Plusieurs d'entre elles fournissent d'in-
téressants exemples de ce genre de constructions.
Kmr-Atman, — Sur une colline commandant la route de Thibilis à
Tipasa, et que l'Oued-Sebt longe au sud, tout auprès d'une source
assez abondante, s'élevait cette citadelle. La colline est à pic à l'ouest
(50 à 80 mètres de hauteur) et au sud (100 mètres environ) et présente
des pentes très raides au nord. La défense était donc aisée, l'attaque
ne pouvant guère venir que du nord-est et surtout de l'est. Aussi,
tandis qu'au nord le rempart est formé par un mur continu de 1"^,40
à 1",60 d'épaisseur, le système de défense est plus compliqué à l'est.
Trois tours flanquent la courtine, celle du milieu protégeant la porte
d'entrée. En arrière de cette première ligne de défense, une tour E
défendait l'intérieur du refuge. Enfin, vers l'extrémité occidentale de
la colline, se trouvait le réduit de la place forte : d'énormes rochers
Tencombrent au sud, et entre eux, là où se trouvent des solutions de
continuité, des murailles renforcent la défense. La construction est
hâtive, mais l'abri est sûr. (Communication de M. Gsell. Cf. BulL Corn.,
1892, p. 504.)
Gueiaat'bou-Atfan. — A la sortie des gorges étroites de l'Oued -
Cheniour, deux fortins défendent le centre agricole qui se trouvait
en ce point (cf. Bull, Com,, 1892, p. 517). Un autre poste se ren-
contre dans la même région à Henchir-bou-Azza, vers le milieu du
612
HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
ADDITIONS ET CORRECTIONS
613
cours de TOued-Cheniour. Mais le plus remarquable de ces refuges
est celui de Kef-Kherraz.
Kef-'Kheivraz, — Le plan de cette place forte est encore très nel. Éta-
blie sur un escarpement rocheux, dont les bords sont à pic au sud,
au sud-est et à l'ouest, elle n'avait besoin de défense que sur le front
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Fig. 78. ~ Citadelle byzantine de Ref-Rlierraz (d'après le plan de M. Gsell).
nord-ouest. Sur cette face on a construit un rempart, large de 1"^,80,
flanqué de plusieurs tours. Une porte se trouve en B; une deuxième
porte double s'ouvre dans la tour D. Sur les autres fronts, il n'y a
pas de remparts, tout accès étant impossible. Ce refuge domine au
nord la vallée de l'Oued Nil, affluent de TOued-Cherf; au sud, la vue
s'étend sur la plaine des Harakta. (Communication de M. Gsell. Cf.
Bull. Corn., 1892, p. 519.)
P. 296, 1. 23, et 297, 1. 2, au lieu de Tabarca, lire Tabarka,
P. 345, 1. 27, au lieu de Tripoliianie^ lire Tripolitaine.
P. 392, note 3, l. 2, au lieu de point, lire point.
P. 416, 1. 18, au lieu de Curubi^ lire Cunibis.
614 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
P. 424, 1. 6, au Heu de Dal-el-Kous, lire Dar-el-Kous.
P. 463, note 2, 1. 2, au lieu de Aïn-Tubemok^ lire Aïn-Teber-
nouk.
P. 543, note 1 . Ajouter à la fin de la note : Dans la Vie du
patriarche copte haac, publiée par Amélineau [Publications de
V École des lettres d'Alger^ fasc. II), il est fait mention, p. 5 et 9,
d'un personnage nommé Greorges, auquel le texte donne le titre
d' <r épargne du pays d^Égypte », ou de c préfet ». Il s'agit incontesta-
blement là du préfet augustal et non d'un administrateur de province.
Mais on ne saurait le confondre avec le personnage dont parle
Maxime : d'une part, en effet, il remplit sa charge antérieurement à
640, probablement entre 6115 et 638 (cf. Amélineau, /. c. , Introduction^
p. xi-xni) ; en outre^ il mourut à Alexandrie, dans Texercice de ses
fonctions, ce qui ne convient en aucune façon au préfet Georges dont
il est question dans nos documents.
TABLE DES GRAVURES INSÉRÉES DANS LE TEXTE
Pages.
1. Kasr-Maizhra. Appareil du mur. Vue extérieure. ....... 149
2. Kasr-Maizhra. Appareil du mur. Vue iotérieure 149
3. Aïn-Hedja. Forteresse byzantine. Tour de l'angle sud -ouest et esca-
lier de la courtine ouest 150
4. Mdaourouch. Forteresse byzantine. Tour de i'aagle sud-est ... 151
5. Rsar-Bagai. Tour de l'angle nord 152
6. Haïdra. Citadelle byzantine. Tour ronde du front est 153
7. Bordj-Hallal. Forteresse byzantine. Plan d'une tour de l'enceinte . 154
8. Bordj-Hallal. Coupe de la tour suivant EF 155
9. Teboursouk. Enceinte byzantine. Archère dans une tour .... 156
10. Béja. Enceinte byzantine. Tour maîtresse de la casba 157
il. Ksar-Bellezma. Porte du front ouest., 158
12. Ain-Tounga. Forteresse byzantine. Porte du front sud 159
13. Aïn-Tounga. Porte ouest de la tour du front sud 160
14. Mdaourouch. Citadelle byzantine. Porte principale 161
15. Mdaourouch. Citadelle byzantine. Porte principale 162
16. Guelma. Poterne de l'enceinte byzantine 165
17. Antioche, Portion de l'enceinte byzantine ......... 166
18. Guelma. Portion de l'enceinte byzantine, porte et tour 173
19. Aïn-Tounga. Citadelle byzantine. Tour de l'angle sud-est .... 175
20. Teboursouk. Appareil du mur byzantin 176
21. Tifech. Appareil du mur byzantin 177
22. Teboursouk. Porte antique murée dans l'enceinte byzantine. . . 178
23. Henchir-Sidi-Amara. Monument antique transformé en redoute by-
zantine 179
24. Zana. Arc de triomphe transformé en redoute byzantine. ... 180
25. Plan du temple de Dougga formant réduit de l'enceinte byzHutiue. 181
26. Guelma. Citadelle byzantine 183
27. Tébessa. Enceinte de la ville byzantine 186
28. Tébessa. Portion de l'enceinte byzantine, face intérieure .... 187.
29. Thélepte. Enceinte de la ville byzantine 189
30. Thélepte. Enceinte byzantine. Tours de l'angle nord-est et de l'an-
gle sud-est 191
31. Rsar-Bagai. Enceinte de la ville byzantine 192
32. Rsar-Bagai. Réduit de la citadelle byzantine 193
616 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
33. Haïdra. Plan général 194
34. Haïdra. Plan de la citadelle byzantine 193
35. Haïdra. Citadelle byzantine. Vue intérieure de la porte sur loued. 197
36. Haïdra. Citadelle byzantine. Escalier de la courtine ...... 199
37. Timgad. Plan de la forteresse byzantine 200
38 Timgad. Forteresse byzantine. Vue extérieure du front ouest . . 201
39. Timgad. Forteresse byzantine. Tour de langle sud- ouest. . . . 202
40. Timgad. Forteresse byzantine. Port? du front nord 203
41. Mdaourouch. Plan de la forteresse byzantine 204
42. Lemsa. Citadelle byzantine. Vue générale 206
43. Lemsa. Plan du château byzantin * . . 208
4^. Lemsa. Château byzantin. Tours des angles sud -ouest et sud-est. 209
45. Aïn-Zaga. Redoute byzantine 212
46. Bordj-Hallal. Citadelle byzantine. . 213
47. Bordj-Hallal, Citadelle byzantine. Tours du front nord-ouest. . . 214
48. Tobna. Plan de la forteresse byzantine 216
49. Tifecb. Plan de Tenceinte byzantine 21 S
50. Aïn-el-Bordj (Tigisis). Citadelle byzantine. 219
51. Guessès. Enceinte de la ville byzantine 244
52. Ksar-Bellezma. Plan de la forteresse byzantine 251
53. Plan de Zraia. 252
54. Zana. Forteresse byzantine 253
55. Ras-el-Oued (Thamalla). Citadelle byzantine 253
56. Sélif. Plan de renceinle byzantine 256
57. Sétif. L'enceinte byzantine en 1844 257
58. Laribus. Plan de la citadelle byzantine 273
59. Aïn-Hedja. Forteresse byzantine 274
60. Plan de Teboursouk 273
61. Aïn-Tounga. Plan de la citadelle byzantine 276
62. Sbéitla. Plan général 278
63. Sblba. Plan de Tenceinte byzantine 280
64. Kessera. Forteresse byzantine 282
65. Henchir-Sguidan. Forteresse byzantine 283
66. Sbéitla. Fortin byzantin 293
67. Chapiteaux byzantins à la grande mosquée de Kairouan. ... 421
68. Plan du Dar-el-Kous, au Kef. . . • 403
69. Le Dar-el-Kous, au Kef 424
70. Façade restituée de l'église de Dar-el-Kous 425
71. Restitution d'une des églises de Haïdra 428
72. Citadelle byzantine de Gastal 603
73. Enceinte byzantine de Mila 504
74. Citadelle byzantine de Tagoura e06
75. Citadelle byzantine de Gadiaufala çog
76. Citadelle byzantine de Kef-Bezioun 610
77. Citadelle byzantine de Ksar-Atman 612
78. Citadelle byzantine de Kef-Kherraz. . 613
TABLE DES PLANCHES HORS TEXTE ET DES CARTES
PLANCHES
Pages.
I. Haidra. Citadelle byzantine. Tour de l'angle sud-est et courtine sud
(héliogravure) Frontispice
II. Vue restituée de la citadelle byzantine de Haîdra 164
III. Aln-Tounga. Citadelle byzantine. Tour de l'angle sud-est .... 176
IV. Tébessa. Porte Solomon 188
V. Haîdra. Citadelle byzantine. Vue intérieure du front est . . * . . 196
VI. Haîdra. Citadelle byzantine. Vue extérieure du front est 196
VII. Mdaourouch. Citadelle byzantine. Entrée de la tour est 205
VIII. Lemsa. Citadelle byzantine. Vue du front sud-ouest 207
IX. Lemsa. Citadelle byzantine. Vue intérieure. 207
X. Béja. Tours de l'enceinte byzantine * 220
XI. Plan et vue générale du monastère byzantin de Tébessa 430
CARTES
Carte de l'occupation militaire de la Numidie par les Byzantins ... 240
Carte de l'occupation militaire de la Tunisie centrale par les Byzantins. 272
INDEX ALPHABÉTIQUE DES PLANCHES
AiN-EL-BoRDj (TiQisrs). Plan de la ci-
tadelle, 219.
Ain-Hema (Agbia). Plan de la cita-
delle, 274. Tour et escalier (coupe),
150.
AiN-TouROA (Thignica). Plan delà ci-
tadelle, 276. Plan de la porte prin-
cipale, 159. Vue de la porte, 160.
Tour de Tangle sud-est, 175. Vue
du front est, 176 (pi. UI).
Ain-Zaoa. Redoute byzantine, 212.
AimocHB. Vue de l'enceinte, 166.
BijA (Vaga). Plan de la tour maîtresse
de la casba, 157. Tours de l'enceinte
byzantine, 220 (pi. X).
Bordj-Hallal. Plan de la citadelle,
213. Plan des tours du front nord-
ouest, 214. Plan d'une tour, 154.
Coupe d'une tour, 15S.
DaR'Bl-Kous (basilique de). Plan de
l'église, 423. Plan restitué, 424. Res-
titution de la façade, 425.
Douoqa (Tucca). Plan du temple trans-
formé en réduit fortifié, 181.
Gastal. Plan de la citadelle, 603.
Gublha (Galama) . Plan de la citadelle,
183. Vue d'une [portion de l'en-
ceinte, 173. Poterne, 165.
GoBssès. Plan de la citadelle, 244.
Haidra (Au h abdbha). Plan général, 194.
Plan de la citadelle, 195. Vue d'une
toHr du front est, 153. Vue exté-
rieure du front est, frontispice (pi. 1).
Vue intérieure du front est, 196
(pi. V). Vue extérieure de la porte
sur l'oued, 196 (pi. VI). Vue inté-
rieure de la porte, 197. Escalier de
la courtine, 199. Vue restituée de
la citadelle, 164 (pi. II). Restitution
d'une des églises, 428.
HB'tCHiR-SooiDAN. Plan de la citadelle,
283.
Hb?icbir-Sidi-Amara (Aooar). Plan de
la redoute, 179.
Kairouan. Chapiteaux byzantins delà
grande mosquée, 421.
Ksar-Atman. Plan de la citadelle, 612.
Ksar-Bagai (Baoai) . Plan de l'enceinte,
192. Plan du réduit de la citadelle,
193. Plan d'une tour, 153.
Ksar-Bbllbzma. Plan de la citadelle,
251. Plan de la porte, 158.
Ksar-Maizhra. Appareil du mur, 149.
Rsar-Sbéhi (Gadiadfala). Plan de la
citadelle, 608.
Kbp-Bbziocm (Zattara). Plan de la ci-
tadelle, 610.
Kbf-Rhbrraz. Plan de la citadelle, 613.
K.BSSBRA (Ghusira). Plan de la cita-
delle, 282.
LoRBBUs (Laribos). Plan de la cita-
delle, 273.
LEusA.Plande la forteresse, 208. Plan
des tours, 209. Vue générale, 206.
Vue du front sud-ouest, 207 (pi.
VIII). Vue intérieure, 207 (pi. IX).
MDAouRoncH (Madaurb). Plan de la
forteresse, 204. Plan d'une I tour,
151. Plan de la porte, 161. Vue de
la porte, 162. Entrée de la tour est,
205 (pi. Vil).
MiLA (MiLBu). Plau de Penceinte, 604 .
620
HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Ra8-bl-0ukd (Th%]|alla). Plan de la
citadelle, 255.
SsâiTLA (Sufbtula). Plan général, 278,
Plan d'un fortin, 293.
Sbiba (Sufss). Plan deFenceinte, 280.
SéTiP (SiTiFis). Plan de l'enceinte, 256.
Vue de l'enceinte en 1844, 257.
Taoura (Taoodra). Plan de la citadelle,
606.
TÉBB88A (Thévestb). Plan de l'enceinte,
186. Porte Solomon, 188 (pi. IV). Vue
intérieure d'une portion de l'en-
ceinte, 187. Vue de la basilique, 430
(pi. XI).
Tbboorsouk (Thubursicuh Bdrb). Plan
de la citadelle, 275. Tour avec ar-
chère, 156. Appareil du mur, 176.
Porte antique murée dans Tenceiote,
178.
Thélbptb. Plan de l'enceinte, 189. Plan
des tours, 191.
TiPBGii (Tipasa). Plan de l'enceinte,
218. Appareil du mur, 177.
Tihqad (Thahdoaoi). Plan de la forte-
resse, 200. Plan d'une tour, 202.
Plan de la porte, 203. Vue exté-
rieore du front ouest, 201.
Tobna (Tobunab). Plan de la forteresse,
216.
Zana (Diana Vbtbranoruh). Plan de la
forteresse, 253. Plan de la redoate
construite aatour de l'arc de triom-
phe, 180.
Zraia (Zarai). Plan général, 252.
TABLE ANALYTIQUE
DES MiTlÊRES, DBS NOMS DE LIEUX ET DE PERSONNES
Nota. — Les noms géographiques soat en pritis capitales» ceax de personnes en italique.
Ab actis. V. Administration civile (of-
ficium), p. 112, 130.
Abbia-Major, p. 416.
Abdallah ibn Saad, p. 529; attaque
l'Afrique byzantine, p. 558; bat Gré-
goire àSbéitla, p. 559; évacue l'A-
frique, p. 560.
Abdallah ibn Zobéir, p. 559.
Abd-el-Melik, p. 580, 581.
Abigas, p. 89, 241, 405.
Abitina, p. 416.
Abou-Mohadjiry p. 675.
Aboul-Mehacirif p. 515.
Acéphales, p. 441.
Acholla, p. 415.
Ad Cbntbnarium, p. 35, 74, 253.
Adjacium, p. 471.
Adjutor, p. 111.
ADMINISTRATION CIVILE : 1» Sous Jus-
tinien.
Le préfet du prétoire, p. 98-101.
Ses consiliarii, p. 102.
— cancellarii^ p. 103.
Son offîcinm, p. 103-105.
Ses scholae, p. 105-107.
Les provinces : leur nombre, p. 107-
111.
Les gonveroeurs, p. 111-112.
Les gouverneurs : leur traitement
p. 112-113.
— ils exploitent les pro-
vinces, p. 113-114.
— Juslinien veut y re-
médier, p. 114-115.
— Ses intentions inté-
ressées, p. 115.
Cette organisation modifiée, p. 116-
118.
Ce qu'elle coûte, p. 385.
20 Sous Justin II et Tibère, p. 464.
30 Sous Maurice.
Elle est modifiée, p. 466.
Nombre des provinces, p. 467-471.
Les pouvoirs civils et militaires réu-
nis : l'exarque et le préfet, p. 471-
474.
Création de l'exarchat, p. 478.
L'administration provinciale, épar-
chies, judlces, praesides, ducs,
tribuns, p. 474-478.
Difficulté de connaître le détail^
p. 483.
L'exarque : honneurs, p. 484.
Attributions militaires, p. 485.
— religieuses, p. 486.
— civiles, p. 487.
— judiciaires, p. 488.
— financières, p. 488.
622 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Ses auxiliairoSf p. 488.
Le préfet : honoeurs et attributions,
p. 489-491.
Ses auxiliaires, p. 491-492.
L'administration provinciale :
Le praeses ou judex, p. 492.
Investiture, p. 492-49:^.
Attributions, p. 493-494.
Les duchés et les ducs, p. 494-495.
Attributions et auxiliaires, p. 497-
499.
Les employés subalternes, p. 499.
Comes et palatini privatarum, p.500.
Employés de finances, p. 500, fSOl.
Fonctionnement de cette adminis-
tration, p. 503-507.
Ses relations avec TÉglise, p. 507-
p. 516.
(<> Sous Héraclius.
Relâchement de la discipline, p. 537-
538.
Pénurie du trésor, p. 538.
ADMINISTRATION MIUTAIRK.
Son but, p. 119.
Bélisaire ea o.st chargé, p. 119.
Haute direction de Justinien, p. 120.
Ck>mpo8ition do l'armée, p. 121.
Le magister militura Africae, p. 122.
Sa maison militaire, p. 123.
Le domesticus, p. 124.
Le magister peditum, les tribuui
et les comités, p. 124.
lyes sous-officiers, p. 125.
L'^mée mobile : composition, p. 125.
Rôle, p. 125-126.
Les divisions militaires de l'Afrique
(les limites}, p. 126-127.
Les ducs attributions, p. 127-128.
— maison militaire, p. 128.
— privilèges, p. 129.
— auxiliaires, p. 129.
— officium, p. 130.
Les ducs du vi« siècle, p. 131-133.
Les limitanei, p. 133-135.
Pourquoi établis, p. 136-137.
Le système défeusif africain, p. 138-
226.
L'occupation militaire, p. 226-298,
334.
Les Trais de cette administration,
p. 385.
Ck>mment modifiée soos Maurice,
p. 471-481.
Ad Majorks, p. 2Ki, 247.
AdMbdias, p. 245.
Ad Phabcisum, p. 427.
Adscriptitii, p. 395, 396. 397.
Ad Turrbs, p 245.
Aerarium. Cf. Préfet du prétoire,
p. 100.
Africanus exercitus, p. 587.
AoAOïR, p. 267.
Agapet, p. 40.
Agaldhnus mons, p. 303.
Agaihias, p. 381,454, 455.
Agbia, p. 150, 152 n., 178, 210, 217,
220, 222, 277, 285, 458.
Aooar, p. 179, 182, 205 n., 281.
Agriculture, p. 393, 406.
Ain Beida, p. 241, 287, 295, 422.
A[N-Bou-Dris, p. 169, 211, 2il, 234,
238, 272.
Ain-Djoukar. Cf. Zucchara.
Am-EL-BoRDJ. Cf. Tioisis.
AlN-BL-KsAR. Cf. TaDCTTI.
Al.vGUBTTAR, p. 286.
Ain-Ghorab, p. 240, 422
AlxN-GuiBBR, p. 240.
AiN-HbDJA. Cf. AOBIA.
Ain-Mdeker. Cf. Mbdicbrra.
Ain-Saboun, p. 240.
Ain-Skqgar, p. 240, 422.
ArN-SoLTAN, p. 422.
Ain-Taki, p. 295.
Ain-Tasseha, p. 254.
Ain-Tbbbknouk. Cf. Tobbrnuc.
Aln-Tbhouchbnt. Cf. Sa far.
Am-TiLiDJB.N, p .240.
Am-TouMBLLA, p. 234.
Am-TounoA. Cf. Thionica.
Ain-Zaoa, p. 212.
AiN-ZouzA, p. 294.
Aioun-Bbssbh, p. 261.
Albru, p. 471.
TABLE ANALYTIQUE
623
Aloésiras, p. 536.
Ali-Bbn-Sabor (Monts), p. 252.
Altava, p. 43, 263, 264, 265, 327.
Althibdros, p. 269, 281, il7.
AmabiliSj magister militum d'Afrique,
p. 459, 597.
Amalasonthey p. 15.
Amamra (Tribu des), p. 241, 541.
Ammaedera, p. 150 D., 151 n., 152 n.,
153, 161 n., 164 n., 169, 174, 180, 182,
185, 194, 195, 19d, 205, 217, 220 n.,
221, 235, 238, 271, 277, 291, 293, 421,
423, 428.
Amrou, eoYahit TÉgypte, p. 553, 558,
565.
Anacutasur (Tribu des), p. 303.
Anastase, questeur du palais, p. 457.
Anatoliques (Thème des), p. 587.
Anazarbb, p. 164.
Annona, p. 321, 324.
Announa. Cf. Thibius.
Anonyme (Tactique de T), p. 29, 55,
143, 147, 148, 149, 152, 163, 174.
Antalasj chef maure, p. 42, 65, 304,
312, 315, 317, 321, 324, 325, 330, 341,
342, 34i, 345, 348, 351, 353, 356, 357,
360, 366, 368, 369, 372, 376, 377, 379.
Antioghe, p. 164, 166, 185.
Antonin (Itinéraire d'), p. 235.
Antonine, p. 340.
Aphrodisiom, p. 182 n., 270, 295, 401.
APTUifGi, p. 416.
Aquab Rbgub, p. 269, 272, 279.
Aquae Sirbnses, p. 263*
Aquae Thibilitinae, p. 417.
Arabes, envahissent l'Egypte, p. 532,
543, 553, 555 ; en Tripolitaine, p. 557,
en Byzacène, p. 558, 560 ; leurs histo-
riens, 563; pénètrent en Byzacène
sans résistance, 567, 568; songent à
un établissement durable, p. 571;
appelés par un usurpateur, arrivent
à Chalcédoine, 572 ; constituent l'A-
frique en gouvernement, p. 572.
Arabie, p. 112.
Archélaos, p. 98, 596.
Aréobinde, magister militum d'Afri-
que, p. 117, 122, 338, 348, 350, 351,
352, 354. Sa mort, p. 355, 440, 596,
597.
ARiféR BYZANTINE, p. 12, 16-17; indis-
cipline, p. 27, 30, 44, 76, 82, 336;
mécontentement, p. 45 ; armement,
p. 53; tactique, p. 54-58, 140; ef-
fectifs, p. 67 ; révoltée contre So-
lomon, p. 75-87 '«nouvelle armée en-
voyée en 539, p. 87; épurée par So-
lomon, p. 88; solde, p. 100; sub-
sistances, p. 100, 335. L'armée d'oc-
cupation. Cf. Administration mili-
taire , p. 119-122, 125-126, 334-335 ;
réduite, p . 350, 360 ; forte surtout en
cavalerie, p. 367, 460.
Arméniaques (Thème des), p. 587.
Arménie, p. 139.
Arsuris, p. 377.
ArtcU>an€f magister militum d'Afrique,
p. 356 ; renverse Guntarith, p. 357 ;
ses dignités, p. 358, 359, 360, 597.
Assessor, p. 111; du duc, p. 130.
ASSIDONA, p. 470.
Assuras, p. 235, 272, 279, 280, 281,
285, 294, 377, 417.
Asirices (Tribu des), p. 230, 231, 319,
374.
Alhanase, préfet du prétoire d'Afrique,
p. 117, 357, 358, 376, 380, 596.
AuBuzzA, p. 272.
AuoARMi, p.231, 232.
AuoiLA.p. 302,324, 326.
AUMALE, p. 261.
AONOBARIS, p. 275.
Auraba (Tribu des), p. 527, 539, 575,
588.
AuRÈs, p. 11, 43, 44, 64, 66, 71,73, 8S,
90, 91, 170, 226, 237, 238, 240, 242,
247, 286, 305, 308, 329, 852, 470, 494,
527, 529, 576, 577, 579, 580, 585.
Austures (Tribu des), p. 301, 364, 368.
Adtbnti, p. 363, 415, 535.
Auxiliaires berbères, p. 72, 73 .
Avares, p. 459, 482, 531.
AviTTA-BlBBA, p. 294.
AZEFFOON. Cf. RUSIPPISIR.
624 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Babdr (Massif du), p. 258, 259, 307.
Baggbnsb (Monastbridm), p. 427.
Badias, p. 245, 246, 247, 248, 305, 530,
576.
Badis. Cf. Badias.
Badja. Cf. Vaga.
Bagai, p. 88, 132, 163 n., 170, 185,192,
193, 194, 217, 220, 221, 223, 241, 243,
247, 249, 291, 4ii2, 470, 530, 535, 577,
584.
Baoavaliana, p. 415.
Baoradas, p. 43, 170, 214, 284, 304.
Bahi&bt-bl-Abnbb, p. 240.
Bahibbt-et-Touila, p. 222, 287.
Bahiret-Mbgubntbl, p. 240.
Baléarbs (Iles), p. 36, 110, 261, 447,
467, 469, 536.
Barbari Transtagnenses^ p. 307.
Barca, p. 571, 579, 580,581, 584.
Barcéensy p. 301.
Bargou (Le), p. 277, 294.
Batna, p. 242, 245, 251, 293.
Bb (fleuve), p. 301.
Beccaria (Col de), p. 234, 238.
BéjA. Cf. Vaga.
Bélisaire, p. 17, 18, 19, 22, 23, 24, 25,
27; son imprudence, p. 30-32; me-
sures qu'il prend au lendemain de
la conquête, p. 37, 47, 49, 50, 67;
en Sicile, 80 ; rappelé à Carlhage par
la révolte des soldats, p. 80 ; sauve la
ville, id. ; bat Stotzas, p. 80 ; retour
en Sicile p. 81, 87; chargé d'orga-
niser militairement l'Afrique, p. 119,
120, 124, 184, 313, 317, 338, 355, 363,
371, 380, 383, 596.
Bbllbzma, p. 149 n., 160 n.,161 n., 111,
184, 210, 217, 220, 223, 252, 530.
Bbllota (Lb), p. 277, 281.
Bbni-Salah (Monts des) p. 289.
Berbères. Cf. Maures,
Berghouata (Tribu des), p. 540.
Bbsgbra, p. 238, 245.
Bbsseriaiii. Cf. Ad Majores.
fiiarchus. Cf. Administration militaire,
(sous-officiers) (officium du duc),
p. 130.
BiBAifs (Défilés des), p. 258.
Bir-bl-Hbc8Gh, p. 182 n., 294.
Bir-Odh-Ali, p. 234.
Bir-Tbr8AS, p. 275, 285.
BisiCA, p. 416.
B[8KRA. Cf. BeSGBRA.
Bizbrtb. Cf. HiPPONB Diarrhttb.
Boethus, p. 440, 446.
Boétius, magister militum Africae,
p. 597.
Bon (Cap), p. 270, 297, 304, 406, 409.
BONE. Cf. HiPPONB.
Bordj-bod-Arkbridj. Cf. Tamanuiiiia.
Bordj-Hallal, p. 154, 155 n., 170, £13,
214, 220, 284.
Bordj-Mess.aoudi. Cf. Thacia.
Bordj-R'dir, p. 235.
BoTRiA, p. 283, 295.
Bou-Chbbka, p. 234, 406.
BOD-DjBLtOA, p. 294.
Bou-Ficha, p. 422.
Bougie. Cf. Saldab.
Bou-Mbrzoug, p. 281
PouSaada, p. 254.
Buccinaîor. Cf. Administration mili-
taire (duc, maison militaire), p. 128.
BUI.LA Regta, p. 32, 79, 170, 214, 284, 416.
Borgaon (Mont, Bataille du), p. 69.
Byrsa, p. 3S9.
Byzac^nb, p. 11, 23, 35, 40, 43, 47, 65,
66, 67, 69 ; fortifiée par Solomon,
p. 74, 107, 109,110, lll;Ume8p. 126,
132, 169, 170,226, 229,231 ; frontière,
p. 232-237, 246, 249, 261, 263, 268,
271, 218, 282, 302, 303, 304, 305, 306
312,313, 314, 315, 321,323,330,341,
342, 343, 345, 349, 352, 353, 366, 372,
376, 378, 379, 385, 387, 399, 400, 401,
403,410, 412 ;lesévêchét, p. 414,419:
les couvents, p. 427,468,469,470; le
limes divisé, p. 472, 49 4, 507, 527, 535,
551 ; envahie par les Arabes, p. 558-
560; le sud échappe à Bjzance,
p. 561, 565, 567, 568 ; définitivement
conquise, p. 572, 577, 579, 580, 588.
TABLE ANALYTIQUE
625
Cassarba, p. 36, 43, 108, 110, 126, 171,
260, 262, 307, 468, 495.
Caesariua, patrice, p. 524, 53t, 597.
Galama, p. 161 D., 165, 171, 173, 179,
183, 185, 193, 220, 287, 288, 289, 297,
417, 422, 470.
Cancellarii. Cf. AdmiDietration civile,
p. 103, lU; du duc, 130.
Ganopb (Monastèrb de), p. 447.
Gappadogb, p. 113.
Gapraria, p. 289.
CAP8A, p. 35, 126, 169, 226, 232, 233,
234, 236, 237, 277, 279, 291, 303, 388,
391, 416. 470, 472, 494, 529, 535, 560,
572.
CaPCT-VADA (PROMONTOIRB DB), p. 18,
30, 169, 269, 388, 401.
Garalib, p. 470.
Cat^casan^ chef maure, p. 371, 377,
379.
Carpi, p. 416.
Cartbnna, p. 263.
CARTHAGB,p. 20, 22, 23, 28, 35; concile,
p. 40, 48; surnommée Justinianaj
p. 40, 46, 66, 67, 68, 73 ; insurrection
militaire, p. 75-8i ; capitale du dio-
cèse d'Afrique, p. 98 ; 99, 108, 109,
167, 169, 170, 182, 237, 238, 268, 269,
271,272.284, 286, 289, 291, 297, 317,
335, 346, 353, 354, 355, 3G6, 369,
376, 388, 389, 391, 392, 401, 406,
409, 410, 412, 418, 420, 429, 459,
462, 482, 492, 510. 543, 551, 569,
572, 576, 580, 583, 587.
Carthaoo Spartaria, p. 470.
Gasàe, p« 224, 295.
Casab miorab, p. 417.
Cassiodore, p. 393.
Castra Sbvbruna, p. 264.
Cannes {Tribu des), p. 304.
Cbbar, p. 283, 346.
Gbbarsussa p. 415.
Gbdta, p. 241.
Celiani (Tribu des) y p. 303.
Cbllab. p. 252.
Gbllas-Vatari (Bataille de), p. 84, 87,
363.
CentenariuB. Cf. Administration mili-
taire (sous-officiers), (oCficium du
duc), p. 12i, 130.
Cbnturub, p. 287.
GiSARÉB DB CaPPADOCB, p. 185.
CéSARlBNNB. Cf. MaURÉTANIB.
Cbuta. Cf. Sbptbm.
CHALCéDOiNE, p. 434, 522, 572,
Champs db Caton, p. 378.
Ghartularii. Cr. Administration civile
(scholae), p. 105, 111, 112. Cf. Admi-
nistration militaire (sous-offlciers),
p. 125.
GlIBMTOU. Cf. SlMirTHU.
CllBRGHBL. Cf. CaBSARBA.
Chbria, p. 240.
Chilmi, p. 427.
Choba, p. 259, 296, 605.
Chosroès, p. 364, 519, 522.
Ghotts (Région des), p. 91, 226, 228,
232, 243, 247, 255, 373, 535.
Chottrl-Fbdjedj. p. 230, 233.
Chott-bl-Fraini, p. 252.
Chott-bl-Gharsa, p. 233, 245.
Ghrybopolis, p. i71.
Cbubira, p. 170, 217, 277, 281, 422.
Cilibia, p. 270.
CiLLiUM, p. 234, 238, 277, 279, 293,
343, 352, 370, 416, 421, 42o, 429,
470.
Circitores. Cf. Administration mili-
taire (officium du duc), p. 130.
GiRTA. Cf. CONSTANTIMB.
Citadelle byzantine (La), p. 145-167.
CiviTAS Nattabdtuii. p. 295.
CLYPEA.p. 297, 416.
Cohortales. Cf. Administration civile
(scholae), p. 104.
Collectarii, p. 500.
Goloni, p. 395, 396.
Coiumbus, évèque de Nnmidie, p. 509.
Gomes privatarnm, p. 500.
Comités. Cf. Administration militaire,
p. 124.
Comitiolus, p. 495.
40
G2G HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Commeutariensié. Cf. AduimistratioD
civile (officium), p. 404, 111.
Commerce, p. 406.
Commerciaires, p. 500,501.
Comte (de Paphlagonie), p. 113.
Consiliarii. Cf. Admioisiration civile,
p. 102, 111, 112, 130.
Co/i*/a7i^i/, empereur, p. 501, 527,549,
551, 554, 556; promulgue le Type, p.
566 ; reprend une partie de l'Afrique,
p. 567 ; ea lyranuie financière, p. 569 ;
transporte sa résidence en Sicile,
p. 569; envoie une expédition en
Afrique, p. 570; assassiné, p. 571.
Constantin lll, empereur, p. 545, 555.
Constantin Pogonat^^. 501, empereur,
p. 572; défend Byzauce contre les
Arabes, p. 576.
CoNSTANTiNB, p. 35 ; résidence du duc
de Numidie, p. 36,73, 126, 170,171,
237,241, 244, 272, 273, 284, 286, 288,
289, 417, 458, 470, 494.
Construction militaire byzantine [prin-
cipes généraux).
La ville forte, p. 145-148.
Le mur, p. 148-150.
Le chemin de ronde, p. 150-152.
Les tours, p. 152-159.
Les portes et poternes, p. 159-163.
Le réduit fortifié, p. 163.
Les réservoirs, magasins, écuries,
p. 164.
Un type : Antioche, p. 164-167.
Les villes fortes d'Afrique, p. ^167-
172.
Comment les principes de la cons-
truction sontappliqués, p. 172-185.
Les types de forteresses africaines,
p. 185-215.
Forme, dimensions, situation, p. 215-
226, 334.
Cousulares. Cf. Administration civile,
p. 107, 110, 111-113.
Coptes, p. 553.
COKDUBA, p. 470.
CORBVA, p. 277,285.
Corippus, p. 61, 92, 131, 231,235, 248,
301,308, 319, 324, 330, 359, 364, 366,
383, 386, 393, 400, 401, 402, 458.
CORSB, p. 36, 110, 380, 469, 499, 504,
509, 536.
Coutsina, chef maure, p. 42, 65, 66,
305, 315, 316,318,324, 330, 342,351,
352, 353, 361. 367, 372, 376, 456.
GiJrcuL, p. 258, 290, 297, 417, 444.
Cursores. Cf. Administration civile
(scholae), p. 105.
CcRUBis, p. 297, 304, 416.
Cyrénaique, p. 226, 228, 301, 339, 467,
581.
Cyrus, patriarche, p. 339, 547 ; négo-
cie avec les Arabes, p 5r»3.
D
Dakhla des Oulbo-bou-Salbh, p. 284.
Damous-bl-Karita (Basilique de), p.
391, 420.
Dar-el-Rous (Basilique de), p. 422
423.
Dara, p. 145 n, 147, 158, 164, 364.
Decihum, p. 13, 21, 22, 30, 32.
Diana VfiTBRANORUM, p. 43, 182, 168.
217, 251, 253, 470.
DlODIGA, p. 301.
Djama. Cf. Zama Major.
Djazika (Presqa^lle de la), p. 575.
DjEBBL-AaHERODBL, p. 252.
Djebbl-Amran, p. 242.
Djbbel-Arbbt. Cf. Agalumnus Mons.
Djbbbl-Arip, p. 243.
Djebbl-Bod-Talkb, p. 254.
Djbbel-Chaubi, p. 238.
Djbbbl-Dbbab, p. 289.
Djbbel-Dbrnaia, p. 234.
Djbbbl-Dir, p. 238.
Djbbbl-Fbdjouoj, p. 243.
Djebbi.-Mbssaooda, p. 252.
Djebel- .M EST AOUA, p. 251.
DjEBEL-MOUASSA, p. 252.
Djbbel-Mrilah, p. 281.
Djbbel-Nbfouça, p. 228.
Djebbl-Seffan, p. 243.
Djbbel-Sbjiiiana, p. 238.
TABLE ANALYTIQUE
627
Djebel-Serdj, p. 281.
Djbbel-Touogouh, p. 250.
DJBBBL-YOUHBS. Cf. MaGDBIUS.
Djbbibina, p. 217, 277, 282, 283.
Djbdar, p. 266,328.
Djrloula, p. 163 n., 170, 193, 194, 235,
236, 281. 529, 568, 571.
Djbmila. Cf. Gcicul.
Djenaha. Cf. Habakiah.
Djeraoua (Tribu des), p. 539.
Djbrba. Cf. Mbninx.
Djrrid (Oiisis du), p. 527, 539, 560.
Djbzza. Cf. Aubuzza.
DjIDJELLI. Cf. lOILGILIS.
Domesticus. Cf. Administration mili-
taire, p. 124.
Dominique , évoque de Carthage ,
p. 509.
Domus divina. Cf. Préfet du prétoire,
p. 100.
Donati8te8,p. 328, 408, 503,508.
AopU9&poi, p. 123, 133.
DOUOGA. Cf. TUCCA.
Draconarii. Cf. Administration civile
(scholae), p. 105.
Dréa (Plaine de), p. 74, 222.
Drubiliana, p. 273.
Ducenarius . Cf. Admistration militaire
(Bous-officiers) (ofôcium du duc],
p. 124, 130.
Ducs, p. 100. Cf. Administration mi-
litaire (ducs), p. 127-129, 322, 475,
494-498; de MauréUnie, p. 110; de
Numidie, p. 132. 290; de Byzacène,
p. 132, 472; de Tripolitaine, p. 131.
Ddpbrrâ. Cf. Oppidum Novum.
E
Ebba. Cf. Obba.
Ectbésis (d'Héraclius), p. 542, 566.
ÉDKSSE, p. 158.
Eoouou (Massif de T), p. 296.
Église arienne, p. 38, 40, 48, 328, 408.
Église catholique, p. 10, 38, 40, 101,
264, 326 ; son intolérance, p. 386, 393,
394, 395, 398, 407 ; son état précaire
I avant Justinien, p. 408, 409; son or-
ganisation sous Justinien, p. 410-
418; la protection impériale, p. 418,
419; les constructions religieuses,
églises, p. 420-427 ; monastères,
p . 427-430 ; couvents fortifiés ,
p. 430; les prélats, p. 431, 432;
le despotisme impérial, p. 433; la
querelle des Trois Chapitres, p. 434-
449; protectrice des sujets oppri-
més, p. 502, 506; relâchement de la
discipline, conflits, p. 507-509; Gré-
goire le Grand y remédie, p. 509-511;
rapports de la papauté et de l'Église
avec l'administration, p. 5H-516; la
querelle du monothéiiame, p. 542-
552; le Type de Constant II, p. 566;
fin de la querelle du monothélisme,
p. 576; décadence sous la domina-
tion arabe, p. 591.
El- A lia. Cf. AcHOLLA.
El-Aouara, p. 289.
El-Attaba, p. 238.
El-Bekriy p. 221, 248, 265, 567.
El-Ueladori, p. 563, 581.
ElDjbm. Cf. Thysdrus.
Eleuthérius, p. 570.
EL-Fiiw, p. 241.
El-Hassi, p. 422.
El-Kantara, p. 245, 250, 479.
El-Kenèis (Monastère d'), p. 427.
EL-Ksoun, p. 245, 248.
Ellez, p. 294.
El-Madbr. Cf. Casab.
En-Noveiri, p. 528, 558, 563, 575, 582.
Éparchies, p. 474, 492. Cf. Adminis-
tration civile, p. 107-111, 467-471.
Epiphania, p. 519.
Erg, p. 373.
Erogator, p. 500.
Esdilasa, chef maure, p. 42, 66.
Espagne, diocèse, p. 109; villes grec-
ques, p. 469-470.
ËTiBNNK (Saujt) (MonasïBhb de), p. 429.
EucHAiTA, p. 440, 445.
Eudocie, p. 519, 521.
Evagrius, p. 387.
HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Exarque, p. 473; quand créé, p. 478;
coDséquences, p. 481, 482. Cf. Admi-
nistration civile, p. 484-488.
Exceptores. Cf. Administration cÏTiie
(scholae), p. 105, 111.
Excubiteurs. Cf. Administration mili-
taire (armée mobile), p. 123.
Facundusy évoque d'Heroûane, p. 432
436, 437, 438, 439, 441, 447.
Fahs, p. 282, 283, 294.
FausIana, p. 471.
Fbdj-Rbttala, p. 233.
Fedj-Sila, p. 287.
Fbdj-Souioud. Cf. Vatari.
Félicien, p. 432.
Félix, abbé, p. 437, 438, 448.
Fbriana. Cf. Thâleptb.
Ferrand, p. 432, 435.
Fezzan, p. 302, 327, 557, 571.
Firmus, p. 439, 440, 444, 446.
Flissa (Tribu des), p. 307.
Flotte byzantine, p. 17, 22, 36.
Foederati, p. 28, 29. Cf. Administra-
tion militaire (armée mobile), p. 125,
132, 133, 323.
FossALA, p. 171, 296, 417.
FouçANA (Plaine du), p. 234, 238, 271,
279, 293.
Fouu-bl-Afrit, p. 281.
FOUM-BL-GUEFBL, p. 281.
Foum-bl-Guei88, p. 242.
Foum-el-Hallik, p. 287.
Fouh-el-Mallbo, p. 240.
FOUM-KOSANTINA, p. 242, 244.
FouM Tatauouinb, p. 232.
Frechich. Cf. Frexes.
Frbnoa, p. 43, 264, 328.
Frexes {Tribu des), p. 42, 303, 312.
Fulgence (Saint), p. 427, 432.
FuRiii, p. 416.
GABÈs.Cf. Tacape.
Gadabitani (Tribu rfes),
p. 301, 326.
Gadès, p. 43, 110, 307, 343.
Gadiaupala, 35, 82, 171, 210 n., 287,
288, 289, 601, 607-609.
Gafsa. Cf. Capsa.
Galuca. Cf. Marta.
Garamantes (Tribu des), p. 302, 327,
372, 458.
Garmul, roi maure, p. 460, 461, 463.
Gastal, p. 210, 217, 220 n,, 238,602-603.
ôélimer, roi des Vandales, p. 5, 6, 14,
18,21, 24, 33, 17, 50, 86, 97, 393, 409.
Gbjibllab, p. 233.
Gennadius, exarque, p. 328, 462 n.,
463, 478, 479, 481, 487, 504, 512, 513,
514, 597.
Genséric, roi des Vandales, p. 41, 43,
46, 394.
Gentiles. Cf. Administration militaire
(armée mobile), p. 125, 323, 324.
Georges de Chypre, p. 109, 110, 246,
248, 260, 267, 466.
Georges, préfet d'Afrique, p. 537,
543, 548, 597, 614.
Gerois, p. 229, 303.
Germanos, magister militum d'Afri-
que; sa politique à l'égard des révo-
ltés, p. 83, 84; des chefs indigènes,
p. 84; bat Stotzas, p. 84-86; réta-
blit l'ordre, p. 86; rappelé & By-
zance, p. 87; gouverneur général
d'Afrique, p. 117, 122, 123,317, 347;
magister militum et préfet, p. 471,
596.
Grahamès, p. 302, 326.
Gaudiosus, p. 496.
Gibba, p. 295.
GiLLiTANUM (Monasterium), p. 429.
Girba, p. 229, 414.
GiSOONZA. Cf. Sagortia.
GiDF, p. 416.
Goums, p. 300, 323.
Gourata. Cf. Gusiuous.
Grammatici, p. 106.
Grasse, p. 401.
Gratiana, p. 415.
Grégoire, officier byzantin, p. 337,
366, 402.
TABLE ANALYTIQUE
629
Grégoire, patrice, p. 517, 523, 524,
532, 54C, 550, 554 ; se proclame em-
pereur, p. 555, 556; laisse les Ara-
bes prendre la Tripolitaiue, p. 557,
558; battu et tué, p. 559, 561, 597.
Grégoire (Saiut), p. 328, 476, 481, 490,
496, 504; réforme l'Église d'Afrique,
p. 508-510; ses idées sur la respon-
sabilité administrative , p. 511 ;
intervient dans l'administration ,
p. 512-516.
Gregoriùy p. 524, 526.
Grouubalia, p. 271.
Guarizila, chef maure, p. 341.
Guela4-Sidi-Yah[a, p. 287, 606-607.
Guilaat-bod-Atfan, p. 611.
GOBLHA. Cf. GaLAMA.
Guenfan, chef maure, p. 42, 312, 325.
Gobrah-rl-Tarp, p. 241, 243.
Gdbssès, p. i5?n.,159 n., 163 n., 194
n., 221, 243, 291.
Gubst, p. 240.
GuNUGDS, p. 262.
Gunlarithf officier byzantin, p. 88,
132, 133; révolté, p. 352, 358, 440.
Gurzil^ dieu maure, p. 325, 370.
H
Habakiah, gouverneur de l'Afrique,
p. 565.
Haivibb-bl-Aioun, p. 422, 426.
Hadromètb, p. 132, 169, 224 n., 269,
277, 279, 282, 283, 345, 346, 347, 356,
369, 388, 391, 401, 415, 420, 421,427,
431, 470, 472, 494, 535, 568, 580.
Haidra. Cf. Ahmabdbra.
Hammav-bbl-Hanbpia. Cf. Aquak Si-
RENSE8.
Hammam-Darradji. Cf. Bulla BForA.
Hamuauet, p. 270.
Hammam- LiF, p. 270.
Hammam-Zshiba, p. 295.
Hammam-Zoukra. Cf. Trigibba.
Haouch-Khima-hta-Darrouia, p . 212,
292.
Hassan ibn Noman, p. 563, 581, 584,
585, 587.
Hbnchir-Adjedj, p. 240.
Hbnchir-Batria. Cf. Botria.
Hbnchir-Bksra. Cf Mozuc.
Hencuir-Bez. Cf. Vazis Sakra.
Henchir-rou-Aouîa, p 295.
IIenchir bod-Azza, p. 611.
Hknchir-bod-Ftis. Cf. Avitta Bibba.
flBNCaiR-BOD-LARÊS. Cf 0.1EI.LABA.
Hbnchir-Bouraoui, p. 240.
Henchir-bou-Sebaa, p. 238.
Henchir-Cheraorag, p . 295.
Hbnchir-Dbrmoulya. Cf. Corbva.
îIbnchir-Douahis. Cf. U«:i Maji:s.
Uenchir-bl-Bvroud, p. 293.
Hbnchir-bl-Hammam, p. 238,279,295,29().
HBNCHfR-BL-KsOUB, p 295.
Hbnciiir-Fragha. Cf. Uppbnna.
Hbnchir-Halloufa, p. 242.
Hbnciiih-Kacuoun. Cf Mozuc.
FIbnchir-Kasbat. Cf. Thuburgo Majcs.
Hbnchir-Kblbia. Cf. Cilibia.
Henghir-Kbrn-bl-Kbbch. Cf. Aunobaris.
Hbnchir-Ke8hbta, p. 210 n , 295.
Hbnchir-Rbadbm, p. 293.
Henchir-Rhahor, p. 292.
Hbuchir-Khattbb, p. 295.
HbNCHIR >Kl88A, p. 610.
Hbnchir-Kokbgh, p. 272.
Hbnchir-Rouchbatia. Cf. Thimidum Burb.
Hbnghir-Kodki, p. 294.
Henchir-Krakbr, p. 295.
Hekciiir-Maatria. Cf. Numlulis.
Hbnchtr-Maizra, p. 279, 293.
Henchir-Mahra, p. 242.
HBNCHIR-MliKTIUBS, p. 2i0.
Hexciiir Mlîya, p. 242.
Henchir-Mzira, p. 233, 292.
Hbnchib-Nboachîa, p. 170, 296.
Henchir-Oghab, p. 281.
Henchih-Ouled-Assan, p. 295.
Hbmcbir-Oum-el-Abouab. Cf. Sbressi.
Hbnciiir-Oum-Kif. Cf. Crdia.
Hr.nchir-Sbaraoout, p. 243.
Hewchir-Sbffa.n, p. 243
Hbnchir-Seheli, p. 294.
Hbnchir-Souidah, p. 210 n., 217, 220 n.
283.
630 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Hencbih-Sidi-Ali-Bel-Kassem. Cf. Thu-
fiURMCA.
Hbnchir-Sidi-Amara. Cf. Aggar.
Hbnchir-Sidi-Khalipa. Cf. Aphrodisiuii.
Henchiii-SidiKhalipat, p. 295.
Hbschik-Taoount, p. 295.
Hencuir-Tebroubi, p. 241.
Hbnchir-Zaoa, p. 211, 297.
Hbnchir-Zaktoun. Cf. Thaca.
HBNCHip.-ZonABi, p. 296.
HéracliuSf exarque, p. 337, 480, 517,
523, 527, 597.
IléracliiiSf fils du précédent, p. 519;
empereur, p. 520; sou attachement
pour l'Afrique, p. 521 ; veut y transfé-
rer l'empire, p. 522; sa sollicitude
pour la province, p. 523, 531; doit en
abandonner une partie, p. 531 ; relâ-
chement de la discipline administra-
tive, p. 537-540; son Ecthésis, p. 542.
Héraclius H Constantin^ empereur,
p. 501, 526.
HéraclonaSj p. 501 ; empereur, p. 545.
HeRGLA. Cf. HORREA Caeua.
Hkrmè3 (Promontoire d'), p. 22.
Hermiane, p. 415, 432.
HilaruSy notaire apostolique, p. 509.
HUdériCj roi des Vandales, p. 4, 5,
213, 408.
Himérius, duc de Byzacène, p. 132,
346.
HiPPOKE, p. 46, 167, 171, 284, 286, 287,
288, 289, 296, 297, 417, 580.
HiPPONE DiARUHYTR, p. 416, 580.
HoDNA, p. 11, 43, 64, 71, 90, 91, 138,
171, 227, 237, 245, 250, 254, 258, 307,
404, 470, 536.
Hoouara (Tr*ibu des)^ p. 539.
Horrba Caelia, p. 270, 41S.
HuNtRiG, roi des Vandales, p. 10, il.
labdas, chef maure, p. 43, 64. 65, 70,
71, 72, 79, 84, 89, 90, 246, 260, 305,
307, 310, 316, 317,324, 330, 351, 352,
360, 361, 365, 366, 367,376.
Ibn Abd-el-Hakem, p. 246, 402, 563,
565.
Ibn Khaldoun, p. 266, 563, 573, 581.
Ibn Koteiba, p. 563.
Ibn Rakik, p. 575.
/e?*na,chef maare, p. 302, 325, 368, T70.
Ifisdaias, chef maure, p. 306, 324, 367,
372, 376.
Ipi-en {Tribu des), p. 539.
Ifuraces {Tnbu des), 301, 330, 368,
371.
loiLGiLis, p. 36, 108, 259, 296.
llaguas (Tribu des). Cf. Levathes.
lldiger, officier byzantin, p. 82.
Illyricom, p. 97, 98, 397.
Imaclas. Cf. Mecales.
Impôts. Cf. Préfet du prétoire, p. 500.
Innocent, préfet d'Afrique, p. 490, 514,
597.
louphrout, chef maure, p. 66.
Isaac, exarque d'Italie, p. 554.
Isaflenses {Tribu des), p. 307.
ISAURIB, p. 112.
Italie (Expédition d'), p. 82, 87.
luNCA, p. 169, 235, 268, 277, 279,
375, 377, 415, 432, 470, 535.
Jean, fils de Sisinniolus, p. 345, 346,
348, 349; sa mort, p. 350.
Jean de Biclar, p. 459.
Jean de Nikiou, p. 481, 523.
Jean, patrice, p. 583, 584.
Jean Rogathinos, gouveraear d*AIH-
que, p. 456, 597.
Jean Troglita, magister militam d*A-
frique, p. 123, 124, 131, 231, 235,
272, 306, 328 n. ; majçister d'Afrique,
p. 363; sou gouvernement, p. 363-
381, 449, 597.
Johannide. Cf. Corippus.
Judices. Cf. Administratioii civile,
p. 474, 492.
Juifs, p. 328, 329, 503.
Julien (Le comte), p. 587, 588, 589.
Justin //, p. 269, 277,398, 448; empe-
TABLE ANALYTIQUE
631
reur, p. 457 ; organisation de l'Afri-
que, p. 464, 478, 501.
JUSTINIANOPOLIS, p. 169, 269.
Juslinien, empereur. Ses ambitions,
p. 4, 7, 28, 87 ; ses illusions sur la con-
quête, p. 34, 36, 74, 75 ; sa politique
religieuse, p. 39, 40, 41, 48,386, 409,
418, 433; son rôle dans la querelle
des Trois Chapitres, p. 434,449; ses
recommandations à l*armée, p. 44 ; il
organise la conquête, p. 49, 50 ; en-
voie Germanos en Afrique, p. 82 ; ré-
organise l'Afrique, p. 97 ; civilement,
p. 98-118 ; militairement, p. 119-138 ;
la fortification des frontières, p. 138,
139, 167, 184, 233, 246, 260, 269, 325,
337, 344, 348, 366, 382, 384 ; relève et
embellit les villes d'Afrique, p. 387-
392; y fonde des écoles, p. 393 ; sa
politique économique, p. 394-398;
les dernières années de son gouver-
nement, p. 453-456; sa mort, p. 437.
Justinien IJ, empereur, p. 583.
Rabylib (Grande), p. 261,307.
Kabylib 'Petite) p. 258.
Kakena (La), reine de l'Aurès, p. 56S,
582, 584, 585.
Kairouan, p. 236, 277, 281, 282, 377,
391, 426, 529, 568,572, 578, 581.
Kaodar (Oasis de), p. 571.
Rasr-bou-Fatha, p. 294.
Rasr-bl-Foul, p. 234.
Kasr-Ellous, p. 270.
Kasr-Maizbra, p. 149.
Kasr-Mbdjbr, p. 270.
KaSRIN. Cf. ClLLIUM.
Kastilia (Pays de), p. 567, 572.
KaTaXoyoi, p. 125.
KbF. Cf. SiCCA Ve^ibria.
Kep-Bbzioon. Cf. Zattara.
Kef-Keikrraz, p. 613.
Kbssera (La). Cf. Chosira.
Keiamissa. Cf. Thubursicuh Numidarum.
Khanoubt-bou-Haya, p. 234.
Khangubt-kl-Aich, p. 233.
Khangubt-Mazouch, p. 238, 271.
Khanouet-Ogubpf, p. 234.
KlIANaUET-Ouai-EL-OUAHAD, p. 238.
Khrnciibla. Cf. Masgula.
Kuerbbt-Bagbrou, p. 252.
Khbrbbt-Tauarit, p. 253.
Kubrbbt-Zembia. Cf. Lbmbllep.
Kherbitt-Zerga. Cf. Cbllab.
K.LIBIA. Cf. ClYPEA.
Kobber-el-Ghoul, p. 294.
Koçéila, p. 247; résiste aux Arabes,
p. 568, 575, 577. 578; bat Okbi,
p. 579.
KouLOULis, p. 4! 6, 470.
KOCRBA. Cf. CURUBtS.
Krib, p. 295.
Ksar-Atman, p. 611, 612.
Rsar-Bblkassbu, p. 240.
Ksar-Bellezma. Cr Bellbzma.
Rsar-Chedoi^ p. 251.
RsarDbbobba, p. 293.
RSAR-EL-ACH0UII, p. 211, 297.
RsAR-GouiîAi, p. 238, 271.
Rsar-kl-Amar, p. 283.
Rsar-el-Kflb. Cf. Vegesala.
Xsar-Ralaba. Cf. Gibba.
KSAR-ROUTIN. Cf. AUGARMI.
Rsah-Medoodja, p. 294.
Ksar-Sbbhi. Cf. Gadiaijpala.
RsooR (Plaine de), p. 273.
Rsour-el-Rraib, p. 233.
Labdia, p. 264, 327.
Lamasba, p. 251.
Lambèsb, p. 43, 71, 140, 238, 244, 245,
247, 249, 2.i)0, 288, 291, 303, 470, 535,
577.
Laubiridi, p. 250.
Laupoda, p. 170.
Lamiggiga, p. 224, 295, 417, 507.
Lamoricièrb. Cf. Altava.
LAMTA.Cf. LbptisMinor.
Lartbus ou Lakbs, p. 159 n., 163 n.,
170, 194 n., 215, 220 n., 221, 23^,
' 272, 277, 279, 285, 291, 293, 344,
376, 417, 422, 470, 529.
632
HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
Lariscub, p. 378.
Latran (Concile de), p. 566.
Lbbda, p. 229.
Lehna, p. 297.
Lemrllbp, p. 254.
Lbmsa, p. 149 n., 151 n., 154 u., 155
n., 156, 158 n., 205, 209, 210, 214,
217, 220, 221, 282.
Léontiusj empereur, p. 583.
Léovigild, p. 470.
Lbptis Maona, p. 126, 131, 169, 185,
228, 229, 230, 301, 302, 340 ; res-
taurée par Justinieu, p. 388, 414,
420, 535.
Lbptis Minor, p. 269, 391, 392, 415, 420|
427.
Levatkes {Tribu des), p. 42, 131, 301,
325, 330, 340, 344, 349, 363, 366,
368, 539, 558.
Libelli. Cf. Administration civile (of-
ficium), p. 104.
LiberahtSy p. 432, 445.
Limes, p. 121. Cf. Administration
militaire (limites), p. 126-127, 132,
133, 134; limes Tabunensis, p. 254;
Zabensis, p. 254, 258, 322.
Limitanei. Cf. Administration mili-
taire, p. 133-137, 323, 335, 396, 455,
4.85.
Lixus, p. 267.
Lombards, p. 459, 482.
Louata (Tribu des). Cf. Levatkes.
LORBBUS. Cf. Laribus.
Lucius Map,,,, préfet d'Afrique, p. 597.
Lycaonie, p. 112, 113.
M
Macares {Tribu des), p. 304, 406.
Maccuritae (Tribu des), p. 327, 460,
n; 461.
Macomades minores, p. 235, 269.
Macubids (Chaîne du), p. 303.
Madarsuma, p. 236, 269, 277, 279, 293,
377.
Madauri, p. 35, 74, 150 n., 151, 152 n.,
154 n., 161, 162, 163, 171, 174, 178,
180, 185, 196, 202, 204, 205, 220,
286, 470, 601-602.
Mafouna (La), p. 251.
Magister militum Arricae,p. 117,120.
Cf. Administration militaire, p. 122-
124, 128, 471-473, 475, 476,478,485,496.
Magister peditum. Cf. Administration
militaire, p. 124.
Magraoua (Tribu des), p. 539.
Mahoa-Hassan, p. 229.
Mahbdia, p. 420.
Mahoona, p. 289.
Majorque, p. 470, 587.
MaxxoOpai. Cf. Maccuritae.
Mactaris, p. 277, 280, 281, 294, 415.
Mauaca, p. 470, 495.
Mamma, p. 67, 74, 170, 194 n., 235, 236.
281, 377, 470, 56S, 580.
Mahs. Cf. Makma.
Mandrakion (Couvent du), p. 170, S7i,
354, 429, 447.
Mansoukah, p. 294.
Marceltus, duc de Numidie, p. 133.
Marcentius, duc de Byxacène, p. 132,
356, 357, 366, 369.
Marcien, p. 457, 597.
.Marbt. Cf. Marta.
Marius d'Avenches, p. 461.
Marta, p. 231, 235, 303, 374.
Martin I, pape, p. 566, 567.
Martine, impératrice, p. 545, 555.
Marttropous, p. 148.
Mascola, p. 71, 238, 239, 241, 242, 243,
291; rinscription, p. 462.
Masinissenses {Tribu des), p. 307.
Massonas, chef maure, p. 43, 64, 71,
264, 305, 318, 330.
Mastigas, chef maure, p. 43, 260, 307.
Mastiman, dieu maure, p. 325.
Masuna. Cf. Massonas.
Matbub, p. 296.
Matmata, p. 228, 230, 374.
Maures, p. 11, 23, 26, 41 ; les tnbus et
leurs chefs, p. 42-44, 52; armement
et tactique, p. 58-61, 62; dissensions
intestines, p. 64; révoltés en 534,
battus, par Solomon en Byzaeène,
TABLE ANALYTIQUE
633
p.65-71;ea Numidie,p. 7i,15, 85, 87,
88, 90, 91, 229, 235, 236,247; leur si-
tuation géographique, p. 301-308;
leurs mœurs, p. 308-31 2; leurs chefs,
p. 312-319; leurs relations politiques,
militaires, religieuses avec l'empire,
p. 319-330, 338; soulevés contre
ByzQDce, p. 339, 362, 382; nouveau
soulèvement, p. 456, 479,481 ; se re-
constituent en nationalités, p. 541 ;
résistent aux Arabes, p. 568 ; se con-
vertissent à rislam, p. 574; s'unis-
sentaux Byzantins contre les Arabes,
p. 576, 577, 581, 588, 590.
MAunÉTAMBS, p. 11, 23, 43, 71, 86, 90,
108, 109, 126, 127, 141, 223. 226, 227,
246, 261, 299, 306, 327, 330, 343, 413,
459, 495, 551, 576, 577, 588.
— SiTiFiBNNB : p. 36, 91, 108, 109, 110,
171, 250; la frontière, p. 254-260,
267, 307, 327, 410, 413; ses évôchés,
p. 418; agrandie et subsistant
seule, p. 467, 469.
— GftsARiENNB : p. 36, 43, 91, 108, 109,
110;lespostes fortifiés, p. 260-266,
307, 327, 410, 413, 417, 438, 460 n.,
461 ; supprimée, p. 467, 468, 469,
527, 536, 539.
— TuioiTAnB : p. 36, 107, 109 ; les pos-
tes fortifiés, p. 266-267, 411, 412,
417, 528, 578, 587,588,
— Première : p. 467, 468, 495.
— Seconde : p. 467, 468, 495, 531, 587.
— GADrTANB, p. 468, n.
Maurice j empereur, p. 245, 465 ; mo-
difie les divisions territoriales de
TAfrique, p. 467-471 ; la réorga-
nise, p. 471-481 ; son zèle, p. 504.
Maxime, abbé, p. 537, 647, 549, 550,
556, 567.
Maximiara, p, 415, 427.
Mazaranaf, p. 415.
Mazaces {Tribu deé), p. 306. n. 5.
Mdaoorouch. Cf. Madaiirb.
Mecales {Tribu des)^ p. 330
MéDdA. Cf. Labdia.
Mbdbina. Cf. Althibdros.
Medbnine, p. 232, 303.
Medesinissa, chef maure, p. 42, 66, 310,
MEDICCBRA,p. 295.
Meojana, p. 254, 258, 259.
Medjerda, p. 80, 170, 214, 269, 271,
273, 282, 284, 286, 289, 291, 295,
296, 416, 458, 530.
Medjbz-bl-Bab. Cf. Mbmbrbsba.
Membrbssa, p. 80, 416.
Menas, p. 436, 441.
Mbnbphbse, p. 346.
Mbninx, p. 229, 571.
Méphanias^ chef maure, p. 316.
Mbrcurb (Promomtoibe db), p. 304.
Mbrouana (La), p. 251.
MermeroèSj p. 364.
Metavbur, p. 303.
MiDiDi, p. 427.
MlLA. Cf. MiLBU.
MiLBïT, p. 171, 25S, 290, 417, 444, 470,
603-604.
Milites comitatenses, p. 121. Cf. Ad-
ministration militaire (armée mo-
bile), p. 127, 128, 132, 133.
Militeslimitanei, p. 47, 121. Cf. Li-
mitanei.
Milites phlatini, p. 121.
Milites ripenses, p. 121.
MiNOKQUB, p. 470, 587.
MtssuA, p. 79, 297.
Mittendarii. Cf. Administration civile
(8cholae),p. 105, 112.
Mlouia (LaV p. 266, 588.
Moaviah, p. 566.
Moaviah iîni Hodaïdj\ p. 568 : entre en
Byzacène, p. 570, 572, 576.
Mocianus, p. 441, 443.
MoNASTiR, p. 420, 429.
Monothélisme (Querelle du), p. 542;
sa fin, p. 576.
MoNS, p. 602, 604-605.
Mouça ibn Noséir, p. 563, 587, 588,
MsiLA, p. 91, 254, 258, 259.
Msisna {Tribu des), p. 307.
Muctuniani {Tribu des), p. 30!.
MuHTi, p. 417.
Muzuc, p. 281, 294.
634
HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
N
Naffur {Tribu des), p. 304, 313.
Nara, p. 235.
Naraggara, p. 417.
Nasamons {Peuple des), p. 301,302, 372.
Nbafolis, p. 416.
Nefouça {Tribu des), 539, 558.
îiefzaoua{Tribudes), p. 539.
NEFTA,p. 567.
Nbmemchas (Plateau des), p. 170, 238,
240.
NiGÉB, p. 158, 164.
Nicéphore, patrice, p. 570.
Nicétas, exarque, p. 519, 524, 597.
Nisiers (Bataille de), p. 364.
Nomenclatores. Cf. Administration
civile (scholae), p. 105.
Nova Sparsa, p. 253.
Numerarius. Cf. Administration ci-
vile, p. 104, 111.
Numerus, p. 124, 125, 132, 133.
Ndmidib, 23, 26, 35, 36, 40, 47, 65, 66,
67, 69, 71 ; fortifiée par Solomou,
73, 80, 81 ; révolte du corps d'occu-
pation, p. 82-87 ; soumise par Solo-
mon, p. 90, 107, 109, 110, 111;
limes, 126, 132, 169, 170, 214, 226;
frontière, 237-234,261, 285, 287, 290,
305, 306, 315,328, 330, 342, 349, 351,
353, 367-410, 412; ses évôciiés, 417,
419, 456, 468,469, 494, 504, 507,508,
510, 535, 539, 551, 577, 580, 588.
Numlulis, p. 295, 416, 422.
Obba, p. 273, 417, 524.
Oea, p. 229, 301, 414.
Officium. Cf. Administration civile,
p. 102-105. 111, H2. Cf. Administra-
tion militaire (duc), p. 130; deTexar-
qae, p. 488; du préfet, p. 491 ; du
duc, p. 498.
Oixta, p. 123.
Okba ibn Nafi, p. 246, 247, 265, 563,
567, 571, 572 ; fonde Kairouan, p. 572;
rappelé, p. 575; rentre en grâce,
p. 576; reprend -la conquête* p. 377 ;
sa mort, p. 579.
Okkous, p. 240.
Olympius, exarque d'Italie, p. 566.
Omar, p. 538.
Omar II, p. 591.
Onellaba, p. 297.
Oppidum Novdh, p. 264, 327.
Opsikion (Thème de T), p. 587.
Optiones. Cf. Administration mili-
taire (sou s -officiers), p. 125.
Oristanom, p. 471.
Ouled'Ayar, p. 277.
Orlhaias, chef maure, p. 43, 61. 71
79, 84, 90, 307, 330.
OuADDAïf (Oasis de), p. 571.
Othman, p. 558.
OUARNdENIS, p. 328.
Odbd-Abdi, p. 243.
Ooed-Baroou, p. 281, 282.
Oubd-Bahika, p. 2.50.
OUED-BITAM, p. 230.
Oubo-bou-Bedjbr, p. 240.
OUED-BOU-DoUKAÎf , p. 240.
Oued-bou-Haya, p. 233, 234.
OuED-BOo-.MourA, p. 288.
Ooed-boo-Merzodo, p. 286.
OUED-BOU-ROUGAL. Cf. AbIGAS.
Oubd-bou-Sbllam, p. 258, 259.
OCED-CUEMORRA, p. 243.
Oued-Cherp, p. 287, 289.
Oued-Djedi, p. 226.
Odro-bl-Abiod, p. 243.
Odbd-bl-Arab, p. 71, 240.
Oitbd-bl-Hambiam, p. 263.
Oded-el-Hatob, p. 237, 277, 279, 293.
Ooed-bl-Kbbir, p. 240, 259, 2%, 297.
Oubd-bl-Ma, p. 238.
Odbd-Fekka, p. 279, 292.
Oueo-Godbbdl, p. 233.
Oubd-Hallel, p. 238, 239.
Odbd-Khalled, p. 275.
OUBD LOBBBDS, p. 272.
Oded-Mahroup, p. 277, 281, 294.
Oded-Mblian, p. 294.
Oobo-Mellâgce, p. 285, 286, 417.
Oded-Mbroubllil, p. 277, 281.
J
TABLE ANALYTIQUE
635
Oubd-MbskianAi p. 241.
Ooed-Nbbhanb, p. 281.
OUBD-Nim, p. 584.
OuBD-OuM-BL-KsoB, p. 233, 234, 255,
259.
Oobd-R'dïh, p. 255.
Oded-Rohia, p. 281.
Oubd-Sahbl, p 259.
O0ED-TAOUni.\LRNT, p. 252.
Oubd-Tbssa, p. 417.
OcBO-TiLiDjEN, p. 238, 239, 210.
Oued-Zeroud, p. 236, 277, 281.
OOM-GUKRRICHECH. Cf. CiViTAS NaTTA-
BUTUH.
OU88BLBT (L'), p. 277, 281, 568.
Palatini privalarum, p. 500; sacra-
rum largitionum, p. 500.
Pantaléon, préfet a'Afrîqae, p. 597.
Paphlagonie, p. 112, 113.
Pappoa (Mont), p. 26, 32, 44, 306.
Patrice, p. 484.
Paul, évoque de Numidie, p. 512.
Paul, préfet d'Afrique, p. 597.
Paul (Le prêtre), p. 347.
Paul, patriarche, p. 550, 551, 5S2.
Pelage, pape, p. 447, 448.
Pentapolb, p. 519, 537.
Philagrius, p. 555.
PbUIPPBVILLE. Cf. RUSICADB.
Phillppicus, p. 517.
Phocas, empereur, p. 518, 520.
Pierre (Monastère de i'abbé), p. 427.
Pierre, exarque, p. 537, S97.
PlSlDIE, p. 112, 113.
PoMARiOM, p. 263, 265, 327, 575.
Ponlianus, p. 434.
Populations romaines, p. 6, 39, 40,
394, 398.
Possessores, p. 393-398, 500.
Praecones. Cf. Administration civile
(scholae), p. 105.
Praefectus, p. 324.
Praesides. Cf. Administration civile,
p. 107, HO, 111, 113, 475, 476, 490,
491, 492-494, 497.
Prbcisu (Monastère de). Cf. Ad Prae-
CISUM.
Préfet du prétoire. Cf. Administration
civile, p. 98-101, 117, 473, 489-492.
Préjecia, p. 348, 355, 357, 358.
Préteurs de Pisidie, Lycaonie, Thrace,
p. 113; avec attributions civiles et
militaires, p. 471.
Primasius, év. d'Hadrumète, p. 431,
440, 441, 445, 446,447, 448.
Prime (Sainte-, Basilique de), p. 420.
Primiscrinius. Cf. Admiuistration ci-
vile (officium), p. 104. Administra-
tion militaire (id. du duc), p. 130.
Primosus, p. 441, 444, 4i6, 447.
Pinscus, cornes excubitorum, p. 518.
Proconsul (de Gappadoce), p. 113.
Proconsulairb (La), p. 35, 40, 107-
109, 110, 111, 170, 263, 268-285,
289. 406, 409, 410, 411 ; les évêchés,
p. 416, 468, 469, 494, 580, 588.
Procope, p. 8, 20, 22, 27, 29, 33, 68,
70, 79, 80, 90, 91, 108, 110, 131, 132,
138, 143, 145, 148. 166, 169, 171, 185,
213, 229, 248, 260, 309, 310, 311, 317,
320, 348, 355, 379, 380, 382, 384, 385,
386; 394, 400, 455.
POPPDT, p. 416.
Pyrrhus, patriarche, p. 542, 549,
550.
Q
Quinquege^iianei, p. 307.
R
RabDimas. Cf. Thapsus.
Ras-bl-Ain. Cf. Talalati.
Ras-el-Oubd. Cf. Thamalla.
Recinarius, p. 124, 367.
Reparalus, évôqne de Cartbage,
p. 354, 435, 439, 448.
' Rodericip. 589.
636
HISTOIRE DE LA DOMLNATION BYZANTINE EN AFRIQUE
RoDMHBL (Vallée du), p. 35, 288, 289,
291.
Royaume vandale : Situation en 533,
p. 3-10; Tarmée, p. 12; ia marine,
p. 43; sachule, p. 16-33; comment
traité, quant aux personnes, p. SI;
à la propriété, p. 38; TÉglise,
p. 39, 40; révolte de 534, p. 51.
Rufintts, p. 131.
Rdsaddir, p. 266.
ROSOUNIAB, p. 262.
RusiCADB, p. 296.
RusippisiR, p. 261.
RusPAB, p. 415, 42'î,535
RuspiNA, p. 429.
Rusticus, p. 438, 445.
RuBuccuRRU, p. 182 n., 261, 467 n.,
470.
S
Sabas (Saint, Monastèrb de), p. 429.
Sabrata, p. 169, 229, 327, 388, 414,
420, 535, 557.
Sadjar, p. 287.
Safar, p. 43, 264.
Saoontia, p. 478.
Salsa (Sainte, Basilique de), p. 262,
423.
Saldab, p. 36, 108, 259, 296.
Saona, p. 471.
Sardaionb, p. 13, 14, 36, 73, 108, 110,
113, 328 n., 380, 469, 475, 482, 494,
504, 509, 536, 537, 586.
Sbbitla. Cf. Sdfetula.
SBIBA. Cf. SOFBS.
Sbikha, p. 241.
Scholae. Cf. Administration civile,
p. 105-107.
Scrinia, Scriniarii. Cf. Administration
civile (officium), p. 103-105.
Scrinium arcae. Cf. Administration
civile (officium), p. 104.
Scrinium operum. Cf. Administration
civile (officium), p. 104.
Sébastien, p. 438.
SbLBKTA. Cf. SULLBCTUM.
Seli {Tribu des), p. 301 .
Semissales. Cf. Administration mili-
taire (officium du duc), p. 130.
Septbm, p. 36, 108, 109, 110, 126, 171,
261, 343, 344, 420; capitale d'un
gouvernement, p. 467, 469,470, 536,
587, 588, 589.
Sbhessi, p. 294.
Sergius, duc de Tripolitaine, puia
gouverneur civil et militaire d'Afri-
que, p. 117, 131, 338, 339, 340, 341,
344, 345, 347, 348, 349, 350, 596.
Sergius, patriarche, p. 520, 523, 548.
Sériana. Cf. Lamiogiga.
Sers (Plaine du), p. 277, 285.
Sbrsou (Plateau du), p. 264.
Servi rustici, p. 395, 396, 398.
SÉTIF. Cf. SlTIFlS.
Sexlilianus, p. 444.
Sbybousb (La), p. 286, 289, 291.
Sfax, p. 391, 420.
SiccA Venbria, p. 35. 170, 272, 281
283, 286. 291,304, 349,401, 417,422,
423.
SrciLB, p. 565.
Sidi-Abdallah-Mblliti, p. 422.
Sidi-Amara. Cf. Henchir-Sidi-Amaba.
Sidi-Bellaoui, p. 285.
Sidi-Khalif, p. 293.
Sidi-Khalifa. V. Aphrodisium.
SiDi -Rhalifat, p. 295.
SlDI-lUCHBD, p. 289.
Sidjilmessa, p. 588.
SiGUS, p. 287, 288.
Sila, p. 287.
SiLiANA (La), p. 276, 283, 294.
Silcadenit {Tribu des), p. 304, 406.
Silvacae {Tribu des), p. 304.
Silvaizan (Tribu des), p. 304, 406.
Silzaclae {Tribu des), p. 304.
SiMiTTHU,p. 215, 295, 304, 416.
Singularii. Cf. Administration civile
(scholae), p. 112.
Sinifere, dieu maure, p. 325.
Sisebulh, roi wisigoth, p. 33t.
SisinnioluSt p. 345.
SXTIFIBNNB. Cf. MaORÂTAN».
TABLE ANALYTIQUE
63T
SiTiPis,p.9i, 161 n., ni, 1T5, 185, i9S,
205 n., 216, 220, 230, 232, 253, 238,
288, 290, 291, 418, 467 n., 470, 495.
SoLACHon, p. 48.
Solomon,^^, 17,48,49, 67,68; réprime la
révolte de 534, p. 65-75 ; patrice, p 74 ;
peu aimé des soldats, p. 75; sa vie
menacée, p. 76-78 ; sort de Carthage,
p. 79 ; va cliercher Bélisaire en Sicile,
p. 80 ; éloigné par Bélisaire, p. 81, 83,
86; renvoyé en Afrique, p. 88; épure
l'armée, id. ; expédition dans TAurès,
p. 88-90; soumet toute la province,
p. 90-93 ; préfet du prétoire d'Afrique
et magister militum, p. 117, 122, 123,
471 ; domesticus de Bélisaire, p. 124,
133 ; fortifle PAfrique, p. 168-172, 234,
235, 238, 249, 254, 264, 283, 289, 306,
310,315, 318, 330, 333, 338, 339, 341,
342 ; sa mort, p. 343 ; 363, 380, 429, 449,
596.
Sophronius, abbé, p. 547.
Sophistae oratores, p. 106.
SODKARRHAS. Cf. ThAGASTB.
SoussB. Cf. Hadruhètb.
Spatharlus. Cf. Administration mili-
taire (duc, maison milit.), p. 128.
Specolom, p. 245.
Slotzas^ chef des soldats révoltés, p. 79,
80; battu par Bélisaire, 80, 82, 84;
battu par Germanos, p. 84-86, 87;
90, 260, 337, 345, 348, 350.
Stoudion, p. 445.
Stratores. Cf. Administration civile
(scholae), p. 106.
Sua, p. 416.
Subzdar. Cf. Sadjar.
SuFETULA, p. 182, 234, 235, 237, 238,
269, 272, 277, 279, 280, 293, 369, 377,
415, 428, 470, 535, 557,559,560, 56t.
SUFES, p. 196, 202, 205 n., 217, 220,
235, 236, 279, 280, 377, 416, 470,
529, 568.
SuLCi, p. 471.
SuLLECTUM, p. 224 n , 269, 415.
SuvxaOedpoc, p. 130.
Susceptores, p. 500.
Svinthilat roi des Wlsigoths, p. 531.
Symmaque, préfet d'Afrique, p. 596.
Syrie (Grande), p. 301, 372, 406, 412.
Syrtb (PeUte), p. 230, 302, 406, 412.
Tabalta, p. 236, 377.
Tabarka. Cf. Thabraca.
Tacape, p. 226,228, 229,230, 231, 232,
233, 268, 291, 374, 414, 535, 584.
Taddert. Cf. Ad Médias.
TADOTTi,p. 224, 242, 295.
Tafna (La), p. 263, 307.
Tafrent, p. 241, 242.
Taooora, p. 35, 73, 171, 194 n., 220,
221, 28Ô, 605-606.
Talalati, p. 230, 232, 303,
Tamanunna, p. 254.
Tamatmat, p. 286.
Tamesmida, p. 234.
Tarik, p. 589.
Tanger. Cf. Tinoi.
Tarf (Plateau dn), p. 223, 241.
Tazodgart, p. 241.
Tébessa. Cf. Thévbstb.
TKBonRsouK. Cf. Thuborsicum Bore.
Tehouda. Cf. Thabcdeos.
Tell, p. 43, 71, 74, 171, 233, 287, 288,
289, 295, 305, 307, 328.
Telmiv, p. 230, 415.
Tenès. Cf. Cartbnna.
Tenibt-el-Kbbch, p. 243.
Tenookla (Coldb), p. 234, 238, 240.
Testour, p. 276, 422.
Thabraca, p. 296, 297, 392, 422.
Thabudbos, p. 24.J, 246, 247. 248, 576,
579.
Thaca, p. 299.
Thacia, p. 350, 417, 422.
Thagaste, p. 237, 288, 304, 417.
Thala, p. 281, 303.
Thalassiiu (abbé), p. 548.
Thamalla, p. 171,210 n., 217, 221, 255,
258,259, 291.
Thamugadi, p. 43, 71, 149 n., 155 n.,
137 n., 158 n.,161 n., 170, 174, 179,
638 HISTOIRE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
184, 185, 196, 200, 202, 205, n. 211,
220,221, 238,242, 243, 244, 249, 291,
305, 389, 422, 470, 530, 535.
TuAPSUS, p. 269, 416, 470.
Tharros, p. 471.
Théleptb, p. 35, 126, 152 n., 154 n.,
164 n., 169, 184, 185, 190, 191, 194
D., 215, 220, «33, 234, 236, 237, 238,
272, 277, 279, 292, 303, 406, 415, 421,
470, 472, 494, 535.
Thèmes (Régime des), p. 472, 480, 502.
Thknab, p. 279, 415, 535.
Théoctislos, mag. mil. d'Afrique, p.
459, 597.
Théodora, p. 340, 358.
Théodore AskidaSyip. 434, 441, 442,447.
Théodore^ curopalate, p. 525.
Théodore de Cappadoce, lieutenaot de
Solomon, p. 78, 79, 80, 82.
Théodore, pape, p. 552, 555, 556.
Théodore, préfet d'Afrique, p. 459,
471, 697.
Théodoriadb, p. 284. Cf. Vaoa.
Théodose, familier de Bélisaire, p.
384.
Thêodosiopous, p. 145 n , 364.
Théophane, p. 538.
ThéophylacU Simocatla, p. 463.
Thévbstb, p. 74, 140, 149 u., 150 n.,
151 o., 154 n., 155 n., 156 n., 160
n., 169, 172, 179, 180, 185, 186, 187,
189, 194, 215, 221, 223, 226, 233, 234,
237,238, 239, 240, 241, 250, 251,269,
271, 272, 273, 279, 285, 286, 288,
291, 303, 342, 344, 406,428, 430, 458,
470, 530.
Thibims, p. 287, 288, 289, 422.
TuioiBBA, p. 294.
Thignica, p. 154 n., 156 d., 158 u.,
159, 160, 161 n., 174, 185, 220, 221,
276, 277, 285, 458.
TniiiBURB,417.
Thimiduh Burb, p. 295.
Thisiduo, p. 416.
Thomas, préfet d'Afrique, p. 458,
462, 597.
Thracb, p. 112, 113.
TuHAGBsiBNs (Thème des), p. 587.
Thubukbo Majus, p. 269, 294, 416.
Thdburnica, p. 284. 416.
Thubursicdn Bdrb, p. 151 n , 155 n.,
156, 176, 178, 185. 194 n., 220, 222,
275,277, 285,295,416,458.
Thubursicuu Ngmidarum, p. 287, 288,
295, 304, 609.
Thysdrus, p. 269, 415, 335, 585.
TiARirr, p. 43, 264, 265, 328, 528, 576,
578.
Tibère Constantin^ empereur, p. 271,
398, 461, 463; orgaai^atioD de l'A-
frique, p. 464, 478, 501.
TlCHILLA, p. 416.
Tu>Di8, p. 297.
TiFECH. V. TlPASA DB NUHIDIE.
Tioisis, p. 35, 74, 154 n., 160 d , 171,
193, 194 û., 217, 219, 220, 221, 222,
287, 417, 470, 494, 507.
TioziRT. Cf. Rdsuccdru.
TlKLAT. Cf. TUPUSUKTU.
Tilubaris, p. 230, 303.
TittGAD. Cr. Thauogadi.
TiMiGi, p. 264, 327.
TiNOi, p. 267, 402,588.
TlNGlTANB. Cf. MaURBTAMB.
TlPASA DB Maurêtanib, p. 262, 423.
TlPASA DE NuMiDtg, p. 35, 74, 159 d.,
177, 178, 196, 205 u., 217, 218, 220,
221, 222, 286, 288. 289, 417.
Tlalbt. Cf. Talalati.
Tlbmcen. Cf. Pomarium.
TOBNA. Cf. TUPONAE.
Toloa, p. 246, 247.
Totila, p. 350, 371, 381.
TozEUR, p. 567.
Transamondj roi des Vaudales, p. 11.
Tribuni. Cf. Administration militaire,
p. 124, 477.
Tricamarum, p. 13, 25, 30, 31, 32, 86.
TRIK-BL-KARRbTA, p. 238, 240.
TripoliJ p. 402, 407« 535; pris par les
Arabes, p. 557.
TRiPOLrrAiNB, p. 10, 11, 42 65, 91,107,
109, 110, 111; Urnes, p. 126, 131,169,
226; frontière, p. 228-232, 267, 301,
TABLE ANALYTIQUE
639
302, 306, 308, 324, 325, 326, 330,
340, 3i5, 363, 366, 371, 372, 379,
410; les évêchés, p. 414; détachée
de l'Afrique, p. 467; soulevée contre
Phocas, p. 519; menacée par les
Arabes, p. 332, 535, 539 ; conquise
par les Arabes, p. 557.
Trois Chapitres (Querelle des), p. 432,
433, 434-449.
Trozza, p. 277, 281.
TOBERNOC, p. 270, 271.
TuBU.iAB, p. 91, 171, 184, 185, 196,
202, 203 n., 216, 220 n., 221, 250,
254, 291.
TUGGADOK, p. 416.
TiirxA, p. 170, 181, 182 n., 238, 274,
280, 285, 295, 296, 418.
TopusOKTO, p. 259.
Type (Le, de Constant llj, p. 566.
V
Uci Majos, p. 285, 417.
UcuBi, p. 417.
Université (de Carthage), p. 99, 106.
Tica<nci<Ttat, p. 123.
Uppenna, p. 270.
r«o<TTpaTYjY6ç, p. 123, 489, 496.
Urceliani (Tribu des), p. 303.
UsiLLA, p. 415.
Utiqoe, p. 416.
UzAPPA, p. 281, 416
Vadis. Cf. Badias.
Vaga, p. 157, 159 n., 170, 192, 194 n.,
220, 221, 222, 234, 296, 2^7, 416, 530,
583.
ValerianuSj p. 44i.
Valtfrien, p. 133.
Vallis, p. 416.
Vandales, p. 74; preuueiit part à la
révolte des soldats, p. 79, 88, 317,
345, 382, 394.
Vandali Jusliniani^ p. 37.
Vatari, p. 601, 610-611.
Vazis-Sarra, p. 294.
Vbossala, p. 241.
Verecundus, p. 432, 440, 441.
Victor de Sinnaj p. 444.
Viclor de Tonnenna, p. 432, 447.
ViGTOniAKA, p. 415, 444.
Vicus Haterianus, p. 416 n.
Vigile, pape, p. 435, 436, 437,438, 441,
447.
Ville fortifiée byzantine (La), p. 145.
VitaliuSf mag. mil. d'Afrique, p. 597.
Volubilis, p. 267.
W
Wisigoths, p. 36, 343, 344.
Z4B, p. 90, 245, 527, 536. 576, 578, 581.
Zabi Jcstiniana, p. 91, 171, 254, 235,
291,388.
Zaghouan, p. 282.
Zàma Major, p. 281, 294, 416.
Zana. Cf. DuNA Vbtbranorum.
Zanpour. Cf. Assuras.
Zarai, p. 171, 217, 222, 250, 252, 253,
258.
Zattara, p. 287, 288, 293, 417, 444,
609-610.
Zenata (Tribu des), p. 527, 540.
Zbrbdla (Forteresse de), p. 89.
Zersilis. Cf. Gbrois.
Zbugitane, p. 108, 399, 401, 403.
ZiAXA. Cf. Choba.
ZiBAN (Indigènes des), p. 11.
Zohéir ibn Kaïs, p. 580, 581.
Zraia. Cf. Zarai.
ZUCCHARA, p. 283, 2^5.
TABLE DES MATIÈRES
Pages.
Ihtroductiow r
LiATB DBS PRINCIPAUX DOCUKKMTS ClTÉfl DANS CE LIVRE VII
LiSTB DBS PRINCIPAUX OUVRAGES OU ARTICLES CONSULTÉS XI
Liste dbs principales abréviations employées dans lbs notes .... xv
LIVRE I
LA REPRISE DE L'AFRIQUE PAR L EMPIRE B7ZANTIN (533-539)
CHAPITRE 1
La GHurB DU rotaumb vandale (533-534). 3
CHAPITRE II
L'ApRIQUB AU LENDEMAIN de I^ CONQUÊTE byzantine 34
CHAPITRE III
La PACIFICATIOlf DE L*APRIQUE PAR SOLOMON (534-539) 51
LIVRE II
LA RÉORGANISATION DE L'AFRIQUE BYZANTINE
PREMIÈRE PARTIE
L'administration civile 97
DEiiXIÈxUE PARTIE
La réorganisation militaire de rAfrique byxantine 119
CHAPITRE l
L'armée d'occupation KT l'administration MILITAIRE ........ 119
CHAPITRE 11
Les principes du système dépensif dans l'Afrique byzantine 138
I. Les principes généraux du système défeosif byzantin 139
H. Les principes généraux de la construction militiiire byzantine . 143
I. 41
/^-.,
642 HISTOIKE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AFRIQUE
m. CommeDt furent appliqués dans l'Afrique byzantine les principes
généraux de la défense et de la construction 161
IV. Des divers types de constructions militaires africaines. ... 185
V. Forme, dimensions, situation des citadelles byzantines d'Afrique. 215
CHAPITRE m
L'OCCOPATrON HILITAIHB DE l'AfRIQUB BYZANTINB 2S6
I. Les forteresses de la frontière 228
Frontière de Tripolitaine 228
Frontière de Byzacène 232
Frontière de Numîdie. 237
Frontière de Maurétanie Sitifienne 254
Les postes de la Maurétanie Césarienne 260
Les postes de la Maurétanie Tingitane 266
II. Les forteresses de l'intétieur 269
A. L'occupation de la Byzacène et de la Proconsulaire .... 269
La route du littoral 269
La route de Théveste à Carthage 271
La défense du massif central 277
La vallée de la Medjerda 284
B. L'occupation de la Numidie 285
La ligne septentrionale des hauts plateaux 285
Le Tell de la province de Constantine 288
III. La défense du plat pays 291
.TROISIÈME PARTIE
Le gouvernement byzantin et les populations indigènes .... 299
LIVRE III
L'AFRIQUE BTZANTINE VERS LE MILIEU OU VI' SIÈCLE
PREMIÈRE PARTIE
La fin du régne de Justinien (544-565) 333
CHAPITRE l
La crise ubs annkes 545-546 333
CHAPITRE II
Lb oodvbrnembnt de Jeaw Troglita 363
DEUXIÈME PARTIE
La condition de l'Afrique sous le régne de Justinien 382
CHAPITRE 1
L'état matériel de l'Afrique byzantine 3f'2
TABLE DES MATIERES 643
Page?.
CHAPITRE H
L'ÉousK d'Afriqur sous le kèoivb de Justiniek 408
LIVRE IV
L'EXARCHAT D AFRIQUE
PREMIÈRE PARTIE
La création de Texarehat . : 4r>3
CHAPITRE I
LbS GUERRB9 d'ÂFRIQUB 800S LB8 UÈQNBS DE JuSTlN II ET DR TlB^RE CONS-
TANTIN (565-582) 453
CHAPITRE II
Lks tkansformations administratives dk la province d'Afrique et la
CRÉATION DE l'kXARCHAT 466
■ ^
DEUXIÈME PARTIE.
L'exarchat d'Afrique à la fin du VI« siècle 483
CHAPITRE I
• L'administration de l'Afrique byzantine 483
I. L'exarque d'Afrique v. • • • *8^
II. Le préret d'Afrique 489
m. L'administration provinciale 492
IV. Les autres officiers de l'administration byzantine 499
CHAPITRE H
L'ÊoLisB d'Afrique bt l'administration byzantine . .* 503
TROISIÈME PARTIE
L'Afrique sous le règne d'H6racIiu8 (610-641) 517
LIVRE V
LA CHUTE DE LA DOMINATION BYZANTINE (641-709).
CHAPITRE I
'^BS CAUSK8 internes DR LA DÉCADE^CB 535
, CHAPITRE II
La CONQUÊTE DE L'AfRIQUB PAR LBS AraBRH 563
CONCLUSION 593
APPENDICE. — Cbronologib dbs préfets du prétoire et dks gouver-
neurs MILITAIRES DE l'AfRIQUE BYZANTINE 596
ttU*' HISTOIKE DE LA DOMINATION BYZANTINE EN AKHIQUE
ADDITIONS ET CORRECriONS Oui
TABLE DES GRAVURES INSÉRÉES DANS LE TEXTE 615
TABLE DES PLANCHES HORS TEXTE ET DES CARTES 6(7
INDEX ALPHABÉTIQUE DES PLANCHES 619
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES, DES NOMS DE LIEUX ET
DE PERSONNES v; . - . . 621
TABLE DES MATIÈRES «.H
A.NUKits, raiPRivcRiB DU A. BURor.1, 4, auB oarmkh.
>î.
JUL 1 9 1940